La question et sa réponse

Faut-il acheter ou louer son logement ?

Rédacteur : Alexandre Delaigue

Cher éconoclaste,
J’ai terminé mes études, je travaille depuis quelques temps, je vis en couple, mon mari travaille également, nous avons l’intention d’avoir très bientôt des enfants. Nous allons nous installer dans la ville ou nous travaillons, et nous nous posons la question suivante : qu’est-ce qui est le plus intéressant, louer un logement ou l’acheter ?

Une précision avant toute chose. Si vous retirez un plaisir particulier dans le fait d’être propriétaire, si vous avez envie d’arranger votre logement à votre goût, si vous avez en vue le logement dont vous rêvez, ne vous posez pas ce genre de question, et achetez. Il n’y a aucune raison de renoncer à se faire plaisir quand on en a la possibilité matérielle.

Si vous n’êtes pas dans ce cas – c’est à dire, vous considérez un logement comme un lieu de vie satisfaisant un besoin pratique, et que vous cherchez l’option financièrement la plus intéressante, réflechissez bien. Vous devez entendre autour de vous énormément de gens vous disant d’acheter, à l’aide de cet argument supposé imparable : “payer un loyer, c’est de l’argent qui disparaît, on n’a rien en contrepartie. Il faut acheter, comme cela, ce que vous dépenserez chaque mois servira à ce que, à l’issue du remboursement, vous aurez une maison à vous”.

Prudence. L’une des règles de base de l’économie est qu’on n’a rien sans rien, qu’il n’existe pas de repas gratuit. S’il était possible effectivement de payer la même chose chaque mois qu’un locataire, pour finalement être propriétaire, acheter serait très intéressant : le résultat, c’est que beaucoup de gens achètent, faisant ainsi monter les prix à l’achat, conduisant à ce que les mensualités en cas d’achat sont significativement plus élevées que des loyers.

Je vous propose un exemple. L’un de mes collègues, marié, deux enfants, situation confortable, souhaite s’installer avec sa famille dans la ville de Rennes. Il recherche donc des maisons à louer, proches du centre ville. Il a par exemple visité une maison de 140m², 4 chambres, avec jardin de 200 m², dans l’un des beaux quartiers de la ville, proche du centre, dont le loyer mensuel est de 1000 euros. Il lui est possible de trouver un peu moins cher dans des quartiers proches du centre mais moins prestigieux, ou plus cher et plus grand; mais ce prix correspond aux conditions du marché.
Combien devrait-il payer par mois s’il souhaitait acheter cette maison (ou une maison similaire)? au minimum le double, et pour 20 ans, étant donnés les prix de l’immobilier local. En d’autres termes, s’il décide de louer plutôt que d’acheter, il aura la possibilité de vivre très confortablement, et d’économiser 1000 euros par mois. Vous me direz que s’il achetait, il renoncerait probablement à habiter près du centre-ville, et se trouverait un achat moins cher en périphérie. Sauf que cela impliquerait, pour lui et son épouse, moins de confort, et surtout, des frais et des complications supplémentaires : acheter une seconde voiture, multiplier les trajets, bénéficier d’infrastructures plus réduites pour les enfants : il n’est pas certain que l’opération soit financièrement très intéressante, et si l’on prend en compte le confort, elle ne l’est pas du tout.

Pour beaucoup de gens, ce raisonnement n’est pas valide : entre payer 2000 euros par mois et avoir un bien immobilier au bout, et payer 1000 euros par mois, ils préfèrent la première solution, arguant de ce que dans le premier cas, on se constitue un capital, et pas dans le second (ou l’on enrichit le propriétaire). Mais c’est un raisonnement bien étrange : si l’on a envie de se constituer un capital, il est tout à fait possible de louer, et d’épargner l’économie réalisée. En mettant de côté 1000 euros par mois, à 3% annuels, au bout de 15 ans, on dispose d’un capital de plus de 200 000 euros, ce qui constitue un patrimoine très correct. Mais est-il possible d’épargner, surtout lorsqu’on entre dans la vie active? ne risque-t-on pas d’être soumis à des tentations, et consommer plus qu’on ne voudrait le faire?

