Dégradation de la dette italienne

Décidément, l’Italie ne finit pas de payer sa perfidie lors de la finale de la coupe du monde. Voilà que deux organismes de crédit (Standard & Poor’s et Fitch) viennent de baisser l’évaluation du crédit de sa dette publique, qui est passée de AA- à A+. Cela place l’Italie au même niveau enviable que le Botswana. On peut trouver l’affaire vexante; quoique après tout, se retrouver au même niveau que le pays ayant connu la plus forte croissance au monde pour les 35 dernières années n’est pas si désavantageux, surtout étant donnée la performance italienne en matière de croissance ces dernières années. De nombreux commentateurs en france en déduisent des messages alarmistes, assis sur un médiocre opuscule qui décrit une “France faisant faillite”. L’hystérie française en matière de dette publique n’est pas le sujet du jour (mais je rappelle que ce post, celui-ci et celui-là ont déjà abondamment traité la question). On peut par contre se demander ce que sont les spécificités de la situation italienne et ce que celle-ci enseigne.

(le sujet italien a aussi été abordé, dans ce post et celui-là). Contrairement à ce qu’affirment des éditorialistes du Wall Street Journal d’aujourd’hui, il n’y a que peu de chances pour que cette dégradation pose de gros problèmes à l’Italie. Les auteurs pensent qu’en augmentant le coût du crédit pour le gouvernement Italien, cette décision va dégrader les finances publiques et précipiter le pays hors de l’euro. Mais c’est oublier premièrement que comme le rappelle Felix Salmon, ce genre de classement n’a pas beaucoup d’impact pour les grands pays développés. Il me semble d’ailleurs que la Banque centrale européenne doit de toute façon acheter la dette italienne de la même façon que celle de tous les pays de la zone euro. Donc, les conséquences ne sont pas considérables.

Par contre, la raison de cette dégradation est intéressante. Avec Romano Prodi, artisan du passage à l’euro de l’Italie, et Tommaso Padoa-Schioppa, ministre des finances actuel et ancien membre du conseil de la Banque centrale européenne, on pouvait penser qu’il y aurait une réelle volonté de remettre les finances publiques italiennes, autant que possible, dans les clous du pacte de stabilité. Et ce n’est pas loin de pouvoir se produire; certes, la dette publique (supérieure à 100% du PIB) est loin des 60% canoniques; mais il y a d’assez bonnes chances pour que le déficit public, l’année prochaine, soit proche d’atteindre les 3% du PIB. Pourquoi les agences de notation contestent-elles ce rapprochement vers les critères du pacte de stabilité?

C’est que, la façon dont cet objectif est atteint fait toute la différence. Toutes les réductions de déficit ne se valent pas, et celle de l’Italie traduit un retour à la politique italienne dans ce qu’elle a de pire, comme l’indique Wolfgang Munchau. Premièrement, une bonne part de la réduction du déficit pour l’année prochaine provient de hausses d’impôts (supportées par les régions pour le dissimuler, mais cela revient au même); pour faire passer la pilule de cette rigueur budgétaire auprès de la gauche de la coalition, cela a été accompagné de hausses de dépenses publiques plutôt clientélistes (par exemple, une augmentation du traitement des fonctionnaires supérieure à l’inflation). Le tout avec quelques manipulations comptables calculées précisément pour atteindre l’objectif (en bénéficiant d’une croissance légèrement plus forte que prévu pour cette année). En bref, un budget d’affichage, qui ne traite pas les vrais problèmes de l’économie italienne : une croissance très faible, une productivité qui n’augmente pas assez vite, et un système productif pris en sandwich entre d’un côté la concurrence des économies à bas coût, et de l’autre la dévaluation réelle menée par l’Allemagne. Et à plus long terme, un système de retraites difficilement tenable étant donnée la démographie nationale.

Ces problèmes n’ont rien d’insoluble, mais rencontrent un obstacle majeur : la politique à l’italienne, son clientélisme, sa tendance au bavardage, et au maintien du statu quo. On pouvait espérer que Prodi allait améliorer les choses sur ce plan; hélas, en matière de politique économique, il reprend des travers qu’on aurait espéré voir disparaître avec Berlusconi. Et c’est cette frustration qui est sanctionnée par les agences de notation.

Il y a là, en tout cas, une leçon importante : les problèmes de déficit et de dette d’un Etat ne dépendent pas de critères “d’orthodoxie financière” comme le pacte de stabilité. Afficher fièrement un déficit en baisse, si cela provient de hausses d’impôt et d’absence de réformes économiques favorisant la croissance, c’est adopter la méthode du village Potemkine. Ce qui compte n’est pas une approche patrimoniale des finances publiques (il est vrai que cette idée est tout simplement incompréhensible pour un inspecteur des finances) mais la capacité de l’économie nationale à croître suffisamment et de façon durable. On voit dans le cas italien tout ce qu’il y a de pernicieux à s’attacher à des ratios d’endettement : on en finit par trouver acceptable, selon ces critères, des politiques nuisibles à la croissance, et qui finalement mettent en péril l’équilibre futur des finances publiques.

Effectivement, on peut décider de méditer en France la dégradation de la dette italienne; je doute fort qu’on en tire les bonnes leçons.

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Alexandre Delaigue

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13 Commentaires

  1. Reste qu’à vue de nez, les conséquences de la politique clientéliste de Prodi seront, pour l’essentiel, payés par l’ensemble des états de la zone Euro, au bénéfice des seuls italiens, donc, des électeurs de la coalition au pouvoir. Politiquement parlant, les citoyens italiens peuvent fort logiquement considérer que leur gouvernement travaille pour eux et travaille bien.

