Retrouvez ici la liste complète des livres du mois chroniqués sur le site. Du plus récent au plus ancien.
La richesse cachée des nations
Gabriel Zucman
En quelques années,
Gabriel Zucman, la trentaine à peine passée a largement réussi, au moins en France, à associer l’analyse économique des paradis fiscaux à son nom. Cette performance est imputable à des méthodes d’analyse quantitative innovantes qui, pour résumer, apportent une évaluation de l’économie des paradis fiscaux en faisant parler des données officielles (comme de simples balances des paiements et autres chiffres issues des comptabilités nationales) au delà de ce qu’elles peuvent nous apprendre initialement, en les croisant et en leur adjoignant dès que possible des informations privées mais révélées au grand public, par divers circuits parallèles (telles que celles contenues dans les
Panama Papers).
Dans ce domaine, chiffrer est la priorité. Avant de se demander s’il doit lutter ardemment contre l’évasion fiscale, un gouvernement doit estimer ce qu’elle coûte (spoiler : apparemment, beaucoup). L’évasion fiscale conduit à taxer plus lourdement les contribuables qui respectent la loi. En ce sens, elle est nocive. Mais, comme le remarque d’emblée Zucman, “ce qui manque cruellement à ce débat, ce sont des chiffres”. La richesse cachée des nations (deuxième édition, augmentée après la publication des Panama Papers) donne un aperçu accessible des (Lire la suite…)
Dynamiques territoriales.
Olivier Bouba-Olga
obo Olivier Bouba-Olga publie un nouveau livre, dix ans après ses
Nouvelles géographies du capitalisme (dont la lecture peut encore être conseillée ; tout comme celle de
L’économie de l’entreprise, une remarquable synthèse). On est enthousiaste à l’idée de se plonger dans sa prose efficace et néanmoins agréable, car bien écrite. Cette fois-ci, c’est un ouvrage qui présente le compte rendu d’un travail de recherche, plutôt qu’un pur essai que l’auteur nous propose. Que le lecteur se rassure, le résultat n’est pas rébarbatif pour autant, loin de là (en témoignent les citations de début de chapitre, puisées de Tocqueville à Virginie Despentes, en passant par Éluard).
Dans cet ouvrage, Olivier Bouba-Olga (et la petite équipe citée en couverture de l’ouvrage) a une double ambition : critiquer l’approche de ce qu’il est convenu d’appeler “
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La fabrique du conformisme
Éric Maurin
Nous ne sommes pas les témoins et acteurs d’une société individualiste où l’individu peut jouer sa partition en solo.
« Les grandes règles religieuses et sociales perdent du terrain, ainsi que le conformisme traditionnel qu’elles imposaient à tous, dans tous les registres de la vie sociale. Mais ce recul ne cède pas la place à un vide normatif, à ce qui serait une anomie pure et simple. Il marque au contraire l’avènement de normes plus locales et temporaires, à l’école, dans la famille, sur les lieux de travail, normes relevant davantage de la mode que de la tradition». L’absence de conformisme est une utopie, dont même les individus ne veulent pas, car le conformisme est un réducteur d’incertitudes. À croire que cette utopie était à portée de main, les politiques publiques se sont orientées vers l’objectif d’aider spécifiquement un individu ou l’inciter à adopter tel comportement, dans le but d’agir positivement sur sa seule vie. Malheureusement, dès lors que l’indépendance des individus n’est qu’illusoire, ces pratiques engendrent
« une vague de réactions et d’adaptations parmi les personnes dont la vie est liée à lui, qu’il s’agisse de la famille, de collègues ou voisins. De proche en proche, ces réactions en chaîne finissent par dénaturer l’action initialement entreprise : elles lui font toucher d’autres cibles ». C’est ainsi qu’on
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Les limites du marché
Paul De Grauwe
de grauwe
Dans Les limites du marché, l’économiste Paul De Grauwe déroule un raisonnement dont le point de départ aurait presque de quoi faire sourire, au demeurant. La thèse de l’auteur peut en effet se résumer de la façon suivante : depuis deux siècles, le capitalisme, dans lequel l’État joue toujours un rôle (limité ou important), connaît des phases où la régulation par le marché domine l’organisation économique et sociale avant d’atteindre certaines limites. A ce moment là, la régulation publique reprend la main pour un certain temps et le marché se retrouve en retrait dans l’allocation des ressources, jusqu’à ce que l’État ne batte de nouveau en retraite et laisse le marché le dominer à nouveau. Pourquoi cela peut-il prêter à sourire ? Parce qu’il y a là une forme de banalité dans le propos, qu’on retrouve souvent chez les uns ou les autres, sans autre analyse qu’historiquement descriptive. L’ouvrage de De Grauwe commence d’ailleurs par un chapitre décrivant ce balancier entre marché et État depuis deux siècles de capitalisme. Mais, fort heureusement, l’ambition de l’auteur est de montrer quels sont les mécanismes, autres que circonstanciels, qui conduisent à ces cycles. Ce qui l’amène à poser les questions suivantes, en guise de programme : (Lire la suite…)
Splendeur de l’Inde ?
Jean Drèze & Amartya Sen
inde Ce livre m’a appris au moins une chose que j’ignorais : Jean Drèze, brillant économiste, et belge au demeurant, est indien depuis 2002 ! Par chance, ce n’est pas la seule chose que l’on apprend en lisant cet ouvrage, dont les quatre mains inspirent
a priori le respect.
