A quel point alléger les conditions du vote par procuration pourrait avoir eu des effets sur le taux de participation ? Eh bien, je ne sais pas. Mais c’est pas une raison de ne pas en parler…
Vous connaissez tous le paradoxe du vote.[1] L’idée de départ est qu’il est coûteux de voter. Il faut se lever avant 18h ou 20h le dimanche. Il faut réfléchir pendant des jours et des nuits pour savoir quel candidat choisir, acheter des livres très chers pour se documenter, vous battre avec vos parents / enfants / frères / soeurs pour avoir un accès privilégié au PC familial et lire les blogs des blogueurs authentiques et influents, aller faire la queue au bureau de vote, supporter la compagnie – même fugacement – des gens qui le fréquentent et vérifier dix fois que vous avez bien gardé le bon bulletin pour le glisser dans l’enveloppe. Après avoir subi ces coûts certains, quel est le gain à attendre de votre acte ? La satisfaction d’avoir fait pencher le résultat en faveur du candidat retenu. Or, évidemment, la probabilité que votre bulletin de vote emporte la décision est extrêmement faible. Jugez plutôt, dans le contexte du second tour des élections présidentielles. En supposant que la probabilité a priori que chaque électeur vote pour un candidat donné est de 1/2, en supposant que le taux de participation soit identique au second tour, la probabilité que les 37 260 798 électeurs se partagent de telle sorte que votre vote soit décisif est de 1/10 820. En d’autres termes, une probabilité 2 000 fois inférieure à celle de tirer un 6 au lancé de dé. Vous me direz que le problème n’est pas là. Qu’il y a bien d’autres raisons valables pour aller voter. Vous avez raison.
Pourtant, il est tout à fait imaginable que des électeurs n’aillent pas voter, non pas parce qu’ils estiment que ce que j’appelerai les coûts de transaction sont trop élevés (essentiellement, faire la démarche d’aller le jour J au bureau de vote), mais parce qu’ajoutés au reste, ils font pencher la décision dans le sens de l’abstention. En d’autres termes, ils sont la goutte d’eau qui vous envoie à la pêche. Après tout, même si vous ne voulez pas choisir, vous pouvez toujours voter blanc, ce qui vous inclura dans les votants et réjouira les observateurs de la bonne santé démocratique du pays. Mais à quoi bon aller voter dans ce cas là ? Certains le font. Mais combien ?
Vu sous cet angle, l’allègement des formalités de vote par procuration est utile, car il s’apparente à une baisse des coûts de transaction. Non seulement il permet à ceux qui sont loin de chez eux ou incapables de se déplacer d’aller voter. Mais il permet également à tous les agoraphobes, les flemmards congénitaux et à tous les déçus du sandwich au caca de voter sans coût. Economiquement, c’est formidable. Cela permet d’adapter le prix du vote à la disposition à payer de chaque électeur. Tous ceux qui n’aiment pas voter peuvent le faire quand même ! Bien sûr, le système n’est pas parfait. Il reste encore des coûts liés à la recherche d’un partenaire de procuration et à la réalisation de la procuration. Dans un bon nombre de cas, ne serait ce pas plus pénible que d’aller voter ? Disons que pour une élection à deux tours, ce sera objectivement rentable, si tant est que se rendre sur le lieu de réalisation de la procuration ne soit pas trop long, relativement au trajet entre domicile et bureau de vote.
Comme le signalait un lecteur suite à mon appel pour obtenir les statistiques sur les votes par procuration, il ne semble pas exister de fichiers recensant le nombre de votes par procuration au niveau national. Il est donc impossible d’étudier l’impact de l’allègement des formalités sur le taux de participation (le lien aurait de toute façon été compliqué à mettre en évidence, d’autres facteurs intervenant). J’en reste donc au stade de la conjecture, meurtri et contris.
