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Bonne année à tous.

La rentrée, c’est le job market et la réunion annuelle de l’American Economic Association. Etienne Wasmer décrit le job market; les sujets de la réunion de l’AEA sont lisibles ici. La nouveauté de l’année : il y a désormais deux fois plus de chances de décrocher la John Bates Clark medal, qui sera désormais décernée tous les ans.

The Economist désigne 8 jeunes économistes parmi les plus brillants de la génération montante. On peut remarquer deux choses. Premièrement, la liste comprend deux français (Esther Duflo et Xavier Gabaix) ce qui est remarquable, et traduit l’intégration de la nouvelle génération française au plus haut niveau. Deuxièmement, la liste comprend assez peu de théoriciens et majoritairement des empiristes. Cela traduit le fait, pour reprendre T. Cowen, qu’en matière économique, pour l’instant, le jeu théorique est terminé : la recherche consiste maintenant à trouver des données inédites et les exploiter de façon intelligente. Autre pièce au dossier, les thèses récemment soutenues par deux des membres d’ecopublix.

On peut être par contre plus sévère vis à vis de la façon dont, en 2005, a été reçu le papier prophétique de Ragu Rajan lors de la conférence de Jackson hole en 2005. Si vous cherchez de la prescience sur la crise financière, elle est dans ce document, beaucoup plus que chez ceux qui s’inquiétaient de la bulle immobilière ou des problèmes de l’endettement international. Rajan avait parfaitement identifié les risques posés par la titrisation et les incitations des banquiers. Les réactions que son papier avait suscité à l’époque sont d’une condescendance proprement invraisemblable; La façon dont Rajan, pourtant l’un des plus grands spécialistes de la finance, auteur d’un livre montrant comment la déréglementation financière est un facteur décisif de la croissance économique, se voit reprocher de ne pas être un taliban du laisser-faire par au hasard un Summers est proprement affligeante. Comme l’indique Krugman, seul Alan Blinder s’en sort honorablement.

Alexandre Delaigue

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20 Commentaires

  1. Remarquez néanmoins que Hyun Song Shin, un des meilleurs commentateurs actuels de la crise (voire tous ses articles récents avec Tobias Adrian) est très favorable au papier de Rajan.

  2. Bonne année également.

    R.Rajan oppose le financement bancaire (intermédié) des années 50 et les fonds d’investissement ("désintermédiés") des années 80. Il dit que la concurrence très vive entre fonds est source de comportement pervers. La recherche du rendement incite les gestionnaires de fonds à prendre plus de risque, au détriment de leurs clients, et à se comporter de façon plus moutonnière, entraînant des effets procycliques. Si c’est le "prix à payer" pour avoir un système financier dynamique – dont il se fait l’avocat – il convient toutefois d’y prendre garde.

    Dans cette vision des choses, les clients des fonds semblent privés de discernement. Ils sont attirés par les fonds les plus rentables comme des papillons par une lumière. Mais si les clients ne souhaitent pas prendre tellement de risques, comment expliquer qu’ils souscrivent à des fonds opaques? Alors que la concurrence entre fonds devrait inciter les meilleurs gestionnaires à se différencier, pourquoi adoptent-ils un comportement moutonnier? Tout ça ne vous étonne pas?

    Evidemment j’ai bien une explication (toujours la même) : en période d’expansion monétaire il est rationnel de prendre plus de risques, d’augmenter son effet de levier, et d’essayer de chevaucher la vague. Les intérêts des investisseurs et des gestionnaires de fonds sont donc alignés lorsqu’ils fond ensemble ce pari.

    En termes simples, lorsque le vol par la création monétaire est légal, les serruriers de la finance travaillent à la fois pour protéger les propriétaires et pour cambrioler le voisin.

  3. Le plus frappant est effectivement de constater avec quelle efficacité la communauté scientifique dans son ensemble a su ignorer la publication la plus brillante.