L’ouvrage démarre par la présentation d’un pays dont la réussite principale est de préserver depuis des décennies un système démocratique qui est tout sauf une façade. Selon tous les critères usuels, et pas seulement le formalisme du suffrage universel, l’Inde est une grande démocratie, la plus grande au monde. Que l’on estime son état actuel, par exemple au travers de la liberté de la presse, ou son évolution, comme l’instauration d’une récente loi sur la transparence de l’information (que les auteurs saluent pour ses résultats déjà tangibles), l’Inde est une vraie démocratie, assise sur un socle solide. Cette introduction est importante. Car si, dès celle-ci, les auteurs soulignent l’ampleur des carences du développement indien, ils montrent bien que l’image d’un pays faussement démocrate n’est pas la source des insuffisances de sa situation.
Drèze et Sen se (Lire la suite…)
The undercover economist strikes back
Tim Harford
« The undercover economist strikes back » est un problème. Le livre est présenté comme la suite de « the undercover economist » (chroniqué
ici et son auteur comme « le Malcolm Gladwell Britannique ». Mais ce n’est pas ça du tout. Ce livre est tout simplement le meilleur manuel d’introduction à la macroéconomie que vous puissiez imaginer. Parce qu’il y a dedans tout ce que vous pouvez avoir à présenter. Les agrégats macroéconomiques, et leurs limites. La croissance à long terme, les inégalités mondiales de revenu, et les perspectives d’avenir. Le débat sur la macroéconomie conjoncturelle, les crises, l’inflation. Parce que chacun de ces sujets est expliqué avec juste assez de détail et de subtilité, sans sombrer dans le jargon. Avec des anecdotes savoureuses (la vie de Phillips qui y est racontée, vous fascinera). Des métaphores bien adaptées aux sujets (la macroéconomie conjoncturelle, entre l’
économie des camps de prisonniers et la
coopérative de baby-sitting). Ces sujets, souvent arides et sujets à des controverses acides, deviennent soudain
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La crise de l’euro et comment en sortir
Jean Pisani-Ferry
Il y a eu pléthore de livres consacrés à la crise de l’euro. De bons et de moins bons.
La crise de l’euro et comment en sortir, de Jean Pisani-Ferry, fait sans aucun doute partie des bons ouvrages grand public sur le sujet. Initialement sorti en 2011 sous le titre
Le réveil des démons, l’édition de poche, publiée il y a quelques mois, reprend le sous-titre de l’édition originale en titre principal. La version de poche est complétée par un avant-propos conséquent d’une trentaine de page, destiné à actualiser l’ouvrage en regard des évolutions de l’actualité depuis sa parution.
Comme le laisse supposer le titre, il est question de décrypter la crise de l’euro et de donner des clés pour la résoudre. De ce point de vue, je n’insisterai guère sur le contenu détaillé du livre, qui est probablement bien connude nombreux lecteurs. Pour les autres, je les renvoie évidemment à l’ouvrage, qui les comblera. Celui-ci décrit les grands faits de la crise, en explique les ressorts, analyse les réactions des décideurs politiques au cours de la période, pointe les erreurs commises et discute les options possibles pour l’avenir.
Pisani-Ferry nous livre un travail de synthèse dont on mesure toute la qualitélorsqu’on a fini de le lire. Sa présentation de la crise de l’euro est un essai qui défend en gros la (Lire la suite…)
Les stratégies absurdes
Maya Beauvallet
beauvallet Dans le film de Clint Eastwood
Une nouvelle chance (traduction improbable et appauvrissante de sens de
The trouble with the curve), le héros, un vieux recruteur de baseball qui a des problèmes de vue et travaille “à l’ancienne” en se déplaçant sur tous les terrains du pays, est raillé par un de sesjeunes confrères qui fait ses choix de recrutement sur la base d’un logiciel statistique. Un des aspects de la morale du film que l’on peut en tirer est que lorsque l’action humaine est au coeur d’un problème, les indicateurs chiffrés sont insuffisants.
C’est également le thème du livre de Maya Beauvallet, sorti il y a quelques années maintenant, mais qui garde toujours la même pertinence et que je vous recommande d’emblée, sur une plage ou ailleurs. L’auteur y recense un certain nombre d’études qui montrent, avec malice et simplicité, comment l’usage d’indicateurs de performance articulés autour desnotions de mesure, contrôle et incitation peuvent être très mal utilisés et conduire à des modes de gestion des incitations totalement ridicules.
Elle constate en introduction que l’utilisation de ces (Lire la suite…)
Les nouvelles classes moyennes
Dominique Goux & Éric Maurin
Ce ne sont pas les riches qui font la dynamique sociale. Ce ne sont plus non plus les membres d’une classe ouvrière très fragilisée. Ce sont les classes moyennes. Ou plutôt les “nouvelles classes moyennes”. Au 20ième siècle, les classes moyennes étaient ce groupe de salariés intermédiaires, déjà coincés entre riches et ouvriers, déjà porteurs d’un modèle de réussite sociale valorisée ; mais
“pas vraiment représentatives de la société française, alors largement dominée par la paysannerie et la classe ouvrière”. Pour Dominque Goux et Éric Maurin, les nouvelles classes moyennes sont le groupe qui est désormais au coeur des transformations de notre pays et comprendre leur évolution et comportements est essentiel pour cerner la réalité française actuelle.
