Dernier volet de mes remarques sur l’enseignement secondaire. Je présente ici quelques éléments nécessaires pour comprendre les difficultés rencontrées pour faire bosser les profs correctement et savoir s’ils font leur boulot comme il faut.
L’enseignement comme relation d’agence
Les économistes qui se penchent sur le travail de l’enseignant assimilent la question à une relation d’agence. L’enseignant (l’agent) a une mission confiée par la société (le principal) incarnée par une hiérarchie. Or, dans cette relation, l’intérêt de l’agent va en partie à l’encontre de celui du principal. Le principal voudrait que l’agent fournisse l’effort le plus important, ce qui est coûteux pour celui-ci. De plus, contrôler l’effort fourni est complexe et coûteux, le lien entre celui-ci et les résultats étant difficile à établir pour différentes raisons sur lesquelles on reviendra. Toute la question pour le principal consiste donc à établir des mécanismes d’incitation et de contrôle pour que l’agent voit son intérêt converger vers celui du principal.
Comment mesurer la performance ?
Mesurer la performance d’un enseignant pas simple. Une façon d’évaluer l’enseignant est de s’en remettre à la subjectivité d’un supérieur. Si l’on pensera très rapidement aux risques de manipulation, dans un sens ou dans l’autre de la performance effective (arbitraire du supérieur, manoeuvres improductives de l’enseignant pour s’attirer des faveurs), on ne doit pas occulter un aspect positif de cette méthode, à savoir sa capacité à donner une évaluation globale de l’enseignant, dont l’activité est caractérisée par un ensemble de tâches différentes, dont chacune est supposée concourir à sa performance (enseigner, évaluer, coordonner, transmettre une culture, un savoir être, etc.).
A l’opposé de cette façon de concevoir l’évaluation, une façon de faire semble naturelle : évaluer les résultats des élèves aux tests. Cette méthode a le mérite de la simplicité et une légitimité certaine. Pourtant, elle suppose que les tests soient de bons indicateurs de la qualification acquise par les élèves au contact de l’enseignant.
En premier lieu, comment distinguer chez un individu ce qui relève de sa formation et de ses caractéristiques individuelles ? C’est une question majeure pour évaluer le rendement de l’éducation sur le marché du travail. Cela reste vrai quand il s’agit de raisonner au stade précédent, à savoir la réussite à un examen ou le passage dans une classe supérieure. Il ne fait ainsi mystère pour personne que les taux de réussite des établissements prestigieux relèvent largement de la qualité intrinsèque des individus qui les fréquentent. De façon générale, un paradoxe souvent occulté est qu’en définitive, un enseignant est très important pour un élève et… presque inutile.
Même en éliminant ce biais et en se concentrant sur un établissement moyen, comment prétendre distinguer la performance d’un enseignant qui fait partie d’une équipe pédagogique pouvant compter jusqu’à une petite dizaine d’individus ? En se concentrant sur les résultats dans sa matière ? C’est un indicateur qui peut aider, c’est vrai. Mais on mesurera facilement les limites de cette conception. En premier lieu, dans certaines filières, certaines épreuves regroupent divers enseignements. Distinguer la performance d’un des enseignants est assez tordu, puisqu’il faut pour cela aller chercher dans un sujet les points concernant l’un plus que l’autre. Bon courage… A la limite, lorsque vous héritez d’un élève en classe de terminale, vous devenez comptable non seulement de votre effort durant cette année mais également, en excluant les caractéristiques individuelles, de celui des collègues qui vous ont précédé dans sa scolarité.
