Trois (quatre, en fait…) réponses rapides à des questions de lecteurs reçues ces derniers temps au courrier.
Je souhaiterais vous poser une question relative aux taux de change d’équilibre. J’ai cru comprendre que pour arriver à déterminer le taux de change d’équilibre d’un pays, il faut passer par des calculs complexes. Certains ne économistes ne s’embarassent pas de ces calculs et font référence à l’indice big mac pour savoir si une monnaie est surrévaluée ou sous-évaluée. Peut-on dire que cet indicateur donne à peu de chose près le bon taux de change ?
Il n’existe pas de valeur définitive du “taux de change d’équilibre”. Le taux de change d’équilibre est tout simplement celui qui égalise offre et demande d’une devise contre une autre à un moment donné. Les économistes ont simplement imaginé par quels facteurs ce taux est influencé. Il en existe deux principaux : le pouvoir d’achat et les taux d’intérêt.
– les taux d’intérêt : supposez deux titres de même niveau de risque, valant respectivement 100 dollars et 100 euros, le premier rapporte 15% d’intérêt, le second rapporte 10% d’intérêt. Dans ce cas, les acheteurs de titres vont acheter les premiers, le dollar va monter jusqu’à égaliser les rendements des actifs. Sauf qu’il faut incorporer au calcul les anticipations de taux de change (si je pense que le dollar va baisser, je vais peut-être conserver mes titres en euro malgré la différence de rendement). Or les anticipations sont beaucoup plus difficiles à déterminer.
– le pouvoir d’achat : supposez que la même voiture soit vendue 10 000 euros et 12 000 dollars; dans ce cas, on doit supposer qu’un euro vaut 1.2 dollars, car si un euro vaut un dollar, les américains vont se ruer pour acheter cette voiture en europe; pour cela ils devront changer des dollars en euro, faisant monter ce dernier. Evidemment ce raisonnement suppose l’absence de droits de douane ou de coûts de transport. en présence de telles barrières il faudra un plus gros écart de prix pour justifier des transactions.
C’est ce dernier raisonnement qui est sous-jacent dans “l’indice big mac” sauf qu’il est présenté de façon absurde : si j’ai envie d’un big mac, je ne vais certainement pas aller l’acheter à Pékin plutôt qu’à côté de chez moi même s’il coûte moins cher là bas. Pourtant, l’indice big mac n’est pas un trop mauvais prédicteurs des évolutions des devises, ce qui constitue peut-être un hasard amusant, et peut-être l’indicateur de ce que le prix du big mac est déterminé par mac donalds à partir d’un pouvoir d’achat qui dépend au moins partiellement de biens susceptibles d’être échangés internationalement.
je souhaiterais que l’on m’explique comment concilier une croissance infinie (5% +2%+ 1.5% etc.) avec un monde fini, notre planète.
Il y a environ 80 000 ans, l’espèce humaine était composée d’à peu près 40 000 individus vivant en moyenne avec moins de l’équivalent d’un dollar par jour; aujourd’hui l’espèce humaine est composée de 6 milliards d’individus vivant en moyenne avec 8 000 dollars par an (inégalement répartis, certainement). Pourtant la quantité de ressources de la terre n’a pas augmenté du tout pendant cette croissance économique spectaculaire. Que s’est-il donc passé?
Ce qui s’est passé, c’est que l’espèce humaine a découvert de nouveaux moyens d’utiliser les choses qui l’entourent. La croissance économique ne tient pas à l’existence de “ressources consommées” : elle tient à la multiplication d’idées pour transformer des choses inutiles en ressources utiles. Le blé était une herbe folle sans utilité avant l’invention de l’agriculture. le pétrole un produit nauséabond polluant les nappes phréatiques avant les multiples inventions l’ayant transformé en produit utilisable. Dans cette perspective, les limites de la croissance économique ne tiennent pas à l’idée de “ressources disponibles”, terme qui est relatif à un temps et un état des techniques, mais aux limites de l’inventivité humaine.
Or ce qui caractérise une invention, c’est qu’elle est une connaissance, donc peut être utilisée par tout le monde simultanément sans limites : si je connais la recette du 4-quarts, vous pouvez l’utiliser en même temps que moi sans que nous nous génions mutuellement. Donc non seulement les idées peuvent apparaitre sans limites explicables, mais de plus, elles peuvent être utilisées par tous sans limites. Voilà ce qui fait que la croissance peut encore durer beaucoup.
