A l’OMC, le principal candidat actuel à la présidence est l’ancien commissaire européen Pascal Lamy. Il ne s’agit pas d’une mauvaise chose : P. Lamy a pendant 5 ans, en tant que commissaire européen au commerce, su montrer qu’il était capable d’accomplir sa mission et de résister aux influences (et en tant que commissaire français, a subi de nombreuses influences, notamment lorsqu’il se rapprochait des questions agricoles). Il a joué un rôle pédagogique important pour pousser à la réforme de l’intenable politique agricole commune. Il est au passage particulièrement navrant que le gouvernement français lui ai préféré l’insipide Jacques Barrot pour la nouvelle commission européenne : Visiblement, l’indépendance de comportement et d’esprit n’est pas en odeur de sainteté chez nos gouvernants.
A son actif, Pascal Lamy a donc un bilan très honorable comme commissaire européen, son intégrité, et sa connaissance des dossiers liés au commerce international : toutes choses très utiles à un prétendant au titre de président de l’OMC. Cela peut-il suffire?
L’OMC est en effet actuellement en difficulté. Les négociations du programme de Doha pour le développement patinent; l’OMC est l’objet des critiques les plus hystériques des altermondialistes de tout poil; en matière juridique, on assiste à un changement très préoccupant dans les relations commerciales internationales, avec l’affaiblissement progressif des accords multilatéraux (du type de ceux qui font l’objet de négociations à l’OMC) et leur remplacement par des accords bilatéraux, signés le plus souvent entre un “gros” (USA ou Union Européenne) et un “petit” (typiquement, un pays ou un groupe de pays en développement). Cette dernière logique, qui selon le terme de Jagdish Bhagwati transforme le droit commercial international en “bol de spaguetti” est extrêmement dommageable. En effet, la signature d’accords commerciaux multilatéraux à l’OMC permet à tous les pays de se faire entendre : les accords sont nécessairement signés à l’unanimité des pays membres.
Au contraire, un accord bilatéral entre pays d’influence déséquilibrée aboutit souvent à des clauses léonines. Les pays en développement sont ainsi obligés, pour avoir une chance d’accéder aux marchés des pays développés, d’accepter de multiples exceptions (en général, à l’avantage de tel ou tel lobby des pays riches) et d’adopter des législations très dures susceptibles de les pénaliser, notamment en matière de propriété intellectuelle ou d’exceptions accordées. La protection relative accordée aux pays en développement par le mutlilatéralisme s’efface dans des négociations bilatérales, dans lesquelles la capacité d’influence du “grand pays” est bien plus grande.
Le prochain président de l’OMC aura donc pour mission de relancer les négociations, pour qu’un succès du programme de Doha relance le multilatéralisme en matière de commerce international, et redonne de la légitimité à l’OMC (qui actuellement, n’a que peu de pouvoir). Il devra aussi faire un énorme travail pédagogique auprès des ONG sérieuses – celles qui ne sont pas uniquement le paravent d’idéologies décaties mais ont un intérêt sincère à la lutte contre la pauvreté – afin de contrer la mauvaise réputation des échanges internationaux et par la même de l’OMC. C’est une tâche difficile qui nécessite talent et motivation. Or quelles sont les motivations de Pascal Lamy? D’un côté, on peut espérer qu’il restera dans la logique de mission qu’il a adoptée lorsqu’il était à l’Union Européenne, et qu’il suive le programme de l’OMC : la promotion et le développement du libre-échange. De l’autre côté, en tant que commissaire européen, il a été le principal artisan de développement des accords bilatéraux entre l’Union Européenne et le reste du monde. Il a soutenu des initiatives cache-sexe du protectionnisme européen, style “tout sauf les armes”. Globalement donc, rien ne permet d’assurer qu’il serait le défenseur enthousiaste de la liberté des échanges et du multilatéralisme dont l’OMC et ses pays membres ont besoin.
La Banque Mondiale est une organisation qui connaît également des problèmes, mais ceux-ci sont d’une nature très différente. Son président sortant, James Wolfensohn, a eu une influence considérable, égalée uniquement par Robert MacNamara. Ce dernier, tout au long des années 70, avait poussé la Banque Mondiale (initialement, une agence de prêts pour la reconstruction de l’Europe après la seconde guerre mondiale) vers le financement tous azimuts de projets pharaoniques (les fameux “éléphants blancs” du développement) d’infrastructures à l’impact économique douteux et à l’impact écologique très discutable. Surtout, de nombreux pays en développement, bénéficiant des faibles taux d’intérêt réels des années 70, avaient massivement emprunté auprès de la banque mondiale, ce qui a généré les multiples crises de dette des années 80-90.
Au début du mandat de J. Wolfensohn, la Banque Mondiale avait de ce fait une réputation excécrable. Et c’est l’un des très grands succès de ce dernier que d’avoir – au prix d’efforts considérables – redoré le blason de cette institution. En matière de développement, Wolfensohn a mis l’accent sur les institutions des pays (considérant que prêter aux kleptocraties est inutile et nocif), sur la lutte contre la corruption, l’éducation, en plus des traditionnels projets d’infrastructures, pour lesquels la Banque est désormais beaucoup plus regardante. A son débit, il faut constater cependant que sous sa direction, la Banque Mondiale est partie dans de multiples directions parfois contradictoires : le message de la Banque Mondiale a donc besoin aujourd’hui d’être clarifié. De même, Wolfensohn n’a pas résolu le problème principal de la Banque Mondiale, sur lequel nous reviendrons plus tard.