    Alors même que celle-ci évoquait ni plus ni moins que la survie de l’objet d’étude et l’unique motivation de l’existence de cette communauté scientifique.

    Heureusement, au fond, peu de gens en seront surpris.

  4. je compte trois français (Marc Melitz) mais pas un seul exerçant à temps plein en France…

  5. (Très décidément naïf)
    Le fait que ce qui a le vent en poupe c’est l’empirisme sur la théorie indique-t-il l’absence de tout critère politique/philosophique/moral/autre de la pensée économique ? L’empirisme comme donnée d’efficacité ?

  6. Le jeu théorique est terminé ? Du point de vue des empiristes sans doute. En attendant je doute qu’on arrive à comprendre la crise financière en faisant des diffs de diffs.

  7. @qqq: Marc Melitz est le fils de Jacque Melitz, que je crois bien français… peut être a-t-il la double nationalité ?

    Sur théorie vs. empirisme. Il me semble que les choses sont un peu plus compliquées. On aurait pu mettre E. Fahri (co-auteut de Gabaix) ou T. Strawlecky (star du job market l’année dernière) tout deux à Harvard et tout deux théoriciens dans la liste. Mais leurs travaux sont plus complexes à expliquer même à un public averti comme celui de The Economist.
    Ceci dit, il devient de plus en plus compliqué de faire de la théorie sans se soucier du tout des données (au moins expérimentales…)

  8. John Stuart Mill (qui n’était pas n’importe qui…) a écrit en 1848 dans ses Principles "There is nothing in the laws of value which remains for the present or any future writer to clear up; the theory of the subject is complete".

    Si Mill a pu écrire une pareille connerie, alors pourquoi pas Tyler Cowen ?

  9. je viens de lire le papier et les commentaires. Ya sans doute quelque chose qui m’échappe, mais je n’y vois aucune "condescendance", et encore moins "invraisemblable", rien qu’un sain débat dans la meilleure tradition universitaire. L’avis de Krugman signifie seulement que la position de Blinder est plus proche de la sienne (de Krugman) que les autres. A part ça, les autres s’en sortent tout aussi bien

    Réponse de Alexandre Delaigue
    C’est un monde feutré. mais quand Summers vous dit que votre papier est “misguided” ou que le vice-président de la fed dit que pour les banques centrales, faire en sorte de limiter la prise de risque des banques irait à l’encontre d’une tradition d’excellence” c’est synonyme de “va jouer, gamin”. Surtout le ton des critiques traduit un degré de certitudes et de confiance aveugle envers le génie Greenspanien qui traduit bien la zeitgeist de l’époque.

  10. Bonne année à vous et ça commence bien…Les problèmes c’est que les donneurs de leçon sont humains avant tout. Et c’est difficile de tirer à boulet rouge sur Summers étant donné son passé époustouflant…

    Le prix c’est génial…

  11. @frenchy: Marc->Jacques: ah oui je me demandais. en tt cas s’il est francais c’est de tres loin (ie il n’a pas du bcp y mettre les pieds les 20 dernieres annees)

    par ailleurs, Fahri et Strazelski sont qd meme jeunes. il faut meme attendre et voir s’ils developpent un "theme". Les stars du job market, il y en a tous les ans…

    NB – Farhi a fait de la recherche tres proche de Werning (qui est sur la liste) et qui est un pur theoricien.

    Disons que moi, si on me demande les grands macroeconomistes aujourd’hui, je reponds Per Krusell, Pat Kehoe, Andy Atkeson, Kocherlakota, Fernando Alvarez, Rob Shimer, John Cochrane… toutes personnes qui n’ont jamais ete sur la liste de The Economist…

  12. @Alexandre:
    pas convaincu… J’ai lu et vu des débats autrement plus sévères sans que personne s’en formalise.
    Ici, je crois que ce qui me choque (un peu, faut quand même pas pousser), c’est votre révérence implicite envers Krugman.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Ce n’est pas le cas : j’ai lu ces débats sur le blog du WSJ avant que Krugman n’en parle. Et mes a priori me pousseraient plus facilement vers Summers que vers Blinder. C’est peut-être cela qui explique mon jugement : je suis désagréablement surpris par le premier, et agréablement par le second lors de cette discussion.

