Un G8 inutile, comme d’habitude

Ce qui est bien avec l’actualité, c’est son caractère rassurant. Chaque année, de façon régulière, les sujets reviennent avec une régularité de métronome. Le G8 qui se termine ne fait pas exception : comme d’habitude, c’est une réunion pour rien.

Allons, allons, me direz-vous. On parle de choses importantes, au G8. Cette année, par exemple. Bien que certains regrettent le “manque d’ampleur” du G8 de cette année, on y a quand même parlé de sécurité énergétique, du proche-orient, de la nécessité de traiter les problèmes posés par la pauvreté et le sous-développement, ainsi que de l’impérieuse nécessité de se concerter pour résoudre les menaces envers la stabilité financière mondiale.

Tout cela est très bien : ce sont au mot près les sujets qui avaient fait l’objet de discussions au premier G6, en 1975 à Rambouillet. Ce sont d’ailleurs les sujets qui sont abordés chaque année au G-quelque chose (6, puis 7 avec le Canada, puis 8 avec la Russie). Chaque année, les chefs d’état discutent de ces sujets. Selon les années et l’humeur des participants, ils arrivent à une déclaration commune plus ou moins ronflante sur chacun de ces sujets, qui se termine par la nécessité de poursuivre la concertation et de se revoir l’année suivante. Chaque année, cela ne sert à rien. C’est à peine une exagération que de dire que le programme et la déclaration finale sont recopiés in extenso d’une année sur l’autre.

Pouvez-vous vous souvenir d’un seul G8 ayant eu un effet, auquel on puisse rattacher un accord ou un évènement quelconque, ayant apporté le moindre commencement de solution à un problème? rappelons qu’il y a eu un G8 par an depuis 1975. Si vous avez une bonne mémoire, vous vous souvenez peut-être du sommet de Gênes en 2001; mais vous vous en souviendrez surtout pour la mise à sac de la ville par des antimondialistes et la violente répression ayant conduit à la mort d’un homme. A cette occasion, on avait un peu varié la déclaration finale, en insistant sur la nécessité de “discuter avec les représentants de la société civile”. Vous vous souvenez peut-être aussi du sommet de l’année dernière à Londres : il s’agissait de “make poverty history”. La seule issue concrète de ces slogans verbeux aura été la création, en France, d’une taxe sur les billets d’avion : le rôle du G8 dans l’affaire a été nul. En France, on n’a pas besoin de l’aide de chefs d’état étrangers pour inventer de nouveaux impôts.

Il y a une autre constante : chaque année, lors du G8, des gens très intelligents vous expliquent que certes, cette année, on n’a pas fait grand chose, mais que le principe de ces grandes discussions est important et qu’il ne faut pas les condamner. Cette année, c’est Eric le Boucher qui s’y colle. D’autres fondent leurs espoirs de multilatéralisme sur des comités différents du G8, plus orientés vers un objectif précis, et faisant intervenir uniquement les gens qui comptent sur ces problèmes. L’argument est toujours le même : dans un monde toujours plus multilatéral, dont les problèmes sont de plus en plus globaux, il faut des solutions globales, au lieu de se recroqueviller au niveau national.

Le seul problème, c’est que personne n’a jamais démontré que des problèmes globaux sont mieux résolus par la concertation. Après tout, dans des économies complexes, les problèmes sont résolus en général par le mécanisme de marché et au sein de vastes organisations dont le fonctionnement est assez décentralisé (sinon, elles ne fonctionnent pas). Il n’existe pas une personne particulière qui s’occupe de faire en sorte que je puisse boire mon café matinal, et mon alimentation dans cette denrée (ainsi que celle de millions d’autres individus) est plutôt bien assurée; en tout cas nettement mieux que si je devais attendre une décision du G8 pour cela.