Pour remplacer une aussi forte personnalité, il faudrait donc une personne à la fois compétente et dotée d’un grand sens du leadership; cela permettrait de lancer une nouvelle dynamique à l”intérieur de l’institution. Hélas, pour l’instant, aucun remplaçant ne semble se dégager; pire même, comme le constate Sebastian Mallaby (auteur d’une biographie paraît-il remarquable de Wolfensohn), le gouvernement américain (qui traditionnellement désigne le président de la Banque Mondiale) ne semble pas savoir dans quelle direction aller. Comme le gouvernement Reagan, qui se désintéressait de la présidence de la banque mondiale (mais restait soucieux de maintenir les prérogatives américaines de nomination) et avait abouti à nommer un parlementaire n’ayant aucune envie ni compétence pour faire ce travail au milieu des années 80. Les rumeurs se multiplient pour savoir qui va être élu. Le Los Angeles Times a ainsi proposé que le chanteur Bono, du groupe de rock U2, soit nommé; Plus sérieusement, on a entendu parler parmi d’autres de Paul Wolfowitz (une rumeur vite démentie par l’interessé) ou de l’ancienne présidente de Hewlett-Packard, Carly Fiorina.
Wolfowitz aurait pu être un choix intéressant : mais son rôle au Pentagone pour la guerre en Irak en fait une candidature chiffon rouge pour les autres pays (ajoutons que l’exemple MacNamara devrait rendre prudent sur la nomination d’anciens du Pentagone dotés d’idées brillantes à la Banque Mondiale). Quant à l’ancienne présidente de HP, son problème est d’avoir certes de la personnalité, mais de n’avoir aucune compétence en matière de politiques publiques et de développement. Or, la situation actuelle de la Banque Mondiale rend nécessaire un président disposant de compétences spécifiques.
La Banque Mondiale est en effet actuellement un patchwork regroupant trois activités : de l’assistance technique aux gouvernements; de la recherche sur l’aide et le développement; et surtout, une banque accordant des prêts à long terme aux pays en voie de développement.L’ensemble fonctionne de la façon suivante : la Banque Mondiale, dont les actionnaires sont les gouvernements des principaux pays développés, peut emprunter à taux très faible sur les marchés de capitaux; elle emprunte et prête ensuite aux gouvernements des pays en voie de développement, avec une faible marge (inférieure à 1%); cette marge sert à financer les très nombreuses autres activités de la banque. On pourrait dire que dans cette opération tout le monde gagne : les prêteurs qui ont des garanties, les gouvernements emprunteurs qui peuvent s’endetter à un taux largement inférieur à celui que leur niveau de risque, et la Banque Mondiale, qui peut ainsi financer son activité de recherche et d’assistance technique. Mais cette situation génère deux effets pervers. Le premier, c’est que le portefeuille de prêts de la Banque Mondiale est présente une forte exposition sur des pays à risques. L’ensemble a tenu jusqu’à présent, mais il n’y a aucune raison de supposer que cela va tenir.
L’autre problème, c’est que dès lors que son activité en dépend, la Banque Mondiale doit “pousser” des prêts. De ce fait, elle est amenée à prêter à des pays à revenu intermédiaire dont les gouvernements pourraient fort bien se débrouiller (songeons que la Banque Mondiale prête à la Chine, qui dans le même temps dispose d’un taux d’épargne considérable, reçoit massivement des capitaux, et rachète de grandes quantités de bons du trésor américain). La Banque Mondiale prête à l’Inde, dont le gouvernement est déjà fort endetté : est-ce bien recommandable? Elle prête à la Russie, alors que ce pays ne semble pas avoir besoin d’aide au développement spécifique. A l’époque ou la Banque Mondiale a été créée, les marchés de capitaux internationaux n’étaient pas assez développés pour que tous les pays puissent y accéder. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et ce système de prêt a des effets délétères. Il serait préférable de le remplacer par des garanties sur les crédits des pays concernés.
Les activités d’assistance technique posent également problème, dans la mesure ou elles sont fournies gratuitement par la Banque Mondiale. Cela n’incite pas la Banque à améliorer ses mécanismes d’aide et pousse dans le sens connu sous Wolfensohn – des orientations multiples, sans cohérence, sans évaluation d’efficacité, et au total une aide au développement qui n’est pas aussi efficace qu’elle pourrait et devrait être.
Pour traiter ces différents problèmes, il faudrait un président disposant de compétences techniques dans le domaine du développement, et doté d’une personnalité suffisamment forte pour succéder à Wolfensohn. Il est fort douteux que l’ex-PDG d’une entreprise informatique en difficultés soit le bon choix. L’administration américaine va peut-être trouver un bon candidat : il serait dommage qu’elle se contente d’un second couteau consensuel ou d’une fausse bonne idée publicitaire.