Ce risque est tout à fait sérieux et compréhensible : il n’est pas rare de voir les gens décider de se soumettre à un mécanisme contraignant (par exemple, un emprunt à rembourser) pour se forcer à faire quelque chose qu’ils craignent de ne pas faire spontanément. L’achat immobilier est alors considéré comme une forme d’épargne forcée. Cependant, il y a beaucoup de moyens de se forcer à épargner : un bon moyen est le prélèvement automatique de son compte courant, avec versement sur un produit d’épargne. L’expérience montre que ce genre de contrainte suffit en général. Il est possible qu’elle ne suffise pas : mais après tout, la contrainte apportée par un emprunt immobilier est elle aussi contournable, par exemple en prenant des crédits à la consommation auprès d’un organisme peu regardant. En tout cas, si l’on craint de ne pas épargner assez, ce n’est pas forcément une raison pour adopter l’achat immobilier comme mécanisme contraignant d’épargne.

Car l’épargne sous une autre forme que l’immobilier présente un avantage : il est possible de choisir une forme qui corresponde le plus possible au niveau de liquidité, de risque et de rentabilité que l’on désire, chose qui n’est pas possible lorsqu’on constitue son patrimoine en achetant son logement. Car les gens ont tendance à l’oublier : le placement immobilier n’est pas sans risque, tout au contraire. Lorsqu’on épargne, la règle de base est de diversifier ses actifs pour limiter les risques. Si l’on constitue son patrimoine en achetant son logement, on fait tout dépendre non seulement d’une catégorie unique d’actifs, mais en plus, d’un seul bien dans cette catégorie. Si votre patrimoine est exclusivement constitué d’actions Renault, vous courez certes le risque de voir l’entreprise subir des méventes, voire faire faillite : mais la multiplicité de ses activités et de ses marchés vous offre une protection minimale (et de toute façon, constituer un portefeuille d’actions d’une seule entreprise n’est pas une bonne chose). Rien de tel avec un logement : si sa valeur chute, vous êtes complètement exposé.

Vous me direz peut-être que chacun sait que l’immobilier ne peut pas baisser. Cette croyance est tout aussi répandue que contestable. Une autre anecdote. Une personne que je connais est propriétaire d’un studio situé près des facultés, dans une grande ville universitaire. Il y a 8 ans, après 7 mois sans trouver de locataire, il avait décidé, par lassitude, de mettre le studio en vente. Il n’a trouvé aucun acheteur, et du coup, a conservé ce bien et a fini par trouver un locataire : aujourd’hui, celui-ci vaut pratiquement 60% de plus qu’à l’époque. Vous me direz qu’il a eu bien de la chance : s’il avait vendu à l’époque, il aurait loupé une excellente affaire. Mais il y a une autre leçon à cette histoire. Pensez-vous que les fondamentaux du marché immobilier pour ce type de logement aient tellement changé en 8 ans? Qu’il y a tant d’acheteurs supplémentaires qui ont besoin de ce genre de bien? Il y a une chose qui est différente de l’époque : aujourd’hui, les taux d’intérêt sont très bas, ce qui entretient la hausse des prix de l’immobilier en permettant aux gens d’acheter à crédit. Mais les taux resteront-ils très bas durablement? Certains pensent que oui, que désormais, l’inflation étant vaincue, le fonctionnement des marchés financiers permet des taux durablement faibles. Souvenez-vous d’une chose : quand des économistes commencent à dire que les conditions économiques sont devenues durablement différentes, et que les anciennes règles ne s’appliquent plus, c’est qu’il y a des raisons de se méfier. En d’autres termes, il n’est pas du tout impossible que le marché de l’immobilier, dans son ensemble, revienne à sa situation de la fin des années 90 (à plus long terme d’ailleurs, on peut anticiper que le vieillissement de la population conduise à mettre sur le marché immobilier plus de biens qu’il n’y aura d’acheteurs potentiels, provoquant une baisse des prix). Ce qui signifierait, pour les gens qui achètent maintenant, une perte en capital comprise entre 1/3 et 1/2.

