John Kay l’exprime très clairement.
Une monnaie n’est rien d’autre que la confiance que ses utilisateurs lui accordent. Un dollar californien vaut autant qu’un dollar texan, et personne n’imagine même qu’il puisse y avoir une différence entre les deux. Ils sont les mêmes. Ils ne l’ont pas toujours été. En 1933, le système interbancaire américain s’est effondré, et les dollars auraient eu des valeurs différentes selon les états sans la création rapide d’un système fédéral de garantie des dépôts.
L’euro est une monnaie unique parce que les euros déposés dans une banque allemande valent autant que les euros déposés dans une banque française, ou italienne, ou espagnole. Ou grecque.
Si la Grèce sort de l’euro cette règle n’existera plus. Le producteur de pétrole, qui attend d’être payé en euros, sera peut-être payé en drachmes, en euros, ou en partie l’une ou l’autre. Le détenteur d’euros dans une banque grecque se retrouvera avec des drachmes. Le grec détenteur d’euros dans sa caisse enregistreuse sera détenteur d’euros. Le créancier de l’état grec sera payé en drachmes. Ou en euros. Des années de procès en perspective pour répondre à la question : combien valait, en réalité, un euro dans une banque grecque?
Cela conduira à se demander : combien vaut réellement un euro dans une banque espagnole, ou portugaise, ou irlandaise, ou italienne? Et la réponse sera, plutôt moins qu’un euro dans une banque allemande. L’euro cessera d’être une monnaie unique pour être simplement un système de parité fixe entre monnaies différences. Et les systèmes de parités fixes ne tiennent que dans la mesure ou les économies qui s’y soumettent veulent accepter les disciplines que cela impose. Pour les pays globalement débiteurs, le risque de déflation; pour les pays créditeurs, la détention potentiellement illimitée des dettes des pays débiteurs. L’expérience montre que les systèmes monétaires de parités fixes ne tiennent jamais face à ces contraintes.
Donc si la Grèce sort de l’euro, l’euro est mort. On peut trouver de très bons arguments pour dire que ce serait une catastrophe, de très bons arguments pour dire que ce ne serait pas un drame.
Mais ne nous voilons pas la face devant l’évidence.
- William Nordhaus, Paul Romer, Nobel d’économie 2018 - 19 octobre 2018
- Arsène Wenger - 21 avril 2018
- Sur classe éco - 11 février 2018
- inégalités salariales - 14 janvier 2018
- Salaire minimum - 18 décembre 2017
- Star wars et la stagnation séculaire - 11 décembre 2017
- Bitcoin! 10 000! 11 000! oh je sais plus quoi! - 4 décembre 2017
- Haro - 26 novembre 2017
- Sur classe éco - 20 novembre 2017
- Les études coûtent-elles assez cher? - 30 octobre 2017
Alors, on est toujours a 30 % de chance pour que la Grece sorte de l’Euro ?
Réponse de Alexandre Delaigue
très bonne question. Je dirai que le risque a un peu baissé depuis mon dernier post sur le sujet.
Je signale John Cochrane, plus ou moins sur le même argument :
johnhcochrane.blogspot.fr…
Reste à l’Etat Grec la possibilité de faire un défaut total et de ne plus emprunter un euro pendant 20 ans…
Il aurait peut-être fallu faire dans l’ordre : fédéralisme d’abord, monnaie commune ensuite.
Au lieu de "les euros valent" je dirais juste "les acteurs évaluent les euros". C’est pour souligner qu’il y a, et qu’il y a toujours eu des différences entre un euro dans une banque allemande et dans une banque grecque. Mais on ne pouvait pas savoir comment les acteurs privés évaluaient ces différences puisque la BCE (ou, disons, l’Eurosystème) fixait la parité entre les deux.
La bonne vieille loi de Gresham…
Dans ce cas la mauvaise monnaie chasse la bonne. Ou bien, dans le cas du crédit, le crédit grec chasse le crédit allemand en raison de la garantie implicite de la BCE. C’est un simple cas de la loi du prix unique : si les acteurs évaluent différemment deux monnaies ou deux titres, et que l’on essaie de fixer la parité entre les deux, le marché est en déséquilibre permanent.