Il s’agit en premier lieu de définir les classes moyennes. Conscients que c’est là un préalable indispensable, les auteurs consacrent un chapitre entier à justifier leur définition de la classe moyenne. Cette définition repose sur l’idée qu’elles peuvent être cernées économiquement et sociologiquement même s’il en dérive certains traits politiques communs reconnus par d’autres (Serge Berstein, par exemple). Les membres de la classe moyenne sont ceux qui occupent une place intermédiaire – et potentiellement mouvante – dans (Lire la suite…)
Adapt
Tim Harford
tarace
«Nous vivons dans un monde complexe et imprévisible» est l’un des clichés les plus fréquemment rencontrés à notre époque. Comme tous les clichés, il comporte une part de réalité. L’économie moderne est le résultat de milliards de décisions décentralisées, comporte des dizaines de milliards de produits différents, des chaînes de production impliquant de nombreux pays différents, au point qu’un tsunami au Japon peut perturber la production de Peugeot à Sochaux; quelques choix désastreux dans des banques américaines précipiter le monde entier dans la crise économique; notre décision d’utiliser ou non notre voiture aujourd’hui rendre la planète invivable dans quelques siècles sous l’effet du réchauffement climatique.
Comment agir dans ce contexte? Nos réponses se ramènent le plus souvent à deux possibilités: les experts et les leaders. Les entreprises paient des rémunérations toujours plus élevées à des dirigeants dans l’espoir qu’ils soient les sauveurs dans un monde complexe, font appel à des cabinets de conseil expert pour résoudre les problèmes qu’elles ne parviennent pas à traiter. Dans le domaine politique, décisions, traits de personnalité des dirigeants sont scrutés avec la plus grande (Lire la suite…)
La peur du déclassement
Éric Maurin
maurin Cette note de lecture aurait dû être rédigée il y a bien longtemps. Mais il n’est pas trop tard pour faire connaître à ceux qui ont pu le rater ce livre d’Éric Maurin (de même que lire tous ses ouvrages publiés ne peut que susciter un supplément d’intelligence au lecteur). Anecdotiquement, dans le courant de l’année 2010, je me suis demandé dans quelle mesure cet ouvrage avait pu influencer notre travail sur
Nos phobies économiques. Après tout,
La peur du déclassement est cité dans l’ouvrage. Mais sans être mis particulièrement en avant. La peur du déclassement avait donc laissé la place à la peur du pillage intellectuel. Après un petit raisonnement rétrospectif, j’étais rassuré. L’ouvrage est sorti en octobre 2009. Mais c’est bien au soleil du mois de juillet 2009 qu’Alexandre et moi-même établissions que les thèmes réunis pour notre prochain chef d’oeuvre avait un fil rouge tout trouvé, qui était la peur, vue comme un mal pire que ce qui l’engendrait. Bref, cette mise au point mentale faite, la crainte de la copie était remplacée par la fierté d’avoir eu un fragment de pensée en commun avec Maurin, que nous estimons beaucoup, cela va sans dire.
Le déclassement est (Lire la suite…)
Les réformes ratées du président Sarkozy
Pierre Cahuc & André Zylberberg
Pierre Cahuc et André Zylberberg nous avaient régalés avec leur
Chomâge, fatalité ou nécessité ? dont l’évidence pour l’économiste n’avait pour égal que la clarté avec laquelle ils le faisaient passer au grand public. Avec
Les réformes ratées du président Sarkozy, on pouvait s’attendre à quelque chose d’incisif, tout en étant surpris par le ciblage présidentiel de l’ouvrage. Une fois le livre refermé, on se dit qu’il y avait effectivement matière à l’écrire.
Le livre repose sur une thèse très simple : Nicolas Sarkozy, dans le domaine économique et social (comme dans d’autres, que les auteurs n’abordent naturellement pas), a une méthode de conduite des réformes reposant sur deux piliers : l’étouffement et la conciliation. Etouffer, “en ouvrant constamment de nombreux chantiers”. Les lois sont votées en utilisant la procédure d’urgence. Les partenaires sociaux doivent négocier et proposer des projets de réforme dans des délais brefs. L’abondance des mesures annoncées a priori permet de lâcher du lest sur certaines, sans toutefois donner le sentiment d’abdiquer sur l’ensemble. La conciliation consiste à repérer les revendications catégorielles les (Lire la suite…)
Pour un nouveau système de retraite
Antoine Bozio & Thomas Piketty
bozio Le CEPREMAP produit depuis plusieurs années maintenant des opus de qualité sur des sujets qui comptent dans les débats publics (voir cette page pour la liste des opus et cette chronique de La société de défiance, de Yann Algan et Pierre Cahuc). Avec
Pour un nouveau système de retraite, Antoine Bozio (connu de nos lecteurs pour contribuer au blog
écopublix) et Thomas Piketty (connu de nos lecteurs pour un tas de choses) ajoutent une pierre à cet édifice (édifice partiellement repris dans une version papier cumulative dans
cet ouvrage).
Un nouveau système de retraite ? Bigre, en voilà un programme. Certes, les ouvrages appelant à la nouveauté de quelque chose ne manquent pas (du capitalisme, de Bretton Woods, du New Deal, etc.). Mais quand deux économistes dont le sérieux est assuré partent sur ce chemin, on observe avec curiosité. En réalité, on comprend vite que la nouveauté est toute relative, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Les (Lire la suite…)
C’est (vraiment?) moi qui décide
Dan Ariely
ariely Ce livre de de Dan Ariely est une introduction à l’économie comportementale (
behavioral economics)., discipline que l’auteur qualifie de “jeune”, mais qui anéanmoins déjà été récompensée du Prix Nobel d’économie (par le biais de
Daniel Kahneman et Vernon Smith, en 2002). Mélange d’économie et de psychologie, elle se distingue par deux traits : sa pratiquue de l’expérimentation systématique en laboratoire, sur des sujets mis en situation de choix économiques et sa contestationde la théorie du choix rationnel. L’ouvrage d’Ariely est donc dans ce sillage. Le livre se caractérise cependant par deux particularités de forme : il est d’une très grande simplicité et son approche est assez personnelle.