D’autres aspects sont à prendre en compte, liés aux spécificités du logement que vous achetez. Il est possible que la belle vue sur la rivière se transforme en cauchemar, si ladite rivière décide de s’inviter dans votre rez de chaussée à l’occasion d’une inondation; qu’elle disparaisse, si est construit devant chez vous un magnifique cube en béton, une autoroute, ou une alignée de hideux pavillons à 100 000 euros aux jardin agrémentés de nains en porcelaine; que la région, la ville, ou le quartier dans lequel vous avez décidé d’acheter voie sa valeur marchande se dégrader rapidement. C’est un risque très important si votre patrimoine dépend d’un seul actif. Vous pensez peut-être que vous saurez faire un bon investissement car vous avez du goût : mais ce raisonnement, tout le monde le tient. De la même façon que parmi les 80% de gens qui déclarent mieux rouler que la moyenne, il y a forcément des gens peu réalistes, vous n’êtes pas à l’abri d’une erreur que vous paieriez cash.

Aces risques liés à l’actif immobilier, il faut ajouter d’autres incertitudes, concernant votre vie personnelle. Nous vivons une époque ou la vie réserve des surprises, bonnes ou mauvaises. Du côté des bonnes surprises, vous, ou votre conjoint, peut trouver un travail plus intéressant et mieux rémunéré dans une autre ville; vous pouvez vous retrouver avec plus d’enfants que vous ne l’envisagez aujourd’hui. Mais il faut aussi envisager les mauvaises surprises : le chômage, l’obligation d’être muté à un poste dans une autre ville, et la séparation du couple. Vous croyez être à l’abri de ces risques? Mais n’oubliez pas qu’entre un tiers et la moitié des couples se sépare, et que tous les divorcés ont, un jour, cru en leurs chances; et que le chômage ou les mutations obligatoires guettent beaucoup de gens. Ces différentes surprises, en tout cas, ont toutes une chose en commun : le fait d’être propriétaire de son logement, lorsqu’on les rencontre, exacerbe les difficultés, pouvant mettre les gens dans des situations très difficiles. Dans ces conditions, avoir un patrimoine constitué d’actifs relativement liquides est une sécurité; dépendre de la revente de son logement peut être terrible.

Il convient de prendre en compte tous ces aspects, tous ces risques, si vous vous interrogez sur l’intérêt respectif de l’achat ou de la location. Il y a cependant un autre aspect à envisager : la fiscalité. Le gouvernement français a tendance en effet à “aider les gens” en fournissant de nombreuses carottes fiscales pour l’achat immobilier, carottes dont ne bénéficie pas un locataire ou un épargnant normal (comme par exemple les exemptions d’impôt sur les plus values, ou la déductibilité des emprunts). Il ne faut pas oublier, cependant, que peu de choses sont plus versatiles que la politique fiscale.Il faut aussi se demander si c’est par volonté d’enfoncer encore les gens qui connaissent des difficultés que les gouvernements français les incite à devenir propriétaires de leurs logements plutôt qu’à louer tout en épargnant d’une façon raisonnable.

Dans votre cas, pour répondre à votre question, n’écoutez pas forcément tous ceux qui vous disent que l’achat est toujours gagnant; et n’hésitez pas à louer durablement si vous voulez vous garder des marges de liberté. Si vous louez, cependant, déterminez le montant de l’économie que vous réalisez, et astreignez-vous à l’épargner : vous n’en sortirez pas perdants.

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