Un gaspillage de plus

L’humoriste Laurent Gerra, lors de la création de l’UMP, s’était ingénument demandé si le sigle signifiait “une m… de plus”. Et effectivement, depuis qu’elle est au pouvoir, on n’a jamais manqué de création de diverses entités, comités d’experts, de “sages”, de commissions, sur les sujets les plus divers. Hier, une énième de ces entités a été créée : le CODICE, conseil pour la diffusion de la culture économique. Et vue la façon dont la chose est créée, il n’y a que peu de raisons d’en attendre quoi que ce soit d’utile.

Je ne veux pas revenir sur le thème de l’ignorance économique française, du statut médiocre de l’économie en France, du fait que les économistes sont peu écoutés sur les sujets pour lesquels ils auraient quelque chose à dire; tout cela a déjà fait l’objet de posts ici même. Je vais simplement faire quelques remarques sur la création de cette institution et le sondage qui l’accompagne.

On peut en effet trouver sur le site du ministère des finances, pour justifier l’intérêt de la création de ce “codice”, deux sondages dans lesquels on a posé aux français, puis spécifiquement aux jeunes, l’ordre de grandeur de quelques variables macroéconomiques; ensuite sont posées des questions sur l’intérêt des sondés pour la connaissance économique et leur désir d’être mieux formés.

La presse et le communiqué de presse se font des gorges chaudes des réponses données au sondage : 43% des français situent le taux de chômage entre 9 et 10%, 40% le situent au dessus. 20% des français connaissent le niveau de la dette publique, et 45% n’en ont aucune idée. Un tiers des personnes interrogées connaissent le taux de croissance français l’année dernière, et un tiers ne sait pas.

Rien que ces trois questions et l’interprétation des réponses sont significatives. Car soyons clair : connaître la réponse à ces questions ne traduit en aucun cas une quelconque culture économique; par contre, les poser est un signe avancé d’inculture économique. Qu’est-ce que le taux de croissance? A quoi correspond-il? Comment est-il calculé? Un taux de croissance compris entre 1 et 2%, qu’est-ce que cela veut dire? Même questions pour le chômage, ou la dette publique. L’interprétation des réponses sur la dette publique est d’ailleurs grandiose. Les sondeurs ont compté comme bonnes réponses des chiffres variant du simple au double, soit entre 1000 et 2000 milliards d’euros, soit plus de 2000 milliards d’euros! Pas étonnant que les français ignorent des statistiques publiques aussi peu précises… Quant au plumitif du Figaro (le toujours bien nommé Cyril Lachèvre, qui n’en est pas à son coup d’essai…) commentant cette statistique, il n’oublie pas de commettre un magnifique contresens en qualifiant de “dette de la France” la dette publique.

Dans le fond, aucune des réponses fournies n’est absurde. Que les gens ne connaissent pas ces statistiques avec précision? Mais ces chiffres, en soit, ne signifient strictement rien. Le chiffre de la dette publique se ridiculise de lui-même; Quant au taux de chômage, considérer qu’il est supérieur à 10% n’a rien d’absurde. Premièrement, il est dans cet ordre de grandeur pour les jeunes; leur réponse vient peut-être de souvenirs de banderoles anti-CPE. Deuxièmement, le taux de chômage est une mesure particulière avec un sens précis : considérer que le sous-emploi réel en France est sous-estimé par cette statistique officielle n’aurait rien d’aberrant. La question sur la croissance, enfin, doit être clarifiée : le chiffre demandé est-il par habitant, en termes réels, en parité de pouvoir d’achat? Selon le cas, il sera amené à considérablement varier (sans compter le caractère conventionnel de la notion de PIB et les limites de ce concept).

On aurait tort d’interpréter le paragraphe précédent comme une défiance à l’égard des statistiques : celles-ci sont indispensables malgré leurs limites. Mais leurs limites et leurs caractéristiques font que la simple connaissance d’un chiffre n’est qu’une connaissance de journaliste économique du Figaro membre du cabinet de Thierry Breton perroquet ignorant, pas une forme de culture économique. De la même façon que le jeu cyberbudget était le degré zéro de la pédagogie budgétaire, mais montrait de façon caricaturale la conception des finances publiques qui prévaut chez nos dirigeants – la dépense publique qui satisfait la population comme le grain jeté aux poules, la dette “problème d’image de la france à l’étranger” – ce sondage montre fort bien ce qu’est la culture économique du point de vue de nos bureaucrates et dirigeants : des chiffres sans interprétation, et le degré zéro du raisonnement économique.

