Supprimer le chômage?

Supprimer le chômage est le titre “choc” d’un ensemble de propositions émises par Vincent Champain et Jacques Attali, que l’on peut lire en suivant le lien. Ces propositions ont suscité un débat dans les commentaires d’un post sur le blog de Bernard Salanié; Plus récemment, trois chercheurs du site Jourdan ont rédigé une critique très sévère de ces propositions.

Comme nous connaissons personnellement Vincent Champain, nous ne tenons pas trop à prendre parti dans ce débat. Quelques remarques néanmoins :

– Sur la forme, intituler un ensemble de propositions “supprimer le chômage” est peut-être un moyen d’attirer l’attention et de provoquer le débat – ce qui est nécessaire – mais, même si l’on pense que certaines des mesures proposées peuvent être utiles, il s’agit d’une façon exagérément enthousiaste de “vendre” ces propositions.

– Le programme repose sur deux postulats contestables.
Le premier, c’est qu’il est possible de faire table rase de l’ensemble des politiques de l’emploi en France, ainsi que d’un bon nombre de mentalités et de comportements, sans s’interroger sur la capacité des institutions à absorber ces changements. Ce genre de “thérapie de choc” est peut-être nécessaire : encore faut-il s’interroger sur le processus politique qui permettrait ce genre de remise en cause. S’il était possible aujourd’hui, ex nihilo, de construire un système d’indemnisation du chômage, il ressemblerait peut-être aux propositions “supprimer le chômage” – ou à autre chose. Mais raisonner de cette façon, n’est-ce pas une façon de supposer les problèmes résolus, d’ouvrir la boîte de conserve en faisant l’hypothèse qu’on a un ouvre-boîtes?

Le second, c’est de considérer que tous les chômeurs sont potentiellement employables en l’état. B. Salanié le rappelle utilement : le problème principal du chômage en France provient d’individus dont la productivité est telle qu’ils ne rapportent pas autant qu’ils ne coûtent à un employeur. Espérer compenser cela par la “formation”, c’est supposer une plasticité des individus largement supérieure à ce qu’elle est en réalité. “Non qualifié” n’est pas une anomalie à corriger à coups de formations, mais un état de fait pour beaucoup de personnes. Les individus, comme les institutions, ne sont pas des tables rases que l’on remodèle à loisir.

– Les critiques faites par B. Salanié d’une part, par les chercheurs de l’ENS d’autre part, sont très justes; en l’état, le projet “supprimer le chômage” souffre de nombreuses imprécisions, d’un manque de prise en compte des effets indirects potentiellement nocifs des mesures proposées; et d’un optimisme vis à vis de ces mesures qui tient un peu de la méthode Coué. Ceci n’est pas forcément une critique du programme en soi : cela signifie qu’il doit être considéré comme un travail en cours, une base de réflexion et de débat.

Pour nourrir ce débat, et comme c’est le “modèle nordique” qui est en filigrane ici, quelques liens utiles :
Le modèle nordique : une recette pour le succès en Europe?
La productivité du travail dans les pays d’Europe du Nord
Civisme et institutions du marché du travail : quels pays peuvent mettre en place le modèle danois de “flexicurité”? Ce dernier papier, de Cahuc et Algan, qui montre les limites culturelles que rencontrerait la France dans l’adoption d’un système “nordique” d’indemnisation du chômage, semble très pertinent dans ce débat. ce papier avait servi de base à un récent article d’Eric le Boucher dans le Monde.

Les commentaires sont ouverts. Merci de limiter la discussion au sujet sous peine d’intervention d’Anastasie.

Alexandre Delaigue

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15 Commentaires

  1. Vous pouvez signaler dans le texte la réponse aux critiques des jeunes thesards que vous citez : juliette.nfrance.com/~ju1…

    En fait nous avons souhaité lancé une démarche "open source" sur une proposition sociale ambitieuse. Nous sommes parti de convictions profondes sur les (dys)fonctionnements à régler, et sur ce qui est réaliste. Et nous avons fait le choix de lancer l’idée suffisamment tôt afin d’avoir un débat "e-citoyen" autour de ce texte. Le site http://www.supprimerlechomage.or... contient également un blog permettant de discuter (et d’enrichir la proposition). Par ailleurs je viens d’y ouvrir une rubrique "et vous, que proposez-vous pour supprimer le chomage". Il y a également un interview audio de JA très intéressante sur la philosophie de notre proposition.

    Pour revenir au commentaire évoqué ci-dessus, il y a une divergence assez forte sur certain points entre ce que les études peuvent apporter d’utile (poser des questions, faire des calculs à la [tres grosse] louche compte tenu de la grande imprécision des modeles), et ce qu’il faut faire pour manager correctement ce probleme.

    Les commentaires évoqués par AD renvoyent également à un débat déjà abordé sur econoclaste : la place de l’économiste, et la validité de ses outils dans la politique économique. Elle est évidemment loin d’etre nulle, mais elle ne peut etre totale. Dit autrement, il est nécessaire de pouvoir jauger toute politique au vu des outils d’analyse economique, mais il faut etre conscient de leur domaine limité de validité. Le dosage est évidemment subtil !

