Strauss-Kahn, Bon candidat pour le FMI?

Les candidatures sont closes, et deux candidats restent en lice pour la présidence du FMI – D. Strauss-Kahn et un tchèque, J. Tosovsky. La candidature de Strauss-Kahn a suivi un parcours un peu étrange. Unanimement louangé par la presse française, un post de J. Quatremer avait jeté un froid en faisant du goût prononcé de DSK envers les jolies femmes un handicap sérieux pour sa candidature (voir le post de SM sur ce sujet). Cette question n’est guère allée au delà de quelques sempiternelles interrogations nombrilistes propres aux médias français; la question de la candidature Strauss-Kahn reste posée, car plusieurs problèmes importants se posent, à la fois liés au processus qui conduit DSK à la candidature, et à sa personne même, au point qu’un éditorial vitriolesque du Financial Times déclarait récemment que l’Europe avait tort de pousser sa candidature.

Le fonds Monétaire International joue un rôle de stabilisation macroéconomique internationale : son but est de prévenir et de soigner les crises monétaires et financières. Dans ce but il fournit des conseils, expertises et recommandations, et dispose de fonds qui lui sont apportés par les pays membres, susceptibles d’être prêtés aux gouvernements en difficultés. Les fonds apportés déterminent aussi les pouvoirs des pays membres : plus un pays apporte de fonds, plus il dispose de droits de vote, et les proportions de fonds sont prédéterminées, ce qui signifie que si un pays “propose” d’apporter plus de fonds contre des pouvoirs accrus, cela ne peut être accepté que par un vote à 85% de majorité modifiant la répartition des pouvoirs. De ce fait, actuellement la majorité des pouvoirs est détenue par les USA et l’Union Européenne.

Toutes ces caractéristiques concourrent à la grave crise de légitimité que traverse le FMI actuellement. Au cours des années 80 et 90, le fonds s’est trouvé devoir sans cesse voler au secours de gouvernements en situation de crise financière, accordant des prêts d’urgence associés à des plans d’ajustement structurel visant à éviter que de nouvelles crises se reproduisent. Ces plans d’ajustement structurel étaient particulièrement mal perçus dans les pays les subissant, pour de bonnes et de mauvaises raisons. Les mauvaises raisons, c’est que lorsqu’un gouvernement est insolvable parce qu’il a trop dépensé, rétablir sa solvabilité sera nécessairement désagréable; que de nombreux gouvernements ont trouvé fort commode de faire passer sur le dos des méchants étrangers du FMI des mesures impopulaires qu’ils savaient devoir prendre, ou d’utiliser le FMI comme bouc émissaire de leur propre incompétence. Mais il y avait aussi de bonnes raisons : dans de nombreux cas, les plans d’ajustement du FMI ont été inadaptés, recommandant de mener rapidement une libéralisation financière inappropriée aux circonstances, ou apportant massivement des fonds immédiatement gaspillés ou transférés sur des comptes en Suisse, comme dans le cas Russe. Dans de nombreuses situations, les aides du FMI sont apparues comme liées aux intérêts de politique internationale des principaux actionnaires du fonds.

Face à cela, depuis les années 2000, de nombreux pays ont modifié leur attitude vis à vis du FMI. Pour ne plus en dépendre, ils ont remboursé par anticipation les prêts contractés auprès du fonds; ils ont demandé à ce que les droits de vote soient rééquilibrés pour prendre en compte les pays qui pourraient contribuer plus et voir leur nouvelle puissance économique ainsi consacrée. Surtout, pour éviter de se retrouver de nouveau dans une crise nécessitant de faire appel au FMI, les pays (particulièrement en Asie, Amérique Latine, Russie, et pays pétroliers) ont accumulé des réserves de change conséquentes; cette accumulation, en amplifiant les déséquilibres extérieurs et en sous-évaluant les devises des pays en développement, est aujourd’hui l’une des sources potentielles importante de crise financière.