  13. @Elvin :
    Très sincèrement, le "misguided" de Summers fait mal. Comme le dit AD, dans ce genre de contexte académique, il faut lire entre les lignes. Evidemment, il exige quelques exceptions marquantes à la politesse de façade dans le monde académique. Par exemple Rothbard 😉 De plus, il ne faut pas se laisser abuser par les "very stimulating paper" ou "very profound work" qui marque le début de chaque intervention. Généralement, quand ça commence comme ça, c’est que ça va "mal" finir !

  14. Meilleurs vœux à vous également.

    Sur théorie vs. empirisme, je crois que c’est un peu vite dit. Remarquez, étant donné que je développe une théorie et que j’estime indispensable investir dans la réflexion théorique en économie, mon jugement est forcément partisan.

  15. @Elvin: c’est pas une histore de chochotterie, c’est juste que le langage utilise est un peu particulier. Si je fais un papier, et qu’un reviewer "de classe mondiale" (je dis ca, je connais rien a l’economie, mais vu que je connais la moitie des noms, je pense que ce sont pas des petits joueurs:) ) utilise ce type de langage, c’est vraiment l’equivalent du "t’es vraiment un rigolo, t’as de la chance qu’on ait perdu du temps a te lire". Il peut y avoir pire comme review – mais rarement quand elles sont publiques commen ca, je pense.

  16. moi qui n’ai abordé que tard le monde universitaire et suis plus habitué aux moeurs des entreprises, il me semble qu’une thèse sérieusement réfléchie et argumentée ne doit pas craindre d’être critiquée même en termes un peu vifs, ou alors c’est qu’elle n’est pas très solide.
    On peut faire comme au rugby : se foutre copieusement sur la gueule sur le terrain et aller ensuite picoler ensemble en se tapant sur le ventre et en chantant des chansons paillardes.
    Maintenant d’accord : tout ça n’est qu’une question de conventions.

  17. J’avoue ne pas comprendre le saut effectué entre le billet de T. Cowen (qui parle des raffinements de la théorie de l’agent rationnel à coups de mécanismes complexes d’apprentissage o d’hypothèse ad hoc pour faire « plus réaliste ») et ce qui est dit ici sur la fin du jeu théorique. Cowen parle d’une branche très particulière de la théorie.

    En voyant ce qui se fait dans mon couloir (théorie des enchères ou des marchés bifaces) ou à Toulouse, j’ai l’impression que la théorie se porte assez bien. Elle est certes moins sous le feu des projecteurs que les expériences randomisées (suivez mon regard), mais cela ne l’empêche pas d’être scientifiquement active, et appliquée à des question ont les enjeux ne sont pas négligeable (voir le Milgorm *Putting Auction Theory to Work*).

    Même dans la branche dont parle Cowen, il me semble que les papiers que ce qu’il décrit ne recouvre que les plus mauvais papiers que je vois passer en séminaire (car c’est vrai qu’il existe des gens pour s’extasier devant un raffinement d’équilibre sans signification économique). Les bons papiers, eux, mettent en évidence et expliquent des failles surprenantes dans les comportements face à des choix en apparence simples.

    Bref, je reste peu convaincu par l’idée que l’avenir serait aux seuls number-crunchers et autres astucieux Sherlock Holmes de l’expérience naturelle. C’est certes un champ qui bénéficie d’un quasi free lunch technique (plus de données et plus de puissance de calcul pour les exploiter), mais qui n’épuise pas, loin s’en faut, le travail à faire en économie.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    La discussion se poursuit sur rationalité limitée 🙂

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