En effet, Ariely explique dans l’introduction qui s’il en est venu à questionner la nature humaine, c’est à la suite d’un accident qui l’a gravement brûlé sur la majeure partie du corps. Longuement convalescent, il s’est mis à questionner le comportement quotidien de tout un tas de gens, y compris lui-même. Cet aspect, anecdotique dans la suite du livre, illustre (Lire la suite…)
Power And Plenty
R.Findlay & K. O’Rourke
Les amateurs d’histoire économique sont gâtés en ce moment : les publications dans ce domaine sont nombreuses et de qualité. Les récentes publications tendent à faire dans la grande histoire, embrassant le destin économique de l’humanité sur très longue période, le plus souvent, avec une thèse centrale. C’est un genre qui a des défauts, mais présente l’intérêt de faire des ouvrages agréables à lire, et souvent bien documentés. L’ouvrage de Findlay et O’Rourke participe de ce genre, puisqu’il décrit l’histoire économique de l’humanité de l’an 1000 à nos jours. Mais par rapport aux autres ouvrages sur le même thème, il présente de nombreuses spécificités qui en font une lecture certainement – jusqu’à ce que quelqu’un fasse mieux – ce qu’il y a de mieux dans le genre actuellement. Ces spécificités sont les suivantes :
– Un ouvrage qui ne se limite pas aux questions économiques, mais qui décrit les liens entre le commerce, les conflits, l’apparition et la disparition des nations et des empires. Les auteurs font en fait une histoire du commerce mondial, en le reliant aux évolutions géopolitiques plus générales, et en décrivant de ce fait l’histoire du dernier (Lire la suite…)
La nouvelle question scolaire
Éric Maurin
Avec ce livre, Éric Maurin fait entrer l’analyse économique dans un débat qui n’y était guère habitué, le débat sur l’école. Et il défend une position claire, à contre-courant d’un discours critique devenu dominant : la démocratisation scolaire – que d’autres appeleraient massification, car dans ce débat, même les termes utilisés sont des arguments – a été une très bonne chose. Selon ses détracteurs, à partir de bonnes intentions (rendre les études supérieures plus accessibles pour tous) la démocratisation scolaire s’est finalement caractérisée par une baisse du niveau des élèves dont les premiers à souffrir sont les bons élèves issus de milieux modestes; à une grande braderie des diplômes, distribués si généreusement qu’ils ne valent plus rien; et poussé des centaines de milliers de jeunes dans des études qui ne sont que des voies sans issue, les condamnant à devoir revoir leurs aspirations à la baisse, au déclassement, et à une grande amertume d’avoir fait des efforts pour rien. Aucune de ces critiques, selon Maurin, n’est valide.
Pour sa démonstration, il fait appel à l’analyse économique et à l’économétrie, de
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Le capitalisme d’héritiers
Thomas Philippon
Quand je lis ou entends qu’il faut “remettre l’homme au centre de l’économie”, je fuis. Et ce n’est pas le livre de Thomas Philippon qui me fera penser le contraire. Parce que la véritable façon de réaliser un tel programme, c’est de ne pas le clamer fièrement en assimilant cela à une “autre économie”. Comment dépasser les chiffres et retrouver la société et les individus derrière les modèles de l’économie ? En modélisant et en chiffrant…
C’est exactement la démarche du
capitalisme d’héritiers, ouvrage stimulant qui fera probablement au lecteur le même effet que
les désordres du travail de Philippe Askenazy. Alors qu’Edmund Phelps, prix Nobel d’économie 2006, affirmait
récemment que le marasme économique européen, français en particulier, provient d’une relation déplorable au travail et à l’innovation, Philippon donne un contenu documenté à ce constat.
Les français aiment le travail, les enquêtes internationales le montrent. Il compte même plus dans leur vie que dans la plupart des autres pays développés. Et (Lire la suite…)
Les nouvelles géographies du capitalisme
Olivier Bouba-Olga
Pourquoi des entreprises délocalisent-elles leur production ? Au fond, posée ainsi la question manque de sens. C’est ce qu’Olivier Bouba Olga avance pour présenter son ouvrage. Pour aboutir à cette conclusion-prémisse, il part assez finement de la disparité des définitions retenues pour les délocalisations. Si des gens intelligents et au fait du problème en viennent à ne pas retenir une définition commune, c’est donc que la notion même de délocalisation ne capture pas l’ensemble des enjeux de la simple
localisation des activités (Bouba-Olga considère pour sa part qu’une délocalisation est la fermeture d’une unité de production pour la réouvrir ailleurs). Par delà les mouvements d’unités de production, il y a une logique d’organisation de la production qui dessine les nouvelles géographies du capitalisme. En douterait-on qu’il est utile de comparer délocalisation et externalisation à l’étranger. Indépendamment du choix de produire sur place ou non, la question du comment s’intercale. Ce qu’Olivier Bouba-Olga veut montrer, c’est que de telles interrogations sont constantes dans les choix productifs opérés par les entreprises et que les délocalisations ne sont que la partie émergée d’un iceberg. L’ouvrage
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A Free Nation Deep in Debt
James MacDonald
Le lien entre systèmes économiques et systèmes politiques est l’une des plus anciennes questions économiques. Dans ce livre, James Macdonald, un ancien banquier d’affaires, y apporte une réponses à la fois convaincante, précise, érudite, claire, et surprenante :
la démocratie est née de la dette publique.