Allons plus loin : si la procuration est une incitation au vote, que dire du vote par Internet ? Imaginez ! Voter chez soi, et pas pour éliminer un candidat d’une émission de télé-réalité ! Non, voter, pour de vrai. Je cliquerais sur mon mulot et zou, sur l’écran apparaîtrait “A voté”, clignotant sur fond bleu-blanc-rouge. La marseillaise serait jouée, une voix, que j’aurais sélectionnée à l’avance, parmi les 14 choix possibles, me remercierait de mon vote, etc., etc. L’arme absolue contre l’abstention, sans aucun doute. Hélas, on aura du mal à arriver à cela. L’absence d’isoloir devant son écran est un problème a priori insoluble.
En attendant, et même s’il est difficile de faire un lien entre facilité accrue de voter par procuration, on peut supposer que c’est une pratique qui va dans le bon sens, ne serait-ce que pour ceux qui entrent dans le cadre prévu par la mesure, à savoir ceux qui sont en déplacement et que la réglementation excluaient auparavant (en voiture particulière, par exemple). En cela, je suppose évidemment qu’un taux de participation élevé est forcément une bonne chose. Ce qui est un autre débat…
Notes
[1] En plus des lignes qui suivent, vous pouvez vous reporter à ce vieux billet d’Alexandre, qui comporte un certain nombre d’informations utiles.
- Sur le passeport vaccinal - 18 mai 2021
- Laissez le temps de travail en paix - 19 mai 2020
- Élinor Ostrom, le Covid-19 et le déconfinement - 16 mai 2020
- Ne tuons pas l’enseignement à distance. Optimisons-le - 15 mai 2020
- Quelques commentaires sur les évaluations à l’arrache des systèmes de santé en pleine épidémie - 9 mai 2020
- Du bon usage du supposé dilemme santé vs économie - 9 mai 2020
- Le problème avec la courbe. Édition Covid-19 - 4 mai 2020
- Reprise d’activité - 21 avril 2020
- Problème corrigé sur les notes de lecture - 6 février 2020
- éconoclaste a 20 ans. Épisode 2. Passeurs dans les années 2000 - 27 décembre 2019
>> Vous me direz que le problème n’est pas là.
>> Qu’il y a bien d’autres raisons valables pour aller voter.
>> Vous avez raison.
<mode contrarian="on">
Et si je te disais que le problème est effectivement bien là,et que je te demandais quelles sont ces raisons valables, au juste ?
Se donner l’illusion que son vote aura une influence (positive) sur le monde ? Se donner l’illusion de "participer à la vie démocratique" ? Se donner l’illusion d’être un "bon citoyen" accomplissant son "devoir" ?
Est-ce qu’il ne serait pas plus efficace d’adresser une petite prière à la Licorne Rose Invisible pour la paix et la démocratie dans le monde ? Au moins ça n’utiliserait pas de papier…
Puisque tu dis que l’on a plus de chances de gagner au loto que d’avoir une quelconque influence politique par le biais de son vote (surtout que les intentions de vote ne sont pas du tout 50/50…), est-ce que le citoyen désirant améliorer la vie de ses semblables ne devrait pas plutôt aller se faire une grille ? Après tout, avec ses gains il pourrait accomplir certains de ses objectifs politiques (par exemple, s’il est communiste il pourrait faire un gros chèque au trésor public, et s’il est sarkozyste il pourrait faire un don aux entreprises du CAC40 ;-)).
Est-ce qu’on ne devrait pas en conclure que ceux qui votent au lieu de jouer au loto ne sont pas de bons citoyens démocrates qui veulent aider leur prochain ?
</mode>
Quelques remarques rapides, ce n’est pas la première fois que l’on entend parler de "paradoxe du vote", alors que l’on pourrait tout aussi bien parler de paradoxe de l’abstention. En effet, si un électeur rationnel ne va voter que s’il est certains que son vote soit décisif, alors son incitation à le faire est nulle ou presque. Dnas le même temps, si cet électeur anticipe que les autres électeurs auront le même raisonnement que lui (personne n’ira voter), alors son incitation à voter devient maximum…avant de redevenir nulle (tout le monde ira voter)…Le raisonnement est donc circulaire, on peut donc parler aussi bien de paradoxe du vote que du paradoxe de l’abstention.
