Suite à l’annonce d’un concours de la Banque d’Angleterre à la banque britannique Northern Rock et aux déclarations de sa direction, des tas de clients se sont précipités aux guichets de celle-ci.
Une banque a pour fonctions principales d’apporter des services de paiement et d’octroyer des crédits à ses clients. Pour prêter de l’argent à ses clients, elle crée de la monnaie. Ce qui signifie qu’à partir d’une quantité de monnaie dite centrale, qui correspond à des espèces et des lignes de crédit auprès de la banque centrale, elle peut mettre en circulation une certaine quantité de monnaie supplémentaire. C’est le principe du multiplicateur monétaire. Mais lorsque ses créanciers lui réclament un règlement, c’est en monnaie centrale qu’elle doit les régler. C’est ainsi par exemple que fonctionne le système de compensation. La compensation ets l’opération par laquelle les banques, quotidiennement, calculent le solde des paiements réalisés entre leurs clients respectifs. Si les clients de la banque A ont payé 100€ en chèques aux clients de la banque B et que les clients de la banque B ont payé 70€ aux clients de la banque A, B réclame 100€ à A en monnaie centrale, alors que A réclame 70€ en monnaie centrale à B. La compensation consiste à faire la différence entre les deux créances. La banque A verse donc 30€ à B en monnaie centrale. Les banques doivent pouvoir aussi fournir en espèces leurs clients, en fonction de leurs dépôts. La matière première de son activité est donc la monnaie centrale. Sans elle, elle devient incapable d’assurer ses propres engagements. Quand elle rencontre des difficultés, la banque centrale peut l’aider, en lui prêtant de la monnaie centrale. Sinon, c’est la banqueroute.
C’est justement une intervention de soutien de la Banque d’Angleterre qui a effrayé les clients de la Northern Rock (NR). Parmi les clients de la NR, certains sont des épargnants. Or, c’est leur épargne qui alimente largement ses disponibilités en monnaie centrale et lui permet ainsi de prêter à ses clients. Le raisonnement de chaque client a été le suivant : j’ai un dépôt dans cette banque. Si elle ferme, je n’aurai plus rien. Le coût du retrait est assez limité (quelques minutes ou heures de queue (Edit : jck, d’Alea me fait remarquer fort justement que dans le cas présent, j’exagère peut-être un peu la rationalité du comportement), alors que le coût d’une faillite serait catastrophique. Certes, je ne sais pas si le risque est totalement fondé, mais je ne peux me permettre de le prendre. Je vais donc retirer mon argent. Raisonnement imparable, d’une rationalité indéniable. Le hic, c’est qu’une banque, aussi bien gérée soit-elle, n’est généralement pas en mesure d’alimenter les retraits d’argent sur la totalité des dépôts de ses clients. Dans ce cas, cette fuite des dépôts est à l’origine d’un risque de faillite devenu, pour le coup, tout à fait réel. Est-ce à dire que la banque était peu prévoyante ? Non. En temps normal, l’utilisation de la monnaie centrale par les clients est très llimitée (moins de 10% environ). L’essentiel des dettes et créances sont donc échangées entre banque par l’acceptation récirproque de leurs monnaies respectives, issues du crédit. La compensation assure quotidiennement la remise à zéro des compteurs. A la limite, temporairement, en raison de difficultés plus ou moins passagères (liées par exemple à des défauts de paiement de débiteurs), il se peut que la monnaie centrale détenue soit un peu juste pour assurer le service normal de la banque. C’est probablement ce qui arrive à la NR en ce moment. Elle manque de liquidité, mais pas de solvabilité[1]. On comprend bien que la décision rationnelle des clients de retirer leurs économies devient collectivement redoutable. Si tous sont individuellement rationnels, ils font courir un risque à l’ensemble [2]. De supposé, le mécanisme de banqueroute devient effectif. On est dans un schéma de prophétie autoréalisatrice : l’anticipation d’un évènement conduit à des comportements qui valident la prophétie[3]. Si chacun met un coup de scie à la branche sur laquelle tout le monde est posé et descend ensuite, mieux vaut ne pas être le dernier à le faire… Le scénario est bien connu. L’issue indécise.