Lorsque les acteurs viennent à douter de la parité fixe, ou de la garantie implicite de la BCE, le marché cherche un nouveau point d’équilibre, brutalement : nouvelle parité, nouvelles quantités. C’est exactement le phénomène décrit par John Kay. Mais il est utile de rappeler que c’était la loi de Gresham qui jouait, afin de comprendre ce qui s’est passé AVANT que la digue ne lâche.
Ce phénomène se produit plus facilement avec une intervention publique que chez des acteurs privés.
Une banque offre aussi une parité fixe entre ses dépôts et la monnaie légale. La loi de Gresham joue donc également, non ? Oui, mais une banque privée subit une PERTE chaque fois qu’elle intervient pour maintenir la parité puisqu’elle doit acheter au-dessus du marché ou vendre en-dessous. La spécificité d’une banque centrale c’est que ses décisions ne sont pas guidée par des pertes et profits. Elle seule peut maintenir un gros déséquilibre pendant longtemps. Même si le coût est prohibitif, son objectif est autre ; peut-être : "contrer les spéculateurs" ou bien "garder la Grèce dans la zone euro" etc. Cela amplifie le déséquilibre au cours du temps (je crois que Krugman a écrit là-dessus).
Gros déséquilibre ==> grosse vague quand ça lâche…
<<Je cherche (en vain pour le moment) une reponse a des questions depuis qq jours: avec quels biens/garanties la Drachme existerait-elle? Pour imprimer, je comprends qu’il ne faille qu’une presse et du papier, OK mais quels biens soutiendraient cette monnaie? (sinon, la presse et le papier ne servent qu’a imprimer 1 trillion de drachmes type "weimar". Et aussi, qui en voudrait? Pourquoi seulement une devaluation de 50-60%? Et pas 90% ou 95%? Argentine, Mexique, etc. avaient des commodites et des ressources naturelles pour resister a leur depegging, mais la Grece? Merci, au cas ou.
Finalement, qui voudrait de cette drachme?… et si personne, donc, la Grece n’est-elle pas encore dans un mensonge de plus (en realite economique, incapable de revenir a la Drachme, meme si elle se convainc du contraire en reve politique)?
J’espère que l’euro ne tombera pas. Comme chaque été je me rend dans mon riyad à Marrakech et je compte bien me payer les services des masseuses locales pour une poignée d’euros, et tant pis si la moitié de l’Europe crève sous le chômage.
Bonjour,
Intéressant et percutant.
Juste une question : en quoi l’insoutenable lourdeur de l’euro ne serait-elle évidente qu’en cas de sortie de la Grèce ?
Du point de vue de votre démonstration, le grand écart de compétitivité entre la zone Mark et le reste de l’Europe (pour simplifier) mène tout autant à l’explosion, sans système fédéral (garantie, coordination budgétaire, redistribution de ressources, etc.), que la Grèce sorte ou non, non ?
Réponse de Alexandre Delaigue
S’il y a une crise dans la zone euro, c’est précisément que les gens se disent que la valeur des euros n’est peut-être pas la même partout. Et retirent leur argent pour le placer ailleurs en fonction de ce risque. Mais la sortie de l’euro est encore une catastrophe évitable. Elle ne l’est plus si la grece sort : on sait alors ce qui se passe, et qui laisse des billes.
Votre conclusion semble partir du postulat que en cas de sortie de la Grèce, les euros dans les banques Grecques seraient forcément convertis en Drachmes.
Certains économistes (je n’ai plus les références désolé) envisagent une cohabitation des 2 monnaies :
– Les comptes en euros dans les banques grecques resteraient libellés en euros
– L’Etat grec payerait ses factures en drachmes
Que pensez vous de ce scénario? est-il réaliste?
Réponse de Alexandre Delaigue
Assez d’accord avec ces articles : http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2012/05/23/20002-20120523ARTFIG00678-un-systeme-de-double-monnaie-suggere-pour-la-grece.php et http://blogs.ft.com/gavyndavies/2012/05/24/a-parallel-currency-for-greece/#axzz1vnc8gVUU . Ca ne peut servir que de transition vers une sortie de l’euro.
