Manuel Valls reprend à son compte l’idée du contrat de travail unique, surfant sur la consécration de Jean Tirole. Le contrat unique a un certain nombre de qualités. On peut citer immédiatement le fait d’éviter une dualisation du marché du travail. Ce qui, me semble-t-il, devrait être jugé favorablement (au moins derrière un “voile d’ignorance” rawlsien). Cependant, il va a priori de pair avec une baisse de la protection de l’emploi (enfin, en tout cas, dans la configuration actuelle du marché du travail en France). Et là, évidemment, le débat usuel revient.
On juge généralement l’effet de la protection de l’emploi en mesurant son impact sur le volume d’emploi, le taux d’emploi, le chômage et sa durée. J’avais écrit un long billet sur le sujet il y a quelques mois. Globalement, tous les effets potentiels y sont identifiés (Guillaume Allegre avait rajouté la question du capital humain spécifique : si un emploi dure en moyenne plus longtemps, un employeur est susceptible de financer plus volontiers la formation de ses employés).
Concernant le taux de chômage, il s’avère que l’impact d’une forte protection de l’emploi est théoriquement ambigu. En pratique, dans les années 2000, la conclusion empirique était qu’il n’y avait pas de lien significatif : une forte protection de l’emploi n’accroissait visiblement pas de façon spectaculaire le taux de chômage. C’est une conclusion que Blanchard et Tirole formulaient clairement dans le rapport récemment exhumé (c’est moi qui souligne) :
“pour une durée moyenne de chômage donnée, des flux plus faibles (pertes et gains d’emploi) diminuent le chômage. Pour des flux donnés, un accroissement de la durée de chômage accroît le chômage. La conjonction de ces deux effets a pour effet une quasi-absence empirique de corrélation entre protection de l’emploi et taux de chômage.”
Et puis, lentement, mais sûrement, l’idée que les pays à forte protection de l’emploi connaissaient un taux de chômage significativement plus élevé, du fait de cette caractéristique du marché du travail, a progressé, au point d’être rappelée régulièrement comme un résultat solide. Même Jean Tirole l’a récemment présentée ainsi. Qu’est-ce qui a changé depuis 10 ans pour que l’on passe de “Il est probable que la protection de l’emploi génère à peine un peu plus de chômage” à “Il est certain que la protection de l’emploi accroisse significativement le taux de chômage” ? Ce serait-il passé quelque chose dans les données depuis 10 ans ? “Cherche (encore) les études, idiot !”. Alors, je l’ai fait. Et je dois dire que je n’ai rien trouvé de concluant. Les études récentes sur le sujet (français et anglais), répertoriées dans les premières pages d’une recherche Google, donnent des résultats similaires à ce qui se disait il y a dix ans : pas d’effet significatif en général, même en intégrant des éléments (type hystérèse du chômage) qui impactent le taux de croissance et l’emploi à plus long terme. Natixis avait publié en 2013 un document qui, lui, avançait un effet plus significatif.
Mais la conclusion du papier est (c’est moi qui souligne) :
“Nous ne prétendons pas avoir mené une étude complète ou scientifique. Nous montrons seulement que, sur l’échantillon de 18 pays de l’OCDE, une protection forte de l’emploi est associée à un taux d’emploi plus faible, à une progression de l’emploi plus faible et à un chômage plus élevé. Le dernier effet étant plus puissant que les deux premiers qui sont plus faibles ; ceci semble montrer qu’il est plutôt favorable de réduire la protection de l’emploi.”
Il y a bien une corrélation intéressante, mais difficile de conclure sans une analyse plus poussée. Ça ne m’arrange pas. Cette histoire de lien protection de l’emploi – chômage reste obscure dans mon esprit. Il ne me reste qu’un argument d’économie politique à la Krugman pour comprendre ce que les commentateurs et autres décideurs cherchent à faire. Au fond, on n’en sait rien. Mais la protection de l’emploi a d’autres effets négatifs que d’accroître le chômage, qui mériteraient à eux seuls de la réduire. Or, le public ne raisonne qu’en termes de chômage. Donc, il faut faire passer l’idée que la protection de l’emploi est mauvaise pour le chômage. Ce qui permettra, moyennant un petit mensonge, de faire passer une bonne réforme. Bien sûr, il se peut aussi que les commentateurs et autres décideurs publics soient juste des ignares, mus par une idéologie (ou des convictions basées sur les analyses disponibles) erronée(s) et souhaitant seulement faire passer des idées fausses. Je ne sais pas.
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Bonjour,
Et si les pays à forte protection de l’emploi étaient également – par incidence – des pays à fort taux d’emploi public et à fort taux de dépenses publiques / prélèvements obligatoires ? Alors on aurait trouvé non pas la corrélation, mais la causalité commune probable entre cette forte protection de l’emploi (incidence du taux d’emploi public) et taux de chômage (incidence prélèvements obligatoires si en forte hausse).
Qu’en pensez-vous ?
A vue de nez, c’est pas frappant du tout.
Le Danemark a réussi à conjuguer faible taux de chômage (< 5% avant la crise) et haut niveau de protection sociale sans faire exploser les déficits donc il existe des solutions à cette équation. Je pense que les dernières lignes de l'article résument la situation. En France, on aime bien analyser et débattre mais lorsqu'il faut passer à l'action et faire preuve de pragmatisme c'est une autre histoire.