    Ne s’agit-il pas d’une remarquable illustration de ce qu’il peut en coûter d’adhérer à une logique de monnaie commune et donc, de solidarité financière avec des intentions honnêtes mais sans les moyens de contraindre les partenaires avec lesquels on se déclare solidaires à savoir gérer ?

  2. Passant : Quel coût, exactement, est supporté par les autres européens? la dégradation de la dette italienne a des conséquences pour le budget de l’Etat italien, et c’est tuot. Et une réduction des déficits par les hausses d’impôt, une croissance zéro en Italie, n’auront pas de conséquences positives en Italie et négatives ailleurs. De quelle solidarité financière parlez-vous?

  3. Je pensais que la politique de la BCE devrait tenir compte d’une part du besoin de financement de la dette italienne, et d’autre part de la cote de cette dette, ce qui ne pourrait se traduire que par un recours à l’endettement plus coûteux pour tous ?

  4. Alexandre:"Il me semble d’ailleurs que la Banque centrale européenne doit de toute façon acheter la dette italienne de la même façon que celle de tous les pays de la zone euro."
    La BCE n’a pas d’obligation de faire cela,en pratique ,les titres sont traites comme egaux quelque soit la note de credit [ce qui est absurde…],mais il y a eu clarification l’annee derniere:ne seront traites comme egaux et acceptes comme collateral que les titres notes AAA a A- compris…Si l’Italie ou la Grece tombe en dessous de A- ,leurs titres ne seront plus pris en collateral par la BCE…

  5. Je découvre par hasard qu’Erik Izraelewicz n’a pas l’air d’estimer que la politique de Prodi soit si peu coûteuse que ça pour les autres pays de la zone euro

    blogs.lesechos.fr/article…

    Peut-on imaginer que la BCE, de sa propre initiative, prenne des mesures de sorte à ne pas encourager le manque de discipline budgétaire ?

  6. L’article d’Israelewicz est particulièrement nul, et son argumentation est vide : il se contente de dire "les autres paient" sans expliquer en quoi ou comment. La BCE n’a aucun motif à mener une politique contre l’Italie, sauf si la politique italienne risquait de provoquer de l’inflation dans la zone euro. Mais une italie avec un état endetté et une croissance nulle ne provoque pas d’inflation ailleurs, elle ne fait que se pénaliser.

  7. Jck : en même temps, les décotes de notation ne modifient pas (ou à peine) la prime de risque pour des pays comme l’Italie. Pourquoi alors la BCE devrait-elle faire autrement?

  8. Alexandre:la BCE devrait avoir un taux d’escompte different pour de credits de qualite differente,question de logique.Sur les marches libres les AAA ont une prime de risque differente des A-.
    Dans la zone euro,ce n’est pas le cas parce que les operateurs savent qu’il y a un acheteur de dernier ressort en l’occurence la BCE,et donc les primes de risque sont plus compressees qu’elles ne devraient et vous avez effectivement un faux marche.La discipline de marche [notion chere a la BCE] ne fonctionne pas quand le marche est truque par…la BCE.
    Pour le moment ca n’a pas trop d’importance,mais supposons que la situation de l’Italie se degrade [ce qui est ineluctable a terme a cause de la demographie entre autres],les agences de notation sont notoirement lentes dans l’ajustement de leurs notes et le marche aura tout le temps pour se debarrasser des obligations italiennes et "coller" la BCE avant que celle ci arrete de prendre la dette italienne en collateral…Supposons que la situation continue de se degrader allant jusqu’au defaut,avec le systeme actuel il y a probabilite 1 que 100% des actifs de la BCE seront des obligations de l’Etat defaillant.En d’autres termes,le risque "Italie" n’est porte ni par l’Italie ni par le marche mais par la BCE.Ce qui est tres genant puisque par traite ,les Etats membres [de la zone euro] ne peuvent pas monter d’operation de sauvetage d’un Etat defaillant [Maastricht,"no bailout clause",article 103].

  9. Alexandre Delaigue: si on admet (ce qui se conteste, mais qui est un point de consensus entre deux thèses) que la cote des agences de cotation est une approximation acceptable de la qualité de la politique des finances publiques d’une part, si on admet que le rôle de la BCE est de faire de l’euro un point de repère dans les modèles économiques et si on admet que la mauvaise gestion des finances publiques est le principal péril pour ce repère, il ne semble pas illogique de voir la BCE jouer son rôle institutionnel en oeuvrant y compris de manière assez indirecte pour défendre l’euro à long terme, par exemple, en évitant de donner une prime aux pays mettant le plus en péril l’euro, et donc, la paix en europe, à long terme.

  10. Jck : en supposant une dégradation continue; ce ne serait pas tout à fait le cas dans l’éventualité d’une sortie italienne brutale de l’euro, qui ne serait pas tant provoqué par une perspective de défaut du pays (une sortie de l’euro, avec toute la dette libellée en euro, ne ferait qu’aggraver la situation) que par un ensemble de circonstances politiques rendant une dévaluation indispensable. Autre hypothèse : peut-être que les marchés lisent Eric Chaney…

    http://www.telos-eu.com/2006/10/...

  11. Alexandre:
    il y a une autre theorie,paradoxalement qui porte sur la credibilite de la clause "no bailout",si l’on n’y croit pas ,alors pas de probleme avec la dette italienne,les autres pays passeront a la caisse pour eviter l’implosion de l’UE.
    La degradation de la dette italienne c’est quand meme sur du long terme, 20/30 ans donc je ne pense que c’est ce qui preoccupe les marches aujourd’hui.Si la BCE laissait faire la discipline de marche ca ne rajoute que 30 a 40 points de base au cout de financement donc pas la cata…mais au moins ca donne un "signal"..
    Merci pour Chaney,interressant article.

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