Dans un monde de problèmes complexes, il est extrêmement peu probable qu’un petit nombre d’individus, quel que soit leur pouvoir, soit capable d’apporter des solutions. A la complexité du monde il faut ajouter la démocratisation, qui fait que les chefs d’état de pays, fussent-ils puissants, n’ont qu’un pouvoir limité. En matière économique, ce pouvoir est encore plus faible. Si à Yalta en 1945, à Vienne en 1815, à Versailles en 1918, les chefs d’état avaient de réelles capacités d’influence sur les affaires du monde, parce qu’ils traitaient des questions situées à leur niveau (définir des frontières). On peut noter au passage que si ces sommets ont effectivement changé la face du monde, ce n’est pas toujours pour le mieux. Mais en matière économique, ce ne sont pas les gouvernements, ni les organisations internationales genre OMC, FMI ou banque mondiale, qui décident des taux de croissance, des mouvements de capitaux, des cours des devises ou des matières premières : Ce sont les résultats de décisions d’un très grand nombre d’individus, de l’émergence de technologies, et d’une façon très largement indéterminée.

Cette complexité et cette indétermination ne sont pas très faciles à comprendre : l’espèce humaine est ainsi faite qu’elle a tendance à surestimer le rôle de l’intentionalité pour expliquer les évènements, et à sous-estimer les circonstances et les phénomènes émergents. Nous attachons donc à nos dirigeants des capacités qu’ils ne peuvent avoir, et eux-mêmes s’approprient des phénomènes envers lesquels ils n’ont aucune influence (c’est grâce à moi que le chômage baisse ce mois-ci, et c’est la faute de mon successeur s’il monte le mois prochain). En réalité, les G-quelque chose, et les réunions internationales de façon générale, ne sont que la version moderne de la danse de la pluie.

Alexandre Delaigue

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9 Commentaires

  1. >> "chaque année, lors du G8, des gens très intelligents vous expliquent que certes, cette année, on n’a pas fait grand chose, mais que le principe de ces grandes discussions est important et qu’il ne faut pas les condamner."

    Je pense comme ces gens très intelligents. Ce genre de discussions a une certaine utilité. Une concertation en plus vaut mieux qu’une concertation en moins, ou que pas du tout de concertation, n’est ce pas ?

    Personne n’est assez idiot pour imaginer que 8 chefs d’Etat (avec des intérêts souvent divergents) qui se réunissent vont sortir une solution clef en main pour chacun des problèmes urgents de la planète…

    Le G8 est un forum avant tout. Il y a aussi un certain nbr de dossiers qui se règlent en coulisses, avec les sherpas et diplomates de chaque délégation. Il ne faut pas non plus attendre le père Noël.

    Avec votre raisonnement, on pourrait suggérer de supprimer un certain nbr d’instruments de politique étrangère, comme des ambassades et des centres culturels français dans le monde qui ne servent pas à grand chose, par exemple.

    A ce train là aussi, on pourrait se hâter de supprimer l’ONU… Combien de résolutions bafouées ? Et le Darfour ? etc.

    Une dernière chose qui m’amuse :
    "Le seul problème, c’est que personne n’a jamais démontré que des problèmes globaux sont mieux résolus par la concertation."

    Mais personne n’a jamais démontré le contraire non plus !

    Si il fallait attendre que tout ait d’abord été démontré pour être appliqué ou expérimenté…

  2. "Il ne faut pas attendre le père noel" indiscutablement. La question, c’est "en 31 G8, il y a eu quoi?" La réponse est : rien. Et pour une raison facile à comprendre : les problèmes économiques (déséquilibres financiers, pauvreté…) ne se résolvent pas au niveau des chefs d’Etat.

    Pour une guerre, on peut imaginer qu’en faisant se concerter des gouvernements on puisse obtenir des résultats : après tout, ce sont les gouvernements qui déclarent et arrêtent les guerres; quoique ce soit de moins en moins vrai.

    Mais en matière économique, ce n’est tout simplement pas à ce niveau là que les problèmes apparaissent et sont susceptibles d’être résolus. Le FMI ne contrôle pas la finance mondiale; l’OMC ne contrôle pas le commerce mondial; les décisions politiques ont rarement un impact conséquent, et cet impact est encore plus rarement celui qu’on pensait. Vous me dites qu’il y a des choses qui se résolvent "en coulisse" : mais quoi, exactement?