En second lieu, le test lui-même ne recoupe pas nécessairement toutes les dimensions du travail de l’enseignant. S’il est vrai que ceux-ci ont parfois tendance à mettre en avant leur rôle de dispensateur de culture, d’éducateur ou de développeur d’un esprit critique, en opposition avec leur rôle de guide à l’examen, nier que les tests ne capturent pas la totalité des attentes en matière d’éducation ne paraît pas scandaleux. Le contexte français actuel occulte largement le rôle global de l’enseignement, en focalisant l’output scolaire sur la possession d’un diplôme synonyme de protection contre le chômage. Pourtant, le temps consacré à la socialisation doit être reconnu à sa juste valeur. Dans un environnement où l’esprit est accaparé par les tests, l’enseignant est incité à se consacrer uniquement aux activités dont le rendement se mesurera directement dans les résultats aux tests. Néanmoins, il ne m’appartient pas de juger si une société doit ou non donner comme objectif à l’école de faire uniquement passer des examens. Pourtant, se focaliser sur les tests peut être négatif en termes de qualifications. En favorisant uniquement la réussite à l’examen, disons le bachotage, outre qu’on réduit au minimum la créativité, on ne développe pas au mieux les capacités de long terme. Le seul effet en sortie d’études est un effet de signal, à opposer à un effet productif. Celui qui passe le test se signale d’une seule façon, sa capacité à passer des tests ; non pas par sa qualification.
Pour revenir sur la question du travail d’équipe, on doit mesurer ce que l’évaluation de la performance au travers des résultats de tests peut impliquer. C’est certainement en matière de tâches non liées aux savoirs transmis que se manifeste le mieux le travail en équipe, sur des questions comme l’ambiance de travail, l’assiduité ou les comportements incivils. Juste une anecdote sur ce point : dans une classe dans laquelle j’enseignais, aucun problème spécifique d’absentéisme n’étaient connus pendant des mois. Du jour au lendemain, de nombreux élèves s’absentaient. Il a fallu un mois pour que nous comprenions que ce comportement était dû à l’attitude d’un collègue qui avait décidé que ses cours étaient optionnels et que n’y venaient que ceux qui le souhaitaient. Du point de vue du collègue, ceux qui ne venaient pas étaient ceux qui n’auraient pas une note correcte à l’examen. Qu’ils viennent ou non, cela ne changeait rien à l’affaire. En les éliminant, il favorisait l’apprentissage de ceux qui venaient. Peut-être inconsciemment (surement, en réalité…), il était dans une optique de test. Si le reste de l’équipe ne s’était pas penché sur le problème, passant du temps à le décrypter, discutant avec les élèves, etc. on n’aurait pas pu restaurer un fonctionnement de classe normal. Une fois les choses mises au clair, la situation s’est à peu près normalisée (et nous avons demandé à ne plus travailler avec le prof en question…). Tout ceci pour dire que le temps passé à fournir un travail d’équipe n’est pas inutile, quel que soit l’angle retenu (tests vs autres rôles possibles de l’école). Dans cette partie du travail, qui a plus tendance à prendre de l’importance que l’inverse, il est quasiment impossible de distinguer l’effort individuel. Ceci a évidemment des conséquences en matières d’incitations.
Incitation, contrôle, rémunération
Le principe d’une rémunération des enseignants basée sur des incitations peut passer par trois modes, qui ont pour but de concilier les objectifs de l’individu avec ceux du système. Le premier consiste à établir une rémunération au mérite, le deuxième – à coupler éventuellement au premier – met en place un système de contrôle des enseignants accru, le dernier repose sur une logique de rémunération à l’ancienneté.