@ Coriolan
Le gvt grec aura du mal à sortir l’euro des porte-monnaies : il continuera d’avoir cours dans les pays voisins, et les gens n’auront pas envie d’utiliser des drachmes "fondantes". Cela s’est produit lors de la sortie temporaire du Mali du franc CFA : les gens ont continué d’utiliser des francs CFA.
Pour l’éviter, le gouvernement grec risque de devoir imposer un contrôle des changes drastique, et peut-être des mesures protectionnistes.
@Alexandre:
Pourquoi? Car le danger s’approchant, les dirigeants européens commencent à réfléchir à comment régler la situation à long terme?
@Gu Si Fang sur le Mali, etc. "le gvt. grec risque de devoir imposer"… il est bien la le probleme, le vrai probleme, celui dont finalement PERSONNE ne parle: le gvt. grec impose peu, regule peu, contraint peu, promeut tres peu, innove moins que peu.
Le grand silence de cette crise, sur cette crise, c’est le fait que le gvt. grec n’a pas fait face a ses obligations depuis……? 2500 ans?
Il me semble qu’on comprendrait mieux en admettant que cent euros sous forme de billets dans ma poche et une reconnaissance de dette d’une valeur faciale de cent euros (ou un certificat de dépôt) signée par une banque ou quelqu’un d’autre, ce sont deux choses différentes. Dans le deuxième cas, la valeur dépend en effet de la fiabilité du signataire.
Il y a peut-etre une exception possible a votre scenario. Simultanement a la sortie de la grece, il faudrait annoncer un plan de soutien sans faille aux pays du sud + politique monetaire adaptee. Et faire l’argument que la grece est un cas special. Ce qu’elle est.
Réponse de Alexandre Delaigue
C’est le scénario “la sortie de la Grèce est une telle catastrophe qu’on fait enfin ce qu’il faut pour préserver l’euro”, cf par exemple : http://www.bloomberg.com/news/2012-05-22/a-greek-exit-could-make-the-euro-area-stronger.html . Cela montre qu’en cas de sortie de la grèce, on a simplement un currency peg, qui nécessite des mesures exceptionnelles pour être maintenu.
Est-ce que, par comparaison, un des Etats US a déjà été dans la position financière grecque de trou sans fond?
Serait-il mis sous tutelle fédérale dans pareil cas? et quels sont les mécanismes prévus pour garantir le système fédéral de garantie des dépôts que vous évoquez ?
Sur l’article de Gavyn Davies : Il propose que le gouvernement grec paie ses fonctionnaires en IOU remboursables en euros. L’Italie l’a fait dans les années 80 mais avec des IOU remboursables en lires. Il écrit aussi que la B.C. grecque n’a pas la possibilité d’émettre des euros de façon autonome (c’est la BCE qui décide). Je crois pourtant qu’elle le fait déjà, à hauteur de 60G€, et que la BCE dispose d’un droit de veto qu’elle n’a pas exercé.
Pour une proposition d’introduire une monnaie parallèle, mais vue du côté allemand, lire Markus Kerber :
http://www.scribd.com/doc/947852...
"On peut trouver de très bons arguments pour dire que ce serait une catastrophe, de très bons arguments pour dire que ce ne serait pas un drame."
===> Pour dire que ce ne serait pas un drachme ?
…ok je sors.
SVP, personne parmi les lecteurs ou l’auteur pour m’aider a trouver une piste sur la question #5?
Decidement, je n’arrive pas a trouver le filon!
Que vaudront 1000 milliards de drachmes? Assez pour acheter une baguette comme en 1930 en Allemage? Qui voudra de cette monnaie pourrie et ruinee sans ressources pour l’alimenter? Quid des marches noirs et gris?
J’emets pas mal de scenarios sous:
http://www.seeitmarket.com/grexi...
