Certains journaux et la blogosphère par exemple, Angry Bear) commencent à bruisser à propos d’une évaluation du coût pour les USA de la guerre en Irak présentée dimanche dernier par J. Stiglitz et L. Bimes, lors du congrès annuel de l’American Economic Association. Selon Stiglitz, ce coût pourrait atteindre 2000 milliards de dollars, soit 4 fois plus que les estimations officielles de ce coût.
La différence entre ce montant très élevé et le montant habituel semble s’expliquer, si l’on en croit les articles du Guardian et du Boston Globe, et en attendant que la communication de Stiglitz ne soit postée sur le site de l’AEA, par le fait qu’il a pris en compte les coûts liés aux blessures de guerre pour les vétérans (qui vont s’échelonner sur une longue période) ainsi que divers coûts macroéconomiques (le coût du financement des dépenses publiques correspondantes, et la valeur de ce qui aurait pu être obtenu en consacrant ces dépenses publiques à d’autres secteurs). Ce genre d’évaluation est toujours contestable – et Stiglitz, qui est un opposant radical du gouvernement Bush, n’a certainement pas manqué d’avoir la main lourde; il n’en reste pas moins que ce coût élevé n’est pas très surprenant.
Il y a trois ans, W. Nordhaus avait publié une estimation du coût potentiel d’une guerre en Irak, suivant un scénario très favorable, et un scénario très défavorable. Son étude peut être trouvée sur cette page; le tableau suivant résume les bilans des deux scenarii qu’il avait imaginés :
On peut constater que le chiffre de 2000 milliards de dollars correspond à l’estimation la plus défavorable que Nordhaus faisait à l’époque. Il ne faut cependant pas s’arrêter à la similitude des chiffres : le scénario catastrophe de Nordhaus correspondait à un conflit conventionnel beaucoup plus difficile, avec des conséquences politiques importantes dans la région, provoquant une très forte montée du prix du pétrole, et de ce fait une récession mondiale. Or, si une hausse du prix du pétrole a bien eu lieu, ce n’est pas principalement à cause de ce conflit, mais plutôt à cause de goulets d’étranglement dans les raffineries et d’une demande fortement croissante. Par ailleurs, cette hausse du prix du pétrole n’a pas eu de conséquences très importantes sur l’économie mondiale.
L’article de Nordhaus était surtout intéressant dans ce qu’il montrait que, de façon systématique, les coûts des guerres ont été historiquement sous-estimés. Rappelons que les spécialistes budgétaires en Europe prévoyaient que la guerre de 14 ne pourrait pas durer plus de 6 mois, car ensuite, les gouvernements n’auraient plus la possibilité de dépenser plus. Les spécialistes en question n’avaient pas envisagé qu’un mélange d’endettement massif et de suspension de la convertibilité des devises permettrait un conflit beaucoup, beaucoup plus long. La guerre en Irak n’a pas fait exception : en début de conflit, les estimations “pessimistes” qui valaient à leurs auteurs d’être remerciés du gouvernement américain atteignaient 200 milliards de dollars (tandis que le gouvernement américain annonçait que la guerre s’autofinancerait peut-être). Au delà de la querelle des chiffres, c’est cette sous-estimation systématique qui pose des questions. Pourquoi les coûts des guerres sont-ils toujours initialement sous-évalués, et pas seulement par les partisans de celles-ci?
Concernant la guerre d’Irak, au passage, une excellente lecture (du moins pour les rares personnes qui sont prêtes à nuancer leurs certitudes sur ce sujet) est The Assassin’s Gate, de George Packer.
EDIT : l’évaluation de Stiglitz peut être lue sur cette page. Merci à Pascal Riché pour le lien.
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Pourquoi les coûts des guerres sont-ils toujours sous-évalués ?
L’économiste Joseph Stiglitz a récemment estimé que le coût de la guerre en Irak pourrait s’élever à 2000 milliards de dollars, soit quatre fois plus que les estimations officielles de ce coût comme l’explique un post à ce sujet chez…