Est-ce à dire que dans 80 000 ans, l’espèce humaine aura accompli le même chemin que celui qu’elle a accompli jusqu’ici? La seule réponse que nous pouvons apporter, c’est que nous n’en savons rien. Les préoccupations des humains dans 80 000 ans nous sont aussi étrangères que les notres pour ceux d’il y a 800 siècles. Nous constatons dès aujourd’hui qu’en s’enrichissant, les humains souhaitent moins se multiplier et que les populations se stabilisent; il est possible qu’un jour les humains décident qu’ils ne veulent plus consommer plus, que tous leurs besoins sont satisfaits; ce jour-là et ce jour-là seulement (s’il se produit), la croissance s’arrêtera.
Pendant les fetes, les discussions autour de la table se sont aventurées sur le terrain du pouvoir d’achat. Entre les huitres et le chapon, j’ai tenté de défendre le fait que le pouvoir d’achat avait augmenté en moyenne, même si les disparités avaient elles aussi augmentées. Mon argumentation s’appuyait sur les statistiques de l’inflation et de la croissance par tête en france, sur les dix dernières années. Cela restait un peu abstrait cependant, et l’argumentation adverse était beaucoup plus sommaire et efficace : le prix de l’immobilier a tellement augmenté qu’il est devenu impossible de se loger à Paris pour des revenus modestes qui auparavant pouvait se le permettre. Comment défendre une progression du pouvoir d’achat quand le pouvoir d’achat immobilier a lui autant régressé ? Je n’ai rien trouvé à répondre. Comment auriez vous répondu à ma place ?
il s’agit d’un sophisme de composition : penser que ce qui est valable pour une part de la population est valable pour l’ensemble de la population. Mais c’est oublier que les logements actuellement existant ont des propriétaires, et que pour chaque individu qui sue sang et eau pour s’acheter un logement devenu beaucoup plus cher, il y a un autre individu qui parce qu’il a simplement eu la bonne fortune d’acheter avant 1997 s’enrichit d’autant. Donc la société française dans son ensemble ne s’est ni appauvrie, ni enrichie.
N’oubliez pas que fondamentalement, les produits s’échangent contre des produits, la monnaie n’est qu’un voile, comme disait Jean-Baptiste Say. Ce qui signifie que la seule façon pour la société française dans son ensemble de s’enrichir, c’est de disposer de plus de produits, pas de disposer de produits moins chers. Si l’on divisait tous les prix et tous les salaires par deux, produisant une déflation considérable, les français ne seraient pas deux fois plus riches. Les mouvements de prix ne changent pas le pouvoir d’achat de la société dans son ensemble.
Par contre, les mouvements de prix sont rarement homogènes : lorsque les prix augmentent de 2% en moyenne, cela ne signifie pas que tout a augmenté de 2%. Il y a des choses qui ont augmenté de beaucoup plus (et ceux qui vendent ces choses sont devenus plus riches) et des choses qui ont augmenté beaucoup moins (et ceux qui vendent ces choses et veulent acheter les premières trouvent la vie dure). C’est pour cela que l’inflation est en général une mauvaise chose : pas parce qu’elle diminue le pouvoir d’achat, mais parce que ses conséquences fâcheuses font que beaucoup de gens consacrent des efforts qui pourraient être mieux employés autrement à essayer de s’en préserver.
EDIT : je me demandais comment répondre brièvement et simplement à cette question :
Pourquoi a–t-on besoin de croissance economique ? Est-ce un besoin humain (amelioration du niveau de vie) ?
This paper proposes an explanation for the universal human desire for increasing consumption. It holds that it was moulded in evolutionary times by a mechanism known to biologists as sexual selection, whereby a certain trait – observable consumption – is used by members of one sex to signal their unobservable characteristics valuable to members of the opposite sex. It then shows that the standard economics problem of utility maximisation is formally equivalent to the standard biology problem of the maximisation of individual fitness, the ability to pass genes to future generations.
(merci Mark Thoma).
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"Les préoccupations des humains dans 80 000 ans nous sont aussi étrangères que les notres pour ceux d’il y a 800 siècles."
Euh, dans 80 000 ans, il faudra d’abord que l’espèce humaine soit en mesure d’exprimer des "préoccupations".