    Et oui, si des choses ne servent à rien, je suis favorable à leur suppression pour consacrer les ressources rares qu’elles consomment à des choses utiles. J’avoue que c’est le raisonnement inverse qui me paraît surprenant. Ambassades, centres culturels, ONU ont un rôle en partie symbolique, mais ce rôle de symbole existe (et peut être mis en balance avec leur coût); quel est le rôle, même symbolique, du G8?

    Pour le dernier point : le G8, c’est expérimenté depuis 31 ans, et chaque année, les sherpas prennent l’agenda de l’année précédente, enlèvent la poussière, et l’adoptent pour l’année courante. On a assez d’expérience pour constater que cela ne sert à rien. Pourquoi continue-t-on, si ce n’est par pensée magique? Par ailleurs, comparez le nombre de problèmes économiques qui sont résolus de façon décentralisée et ceux qui sont résolus par des comités ou des sommets; il n’y a pas photo…

  3. Il me parait sain que les chefs d’Etat des grandes puissances mondiales se parlent régulièrement (et pas seulement de façon bilatérale). Imaginez les réactions si à la fin d’un G8 la déclaration finale disait "bon, on a décidé de ne plus se rencontrer parce qu’on a pas grand chose à se dire…Les G8, c’est fini!"

    Ce n’est donc pas le principe des G8 qui doit être remis en cause mais plutôt la couverture médiatique dont ils disposent.

    Comme vous l’expliquez très bien il ne sort jamais rien d’intéressant pour le grand public d’un G8. Par conséquent, comment expliquer que les média accordent une telle importance à ce non-évènement?

    Pour mettre fin à ce décalage entre l’importance médiatique d’un évènement et son importance réelle sans pour autant renoncer à des échanges qui pourraient s’avérer fructueux, les chefs d’etat seraient bien inspirés de s’appliquer une règle simple: "quand on a rien à dire, on se tait" Autrement dit ils pourraient renoncer à cette pratique ridicule de la déclaration commune pleine de grand principes sans-cesse rabachés et vide de toute action concrète.

    Qu’ils continuent donc de se rencontrer, d’échanger sur les grands problèmes globaux, de s’engueuler peut-être (ça fait parfois du bien de crever un abcés…) et si un jour il sort une vraie décision de leurs pourparlers, qu’ils nous en fassent part!

  4. Si effectivement on peut trouver que le G8 ne peut se prévaloir que d’une efficacité médiocre sur les sujets qu’il aborde, on peut toutefois trouver des intérêts dans ce type de rencontre de haut niveau, par exemple :
    1/ Les dirigeants se rencontrent, ce qui peut contribuer à facilité les relations diplomatiques parfois un peu tendue (les exemples de chaud/froid entre grandes puissances ne manquent pas ces dernières années) ;
    2/ sur les questions sensibles (genre Liban actuellement), les "grands" peuvent confronter leurs positions directement, ce qui peut être parfois savoureux quand oublie que son micro est branché.
    Mais, il est vrai que cela joue plus sur des questions de diplomatie et non économiques qui, le billet le souligne bien, sont globalement déconcentrées (délocalisée ça reste encore à voir, je pense plutôt que ça reste assez localisé, au moins sur le plan financier).

    Toutefois, je pense qu’il ne faut pas aller trop vite en besogne sur le FMI et L’OMC. Ces organismes sont des régulateurs importants ; le FMI pour les crises monétaires – bon bien sûr la méthode peut être critiquable mais cet organisme agit bel et bien – et l’OMC pour le contrôle des accord de libre-échange – surtout dans son rôle de juridiction, qui ne doit pas être sous-estimée. Ce ne sont pas des institutions politiques.