Pour le démontrer, l’auteur couvre près de 10 000 ans d’histoire, construisant au passage une histoire exhaustive des finances publiques qui parvient à être passionnante (ce qui, en soi, est déjà un exploit remarquable). Sa thèse s’explique de la façon suivante : la survie d’un régime et d’une société dépend de façon cruciale de sa capacité à mobiliser des ressources, tout spécialement pour faire la guerre. Dans le même temps, il définit la démocratie comme un régime dans lequel les citoyens contrôlent le gouvernement. Un citoyen démocratique détient deux types de libertés : le droit de vote, et la limitation de la coercition étatique, tout particulièrement sous la forme dl’imposition directe. Le progrès de la démocratie provient donc de l’extension à un nombre croissant de citoyens de ces deux libertés. En quoi la dette est-elle alors un
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The Origin of Wealth
Éric D. Beinhocker
Au milieu des années 80, un nouveau courant est apparu en économie : l’évolutionnisme. Inspiré de la biologie, tout particulièrement de la théorie de l’évolution, de la théorie du chaos en mathématiques, et sous le patronage intellectuel de Schumpeter, ce courant visait à apporter à l’analyse économique de nouveaux instruments, une nouvelle façon de voir les choses. Son centre intellectuel était le
Santa Fe Institute, son auteur le plus connu
Brian Arthur. Le sujet de l’évolution économique était à la mode, car la discipline était au coeur d’un vaste bouleversement autour de l’idée de rendements croissants, de nouvelle théorie de la croissance; tout cela est bien raconté dans
ce livre. La nouvelle recherche sur la croissance avait conduit les économistes à redécouvrir Schumpeter, mais aussi
Nelson et Winter, et à s’interroger sur des problèmes dynamiques comme celui du
bar d’El Farol. Durant les années 90,
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Knowledge And The Wealth of Nations
David Warsh
Il existe dans la littérature scientifique grand public un genre bien établi, consistant, à partir d’un ensemble récent de découvertes, à décrire dans le langage le plus clair possible les étapes de l’histoire des sciences ayant conduit finalement à ces découvertes. Cela permet à la fois au lecteur de connaître l’état actuel de la science, et de découvrir en même temps l’aventure intellectuelle, les savants, dont l’accumulation des efforts a amené la science là où elle est. Le plus souvent, ces livres sont aussi l’occasion de faire un panorama général d’une discipline scientifique. Dans le genre, on peut citer pour les mathématiques
le dernier théorème de Fermat, de Simon
Singh, ou pour la physique
l’Univers élégant de Brian Greene.
En économie, ce genre n’existait pas. Il existe des livres retraçant la vie et les idées d’économistes plus ou moins morts, mais aucun résumé d’une aventure intellectuelle – du moins jusqu’à aujourd’hui, et ce livre de D. (Lire la suite…)
The Truth About Markets
John Kay
Quand un économiste intitule son ouvrage “la vérité sur les marchés : pourquoi certains pays sont riches, et beaucoup d’autres sont pauvres”, cela peut signifier trois choses : soit c’est un individu très présomptueux; soit il fait de l’humour; soit son livre est vraiment, vraiment bon.
John Kay, auteur d’une colonne hebdomadaire dans le Financial Times, n’est sans doute pas un homme modeste; il sait faire preuve d’un solide humour pince-sans-rire tout britannique; mais surtout, il a écrit l’un des livres d’économie les plus intelligents et profonds que l’on puisse lire. Un livre que tous, économistes et non-économistes, pourront lire; et tous ressortiront de cette lecture plus intelligents qu’ils n’étaient au départ.
Le livre s’ouvre sur le monde tel qu’il se présente en ce début de 21ème siècle : le monde de Bloomberg Television. Pour ceux qui n’ont jamais eu l’occasion de la regarder, il s’agit d’une chaîne de télévision présentant en temps réel les cours es titres et indices boursiers, avec dans un coin, des présentateurs chargés d’animer l’ensemble avec des débats consacrés à des instruments financiers, ou des interview avec des économistes de grandes banques d’affaires s’interrogeant (Lire la suite…)
The White Man’s Burden
William Easterly
William Easterly est de retour, et il n’est pas content. Nous l’avions quitté, il y a 5 ans, avec “
The elusive quest for growth“, récit sans concessions des échecs de toute la communauté du développement (institutions, spécialistes…) à aider à sortir de la pauvreté les milliards d’habitants des pays sous-développés. Le livre se terminait sur une note d’espoir : désormais, nous en savons plus, nous pouvons apprendre des erreurs du passé, et espérer qu’elles ne se reproduiront pas, et seront remplacées par des politiques moins simplistes et prenant acte de la complexité du problème du développement, et des limites des moyens d’action de l’aide.
Mais cet espoir n’a pas été réalisé, bien au contraire. En matière de développement, le slogan des 5 dernières années a été plutôt de faire la même chose qu’avant, mais en plus gros. L’ONU a confié à Jeffrey Sachs et à une équipe de 250 experts le soin de définir une liste de projets (449 ont été identifiés) dont la réalisation devrait permettre d’atteindre les 8 “objectifs du millénaire”. Un attelage baroque composé de
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Combattre les inégalités et la pauvreté
Alberto Alesina & Edward Glaeser
Pourquoi la redistribution est-elle plus développée en Europe qu’aux USA? C’est à cette simple question que cherche à répondre cet excellent livre, reprenant et développant des arguments que les auteurs avaient développé dans une
étude plus ancienne.
Le livre commence par décrire de façon précise l’écart entre Europe et USA en matière de redistribution. Depuis longtemps, les USA et l’Europe ont considérablement divergé dans ce domaine. Les dépenses publiques sont plus importantes en Europe, et une part plus grande de celles-ci sert à la redistribution des revenus, et à la fourniture d’un Etat providence développé. De la même façon, les prélèvements obligatoires sont plus élevés en Europe, et plus progressifs. Même si le degré de protection par catégories de population aux USA est variable, il reste en moyenne nettement plus élevé en Europe. Enfin, le niveau de règlementation des marchés est lui aussi significativement plus élevé en Europe qu’aux USA.