Sur la croissance infinie, j’ai le souvenir d’avoir vu un graphique qui illustrait l’histoire de l’éclairage depuis l’aube de l’humanité. Avec le temps en abscisse et les lumen par watt en ordonnée, la croissance de la courbe est saisissante. Ce graphique illustre le fait que le progrès technique permet une consommation de plus en plus parcimonieuse et utile des ressources naturelles. Dans le même ordre d’idées, il existe des graphiques montrant le prix au kilo de différents objets, allant d’une pyramide jusqu’à un microprocesseur en passant par une voiture. Si quelqu’un retrouve ces graphiques merci de les poster.
Puisqu’on peut poser des questions…
Depuis plusieurs années, je lis la chronique de Paul Fabra dans Les Echos. Je ne suis pas économiste, je n’ai pas toujours l’impression de bien comprendre de quoi il peut bien s’agir, mais j’ai quand même l’impression qu’il aborde des sujets de manière assez originale (ses marottes semblant être le système monétaire international et l’"économie de casino" des entreprises sans capital).
Qu’en pensez vous, ô grands vulgarisateurs et éclaircisseurs de lanterne (c’est un compliment très sincère) ?
c’est drôle d’entendre parler de l’indice big mac, alors que je l’ai vu hiers en cours (1ère année de License) et comme par hasard avec les comparaisons internationnales des comptes nationaux. Et à mon avis les calculs dont par le lecteur doivent être en rapport avec les comparaisons en PPA, et les calculs statistiques pour déterminer cette parité (structures de la consommation et pouvoir d’achat il me semble).
J’avais d’ailleurs entendu que c’était The Economist qui avait inventé cette indicateur big mac.
Fr : certes… c’est d’ailleurs une interrogation qu’auraient aussi pu avoir l’espèce humaine il y a 80 000 ans! après tout, si l’on en croit les paléontologues, elle est passée tout près de l’extinction à cette période.
Gu si Fang : par exemple :
cowles.econ.yale.edu/P/cp…
MB : Fabra est un défi pour étudiants. Un de mes profs m’avait indiqué que nous ne pourrions nous sentir vraiment économistes que le jour ou nous pourrions lire une chronique de Fabra (à l’époque dans le Monde), la comprendre, et en déceler les limites. Pour ma part le franchissement de cette barrière a nécessité environ trois ans. Il a une façon particulièrement obscure de s’exprimer, et a effectivement quelques marottes. Je dois dire que la première fois que je l’ai lu expliquer que les changes flexibles conduisent l’économie mondiale au chaos, j’ai été troublé : 20 ans plus tard, en relisant au mot près les mêmes arguments et en cherchant toujours les traces dudit chaos, je suis beaucoup plus sceptique. Il a parfois aussi une tendance pénible à rendre des choses simples compliquées en les enrobant sous des grands concepts (capitalisme "moderne financiarisé" et autres). Mais il reste intéressant à lire.
Sarc : oui, c’est the economist qui a inventé l’indice big mac (auquel s’est ajouté l’indice du café starbucks).
Vous dénoncez souvent la vision marxiste de l’économie comme 1 jeu à somme nulle qui règne en France. Or, dans cette article vous expliquez que quand l’un s’enrichit, l’autre s’appauvrit. Dans quelles cas alors cette vision se vérifie-t-elle?
A propos de la croissance infinie pour un monde fini : une invention est une connaissance et peut-être, qui sait, trouvera-t-on le moyen d’exploiter des matériaux ou autres substances grâce aux avancées technologiques et scientifiques. Cependant, si l’invention est non exclusive, donc, comme vous le décrivez, sa "consommation" par un individu n’empêche pas tout le monde de faire de même, elle se fonde sans conteste sur des biens et des ressources limités. Si la manière d’exploiter le pétrole peut de fait être utilisée simultanément par tout le monde, les précieuses ressources en or noir restent limitées. La non exclusivité des inventions ne résoud donc pas le problème et ne fait que le déplacer, sans oublier que les brevets et l’utilisation des méthodes technologiques forment un coût de l’invention, d’autant plus fort si elle vient de naître, qui réduit les utilisateurs et ne résoud toujours pas le problème car tout comme l’amélioration de l’agriculture à une époque, le temps de se répandre pour tous est long et le problème de l’épuisement des ressources n’autorise pas une marge de manoeuvre infinie ce niveau-là.