La rémunération au mérite consiste à décréter que certains indicateurs peuvent permettre d’évaluer l’effort et la performance. Elle relève de ce qu’on appelle contrats incitatifs en théorie de l’agence. On a vu que cela pose problème en ce qui concerne la nature des tests retenus. Ils peuvent ne pas capturer la diversité des tâches confiées à un enseignant. Ils peuvent réduire la part du travail en équipe qui touche à des tâches moins valorisées par les tests. La causalité réussite aux tests – effort de l’enseignant peut simplement laisser à désirer quand d’autres facteurs interfèrent. On dispose d’expériences en la matière, notamment aux Etats Unis (dans le cadre du Standard Based Reform). De façon générale, on peut dire que les travaux empiriques n’iduisent pas de conclusions définitives. Le premier élément de ces dispositifs est la publicité des résultats par établissement. Outre que cette publicité est supposée modifier les comportements indépendemment des rémunérations associées aux résultats, on introduit de fait une dimension collective à l’évaluation. Celle-ci est supposée répondre à la critique portant sur le parasitage du travail en équipe. Mais un autre problème est celui de la taille des effectifs : à l’intérieur d’un effectif réduit, loi des grands nombres oblige, les individus ont plus de poids. Des résultats attribuables au hasard peuvent modifier la lecture des résultats alors qu’ils passeraient inaperçus dans un effectif plus vaste. Symétriquement, se pose le problème du passager clandestin dans les équipes pédagogiques. En ce qui concerne l’objection sur les caractéristiques intrinsèques des élèves, le problème peut être partiellement réduit par la mise en place d’indicateurs pondérés, type valeur ajoutée (schématiquement, cela signifie que les scores aux tests sont pondérés par des indicateurs sociaux, de sorte qu’un taux de réussite identique aux tests dans deux établissements où les élèves sont d’origines sociales différentes ne sera pas valorisé de la même façon). Des indicateurs de ce type existent en France. A quoi servent-ils pour les enseignants ? A pas grand chose. Et c’est un euphémisme… Mais ils sont disponibles, si on souhaite les exploiter (sont-ils réellement pertinents ? Je ne sais guère). Quoi qu’il en soit, les insuffisances relevées militent plutôt en faveur de rémunérations indexées sur les performances de plusieurs années, en recherchant une tendance croissante dans les résultats. Toujours dans le domaine du travail en équipe, on s’expose au risque d’un lissage des productivités. Les meilleurs se rapprochent de la moyenne par le bas, alors que les moins bons le font par le haut. L’issue globale, favorable ou défavorable, n’est pas garantie selon la distribution des productivités.
Dans le domaine du contrôle, des études montrent une amélioration significative des résultats scolaires lorsque les parents d’élèves s’impliquent dans la gestion de l’établissement (voir le programme Education with Participation of the Community – EDUCO, au Salvador). Dire que ce système relève du contrôle au sens strict est d’ailleurs très schématique, dans la mesure où le partenariat enseignants-parents est au moins aussi coopératif que coercitif. La difficulté à l’exploiter concerne le degré naturel d’implication des parents d’élèves dans un pays comme la France (ah… ces réunions où l’on rencontre 3 parents sur 30, alors qu’on enseigne la matière la plus lourde…). Mais après tout, peut-être que l’implication des parents est fonction de l’image qu’ils ont de la volonté d’être accueillis dans l’école ! A ce sujet, il est un outil intéressant que la culture française nous interdit au jour d’aujourd’hui, même au lycée. Il s’agit de l’évaluation par les élèves, comme on la pratique dans de nombreux pays, et un peu dans le supérieur en France. A titre personnel, j’estime que les élèves des lycées français ne sont pas capables de faire cela consciencieusement, à ce jour. J’imagine ce que ça pourrait donner avec certaines classes et enseignants. J’en vomis d’avance. En outre, j’ai cru comprendre que cette pratique était du plus mauvais effet sur le comportement d’enseignants qui la pratique dans le secondaire aux Etats Unis. Et même si personne ne me croira, je le regrette ; je trouve cela très intéressant et motivant.
Les deux autres mécanismes de contrôle sont l’évaluation administrative et pédagogique. Il est simple, en principe, de lier la rémunération dans ce cas. Actuellement, les inspections pédagogiques sont les seuls moyens de promotion autre qu’à l’ancienneté. Contrairement à ce que l’on peut penser, la plupart des enseignants aimeraient voir plus souvent leur inspecteur (grosso modo, et cela peut varier selon les disciplines, il se passe 5 ans entre deux inspections…). Par ailleurs, les règles de promotion sont quelque peu opaques : systèmes de péréquation, commissions paritaires, tralala etc. Personnellement, je n’y comprends rien, c’est dire la motivation qu’engendre chez moi ce dispositif. De sorte que même une bonne inspection ne garantit pas une promotion accélérée (ça, je l’ai compris à mes dépens et j’attends vaguement 2009 pour rejouer).