Sur les chiffres que vous citez et la probabilité d’être décisif, n’oublions pas que lors de la dernière élection, il manquait une voix par bureau de vote à Lionel Jospin pour être second tour…on peut donc avoir une autre lecture d’un vote décisif..
Par ailleurs, la procédure de vote par procurationne réduit pas les coûts de transaction. Pour l’avoir experimenter c’est plus lourd que d’aller voter, en outre elle s’adresse à des personnes qui souhaitent voter, mais qui ne le pourraient pas sans cette possbilité…
Il y eut dans les années 1965 toute une littérature sur les "poldem"(.ukusa)/"demopol"(.fr) (organisation de la vie publique par sondage ou vote à cérémonial et donc coût de transaction allégé)
Bon, peut-être dois-je préciser que l’essentiel de cette littérature a été rédigée en russe, puisque cette réflexion était l’une des pistes explorée par les intellectuels proches de Kroutcheff pour concilier logique de parti unique et soumission des gouvernants à la volonté du peuple (autrement que par la démocratie démonstrative dont le caractère spectaculaire et démagogique était souligné même en France depuis 1957, par exemple par des auteurs pas-trop-engagés comme Barthes)
L’auteur de SF Franck Herbert en a fait un des éléments, hélas mineurs, de l’intrigue de sa série Dosadi.
Bonjour,
Je ne suis pas tout à fait d’accord avec votre raisonnement. Ou plutôt, vous ne le poussez pas au bout. Dans votre axe d’analyse, vous montrez qu’il est absurde de voter. Pourtant, les gens votent. C’est donc que votre axe d’analyse est mauvais.
Il y a au moins deux autres façons d’analyser l’action de voter.
1> Par la théorie des jeux :
– Si tous les acteurs votent, leur choix est quantité négligeable.
– Mais, si tous les acteurs s’abstiennent, leur choix devient prépondérant.
Ces deux phénomènes peuvent entraîner un comportement oscillant sur le taux de participation. On peut analyser le fort taux de participation de 2007 comme un contre coup du taux de participation du premier tour de 2002. Cette analyse est – a mon avis – surtout pertinente si on rapporte le nombre de voix exprimées sur les candidats qui avaient une chance de participer au second tour.
2> Par la psychologie :
– Les choix de sociétés entraînaient par les élections, en particulier la principale, ont des impacts directs sur la vie de chaque acteur.
– Tout le monde a un avis sur ces choix. Même si tout le monde n’a pas le goût d’en débattre.
– Pour rester cohérent avec lui-même, chaque acteur se doit d’aller voter.
Cet axe d’analyse permet d’expliquer pourquoi – en France – les présidentielles ont toujours un taux de participation supérieure aux autres élections. Il explique aussi les discordances relevées lors des sondages entre les déclarations de vote sur la précédente élection et la réalité de celle-ci.
PS : En passant, il y a une erreur dans votre application numérique. Pour les 37 000 000 de votants, la proba que le vote influe directement est de l’ordre d’1 / 10 000.
J’avais oublié la racine…
Le fait qu’un nombre tout à fait considérable de personnes (les assesseurs de votre bureau de vote) sache parfaitement qui de leurs voisins a voté ou n’a pas voté et se révèle, à l’usage, s’autoriser à en parler me semble être de nature à grandement influencer le raisonnement : l’incitation à voter doit à mon avis être considérée dans ce contexte.
Une remarque : si le postulat selon lequel le vote est coûteux se voyait remis en question, c’est la motivation originelle de la création de la démocratie représentative qui disparaitrait.
Autrement dit, si le coût du vote pour l’électeur était nul ou presque, pourquoi le pouvoir législatif ne pourrait-il pas être exercé directement par les citoyens eux-mêmes (ou un échantillon tiré au sort de citoyens) plutôt que par une assemblée de représentants ?