    Enfin, et c’est l’un des objets de l’article, au moment ou tout le monde explique qu’il y a une voie consistant à laisser les chomeurs se debrouiller seul, il était nécessaire d’expliquer comment se construit une voie alternative. Le choix existe. Il n’est pas hors de portée. Mais il suppose de s’attaquer à des cloisons profondes de notre systeme (centralisme, cloisonnement des financements et de l’action sociale).

    En fait notre modele social "promet beaucoup mais donne peu". La "sarkorupture", plaidée par bcp de rapports officiels, résoud cette contradiction en promettant moins. Il y a une autre voie, plus efficace économiquement.

    Si elle est d’inspiration tres opérationnelle, elle n’est pas très loi nde pas mal de choses évoquées par P Cahuc. Elle reprend aussi des élements de la note n°45 de la fondation Jean Jaures n°45 (à laquelle Pierre Cahuc avait d’ailleurs participé) – elle est disponible sur amazon, mais également téléchargeable gratuitement sur http://www.supprimerlechomage.org (rubrique : Revue de Presse et articles connexes).

    Bref tous les commentaires constructifs sont bienvenus !

  2. "B. Salanié le rappelle utilement : le problème principal du chômage en France provient d’individus dont la productivité est telle qu’ils ne rapportent pas autant qu’ils ne coûtent à un employeur."

    Pourquoi cette productivité était-elle suffisante il y a 30 ans et est-elle devenu insuffisante de nos jours? La productivité de ces individus a baissé? Les coûts ont augmenté?

  3. L’idée qu’il y ait un probleme principal du chomage, qu’il soit clairement identifié et qu’il s’agisse de celui évoqué ci-dessus me semblent trois supposition très aléatoires.

  4. Le couple SMIC/pouvoir d’achat est une des explications. Reste à lui trouver une solution. Il y e na trois :
    – supprimer ou desindexer le SMIC
    – renforcer les allegements generaux
    – faire des subventions ciblées pour éviter les effets d’aubaine liées aux allegements généraux

    La 3e voie est la voie Danoise : salaires élevés, services à la personne (creches) financés en régie donc largement subventionnés par l’Etat. Au total il y a autant d’emplois de service aux USA qu’au Danermark, mais pas les meme (voir le note n°45 de la fondation jean jaures, disponible sur http://www.supprimerlechomage.org

  5. V et Alexandre: Merci. Je viens de lire la très intéressante note 45 de la fondation jean jaures et en particulier l’annexe d’Alexandre qui me laisse pantois. Si j’ai bien compris, il s’agit d’un problème de redistribution: ceux qui travaillent dans les secteurs où la productivité et les salaires ont augmenté ne veulent pas payer plus pour les services où les coûts ont augmenté. C’est cela?

  6. Dans la maladie des coûts, ce n’est pas qu’ils ne "veulent pas" : les consommateurs constatent simplement que dans certains secteurs, on a toujours plus pour moins, et que dans d’autres, il faut payer plus pour avoir la même chose – ce qui peut entraîner un certain ressentiment vis à vis de ces secteurs.

  7. alexandre: t’as raison, c’est pas vraiment qu’ils "veulent pas". Ce ressentiment ne serait-il pas atténué s’ils avaient conscience de cette hausse des coûts des services et qu’il s’agit de la conséquence directe de la hausse de productivité dans d’autres secteurs? Y’a rien de plus énervant que de voir le prix d’un truc monter et de pas comprendre pourquoi. Par ex, pour le pétrole, on donne toujours des explications aux gens (la Chine, la guerre en Irak, le raffinage insuffisant, etc). Pourquoi on fait pas ça avec les services publics? Moi c’est la première fois que j’entendais cette explication.

  8. Concrétement ca veut dire que les bouclages budgétaires sont difficiles ou se traduisent pas des hausses d’impots ou dette.

    En fait pour vulgos les producteurs de service public sont pas très habitués à devoir expliquer leurs couts : la contrainte budgétaire date de 97 (maastricht). Il faut du temps à ces grosses machines pour s’adapter…

  9. Vu sur le site
    http://www.actuchomage.org

    Danemark et chômage : le modèle danois n’a aucun mérite

    En 2004, le Danemark a plus de préretraités (187 200) que la France (139 700) pour une population active dix fois plus faible. Avec les autres mesures de marché du travail, le nombre réel de chômeurs est 2,52 fois le nombre officiel. Le taux de chômage réel devient 14,65 % au lieu d’un taux officiel de 6,38 %. La tromperie est dévoilée.
    Avec une évolution de sa population active identique à celle du Danemark depuis quinze ans, non seulement la France n’aurait plus aucun chômeur officiel, mais le chômage réel serait résorbé pour l’essentiel. Et cela sans introduire une plus grande flexibilité des contrats de travail.