Globalement, en l’état actuel, les inspections sont un outil médiocre de motivation. Et, eu égard aux moyens à développer pour les rendre – réellement – plus fréquentes (les inspecteurs sont globalement débordés, car leur travail ne se résume pas aux visites d’enseignants), rien n’est à espérer de ce côté-là. Du côté administratif, laisser au chef d’établissement une plus grande lattitude dans les promotions est envisageable, mais renvoie aux difficultés mentionnées plus haut au sujet de l’évaluation subjective. Gageons que ce sera, un jour ou l’autre, un axe développé (sans même parler de l’autonomie de recrutement des professeurs).
Reste la question de la rémunération à l’ancienneté. Symbole de toutes les démotivations bureaucratiques, on en oublie parfois souvent presque toujours qu’elle répond à des critères économiques pour certaines activités, dont l’enseignement. Quand une carrière est longue, comme dans l’enseignement, on peut montrer que, compte tenu des caractéristiques du travail longuement évoquées au dessus, on a tout intérêt à conserver le prof pour qu’il améliore ses compétences au cours du temps et à payer le fonctionnaire en dessous de sa productivité en début de carrière et au dessus en fin de carrière. En lissant la rémunération sur la carrière, on obtient dans ces conditions l’incitation la plus importante (voir les travaux d’Edward Lazear sur la “Personnel Economics”).
Enfin, sur la question de la rémunération, deux points méritent d’être signalés. Premièrement, quand on parle de rémunération au mérite, il faut bien comprendre que celle-ci serait marginale. Soit, comme cela se pratique, qu’il s’agisse de primes ; soit, comme on pourrait l’imaginer dans l’absolu, que le salaire soit intégralement conditionné par les résultats aux tests. Dans un cas comme dans l’autre, un effort important ou non ne modifierait pas spectaculairement les résultats aux test et donc les salaires d’une année sur l’autre. Partant de là, quel est, en moyenne, le pouvoir incitatif de ce mode de rémunération ? L’autre point important est l’importance de la rémunération en tant que filtre. Pour Lazear, si vous voulez de bons profs, payez bien les profs. On a vu dans un billet précédent que le choix a probablement été fait en France de limiter progressivement cette qualité dans le primaire et le secondaire.
On notera pour finir, que le statut de l’emploi public n’a pas été abordé. Il est différent en France de celui de nombreux pays comparables. A priori, on peut dire que la question des incitations données par un statut d’emploi à vie est indépendant d’une rémunération au mérite. Pour l’essentiel, les deux schémas d’incitations associés se juxtaposent et peuvent être traités séparément.
Je vous signale cette synthèse très bien faite rédigée par Françoise Larré et Jean Michel Plassard du LIRHE. Elle m’a permis d’écrire ce billet plus rapidement.
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Quelques remarques annexes : on pourrait penser qu’il faut, dès le recrutement, sélectionner les individus qui feront de bons profs – c’est ce qu’est censé faire le concours, après tout. Or il s’avère que cette sélection est pratiquement impossible. Les concours testent avant tout un niveau de connaissances universitaires et de capacités de leur organisation et de leur expression, mais… en aucun cas les capacités pédagogiques du candidat ne sont évaluées. La pathétique épreuve de didactique au Capes n’aide en rien à le faire. On peut donc se retrouver avec des enseignants admis haut la main au concours, et complètement débordés dès leurs premières heures de cours, incapables de transmettre quoi que ce soit.