Ces différences étant posées, comment les expliquer? Les auteurs commencent par présenter diverses explications (Lire la suite…)
Du bon usage de la piraterie
Florent Latrive
Document sans titre Voici une note de lecture qui aura mis un temps fou à paraître. Reportée maintes et maintes fois, chroniquer cet ouvrage m’a finalement posé un sacré problème. Initalement, j’ai fermé le livre au début du mois de juillet de l’année dernière. J’ai eu le malheur de repousser la rédaction de mon commentaire à un peu plus tard. Et cet un peu plus tard a duré très longtemps car le bouquin de Florent Latrive fait partie des textes qui se laissent difficilement capturer dans un schéma linéaire. Non pas que «Du bon usage de la piraterie» soit un ouvrage sans queue ni tête. Il a une structure, des titres de chapitres, de paragraphes etc. Il n’est pas non plus décousu et incohérent, derrière une mise en page artificielle. Non, l’ouvrage est simplement foisonnant. Après quelques semaines, je ne savais plus guère comment le présenter. A l’occasion du débat parlementaire sur la loi DADVSI, dont il est évident qu’il n’est pas achevé, revenir sur ce texte, que
Lawrence Lessig himself présente comme un texte
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La zone franc, au delà de la monnaie
Benoît Claveranne
Il est toujours délicat de commenter un livre dont on connaît l’auteur. On craint toujours de tomber dans deux écueils : celui de l’éloge obligé, ou celui de la critique systématique pour témoigner de son indépendance, bref, de ne pas y arriver. Au bout du compte néanmoins, on finit par se lancer.
Ce livre est consacré à l’étude de la zone franc, c’est à dire de l’ensemble des pays africains utilisant une monnaie, franc CFA ou comorien, liée à la devise nationale française. Il comprend tout d’abord un historique de la création de cette zone, historique qui permet de comprendre que la zone franc n’est pas seulement une zone monétaire, mais un mécanisme de coopération original entre la France et ses anciennes colonies, et entre les pays concernés eux-mêmes. Ce mécanisme de coopération passe par la fourniture d’une monnaie stable, mais aussi par toute une série d’institutions dont l’auteur apporte une description détaillée et complète.
La suite du livre est consacrée à la description de la problématique de développement rencontrée par les pays de la zone. Là encore, un historique et de nombreuses données permettent de comprendre les caractéristiques (Lire la suite…)
The Travels Of A T-Shirt In The Global Economy
Pietra Rivoli
Au premier abord, c’est ce que l’on appelle une «lecture de plage». Une économiste décide d’aller sur le terrain rencontrer celles et ceux qui ont contribué à la fabrication d’un T-shirt acheté dans une petite boutique de Floride. Un T-shirt tout bête, dont les aventures vous occupent quelques heures, sans jamais lasser, en vous apprenant plein de choses intéressantes, tout en respectant l’état de dilatation estival de vos réseaux de neurones.
Il n’est pas fréquent que les économistes se basent sur une expérience personnelle de terrain pour rédiger un ouvrage. Trop parcellaire pour inférer une théorie testable et peu gratifiant académiquement, ce genre de pratiques est, à ma connaissance, essentiellement adopté (et à la marge) par quelques économistes du développement. Et encore, les observations personnelles sont souvent leur vécu quotidien, d’autochtone, oserais-je presque dire. Globalement, raconter des histoires n’est pas un truc d’économiste. Cet ouvrage montre au moins une chose : c’est un exercice qui n’est pas sans intérêt.
De la Floride au Texas, en passant par la Chine, en revenant aux Etats Unis, pour finir en Afrique, Pietra Rivoli va véritablement (Lire la suite…)
L’économie sans tabou
Bernard Salanié
Voici un livre que j’ai commencé avec un a priori favorable, à la fois parce qu’on me l’avait recommandé, notamment lorsqu’il a été nominé pour le prix du Sénat du meilleur livre d’économie de l’année (durant une année ou la concurrence était composée de nombreux ouvrages de qualité), mais aussi parce que l’auteur n’est pas un inconnu : on citera notamment son article écrit il y a quelques années dans “Économie et statistique” avec G. Laroque, qui montrait entre autres que le niveau du salaire minimum pouvait avoir un impact négatif sur le taux de chômage en France, et dans lequel était employé le mot tabou de “chômage volontaire” avait suscité une belle polémique. On avait vu alors un syndicat, dans le plus pur style Lyssenkiste,
exiger de la revue scientifique qui l’avait publié le retrait immédiat et le désaveu de cet article. Cette “publicité” imprévue avait en tout cas permis de voir que l’auteur n’avait pas froid aux yeux lorsqu’il s’agit d’utiliser l’analyse économique pour contrer les idées reçues et les préjugés.
Alors, lorsque ce même Bernard Salanié décide d’écrire un livre pour le grand public, avec
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Le Mystère du Capital
Hernando de Soto
Pourquoi les pays pauvres sont-ils pauvres ? Voilà probablement une des questions les plus importantes qu’un économiste est amené à se poser. Un grand nombre de réponses se trouvent dans les théories de la croissance, qu’elle soit exogène (Solow, Ramsey) ou Endogène (un paquet de monde, dont Romer, Lucas, Barro, Aghion & Howitt, Grossman & Helpman, etc.). Selon
toutes ces théories, il faut, pour s’enrichir, accumuler quelque chose : du capital physique, du capital humain, des connaissances, ou des biens publics productifs. Ces théories ont donc une réponse simple à apporter à la question de la pauvreté : les pays pauvres sont pauvres parce qu’ils n’accumulent pas assez. Ils n’épargnent pas assez, ils n’investissent pas assez, ils ne s’éduquent pas assez, etc. Les seules explications que donnent ces modèles à ce manque sont une forte préférence pour le présent et/ou une faible élasticité de substitution intertemporelle, qui font que les pauvres sont trop impatients pour investir dans l’avenir et/ou désireux d’égaliser leurs consommations présente et future, ce qui a le même effet.
