Si avisée que cela?

Dans sa chronique hebdomadaire des Echos d’aujourd’hui, Paul Fabra nous explique que les banques espagnoles, malgré le plus gros boom immobilier d’Europe, ne sont, contrairement à ce que croyaient "nos économistes", pas tellement exposées au credit crunch consécutif aux crises immobilières. La raison? un appareil bancaire, la banque centrale en tête, qui ne s’est pas laissée intimider par les "innovations" de la finance dite moderne, mais qui a continué à se fier à l’expérience directe du capitalisme qui en est à maints égards l’antithèse.

S’ensuit un développement typiquement Fabra-esque  : obscur, ne laissant pas de place au doute, et reprenant les diverses obsessions de l’auteur sur le capitalisme, qui n’est plus ce qu’il était, c’était mieux avant. Les banques espagnoles pratiquent la titrisation, mais ont su conserver leur métier traditionnel de banquier. Elles sont des entreprises familiales, et la sage banque centrale espagnole les oblige à passer des provisions contra-cycliques. Leurs dirigeants, comme le "commerçant pakistanais", ont l’entreprise dans le sang et ne se laissent pas abuser par les tours de passe-passe de la finance mathématisée.

Contrairement aux banques françaises, à commencer par la Société Générale, qui a "joué l’argent de ses clients au casino sans le leur dire". Et de nous expliquer ensuite que si elle avait eu la sagesse de "l’expérience directe" du capitalisme, elle aurait prévenu l’Etat français avant de déboucler la position Kerviel, ainsi que les marchés. A la base, je ne vois pas trop quelle" sagesse" il y aurait eu, de la part de la Société Générale, à prévenir à l’avance ses concurrents qu’elle était en difficulté, qu’elle allait liquider une énorme position perdante : ce genre d’attitude aurait surtout ressemblé à un suicide.

Mais surtout, je me demande si la résistance actuelle des banques espagnoles vient vraiment de ce qu’elles sont dirigées par d’austères catalans qui ont le capitalisme dans le sang, ou de raisons plus prosaïques. Comme par exemple le fait qu’elles continuent de faire de la titrisation, de transformer des crédits immobiliers en AAA pour les revendre (63 milliards d’euros d’émissions depuis juillet); mais qu’elles ont réussi à trouver un acheteur, en l’occurence, la Banque Centrale Européenne, qui rappelons-le, accepte des titres AAA pour refinancer les établissements de crédit (et pas seulement des titres de dette publique). Sauf qu’évidemment, on commence à savoir que l’AAA du moment n’est pas si sûr que cela… Et que certains accusent la banque centrale espagnole (elle a démenti) d’avoir discrètement encouragé les banques nationales à utiliser la fenêtre de financement de la BCE pour éviter de se trouver dans la même situation qu’un Northern Rock.

Alors, je ne sais pas quelle est la validité exacte de cette histoire de sauvetage de fait des banques espagnoles par la BCE. Un article du Telegraph, c’est un peu juste. Mais ce n’est pas la première fois que je lis des choses sur ce sujet (JCK, si vous passez dans le coin…). Et je suppose qu’un observateur comme Fabra, qui contrairement à moi n’a que cela à faire, aurait certainement dû en entendre parler. Et qu’avant de nous débiter des lieux communs sur le banquier espagnol qui, quoique rugueux, sait toujours rester capitaliste, le moins aurait été d’aller vérifier cette histoire, ou d’en parler dans son article, quitte à minorer cet aspect des choses. Qu’il ne le fasse pas, et livre une conclusion franchement surréaliste sur ce qu’aurait dû faire la Société Générale, n’est pas franchement pour me rassurer sur la pertinence de son analyse, et, ce qui est beaucoup plus important, sur la sécurité réelle des banques espagnoles.

Alexandre Delaigue

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6 Commentaires

  1. Alexandre:
    Il est bien connu dans le marche que les banques espagnoles sont abonnees a la pompe a fric de la BCE, et ce depuis aout 2007. La quasi totalite des titrisations espagnoles est financee par la BCE.
    D’apres le FT de demain:
    "Spanish institutions have become important users of the short-term liquidity provided by the European Central Bank, driving their share of total borrowing from 5 per cent before the crisis to 10 per cent now."
    "Spanish expertise in securitising mortgage portfolios has proved useful here, as these bonds are still being created, but held on balance sheets and pledged as collateral with the ECB. Santander and BBVA say they have built a war chest of about €90bn ($132bn) in loan-backed securities to use as collateral with the central bank or place when wholesale financing conditions improve. In any case, they don’t expect to use them in the immediate future."
    Pas de subprime US, mais le [sub]prime espagnol ca ne vaut guere mieux amha.
    http://www.ft.com/cms/s/0/1f9d6f...

    Réponse de Alexandre Delaigue
    C’est bien ce qu’il me semblait. Merci pour l’article, et la réponse rapide 🙂

  2. Je n’ai aucune sympathie pour Paul Fabra (et ce, depuis le début des années 80, où j’ai commencé à le lire dans Le Monde), mais je vous trouve un peu sévère. Evidemment, ses dégagements sur le banquier ibère et son esprit du capitalisme n’apportent pas grand chose, et vous avez raison de souligner le rôle de la BCE dans le refinancement des banques espagnoles. Mais l’idée du provisionnement contracyclique me semble intéressante, et Fabra en parle.
    Complément bibliographique :
    economic-research.bnppari…

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Merci pour le lien, très intéressant. Ce qui me chiffonne dans l’article de Fabra, c’est l’absence de référence au refinancement par la BCE; il l’aurait évoqué pour dire que c’est secondaire, ok : mais ne pas du tout en parler, c’est quand même passer à côté d’une dimension très importante du sujet. Difficile d’évaluer la part du provisionnement contracyclique dans l’absence (pour l’instant) de problèmes quand on a la BCE qui joue les market makers sur les produits de titrisation…

  3. J’avais cru entendre — je crois que c’est Aglietta sur Culture — que la BC espagnole avait contraint les banques à provisionner les produits titrisés, de telle façon qu’elles soient mieux tenues par les normes prudentielles.

    Mais je suis preneur de toute information supplémentaire.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Le problème, c’est que si les provisions dépendent de la bonne volonté de la BCE à acheter des produits titrisés, ce n’est pas très durable.

  4. "Le scandale du trader véreux de la Société Générale a causé plus de problèmes que n’importe lequel des principaux acteurs concernés aurait pu l’imaginer. "…

    …mais indirectement évoque des questions essentielles qui, un jour ou l’autre et de toute façon…, auraient dû être posées…

  5. Pas de subprime US, mais le [sub]prime espagnol ça ne vaut guère mieux " en effet certaines banques espagnoles prêtaient jusqu’à 110 à 120% du prix du bien immobilier et sur 30 ans… sous prétexte qu’elles étaient couvertes par le fait qu’avec une réévaluation des biens de 15% par an, si l’emprunteur payait ses traites pendant plus d’un an elles étaient couvertes. Mais il commence à y avoir pas mal de cas où au bout de 1 an le bien a perdu plus de 15%, et pour lequel l’emprunteur est défaillant. Qui plus est un certain nombre de particuliers se sont mis à spéculer avec l’immobilier en achetant plusieurs biens financés à 100% en espérant les revendre quelques années après avec des taux de rendement imbattables. Un certain nombre de banques espagnoles ont pas mal de casseroles de ce type dans leur compte.
    A suivre

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