Soit la panique s’accélère et on peut craindre le pire, soit elle s’arrête. La banque peut communiquer des informations crédibles et rassurantes. La banque d’Angleterre elle-même peut assurer, qu’en tant que prêteur en dernier ressort, elle est tout à fait confiante dans la solvabilité de la banque et continuera à la soutenir et lui fournir les liquidités nécessaires pour passer cette mauvaise période. La banque peut aussi agir de sorte à rassurer ses clients. Une anecdote historique est de ce point de vue très amusante. Lors de la crise de 29, devant une banque américaine[4], confrontée à la panique de ses déposants, le directeur de l’agence décida d’annoncer à ses clients, alignés dans une queue de plusieurs heures, que compte tenu de l’affluence exceptionnelle, la banque resterait ouverte le soir jusqu’à ce que tous les clients soient reçus. La plupart des clients rentrèrent chez eux, considérant que ce geste était la preuve que la banque allait bien et que leurs économies seraient encore là le lendemain. Si comme Newton, on peut trouver plus facile de calculer la trajectoire des astres que de comprendre la folie des foules, on peut aussi relever que la canalisation de cette dernière est nettement plus adroite aujourd’hui qu’en 1929, indépendamment de la petite histoire contée ici[5].
Notes
[1] Ce qui signifie grosso modo qu’actuellement la balance de ses recettes et dépenses n’est pas bonne ; à court terme, les concours de la banque centrale équilibrent, mais à une échéance plus lointaine, elle sera rétablie par des entrées d’argent.
[2] on parle de risque systémique pour traduire ce phénomène où la conjonction de comportements individuellement rationnels peut mener à des aberrations collectives.
[3] Comme dans la tragédie d’Oedipe où les prophéties de l’oracle de Delphes conduirent Oedipe à les accomplir.
[4] Dont le nom m’échappe. C’était une banque régionale,si mes souvenirs sont bons.
[5] Ce qui ne présage en rien de ce que deviendra la Northern Rock…
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Voici une idée de F.Capra dont les actionnaires de la Northern Rock pourraient s’inspirer, mais il est permis d’avoir un doute 😉
Dans It’s a wonferful life, James Stewart est confronté à une panique bancaire http://www.youtube.com/watch?v=_...
Finalement, pour sauver leur banque de la faillite, sa femme et lui décident de distribuer aux déposants les économies destinées à leur lune de miel. Est-ce vraiment un geste altruiste?
Le problème c’est que comme d’hab. le petit client était un peu en retard sur l’évènement. NR se finançait essentiellement avec des "ABCP", non des dépôts, et ce sont les prêteurs habituels qui ont fait grève du financement les premiers, entrainant l’intervention de la BA sans laquelle NR aurait pu passer de la crise de liquidité a l’insolvabilité.
Intervention critiquable et critiquée d’ailleurs.
Mais pourquoi donc une banque, c’est à dire, une société privée à but lucratif généralement, peut-elle prêter de l’argent qu’elle n’a pas ?
Qu’est-ce qui justifie qu’une banale entreprise privée ait la possibilité de créer de l’argent ? Je suppose que nulles autres entreprises n’ont cette possibilité ?
"Raisonnement imparable, d’une rationalité indéniable."
Certainement pas, ce raisonnement est valide avant mais pas apres l’annonce d’une intervention de soutien de la Banque d’Angleterre et de la FSA et du Tresor.Le cout n’est pas seulement x minutes a faire la queue, les depots a terme retires avant terme etant penalises (autour de 1%).
jck, vous êtes notre prêteur en dernier ressort. On sait que si on n’est pas prudent, vous viendrez corriger le tir… Ce que vous dites explique clairement pourquoi tous les clients n’y sont pas allés. Pour rester valide, ma remarque doit donc être accompagnée d’une précision : ils sont rationnels, mais ne comprennent rien au signal donné. Je n’ai pas assez insisté sur cet aspect, en effet. J’en parle un peu vers la fin, mais il est clair que suite à de telles interventions un comportement avisé serait d’être rassuré, au moins pour un temps.
Question: les fonds des particuliers sont assures par la Banque Centrale, mais seulement jusqu’a un plafond. Si ils etaient integralement assures, ce risque de banqueroute ne serait il pas completement enraye?
L’orthodoxie bancaire la plus rigoureuse (un peu dépassée,quand même) dicte qu’il faut équilibrer ses ressources et ses emplois en maturité.
Ainsi, si l’activité principale est de faire du crédit immobilier, (donc a priori sur 15 ans et +), il vaut mieux avoir des ressources octroyés pour la durée du crédit, pour éviter la crise de liquidité. Disons que les dirigeants de la NR ont peu être un peu trop tiré sur la corde de la transformation (financement d’emplois LT par des ressources court terme, moins chère que des ressources LT) qui est d’ailleurs une des principales raisons de la contagion de la crise de 29 en Europe, notamment l’Allemagne.