Ces explications ne sont pas satisfaisantes. Qui peut penser que les pays pauvres puissent être impatients au point de se priver de développement économique ? Par ailleurs, comment expliquer que des capitaux étrangers ne viennent pas s’investir massivement dans les pays pauvres, dans lesquels ils (Lire la suite…)
Politique économique
A.Benassy-Quéré, B.Coeuré, P.Jacquet & J. Pisani-Ferry
Plus on avance dans cet ouvrage et plus on se dit qu’il est énorme. Sa taille, bien que non négligeable (plus de 600 pages), n’est pourtant qu’un aspect secondaire. Il faut l’avoir terminé pour réaliser à quel point il est riche. Pour le résumer en deux mots, on peut dire qu’il s’agit là vraisemblablement de la plus complète revue de la littérature sur la politique économique publiée en français, par des auteurs français.
Au premier abord, on s’attend à un manuel assez classique. A lire la table des matières, on ne flaire guère de nouveautés. Certes, la présentation du livre montre une optique spécifique. Les auteurs ambitionnent un texte qui partant d’une méthodologie unifiée de la politique économique en présente la théorie et la confronte aux données empiriques, le tout dans une progression thématique (budget, monnaie, change, etc.). Démarche qui fait d’ailleurs écrire à Olivier Blanchard dans sa préface qu’il aurait aimé écrire ce livre. De ce point de vue, les objectifs sont remplis. Cette volonté de se référer aux faits en appui des théories utilisées est présente tout au long du livre. Mais sa richesse tient aussi, essentiellement à mon sens, (Lire la suite…)
Le dilemme du prisonnier
William Poundstone
Ce livre est en réalité trois livres à la fois. Il s’agit d’une histoire de la guerre froide et de la dissuasion nucléaire, vue sous l’angle de la théorie des jeux, c’est aussi le récit de la vie et de la personnalité de Von Neumann, le mathématicien qui en développa les fondements (et devait jouer un rôle considérable en matière de dissuasion, et qui a inspiré en partie le personnage du “docteur Folamour”); c’est enfin et surtout une présentation illustrée historiquement des bases de la théorie des jeux.
Le livre présente en parallèle historique la vie et la carrière scientifique de Von Neumann, le déroulement de la guerre froide et ses principaux moments (la question de l’attaque préventive sur l’URSS, la course aux armements, la crise des missiles de Cuba, la coopération internationale et le désarmement); ce fond historique est utilisé pour présenter successivement les notions de base de la théorie des jeux (jeu à somme nulle, théorème du maximin, théorème de Nash, dilemme du prisonnier, stratégie du “donnant-donnant”…). L’ensemble se lit très bien et constitue une première approche intéressante de la théorie des jeux, susceptible d’intéresser les personnes ne
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The Wisdom of Crowds
James Surowiecki
Un jour de 1906, le scientifique Francis Galton se rendit à une foire agricole. Spécialisé dans l’hérédité et dans l’étude des capacités humaines, il pouvait espérer trouver là bas matière à étude, tant animale qu’humaine. Galton, comme l’essentiel de ses contemporains, était persuadé d’une chose : les gens sont stupides, et le nombre ne fait qu’amplifier ce phénomène : une foule aura le plus souvent l’intelligence du plus idiot de ses membres, ou pire, sera victime de diverses pathologies ou accès de furie collective. Gustave le Bon, dans “psychologie des foules” paru une dizaine d’années plus tôt, exposait doctement que les groupes d’individus étaient systématiquement moins intelligent qu’un individu seul, et s’inquiétait de voir le rôle de plus important des foules dans le fonctionnement de la société, que ce soit pour la justice avec les jurys populaires, ou en politique avec l’essor de la démocratie.
A la foire agricole à laquelle se rendait Galton, il était possible de participer à un concours, consistant à estimer le poids de viande qu’un boeuf exposé sur place, après abattage et dépeçage, serait susceptible de fournir (l’estimation la plus proche du résultat final
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L’Amérique dérape
Paul Krugman
L’auteur précise dès son introduction qu’il ne s’agit pas d’un livre très réjouissant. C’est exact : on ne ressort pas très heureux de la lecture de ce livre, recueil de chroniques de l’économiste Paul Krugman entre 2000 et 2003, pour l’essentiel dans le New York Times, ainsi que dans quelques autres journaux et magazines. On n’en ressort pas heureux pour deux raisons principales : premièrement, les faits qui y sont relatés n’ont rien de très agréable; deuxièmement, ce livre traduit une évolution de son auteur qui, si elle a largement contribué à son succès, a eu des conséquences pas très agréables.
Krugman est entré début 2000 parmi les chroniqueurs du New York Times, et s’est depuis attelé à l’écriture de deux éditoriaux (op-eds, comme on dit là bas) hebdomadaires. Son but au départ était d’écrire sur l’économie, la mondialisation, ses sujets de prédilection. Mais très rapidement, il s’est trouvé occupé à écrire pour l’essentiel en réaction très hostile à la politique du gouvernement de George W. Bush. Ses éditoriaux constituent de façon générale la chronique du leadership défaillant : des dirigeants d’entreprises autrefois
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Rien n’est sacré !
