Note de lecture


L’économie sans tabou
Bernard Salanié (2004)

Voici un livre que j’ai commencé avec un a priori favorable, à la fois parce qu’on me l’avait recommandé, notamment lorsqu’il a été nominé pour le prix du Sénat du meilleur livre d’économie de l’année (durant une année ou la concurrence était composée de nombreux ouvrages de qualité), mais aussi parce que l’auteur n’est pas un inconnu : on citera notamment son article écrit il y a quelques années dans “Économie et statistique” avec G. Laroque, qui montrait entre autres que le niveau du salaire minimum pouvait avoir un impact négatif sur le taux de chômage en France, et dans lequel était employé le mot tabou de “chômage volontaire” avait suscité une belle polémique. On avait vu alors un syndicat, dans le plus pur style Lyssenkiste, exiger de la revue scientifique qui l’avait publié le retrait immédiat et le désaveu de cet article. Cette “publicité” imprévue avait en tout cas permis de voir que l’auteur n’avait pas froid aux yeux lorsqu’il s’agit d’utiliser l’analyse économique pour contrer les idées reçues et les préjugés.
Alors, lorsque ce même Bernard Salanié décide d’écrire un livre pour le grand public, avec pour objectif de faire comprendre au plus grand nombre les bases du fonctionnement de l’économie, et de fournir des outils d’analyse économique pour comprendre des problèmes d’actualité, on attend beaucoup de ce livre.
Attendre beaucoup d’un livre peut être, pour celui-ci, une bonne ou une mauvaise chose : il faut beaucoup pour qu’il satisfasse les attentes du lecteur; et s’il a des faiblesses, la déception est grande. Sur ce plan, ce livre ne déçoit pas.
Le livre est divisé en trois parties. La première partie est un chapitre introductif dans lequel l’auteur passe divers préjugés (les inégalités augmentent, le marché ne fonctionne pas…) à la moulinette des chiffres et de la réalité. La seconde partie est consacrée à divers chapitres thématiques décrivant le fonctionnement des économies de marché. Sont alors abordés le mécanisme de marché, l’échange, les causes du chômage, le rôle des prix et du profit, et des marchés financiers. Ces chapitres ont en commun d’être à la fois très rigoureux et très accessibles. La troisième partie consiste, une fois la “boîte à outils” présentée, à aborder différents thèmes d’actualité. L’auteur étudie alors les effets positifs du libre-échange, les conséquences de la Politique Agricole Commune, la redistribution, le chômage structurel, la façon dont les systèmes de crédits de pollution négociables permettent de préserver l’environnement, ainsi que la question de la régulation conjoncturelle. Un glossaire des (rares) termes techniques utilisés complète le livre. Ces chapitres ont un point commun : leur simplicité et leur clarté relève du tour de force. L’auteur parvient à chaque fois à faire le tour d’une question complexe en une qinzaine de pages, en restant rigoureux, et sans sombrer dans le jargon ou la complication inutile. Le livre a pour but de rendre de nombreuses questions économiques accessibles à tous : ce but est atteint.
Il faut noter néanmoins que ce but ne pouvait être atteint qu’à l’aide de simplifications : d’où parfois le sentiment de rester un peu sur sa faim en lisant certains chapitres, dont on aurait apprécié qu’ils approfondissent certains aspects. C’est inévitable, et c’est le choix de l’auteur, qui veut montrer à son lecteur ce que permet le raisonnement économique pour considérer diverses questions, afin de susciter chez lui l’envie d’aller plus loin. Cette frustration du lecteur est donc inévitable : mais c’est celle du gourmand qui goûte un bon plat et regrette de ne pouvoir en consommer une assiette supplémentaire. Il est certain aussi qu’une présentation synthétique ne peut être aussi détaillée qu’une présentation approfondie : mais approfondir plus aurait soit nécessité de renoncer à traiter quelques chapitres, ou aurait conduit à un livre tellement long qu’il en serait devenu illisible. L’auteur a fait le choix de la brieveté, de l’éclectisme des sujets, et c’est très bien ainsi. Il existe beaucoup de livres qui permettent d’aller plus loin (même si quelques recommandations de lectures pour approfondir auraient été appréciables à la fin de l’ouvrage).
Se pose aussi la question de la réaction du lectorat. Lorsqu’on connaît l’analyse économique, ce livre est une lecture aisée, et on voit très rapidement ou l’auteur veut en venir. Le travail de “conviction” est déjà fait. Qu’en sera-t-il d’un lecteur ne disposant d’aucune connaissance économique, et qui sera probablement victime, devant ces différents chapitres, de chocs culturels, étant donné l’écart existant entre l’analyse économique contenue dans ce livre et le discours couramment entendu en France. On peut donc se poser la question de la réaction des lecteurs ne disposant d’aucune connaissance préalable en économie – qui sont ceux qui ont le plus à apprendre à la lecture de ce livre. Et on peut craindre qu’alors, le côté synthétique du livre ne devienne le moyen pour certains lecteurs de rejetter les raisonnements sous le prétexte que “tout ne leur est probablement pas dit”. Cela dit, ce type de réaction est à attendre à la lecture de n’importe quel ouvrage qui aborde sérieusement des questions économiques : le livre de B. Salanié ne fera probablement pas exception sur ce plan. Au moins a-t-il pour lui d’être rigoureux, et d’aborder une multiplicité de thèmes suffisante pour susciter l’intérêt.

Les gens qui connaissent déjà l’économie n’apprendront pas forcément beaucoup à la lecture de ce livre : mais ils apprécieront certainement la façon dont l’auteur présente les sujets qu’il aborde. Sa présentation des bases de l’équilibre général est une très belle réussite : il est probablement impossible de faire plus synthétique et plus clair. Ce livre est une véritable mine pour quiconque doit faire de la pédagogie en matière économique. C’est aussi et avant tout, un livre qu’on peut mettre entre toutes les mains, notamment celles de tous ces gens qui désirent comprendre les aspects économiques du monde qui les entoure, mais se trouvent désarmés face à la multiplicité de discours contradictoires et souvent idéologiques, au milieu desquels ce que les économistes ont à dire est noyé. Vous connaissez quelqu’un qui vous demande “je voudrais comprendre un peu l’économie, mais je ne sais pas par où commencer ni quoi lire”, ou vous vous posez vous-même ce genre de question? Vous saurez désormais quoi faire.

A noter : Bernard Salanié, qui visiblement prend au sérieux la nécessité de faire de la pédagogie économique auprès du grand public, a récemment ouvert un blog portant le même titre que son livre. N’hésitez pas à aller y faire des visites régulières.

Alexandre Delaigue
28/05/2005

Bernard Salanié, L’économie sans tabou. , Le pommier, 2004 (19 €)

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