Bonsoir,
Un peu déçu de votre billet. Pourriez vous , s’il vous plait élargir votre réflexion sur la rationalité à la décision des PDG de banques qui ne mettent plus à disposition de leur confrères leurs liquidités disponibles.
Ils connaissent les mécanismes en jeu, ils sont avertis des conséquences de leurs décisions.
Selon moi, les banques ne se prêtent plus entre elles pour forcer la main du banquier central, ultime prêteur.
Une sorte de chantage à la roulette russe .
Votre opinion
Y-aurait-il le moindre risque de panique si les banques étaient tenues de pouvoir restituer aux épargnants l’argent qu’ils y déposent ?
Pourquoi donc les épargnants sont-ils contraints de déposer leurs liquidités dans des institutions qui ont précisemment pour vocation de pouvoir faire banqueroute ?
@ Passant
"Y-aurait-il le moindre risque de panique si les banques étaient tenues de pouvoir restituer aux épargnants l’argent qu’ils y déposent ?"
C’est une bonne question, et la réponse est non. Les banques joueraient alors un rôle d’entrepôt de la monnaie (en plus de leurs autres services) et non de créateurs de monnaie. Mais il y a un inconvénient.
A l’époque où la monnaie était convertible (c’est une marotte…) les banques émettaient déjà plus de billets qu’elles n’avaient d’or dans leurs coffres. Tout le monde ne pouvait donc pas convertir ses billets en même temps. Mais l’avantage était d’économiser la matière première. Comme le disait Friedman, il est vraiment idiot de creuser des mines d’or pour ensuite enterrer ce métal à Fort Knox. Moins on utilise d’or pour faire marcher le système bancaire, mieux on se porte (NB : la quantité d’or n’est cependant jamais descendue à zéro sans l’intervention de l’Etat).
Vous me direz que la monnaie actuelle étant fabriquée sans or, cette économie de matière première n’a plus lieu d’être. Ceci est vrai pour les banques centrales qui peuvent créer de la monnaie en quantité illimitée, mais pas pour les banques commerciales qui sont obligées de payer leurs réserves en monnaie centrale. Elles tentent donc d’économiser la matière première, en quelque sorte.
Alors pourquoi ne pas exiger que les banques commerciales aient 100% de réserves, et que la banque centrale crée toute la monnaie? A vrai dire je ne sais pas vraiment ce qui l’empêcherait.
Sinon, même dans le système actuel, les banques pourraient proposer plusieurs sortes de contrats à leurs clients, par exemple :
1) Le compte 100% de réserves, retrait possible garanti à tout moment
2) Le compte 10% de réserves, retrait normalement possible à tout moment mais avec un petit risque…
Ce qu’il faut voir, c’est que le contrat 1) serait beaucoup plus cher que le 2) et on peut penser que peu de gens opteraient pour cette solution, ou alors pour une faible par de leur encaisse. Cependant, la simple possibilité de faire de tels contrat permettrait de clarifier le "petit risque" du contrat 2), voire d’imaginer des clause qui limitent les phénomènes de panique. De toutes façons je crains que cette créativité contractuelle soit interdite dans le cadre réglementaire actuel.
Je suppose que même Friedman pouvait concevoir tout l’intérêt pour la société de permettre aux travailleurs de travailler de toutes leurs forces durant leurs jeunes années dans l’espoir de voir l’excédent de revenus qu’aurait produit le fait de travailler plus que nécessaire à leur survie leur servir pour faire face aux accidents de la vie.
Voilà par exemple une finalité qui justifie d’extraire l’or et le stocker dans des coffres (pas nécessairement ceux des banques, je l’admets…) : dès lors, je ne comprends pas très bien ce que voulait donc dire Friedman.
Le fait que la monnaie soit non-convertible interdit aux travailleurs d’accumuler le bénéfice des efforts de leurs jeunes années pour faire face aux accidents de la vie : ainsi, il y a désincitation au travail, puisque travailler plus que nécessaire pour assurer le quotidien du jour même est sans intérêt, le retour dans l’avenir n’étant pas assuré, du moins, par le système économique officiel de la société (le capitalisme familial, entre autres, pouvant prendre le relais).
J’observe par ailleurs en pratique qu’avec 10 ou 100% de réserve, le rendement d’un compte à vue est à peu près nul. Quand aux éventuels frais de tenue de compte, ils sont à comparer à ceux d’un matelas de biftons.
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