Robert J. Barro
Robert Barro appartient à cette catégorie d’économistes qui savent écrire pour le grand public tout en produisant de la science de qualité. Son concurrent en langue anglaise est probablement Krugman, et on peut trouver des points communs entre les deux, qui publient des éditoriaux dans des revues ou journaux grand public pour de temps en temps, sortir un livre de sélection de leurs meilleures chroniques des années précédentes. Krugman publie depuis 4 ans dans le New York Times; Barro a écrit pour Fortune, le Wall Street Journal, et actuellement tient une page éditoriale dans Business Week. Les deux savent s’exprimer avec clarté et c’est un plaisir que de les lire.
Là cependant s’arrête la comparaison : car si Krugman est plutôt marqué au centre-gauche et proche des démocrates, Barro est lui un libéral Friedmanien pur jus qui adore les baisses d’impôts et déteste les gouvernements interventionnistes. On pourrait trouver une autre différence importante entre le style de ces deux auteurs : Krugman a la fâcheuse tendance de faire passer ses opinions politiques pour des faits communément admis par les économistes; il ne rechigne pas devant un petit argument d’autorité type “je suis la science” pour faire passer ses idées politiques. Barro n’a pas ce défaut et annonce clairement sa couleur, celle d’un économiste libéral qui ne trouve que des qualités au marché libre. Par (Lire la suite…)
The Company of Strangers
Paul Seabright
Attention, chef-d’œuvre. Rarement un livre d’économie n’a atteint un tel niveau de qualité, d’originalité, de clarté et d’intelligence. Pourtant, ce qui y est écrit n’est pas difficile à comprendre, ni même extraordinairement sophistiqué: mais c’est ce qui fait tout l’intérêt de ce livre qui a pour ambition, rien de moins, que d’expliquer le fonctionnement économique de l’humanité depuis ses origines, en utilisant l’histoire, la biologie évolutionniste, l’économie, la psychologie, la littérature.
La caractéristique du comportement humain qui distingue l’homme de toutes les autres espèces animales sans exception est le fait de dépendre pour la totalité de ses activités des autres hommes – la vie humaine est impossible sans la «compagnie des étrangers», ces humains qui n’appartiennent pas à notre famille même éloignée (nous avons plus de proximité génétique avec nos ancêtres du paléolithique qu’avec l’individu qui nous rend la monnaie quand nous achetons notre journal), et que le plus souvent nous n’avons jamais rencontré, ou que nous ne rencontrerons jamais plus. Or ce phénomène de division du travail entre étrangers est unique dans le règne animal: les espèces animales peuvent coopérer, mais seulement entre individus tenus par des liens de parenté, par le partage du patrimoine génétique comme certains «insectes sociaux», ou parfois des
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Le chômage, fatalité ou nécessité ?
P.Cahuc & A.Zylberberg
Enfin. Enfin un livre qui parle du chômage en montrant le meilleur de ce que les économistes ont à dire sur le sujet. Enfin un livre qui sort des sentiers battus de la pensée pour aborder son sujet de façon rigoureuse. Enfin des économistes français qui montrent que le talent pédagogique peut accompagner la plus belle rigueur scientifique.
Ce sont les réactions qui viennent immédiatement à la lecture de ce livre consacré au chômage, et ce dès les premières pages. Soyons honnêtes : cela fait bien longtemps qu’un livre d’économie français n’avait pas généré un tel plaisir de lecture et un tel intérêt.
Cahuc et Zylberberg ne sont pas des inconnus. Ils sont les auteurs de plusieurs excellents ouvrages en économie du travail, des manuels, des livres de vulgarisation, ainsi que de nombreuses études économiques sur le sujet dans des revues de recherche austères. Autant dire que lorsqu’ils décident d’écrire un ouvrage à l’attention du grand public et pas seulement des spécialistes, on s’intéresse. Et on n’est pas déçus.
Ce qu’on apprécie par dessus tout, c’est le fait que les auteurs apportent au débat sur le chômage ce qui lui manque cruellement : l’analyse économique récente. Alors que la majorité des analystes (ne parlons même pas des politiques) en sont restés à une version désormais archaique de l’économie (au mieux, l’ineffable débat “supprimons le smic vs
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L’horreur économique
Viviane Forrester
Ah, on en a parlé… Le livre d’économie de l’année, celui que des millions de gens attendaient, un regard lucide et salutaire sur la misère moderne des travailleurs, le point de départ de la révolte des exclus de la prospérité, une autre analyse de l’économie. Beaucoup de choses racontées dessus. Tout ça pour ça ? Je dois reconnaître tout d’abord que je n’ai pas lu le livre en entier. Sur les 250 pages qu’il compte, je me suis arrêté au bout de 150, ras-le-bol de lire tout le temps la même chose.
Pas la peine de s’énerver sur Forrester, d’autres l’ont fait. Il y a plusieurs choses qui me dépriment dans ce bouquin. En premier lieu, ce n’est pas un livre d’économie. Je n’ai rien contre les livres qui ne sont pas des livres d’économie, évidemment. Mais le hic, c’est que c’est bien comme ça qu’on l’a présenté aux lecteurs non avertis (j’ai moi-même fait partie des victimes du bouche à oreille). Un livre dans lequel la seule thèse qui est défendue est que le travail est mort, avec comme seul argumentaire une suite sans fin de longues envolées, parfois lyriques, pour nous dire que les jeunes des banlieues n’ont plus leur place dans la société, n’est pas un livre d’économie. J’insiste sur le fait que c’est l’indigence de l’argumentaire qui pose problème. La thèse de la fin du travail n’est pas vraiment neuve, elle est discutable, mais on pourra préférer un exposé du type, par exemple, de
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