  5. Sindelaar : certes, il est bon qu’ils se parlent : encore faut-il que ce soit pour se dire quelque chose. Parler pour parler ne sert à rien et est une perte de temps. Que des chefs d’état se rencontrent rapidement lorsqu’un sujet précis nécessite leur coordination, c’est certainement utile; mais ça ne l’est pas pour les sujets traités par le G8. Leurs "échanges sur les grands problèmes globaux" ont en matière économique à peu près autant d’importance que ceux qui sont tenus dans les commentaires de ce blog.

    Azeaze : il n’est pas nécessaire de poster plusieurs fois un commentaire, il suffit d’attendre qu’il passe sous les fourches caudines de la pré-modération :-).
    Que les dirigeants se rencontrent peut être une bonne chose… ou non. Après tout cela peut aussi cultiver des inimitiés (passer une journée entière avec Chirac doit être parfaitement horipilant). Sur le FMI et l’OMC, l’idée n’est pas de nier leur importance, simplement de rappeler que ces organismes jouent un petit rôle régulateur, qu’ils ne sont pas de grands centres de pouvoir influant massivement sur le commerce ou la finance mondiale. Un round de l’OMC n’a pas le même degré d’importance qu’une conférence de Yalta ou de Camp David, tout simplement parce que l’influence des participants sur l’objet discuté est infiniment plus réduite.
    A part cela, intéressant blog 🙂

  6. Désolé mais j’avais des messages d’erreur à chaque fois que j’envoyai le message. Du coup je me suis acharné…

    Sur le rôle du FMI, je suis d’accord pour dire qu’il n’a pas une grande influence sur la finance internationale.

    Pour l’OMC, je suis plus critique. En effet, le poids de l’entrée dans le système de libre-échange de la Chine a et aura des répercussions très importantes sur le commerce international et c’est une décision de l’OMC (d’où une réelle influence sur le commerce). De plus, la jurisprudence de l’OMC pose les règles du jeu pour la régulation des échanges et pour prévenir des mesures protectionnistes. Même des jugements a priori anodins comme celui sur les tortues.
    Mais, bon je chipote un peu…

  7. La résolution des problèmes économiques ne se fait pas uniquement de matière décentralisée. Les institutions ont un rôle considérable dans le succès ou l’échec d’une politique de marché. Ces sommets peuvent donc déjà servir à harmoniser, ou articuler, les différentes institutions capables d’assurer un rôle efficace à une économie décentralisée (et globalisée).
    De manière plus générale, ces sommets ont l’avantage d’être des endroits importants de circulation de l’information, et donc des réducteurs d’incertitude toujours utiles pour l’économie (et la politique en générale). Si ils permettent d’éviter des comportements non-coopératifs à effets irrationnels, type dilemne du prisonnier ou jeu du poulet …
    Et puis on ne juge pas forcément la réussite d’un sommet par le nombre de décisions symboliques, et identifiables, qu’il a pris. Souvent, ce ne sont pas les grosses décisons (avec le fort effet d’annonce qui les précède)qui font les plus grands miracles. Des micro-décisions peuvent être tout à fait efficaces.

    Enfin, je dis tout ça de façon très théorique, je ne sais pas vraiment comment se passe un G8. Et effectivement je ne sais pas si l’idée d’un club privé de pays riches est une très bonne idée pour la légitimité des décisions qui peuvent en sortir. Le "fair effect" doit être dans ces cas là plus que limité.

  8. Le dernier lien est brisé.

    Par ailleurs je trouve votre billet trop radical : certes les G8 n’ont manifestement aucune influence d’aucune sorte sur les questions économiques qu’ils prétendent régler, cependant que ça dure depuis 31 ans me laisse penser qu’ils ont peut-être une importance autre que les gouvernements ne peuvent peut-être pas "avouer publiquement". J’ai en tête un parallèle avec l’aide au développement, que l’on sait largement inefficace : il semblerait qu’elle serve en réalité à "dédommager" les gouvernements des pays qui la reçoive pour leur aide dans la lutte contre le terrorisme. Mais politiquement, c’est juste invendable. Pourquoi, donc, ne pas imaginer un effet un peu similaire avec le G8 ?

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