Lassante est la polémique sur les enseignements en SES. Je pense que c’est la dernière fois que je réagis sur ce thème (oui, je n’y crois pas moi-même). C’est à Hélène Rey que je dois cette décision, qui perd son temps à écrire une nième tribune sur le sujet. Certes, elle participe au projet canal éducatif. Mais bon…
Ce qu’elle raconte sur les enseignements est connu, archi-connu, discuté, approuvé ou critiqué. Je ne reviens donc pas sur le sujet. Au milieu de l’article, je trouve ceci, qui me trouble : "De même, on déplore souvent que les Français créent peu d’entreprises par rapport aux autres pays développés. Une présentation plus pragmatique et informative du rôle de l’entreprise dans la société pourrait peut-être contribuer à susciter plus de vocations entrepreneuriales chez les étudiants.". Rey fait bien, à mon sens, de mettre un "peut-être". C’est tout de même étonnant de limiter de facto à l’image de l’entreprise le nombre de vocations entrepreneuriales. Ce qu’on entend usuellement sur le sujet porte plutôt sur les difficultés administrative et les incertitudes économiques à créer une entreprise. Des facteurs institutionnels probablement plus prégnants.
Ce débat sur l’enseignement de l’économie ne serait-il pas engagé sur de mauvaises bases ?
(article des échos lu via Olivier et Gizmo)
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La question à se poser à mon avis serait plutôt de savoir comment les économistes enseignants se représentent eux-mêmes le rôle dans l’économie du choix (individuel), de l’initiative (individuelle) et de la liberté (individuelle).
En 1878, la réforme de l’université avait donné lieu à la création d’une chaire d’économie politique dans chaque faculté de droit. Depuis Jean-Baptiste Say, l’ancienne et très prestigieuse chaire du Collège de France n’avait été occupée que par des libéraux partisans d’un Etat minimal. Les titulaires des nouvelles chaires prirent la direction inverse, comme par exemple Charles Gide (oncle de l’écrivain).
Les débats actuels autour de l’enseignement de l’économie dans le secondaire, à l’université ou même dans la population en général (T.Breton) me rappellent ces anciennes querelles. L’université est trop soixante-huitarde, disent les uns. On veut en faire un instrument au service du capitalisme, répondent les autres. La matière économie est comme un paratonnerre qui concentre sur lui la tension ambiante.
Mais les opposants sont tous d’accord sur un point : pour voir leurs idées triompher, ils font de l’enseignement public un enjeu de lutte politique. Donc oui, le débat est parti sur de très mauvaises bases.
Oui, il s’est engagé sur la mauvaise fois de trois façons :
– Une confusion sur le terme "économie" qui désigne d’un côté une discipline scientifique, de l’autre un type d’activité particulier (entrepreunariale, productif, etc.).
– Une confusion sur le terme "social" qui désigne d’un côté un ensemble de disciplines scientifiques (les sciences sociales, qui étudient la société ou le social en tant qu’interactions entre des individus), de l’autre au mieux un problème politique (la "question sociale") au pire un positionnement politique (à gauche, comme dans "socialisme").
– Une demande assez contradictoire d’un groupuscule d’entrepreneurs adeptes de l’initiative individuelle à une action étatique – avec le bon vieux poncif de "l’école pour régler tous les problèmes de la société" – plutôt que d’agir eux mêmes.
– Un énorme lieu commun : "les français n’aiment pas l’entreprise, n’aiment pas le travail, etc." dont la démonstration fait toujours défaut.
Au final, je suis bien d’accord, c’est terriblement lassant. Je prendrais bien moi aussi l’engagement de ne plus rien écrire là-dessus, mais je ne pense pas être beaucoup plus crédible. Au contraire.
"les Français créent peu d’entreprises par rapport aux autres pays développés."
C’est moi, ou c’est une énormité? J’ai toujours lu que la France créait plus d’entreprises que la moyenne de ses voisins (mais que ces entreprises ne se développaient pas assez).
Réponse de Stéphane Ménia
Je me suis posé la question aussi. A vérifier. La croissance du nombre de créations est intéressante depuis quelques années. En valeur absolue, no idea. Mais, paradoxalement, est-ce le plus important dans cette histoire ? Pas sûr. Même si ce n’est pas le cas, en créer plus encore serait une bonne chose. C’est le comment qui pose problème.
De mon experience personelle dans une ecole d’ingé en France et une université aux US, l’esprit entrepreneurial est beaucoup plus fort aux USA qu’en France, les opportunités pour creer son bizness plan ou trouver du financement sont innombrables. Mais en meme temps, ma page d’accueil est Netvibes, startup francaise créée par des etudiants de Supelec.
