Quelques lectures du week-end et du lundi.
– Pour évaluer les inégalités, on recourt le plus souvent aux comparaisons internationales. En faisant abstraction de celles-ci, on trouve des résultats surprenants. Par exemple, un tiers des brésiliens sont plus riches que les 5% de français les plus pauvres. D’après Branko Milanovic, cela implique qu’une aide versée de la France au Brésil a 10% de chances d’être régressive, c’est à dire d’être un transfert d’une personne pauvre vers une personne plus riche.
– Pourquoi Gordon Tullock n’a-t-il pas obtenu le prix Nobel d’économie en même temps que son compère James Buchanan? A cause de son mauvais caractère. Avoir déclaré qu’il y avait “plus de bons économistes dans l’état de Virginie que dans toute la péninsule scandinave” n’a pas dû plaire beaucoup au comité de l’académie royale suédoise.
– La Somalie est un chaos violent et épouvantable. Toute la Somalie? Non. La partie Nord-Ouest du pays, le Somaliland, est stable et fonctionne remarquablement bien. Cette région (qui est en fait l’ancienne colonie britannique, le reste étant une ancienne colonie italienne) a proclamé son indépendance du reste de la Somalie, mais celle-ci n’est reconnue par personne. Comment expliquer l’existence d’un tel havre de stabilité dans une région chaotique? Respectant les canons du genre, le très intéressant article du New York Times explique que cela provient de la différence entre la colonisation britannique et l’Italienne. Les britanniques n’avaient pas investi au Somaliland, et y avaient de ce fait maintenu les institutions traditionnelles; contrairement aux italiens qui avaient pratiqué une colonisation active, détruisant ces institutions et ouvrant la voie aux chefs de guerre après leur départ. J’ai entendu ce genre d’explication à base de différents colonialismes tellement de fois que je n’y crois plus guère. Dans l’Ethiopie voisine, pour rester dans la région, les institutions traditionnelles pré-coloniales sont largement en cause dans les malheurs connus par le pays au cours des trente dernières années. L’article, en tout cas, est intéressant.
– Brad de Long participe à un panel. Extrait : Solow exprime son inquiétude vis à vis de la baisse du taux d’épargne américain au cours de la dernière génération. Larry Kudlow, au milieu du panel, se lance dans une diatribe agressive – les chiffres de l’épargne sont faux, le vrai taux d’épargne se mesure par la variation du patrimoine net des ménages, il n’y a aucun problème d’épargne aux USA, l’économie va bien, les chiffres du chômage sont extraordinaires, Paul Krugman a prédit 9 des zéros dernières récessions, etc, etc. Que faire? Vous voyez quelqu’un – Solow – l’un des individus les plus intelligents et réflechis que je connaisse, dont l’impact intellectuel est anéanti par un Kudlow qui n’est plus dans le domaine de la réflexion depuis bien longtemps. Kudlow n’a pas réflechi aux biais des statistiques sur l’épargne, sinon, il n’aurait jamais pu dire ce qu’il a dit. (…) Mais il y a 90 minutes pour un panel de 9 personnes. Pour le public, cela ressemble à deux économistes sûrs d’eux qui sont en désaccord pour des raisons incompréhensibles. Et mes propres 10 minutes viendront trop tard pour tenter de rétablir le débat de quelque façon équilibrée que ce soit. (…) C’est une loi de Gresham intellectuelle en action.
On a déjà vu cela quelque part. Le pire étant que face à cela, soit par désir d’être convaincant, soit en se laissant embarquer dans l’esprit partisan, de nombreux économistes en finissent par sombrer eux-mêmes dans la loi de Gresham intellectuelle (oui, je sais, moi aussi parfois). Le débat public ne se prête guère à l’argumentation économique qui doit être argumentée et nuancée et entre difficilement dans les cases blanc et noir. Les blogs et l’internet offrent la possibilité d’une meilleure information en réduisant le coût de l’espace public disponible; mais le flot de bruit peut augmenter beaucoup plus vite que celui du signal.
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"Economics is a complicated subject, whether we are talking about macroeconomics or microeconomics, theoretical economics or applied economics. It is unlikely that a meaningful answer to any serious question can be fairly stated in one or two short sentences. (A meaningful answer should include some statement about the conditions under which the answer is expected to be true, and about the circumstances that would make you suspicious about its truth.) Yet short answers are what the world wants; and by and large those are what it gets. … Even the 900 words that seems to be the canonical length of a deep-think piece in the press are not adequate for anything much but dogma, and a 900-word opportunity is the exception. … Maybe nobody wants to hear more than two sentences about issues of economic life and economic policy. [G]ood economics is bound to be complicated. Good economics is bound to be uncertain. Even where the underlying principle is clear its application to particular circumstances is never direct. Too many other things are always happening at once. If there is anything that the politician does not need it is complexity and uncertainty. Just the opposite is called for." (R. Solow, 1989)
« un tiers des brésiliens sont plus riches que les 5% de français les plus pauvres. D’après Branko Milanovic, cela implique qu’une aide versée de la France au Brésil a 10% de chances d’être régressive, c’est à dire d’être un transfert d’une personne pauvre vers une personne plus riche. »
C’est assurément le cas si on distribue l’aide en jetant des billets d’un hélicoptère.