Mais toujours pas de reponses pour m’aider a savoir que vaudra une Drachme et comment!! 🙂
P.S. Toujours sur Gavyn Davies… Pour faire circuler ses IOUs, le gvt grec devra probablement les accepter en paiement des impôts, et leur donner "un peu" cours légal (pouvoir libératoire de jure dans certaines transactions). À ce stade, si le plan réussit, les IOUs convertibles en euros chasseront les vrais euros de la circulation à cause du cours légal. Il sera alors irrésistiblement tentant d’en imprimer plus, et la fin de l’histoire sera une suspension de convertibilité et une sortie de l’euro, effectivement. Comme en 1848, en 1870, en 1914 et en 1939, les IOU seront devenus la nouvelle monnaie grecque avec cours forcé.
@ Alex Salomon
Je vous réponds si de votre côté vous me dites que vaut un euro et comment ou bien que vaut un dollar et comment 😉
@ JeSaisTout une monnaie vaut les actifs + le passif valorises par la banque centrale qui l’emet + le cours legal fixe par cette banque et/ou accepter par les marches (si le cours est libre) + la perception des flux du marche a accepter la valorisation subjective des actifs et passifs utilises.
Mes questions (sans reponse, malgre de nombreuses demandes sur de nombreux sites, a un bon nombre d’economistes) sont simples: la Grece ruinee avec tres peu d’actifs (les collections d’impots + les biens nationaux solvables ou non et un passif immense) peut-elle reellement (et non politiquement) emettre une monnaie? Si oui, pourquoi 50-60% de devaluation (comme annonce des presque tous les medias de Panurge) et non pas 90%? Qui voudra de la Drachme? Comment lutter contre les marches noirs et gris?
La Grece sera dans la situation d’un Etat Africain avec des CFA qui ne valent rien… Est-ce reellement faisable (et non, pas, encore, politiquement… aux yeux de ces maffieux, tout est faisable)?
Bon weekend!
@Alex Salomon
je crois (du plus profond de ma méconnaissance économique) que vous faites erreur.
une monnaie ne vaut pas Actif + patrimoine – les dettes + l’âge du chef d’Etat, la monnaie vaut ce que le marché lui attribue comme prix.
L’euro ne baisse pas par rapport au dollar parce que la France a vendu les bijoux de grand-mère à vil prix, mais parce qu’un certain nombre de mecs qui en possédaient on pensé que franchement avoir des dollars c’était plus sûr.
(sous toutes réserves)
Krugman aussi donne dans la comparaison USA/EU
krugman.blogs.nytimes.com…
En clair: sans transferts monétaires directs (et non prêts), les USA aussi se poseraient des questions du style: "Doit-on garder la Floride dans l’Union?"
Dans la monnaie, il y a la monnaie centrale et la monnaie émise par les banques de second rang. La monnaie centrale ne sera pas affectée par le phénomène que vous décrivez, et il fait partie des règles "normales" de la création monétaire que la monnaie secondaire n’ait pas la même valeur de marché selon la banque émettrice. C’est vrai d’un pays à l’autre, mais aussi au sein d’un même pays entre différentes banques. C’est la cause des bank runs d’ailleurs. Il est vrai que c’est problématique.
Le cas où le gouvernement grec interviendrait pour transformer les euros dans les banques grecques en drachme serait à mon sens un acte d’agression vis-à-vis de la zone euro. Concrètement, le problème ne serait pas si différent du cas où un Etat hors zone décidait de transformer tous les euros présents sur son territoire en monnaie de singe.
Nul ne peut prévoir les errements de l’histoire, mais une telle mesure dépasse amha ce que vous envisagez dans votre article. Elle poserait la question de l’aptitude de la zone Euro de faire respecter la souveraineté de sa monnaie hors de ses frontières. Dans un cadre normal, une situation de ce genre devrait provoquer une tension diplomatique grave et probablement la disparition de relations économiques normales. Et c’est peut-être justement à cause de la gravité d’une telle initiative que la Grèce restera dans l’euro. Je ne doute pas que le pays serait au moins, et à raison, poursuivi devant les tribunaux européens par ses propres citoyens.