Alors, le fait que les francais ne soient pas aussi entrepreneurs que les américains, certainement, mais qu’il ne faut pas exagerer, et il faut agir sur tous les facteurs à la fois pour améliorer les conditions pour les entrepreneurs en France : familiarisation avec le monde de l’entreprise et de l’entreprenariat dans l’éducation, moins de contraintes administratives pour la création d’entreprise, plus de facilité de financement de la part des banques…
Réponse de Stéphane Ménia
Oui. Pensez vous que cette différence d’attitude est liée significativement aux enseignements en économie ?
EL : si j’en juge par le bouquin de G. Duval que je suis en train de lire, la caractéristique française c’est qu’il y a plus d’entreprises que dans les pays voisins – mais il ne précise rien sur les créations. Les deux ne sont peut-être pas incompatibles, mais la conclusion est différente : peut-être que ce qu’il faudrait en France, c’est plus de destructions d’entreprises.
En fait tout dépend de la façon de comptabiliser les entreprises, selon qu’elles sont individuelles ou non. Le statut d’indépendant n’est pas le même partout.
Juste pour savoir: le message que j’ai envoyé avant, avec un lien dedans vers un rapport, vous ne l’avez pas eu, ou vous ne mettez pas les messages avec des liens, ou encore le lien ne vous a pas paru pertinent?
Réponse de Stéphane Ménia
Ca ne me dit rien du tout…
FC: Dans cette logique, il faudrait aussi prendre en compte les créations d’associations, l’implication individuelle dans les activités non-marchandes (associatif, etc.), la participation aux innombrables gestions paritaires (cantines, etc.), conseils d’administration en économie mixte (collèges, lycées, centres d’accueil, etc.), "l’économie grise", etc.
@Passant: ce n’est pas ce que je voulais dire, je parlais d’un problème statistique; les chiffres que j’ai pu lire distinguent, pour la France par exemple, les "entreprises individuelles" et les "entreprises sans salariés" (la première catégorie englobant la seconde); sachant qu’on peut être patron de son entreprise ou gérant-salarié.
Pour l’Angleterre, par exemple cette distinction n’existe pas; du coup, je ne sais pas bien comment comparer les chiffres; je ne sais pas si le statut de gérant salarié n’y existe pas, ou si les chiffres sont moins précis.
@SM: un commentaire d’hier soir, ou de ce matin tôt, je ne sais plus. J’ai dû y écrire quelque chose d’antispamosensible. Je renvoyais au rapport Hurel de 2002 au Premier Ministre sur "le développement de l’initiative économique et de la création d’entreprise". Il y a des chiffres dans les annexes, sur le nombre d’entreprises et de créations d’entreprises dans quelques pays d’Europe.
Réponse de Stéphane Ménia
Je confirme : pas eu ce commentaire.
Je confirme les doutes de EL : la création d’entreprises n’est pas particulièrement faible en France. On a le plus grand mal à trouver des données comparables, les normes de l’INSEE n’étant conformes avec celles d’Eurostat que depuis peu. A cette réserve près, en 2003, le taux de création d’entreprise était supérieur en France à la moyenne européenne : 11.7% contre 9.2%. Parmi les pays de taille comparable, la France n’était dépassée que le Royaume Uni, avec un taux de 13.2 %. Le taux de création américain semble être comparable à celui de la France, et plus faible que celui au Royaume-Uni, mais je n’ai pas trouvé de source fiable sur ce point. Le taux de survie des entreprises à 5 ans est également légèrement supérieur en France (d’un point). Par ailleurs, le taux de création augmente en France depuis 2002. Bref : soit H. Rey ne sait pas ce qu’elle dit, soit elle le sait, et ment. Mais de toute façon, ce débat s’est engagé sur des stéréotypes, et ceux qui le mènent ne se soucient guère de la véracité de leur propos.
Avez-vous lu l’article récents des directeurs de collection sur ce sujet, dans le Figaro ? (http://www.lefigaro.fr/debats/20...
@SM : je pense que oui, significativement. Mais pas seulement. L’environnement pro-entrepreneur, le desir partage par beaucoup d’etudiants de fonder leur entreprise, on peut l’expliquer par l’enseignement de l’economie (et pas qu’en cours d’economie…), ou la "mentalite francaise", et assez probablement les deux sont lies. Par exemple, on peut comparer le grand nombre de cours qui demande comme projet final d’imaginer un produit ou un business-plan innovant aux USA a ce qui se passe en France…