Dans ces conditions, le FMI devrait s’orienter dans deux directions. Premièrement, modifier sa politique de dépendance vis à vis des prêts. Une part importante de son activité est en effet financée en empruntant des capitaux à taux réduit (car il dispose de la signature de ses pays membres) pour prêter à des gouvernements avec une petite marge. Pour ces gouvernements, c’est avantageux (les taux qui leurs sont demandés sur les marchés sont supérieurs) et pour le FMI, c’est une source de financement. Le problème, c’est que cela pousse le FMI à prêter même lorsque ce n’est pas nécessaire, alors que les marchés de capitaux sont disponibles. Cette capacité de prêt pousse aussi les gouvernements des pays dirigeant le FMI à demander à celui-ci d’assurer des prêts pour des raisons plus géopolitiques qu’économiques. Le FMI devrait également jouer un rôle vis à vis des questions de parités monétaires, d’accumulation de réserves, de politiques des banques centrales. Mais pour cela, il faut qu’il gagne sa légimité non pas en disposant de fonds en cas de malheur, mais en cessant d’apparaître vis à vis des pays émergents comme l’agent des pays riches. Ce qui impose un rééquilibrage des votes et pose la question de la procédure de désignation du président de l’organisation.

Jusqu’à présent, c’était l’Europe qui choisissait le président avec la bénédiction des USA (ceux-ci ayant en contrepartie la désignation du président de la Banque Mondiale). Or ce processus est particulièrement critiqué et en est venu à symboliser ce qui ne fonctionne pas dans ces institutions internationales. Les Européens ne veulent renoncer ni à ce droit de désignation, et surtout, ne veulent pas modifier la répartition des votes, craignant d’être marginalisés. C’est le premier problème de DSK, qui n’est pas lié à sa personne mais au processus de désignation. Il apparaît comme le candidat désigné par l’Europe comme d’habitude, choisi par fiat par quelques politiques pour des raisons de cuisine interne et de prestige.

Mais il y a aussi des problèmes posés par DSK lui-même. Peut-être pour rectifier l’image négative que ce processus de désignation lui donne, il s’est lancé dans une campagne de séduction des pays émergents et en développement, déclarant que son objectif pour le fonds était de “réduire les écarts de richesse dans le monde”. Sauf que cette mission n’est pas celle du FMI, mais de la Banque Mondiale. Cela donne la fâcheuse impression que Strauss-Kahn ne sait pas ce qu’il a à faire et n’est pas compétent pour le poste.

Le fait que DSK soit un politique français pose également question. L’un des problèmes du FMI vient de ce que ses deux précédents dirigeants sont partis en cours de mandat, ce qui est une très mauvaise chose – cela interrompt les activités en cours, oblige à repartir à zéro, etc. H. Kohler est parti lorsqu’on lui a proposé la présidence allemande; R. Rato est parti pour “raisons personnelles”. DSK risque de diriger le FMI en gardant en permanence un oeil ou deux sur la situation politique française, afin de revenir inopinément comme recours, nanti d’une toute fraîche légitimité internationale. Dans une situation ou le FMI risque d’entrer en hibernation et de devenir inutile, sauf à avoir un président inattaquable et légitime, et à se réformer considérablement, un politique européen (quand l’Europe bloque les évolutions) potentiellement interessé par un retour à son destin national n’est pas franchement une bonne idée.

Alexandre Delaigue

Pour en savoir plus sur moi, cliquez ici.