En s’enrichissant, les individus souhaitent moins se multiplier comme vous le dîtes. A quoi est-ce dû? Le développement de l’individualisme dans les sociétés enrichies? Le coût d’opportunité qui joue de telle sorte que faire des enfants entraîne un coût supplémentaire à celui consacré à l’entretien et l’éducation de sa progéniture, du fait que l’éducation des enfants nécessite d’arrêter de travailler ou de travailler moins (que ce soit un temps partiel ou des heures sup réduites), alors même que le travail est fortement rémunéré ; il est donc plus difficile d’accepter de coût d’opportunité. Mais ici aussi, qui sait ce que seront les sociétés dans 80 000 ans, si l’individualisme dominera, ce que sera la rémunération du travail. En conséquence, une question de ma part : à quoi est dû cette réduction de la natalité lorsqu’il y a enrichissement?
Par ailleurs, le problème reste que dans le cadre d’une population en augmentation exponentielle, de relative prise de conscience écologique, de consommation toujours accrue, on est en droit de se demander à quoi mène la croissance toujours plus forte dans le cadre de l’épuisement de nos ressources. Les transformations de progrès technique et les transformation sociétales prennent un certain temps avant d’être effective pour tous : trouver de nouveau moyens, évoluer, certes, en attendant, la course à la croissance et à la surconsommation laisse-t-elle le temps à ces transformations. La prise de conscience des limites de nos ressources devrait nous interroger un peu plus et non nous pousser à l’attentisme et affirmer qu’on trouvera bien, un jour, de nouveaxu moyens pour éviter une situation de crise.
"Or ce qui caractérise une invention, c’est qu’elle est une connaissance, donc peut être utilisée par tout le monde simultanément sans limites"
Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça se discute. Et que c’est discuté. Par Michel Callon, par exemple, dans "Is Science a Public Good" (facile à trouver avec google, je viens de vérifier). Je ne suis pas d’accord avec l’auteur pour des raisons que je n’exposerai pas ici, mais dire d’une connaissance qu’elle peut-être utilisée sans limite, c’est un poil excessif (faux?).
Bien cordialement,
EL
PS : comme beaucoup d’économiste, vous tendez à confondre science et magie. "On a peut-être un problème, mais les sorciers vont bien finir par nous sortir d’affaire". Mais ce n’est pas parce que ça a marché dans la passé que ça va forcément continuer. Du coup, compter la-dessus c’est tout de même prendre un certain risque, voire un risque certain.
EL : la question, c’est "comment avoir une croissance infinie dans un monde à ressources finies". La réponse, c’est que la croissance ne dépend pas de ressources finies mais de connaissances potentiellement infinies et non rivales (partiellement exclusives certes, ce qui n’en fait pas des biens publics). La prévision de l’avenir, ensuite, vous savez le crédit que je lui accorde.
Arnaud : on parle ici d’effet sur le pouvoir d’achat et la richesse. En matière de pouvoir d’achat si je vous vend ma montre pour 200 euros, rien ne change, il y a toujours autant d’argent et de montres dans la société. Mais vous êtes content parce que vous avez une montre que vous valorisez plus que l’argent, et moi je suis content parce que j’ai de l’argent que je valorise plus qu’une montre. En cela l’échange n’est pas à somme nulle. Le pouvoir d’achat, c’est une chose différente.
Callon et qques autres expliquent précisément que c’est la non-rivalité des connaissances qui est en question, et non seulement leur exclusivité.
Bien cordialement,
EL
@ M. K : Prenons un exemple. Supposons que l’an dernier, l’utilisation d’un baril de pétrole permettait de générer une unité de richesse, et qu’aujourd’hui, grâce aux gains en productivité et en efficience, la même quantité permet de créer trois unités de richesse. Supposons que dans le même temps les réserves mondiales de pétrole exploitable ont baissé de moitié. Alors il n’est pas complètement déraisonnable d’estimer qu’en valeur, les réserves mondiales ont augmenté de 50 %. C’est une des raisons qui me poussent à croire qu’on est loin d’extraire la dernière goutte de pétrole. L’autre raison étant la loi du marché appliquée à une ressource qui se raréfie.
Plus un individu gagne d’argent, plus son coût d’opportunité est fort quand il s’agit d’élever un moutard (l’investissement en temps est en effet sensiblement incompressible, et cette activité est surtout dénuée de gain de productivité). Ce phénomène est notamment valable quand les femmes s’enrichissent dans une société (i.e. lorsque le statut des femmes s’améliore). Donc, toutes choses égales par ailleurs, les riches vont avoir moins d’incitations à faire des enfants que les pauvres. Il existe aussi d’autres facteurs qui vont dans le même sens, comme les allocations familiales, ou qui vont dans le sens contraire, comme le cout d’une nourrice.