Parmi les trois grandes économies d’Europe continentale (Allemagne, France, Italie) celle qui a connu la plus forte croissance depuis 2000 a été la France. Pas dans des proportions glorieuses certes; néanmoins, pour paradoxal que cela puisse paraître, la France a plutôt été au cours de cette période le moteur de la croissance de ce trio. Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois, pourrait-on dire non sans raison; mais d’où est venu cet écart, et est-il voué à se perpétuer?
Comme le rappelle Bernard Salanié, au cours des dernières années, la demande globale a été élevée en France, plus élevée que la croissance du PIB. Et c’est la consommation des ménages qui a été la principale composante de cette hausse de la demande globale. B. Salanié remarque au passage que si la consommation des ménages a augmenté, mais que les achats de logements ont augmenté dans de très fortes proportions (+3.5% par an en moyenne).
Dans le même temps, dans un post consacré à la conjoncture internationale, Brad Setser fait la remarque suivante (ma traduction) :
“La France est, ou au moins était, au milieu d’une bulle immobilière. Selon le Wall Street Journal, les prix de l’immobilier ont encore plus augmenté en France au cours des trois dernières années qu’aux USA. La croissance de la demande globale française a aussi été relativement forte ces dernières années – la France jouait en pratique son rôle dans le rééquilibrage mondial. La France n’est pas l’Allemagne, où les prix de l’immobilier et la demande globale ont été aux 36èmes dessous.“
Brad Setser constate par ailleurs qu’il est de plus en plus évident que la bulle immobilière américaine est le résultat de la politique de la Fed (la banque centrale américaine), qui en 2000 a évité les conséquences nocives de l’effondrement de la bulle des sociétés informatiques en soutenant par des taux d’intérêt bas l’immobilier; il en a résulté une bulle immobilière qui a pris le relais de la bulle informatique. Et il y a de bonnes raisons de penser que le même phénomène a été à l’oeuvre en France : les taux d’intérêt sont bas, et une fiscalité très avantageuse favorise largement l’achat immobilier. Il y a en France un phénomène supplémentaire : le logement est considéré comme un placement relativement sûr pour financer des retraites incertaines. (voir ce post récent)
La hausse immobilière soutient l’activité économique de deux façons : par un effet de richesse, en augmentant la valeur du patrimoine des ménages propriétaires de leur logement; et par accroissement de la demande de nouveaux logements. Aux USA, d’après Setser, 40% des nouvelles créations d’emploi l’ont été dans le secteur de la construction; et 90% de la croissance provient de la consommation et de la construction immobilière.
La question est maintenant : que se passe-t-il si la bulle se dégonfle, et que l’immobilier se met à baisser? Aux USA, le scénario pourrait prendre la forme suivante : les entrées de capitaux vers le pays diminuent, le dollar plonge, les exportations prennent le relais. Cela n’est pas sans douleur : même dans une économie au marché du travail flexible comme les USA, le déplacement de la main d’oeuvre de la construction vers les secteurs exportateurs ne se fera pas instantanément.
Et en France? rappelons qu’en cas de baisse du dollar et de rééquilibrage des parités monétaires mondiales, l’euro doit se réévaluer. Peu de chances donc que les exportations prennent le relais. Quant à la demande globale, elle souffrirait terriblement d’un dégonflement de la bulle immobilière : à la fois parce que les propriétaires de logement sont nombreux, souvent endettés; mais aussi parce que le marché du travail en France est fort peu flexible, et que le déplacement de main d’oeuvre du secteur de l’immobilier vers d’autres secteurs prendrait beaucoup de temps.
On peut donc goûter la médiocre consolation de ne pas être le pays le plus malade d’Europe, comme le sont l’Italie ou l’Allemagne : il n’est pas du tout certain que cela dure.
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