5 Commentaires

  1. Excellente synthèse des problèmes posés par la candidature de DSK ainsi que du contexte dans lequel prend place la candidature proposée par la France (équilibre au sein du conseil d’administration du FMI et politiques passées du FMI).
    Sa nomination risque de prolonger la perte de crédit de l’institution alors même que, comme vous l’avez précisé, la pondération des voix au sein de l’instance semble le désigner quasiment mécaniquement.
    Effectivement, DSK est un nouveau candidat français pour l’institution (mais socio-démocrate après un démocrate chrétien dont on entend d’ailleurs plus beaucoup parler depuis son rapport de 2004 et son débauchage récent par Jacques C.) n’est pas le meilleur économiste de France, ni certainement le plus compétent sur la scène internationale. Ses travaux passés n’attestent pas une expertise sur les politiques de stabilité économique internationale et sur la résolution des crises financières.
    Le FT, comme vous l’indiquez, considère que son slogan est erronné, mais on ne peut pas fondamentalement incriminer les propos de DSK : si effectivement la stabilité financière internationale est censée être un coeur de l’action du FMI, il joue également un rôle dans les relations entre pays riches et pays pauvres et la réduction de la pauvreté au travers de nombreux instruments dont l’allègement de la dette des pays pauvres est le plus emblématique et on sait que le sujet de l’architecture financière internationale est ancien (il date au moins de la crise asiatique, voire mexicaine de 1994, sinon de la fin du mandat de Camdessus), a fait l’objet de moultes propositions (dont un fameux rapport d’un sénateur américain Meltzer), sans véritablement déboucher sur quoi que ce soit.
    Et effectivement le candidat tchèque avec son expérience de banquier central et de premier ministre constitue un atout afin de réorienter les missions du FMI.
    Mais on parle de légitimité. Or quelle est la légitimité dans cette organisation internationale ? C’est celle de ses contributeurs, tant que les règles n’ont pas été modifiées.
    Toutefois est-ce en braquant les principaux contributeurs, l’UE et les Etats-Unis, en l’occurence, qu’on peut parvenir à réformer l’institution ? Non c’est précisément en faisant pression sur eux. Et seuls les candidats des plus principaux contributeurs sont susceptibles de faire évoluer les choses. L’exemple de l’OMC est éclairant. Supachai Panitchpakdi, son DG de 2000 à 2005 était thailandais. Il a fait bien avancer les négociations après l’échec de Seattle, mais quand le pouvoir de blocage est entre les mains des grands, les représentants des pays émergents n’y peuvent pas grand chose.
    C’est là où l’initiative russe est à la fois très bonne (le candidat est formellement européen) et risquée : elle n’a semble-t-il pas été proposée de manière coordonnée avec l’Europe et de plus symbolise bien la faiblesse russe, son action fondée uniquement sur des politiques de brusquerie et de nuisance sur le plan international. Et l’Europe et les Etats-Unis sont-ils prêts à accepter que Poutine se gosse de sa réussite, le cas échéant ?

  2. Le fait que les pays qui sont passés par un ajustement forcé par le FMI veuillent prendre les mesures pour que cela ne se reproduise plus n’est il pas à considérer comme une bonne nouvelle?
    Et pourquoi intégrer les pays pétroliers dans la liste?

  3. "Le FMI devrait également jouer un rôle vis à vis des questions de parités
    monétaires, d’accumulation de réserves, de politiques des banques centrales.
    Mais pour cela, il faut qu’il gagne sa légimité non pas en disposant de fonds
    en cas de malheur […]"

    Et il faudrait également une réforme de la Banque des Règlements
    Internationaux, qui gère une partie de ces questions (politique des banques
    centrales notamment).

    Merci pour cette synthèse.

  4. C’est amusant pour le FT, parce que comme par hasard, une semaine après il change d’avis ce bon vieux journal…
    Selon Le Figaro du jour:

    "« STRAUSS-KAHN est la juste alliance de l’intelligence et de l’expérience », titrait hier le Financial Times dans ses pages opinions. Une contribution de deux économistes (Richard Portes, de la London Business School, et Daniel Cohen, de l’École normale supérieure), que le quotidien londonien publie une semaine après un article particulièrement violent dans lequel l’ancien ministre français était qualifié de « mauvais candidat choisi de la mauvaise façon ».

    Le ton a diamétralement changé en quelques jours dans le très influent journal financier. « L’article de la semaine dernière avait l’intention de nuire, il n’était pas écrit par les journalistes qui suivent le FMI et a suscité de vifs débats au sein de la rédaction du Financial Times », révèle un proche du dossier. "

    Alors, bon ou mauvais candidat ?

    Cette lettre précise que DSK a des compétences en économie, et qu’il a été un bon ministre. Toutes choses qui ne changent rien aux handicaps de DSK, qui sont la procédure de sa nomination, sa position de politique en France qui risque de ne pas finir son mandat ou de ne pas le prendre assez au sérieux. Au passage, j’ai découvert ce blog de promotion de sa candidature, qui reprend tous les articles positifs, mais aucun négatif 😉

  5. j’avoue ne pas comprendre. On critique le FMI pour avoir agi de façon trop
    financière et pas assez économique et on veut pousser la candidature d’un
    financier (un banquier central) en lieu et place de celle d’un ministre de
    l’economie (DSK).
    Tout ça sent l’attaque d’arrière garde de libéraux qui etaient bien contents de la
    politique de rigueur du fmi, par pure ideologie

Commentaires fermés.