    Si de plus la France avait eu recours à la même proportion de préretraites que le Danemark (6,78 % de sa population active), le chômage réel aurait entièrement disparu et beaucoup d’emplois à temps partiel seraient redevenus des emplois à temps plein.
    Inversement, si la population active du Danemark avait augmenté dans la même proportion qu’en France (+12,1%), tout en créant aussi peu d’emplois (43 600 en quinze ans), le nombre de chômeurs aurait augmenté de 372 500 et le taux de chômage réel serait devenu 24,0 % de la nouvelle population active (après son augmentation).

    Comme l’on voit, le succès apparent du Danemark ne doit rien à la flexicurité, mélange de flexibilité et de sécurité (discours bien connu). En fait, le modèle danois n’a aucun mérite pour résoudre le problème du chômage, une fois enlevés les artifices qui cachent le chômage réel et encore moins en tenant compte de la démographie de l’emploi.
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    Au Danemark en 2004, pour un nombre officiel de 176 400 chômeurs, 268 300 personnes étaient enregistrées dans les "mesures de marché du travail" (labour market policy measures), des préretraites pour l’essentiel.. Le chômage réel était donc de 444 700 personnes.
    La population active étant de 2 766 300 personnes, le taux de chômage officiel était de 6,38 %. Mais, en réintégrant les 268 300 faux inactifs (préretraités …) dans la population active, celle-ci devenait 3 034 600 personnes et le taux de chômage réel 14,65 %. Ce taux est un minimum, car ne prenant pas en compte les "invalides" pour raisons sociales.

    En France en 2005, pour 2 420 000 chômeurs au sens de l’Anpe (catégorie Defm 1) et 2 717 000 chômeurs au sens de l’Insee, le nombre réel de chômeurs en équivalent temps plein était de 4 092 000, soit un taux de chômage réel de 14,53 % (compte tenu de la correction sur la population active) . Pour rester comparable aux données danoises, l’équivalent en chômage des emplois à temps partiel n’est pas pris en compte ici.
    Voir l’article "Chômage officiel et chômage réel (2005)" sur le même site travail-chomage.site.voil… .
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    Le modèle français est le plus honnête en matière de chômage, ou le moins habile pour en cacher l’étendue, comparé au modèle danois, anglais ou hollandais. Le recours aux préretraites massives est utilisé au Danemark, l’invalidité pour raisons sociales (sans réelle invalidité médicale) est la mesure principale en Angleterre (Royaume-Uni) et aux Pays Bas, ce qui n’empêche pas l’utilisation d’autres mesures pour cacher l’importance du chômage. Dans ces trois pays, le chômage réel est de deux à trois fois plus important que le chômage officiel et se trouve comparable au chômage réel en France.

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    Enfin, le Danemark produit et exporte du pétrole et du gaz, ce qui arrange beaucoup les finances publiques et permet de payer un nombre considérable de préretraites pour faire baisser le chômage apparent en diminuant la population active.

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    Voir travail-chomage.site.voil…

    pour un document trés complet et de grande qualité, avec des tableaux statistiques et les sources utilisées. D’autres aspects y sont aussi abordés : indemnités de chômage, coût du travail, durée effective du travail.

    > En effet, cela vaut vraiment la peine d’aller voir le document original car tout est bien expliqué avec des informations sérieuses et issues des sources officielles (citées). Le texte peut être imprimé avec tous les traitements de texte (rtf).

  10. Le butineur : vous avez raison, il existe des astuces pour mettre des personnes en âge de travailler dans l’inactivité plutôt que de les compter comme chômeur. C’est pourquoi il est intéressant de s’intéresser au rapport entre les gens qui ont un emploi et la population en âge de travailler totale.
    epp.eurostat.ec.europa.eu…
    Danemark : 75,9%
    Ireland : 67,6%
    Pays Bas : 73,2%
    Suède : 72,5%
    Royaume Uni : 71,7%
    USA : 71,2%
    …accrochez vous bien…
    France : 63,1%

    Il y a peut être un truc avec le modèle français, non ?

  11. Le taux d’emploi, à lui seul, n’est pas très significatif pour deux raisons.

    Dans certains pays, le système de formation (scolaire et supérieur) est très différent du système français en cela que l’équivalent de l’apprentissage et de la formation en alternance y sont très développés. Dans ce cas, un jeune est compté dans la population active (comme les apprentis chez nous).
    Comme ils sont beaucoup plus nombreux (en proportion) dans cette situation que chez nous, cela fait pour partie remonter le taux d’activité.

    De façon un peu voisine, beaucoup plus de Britanniques travaillent pour payer leurs études que chez nous, car les études supérieures y coûtent beaucoup plus cher.

    Cependant, l’élément le plus déterminant semble être la durée moyenne du travail et la proportion d’emplois à temps partiel. Car il est facile de multiplier les emplois à temps partiel, parfois moins de quinze heures par semaine et, à l’évidence, un tel emploi n’a pas la même importance qu’un emploi à temps plein.

    Une piste de rélexion ici

    travail-chomage.site.voil…
    (Durée du travail : apparences et réalité, France et autres pays)

    A ma connaissance, aucune étude sur les taux d’activité ne tient compte de ces deux constatations.

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