La suite du sondage va dans le même sens, qui interroge les gens sur la perception qu’ils ont de l’économie (s’ils comprennent ou non) et leur désir de voir l’économie plus enseignée à l’école. Une présentation aberrante, qui part à la base d’une ignorance de l’économie, qui est la science de la rareté des ressources. Oui, connaître l’économie, c’est bien, comme connaître la cuisine, le tricot, la littérature, savoir repasser son linge, calculer la dérivée d’une fonction, lire, etc. Il y a plein de choses utiles dans la vie, et pas beaucoup de temps pour tout apprendre : il faut faire des choix. L’enseignement de l’économie tel qu’il est fait n’est sans doute pas extraordinaire, et les français assez incultes en économie (mais ce n’est pas forcément là qu’ils sont les pires); mais il est peu probable qu’il soit facile de l’améliorer. Bien comprendre l’économie, ce n’est pas apprendre des taux de croissance et de chômage par coeur, c’est un apprentissage long et difficile, et la nécessité d’un effort constant pour se tenir à niveau (toute prétention mise à part). Ce n’est pas forcément cela qui est le plus utile aux gens dans leur vie de tous les jours, ou même pour décider pour qui voter. Ce n’est même pas utile pour être dirigeant d’entreprise. Par contre, cela peut servir pour être ministre de l’économie et des finances; et dans ce domaine, il y a du boulot.

Un mot sur la composition du comité : il traduit fort bien la conception de l’économie qui prévaut en France, celle d’un discours politique dont l’objectivité est atteinte en confrontant des points de vue de droite et des points de vue de gauche. Cette commission est manifestement faite pour obtenir une sorte “d’équilibre politique” et de satisfaire différents lobbys en pointe sur “l’éducation des français à l’économie” sous forme d’ode au monde grandiose de l’entreprise kikrédézemplois (l’institut de l’entreprise, l’institut Montaigne) ou journalistes et économistes à la mode. C’est une caractéristique de ce genre de comité inutile dont le pouvoir nous a gratifié depuis des années : beaucoup de “name dropping” de gens qui n’auront certainement pas le temps de débattre sérieusement du sujet; de toute façon ce n’est pas grave, on trouvera un énarque pour rédiger un beau texte consensuel qui sera livré en avant-première aux journaux, qui fera les titres pendant deux jours, et sera oublié par la suite. Le jour ou l’on fermera tous ces inutiles comités qui ne sont que des machines à faire des obligés, on fera faire des économies au budget de l’Etat – des vraies, pour une fois.

Alexandre Delaigue

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5 Commentaires

  1. euh… bon visiblement, il y a une certaine unanimité sur les <<compétences>> économiques de notre cher ministre (et de quelques autres membres des gouvernements passé, présent, et hélas, vraissemblablement futur). Mais la France ne s’est pas (encore ?) enfoncé dans un marasme catastrophique. Celà signifie-t’il que, finalement, les <<politiques>> économiques successives ont un impact limité ? (il me semble avoir déjà lu une note sur le sujet).

  2. Oh my god… ben moi je dis, voilà un bien meilleur choix pour amener la science économique jusqu’à la demeure des braves gens:
    http://www.timharford.com/writin...
    Je n’ai pas la BBC et donc je n’ai pas pu regarder. Il y a tout de même un extrait video de promo ici:
    news.bbc.co.uk/nolavconso…
    Ca m’étonnerait fort que ça sorte en DVD un jour, alors si vous avez vu quelques épisodes, qu’en avez vous pensé? (et peut-être des sites web secrets où on trouverait les épisodes en téléchargement?;-))
    Allez, qui s’y colle en France?! Olivier Bouba Olga? 😉
    Bref, quoi qu’il arrive, et connaissant la production récente de Tim Harford (et ayant jeté un oeil au comité du codice…) ça ne peut qu’être bien supérieur à tout projet émanant du CODICE…

  3. Beotien : en effet, l’impact des politiques économiques est (heureusement, le plus souvent) assez limité, mais systématiquement surestimé.

    James : freakonomics a été traduit en français : tout peut arriver. Mais il est vrai qu’il faudrait une révolution culturelle pour voir des vraies questions concrètes traitées par des économistes dans les grands medias en France. C’est dommage d’ailleurs : on continue d’interroger les économistes sur les domaines ou ils n’ont rien à dire et se trompent (prévoir les évolutions de taux d’intérêt…) et rien là ou ils pourraient être utiles.

  4. tout à fait d’accord,

    ce bouquin est par ailleurs un très bon exemple de ce dont peuvent parler les économistes quand ils ne font pas de livres de cours. Je trouve en particulier le chapitre sur les gangs et la drogue très convaincant, et en tous cas très en rupture avec ce qui est dit usuellement.

  5. Alexandre > Souviens-toi de Raffarin, anoncant la fin des commissions inutiles lorsqu’il avait supprime la Commission des Orgues… pour creer cette bouse suiviste de Conseil d’Analyse Sociale (ou serait-ce Strategique !), destinee a remplacer le Plan sous les auspices de son president parachute, Luc Ferry.

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