En ce qui concerne l’évaluation par les élèves, on peut en avoir un aperçu lors des fameuses préparations des conseils de classe… Ca tourne au règlement de comptes, les rancunes ressortent, et l’appréciation des élèves sur les méthodes du prof ne sont pas nécessairement fondées. Ceci dit, quand un prof a vraiment du mal (bordélisé, anti-pédagogue), il me semble que la vox populi est un bon moyen de mettre le cas en évidence (cas avec mes 1ere cette année, qui viennent me dire que leur prof de math les envoie chier quand ils demandent une correction, en leur disant qu’ils "ne sont pas autonomes" (sic)… vlà le chantier).
Dernière chose en ce qui concerne les inspections pédagogiques. J’ai beaucoup de mal à reconnaîre une quelconque légitimité aux IPR pour porter un jugement sur mon travail. D’abord parce que leur évaluation est ponctuelle, et qu’une heure de cours ne reflète pas une année (ou plus) de travail avec des élèves. Ensuite parce que les critères d’inspection reposent en partie sur des formalités : pour beaucoup d’IPR, le non-remplissage du cahier de textes (qui moisit avec les arraignées au fond de mon placard) est rédhibitoire; chaque séance devrait être articulée autour de "objectifs-moyens-bilan", des fumisteries de psycho-pédagogues de bureau qui croient qu’on peut faire cours selon de tels mécanismes bien huilés. Un cours structuré et efficace ne répond pas forcément à ces exigences formelles ridicules. Enfin parce que les IPR eux-mêmes sont, dans bon nombre de cas, d’ex-profs qui n’avaient plus le courage et/ou la capacité d’affronter une classe et de tenir, physiquement et intellectuellement, 35 élèves pendant 18 heures par semaine. Ils ont préféré aller se réfugier dans l’administration.
A partir de là, j’ai du mal à reconnaître la notation de mes supérieurs… ne serait-ce que le "assiduité-ponctualité" évalué par le chef d’établissement : je ne suis pas absent une seule fois, ni à la bourre à une seule heure, et j’ai 34/40. Pourquoi essayer de faire passer une note d’ancienneté pour une note de mérite ? (même chose pour les autres composantes de la note administrative).
Merci SM pour ce triptyque sur l’éducation 🙂
A propos de l’évaluation par les élèves, vous écrivez :"j’estime que les élèves des lycées français ne sont pas capables de faire cela consciencieusement, à ce jour"
Pourriez vous expliquer ce qui vous fait penser cela? Le problème réside-t-il vraiment dans la capacité des élèves à jouer consciencieusement le jeu? n’est-il pas plutôt dans la manière de recueillir (quelles questions leur sont posées)et de traiter l’avis des élèves? Pour prendre une comparaison, la viabilité d’une démocratie dépend-t-elle d’une supposée maturité intrinsèque du peuple, ou de la qualité des institutions qui encadrent son expression?
Ce n’est vraiment que mon avis, mais je crois qu’en moyenne, les élèves français sont trop prompts au lynchage ou, à l’inverse, au plébiscite des profs. Il manque une culture de l’évaluation coopérative. Les jeunes n’y sont pour rien, c’est juste qu’on ne les a pas habitués à voir les choses autrement. C’est un chantier à monter.
J’ai l’impression que l’évaluation par les élèves rencontre le même type de difficulté que l’évaluation à travers les résultats des élèves, à savoir la prise en compte de la diversité des publics. Une évaluation par les élèves doit tenir compte de la diversité des attentes des élèves envers les profs selon les classes et les disciplines en jeu (une classe de S avec des élèves visant des prépas et une classe de STG n’ont pas les mêmes attentes envers un prof de math, un élève de S n’attend pas les mêmes choses du prof de math et du prof d’histoire ou de philo).
"J’imagine ce que ça pourrait donner avec certaines classes et enseignants. J’en vomis d’avance. En outre, j’ai cru comprendre que cette pratique était du plus mauvais effet sur le comportement d’enseignants qui la pratique dans le secondaire aux Etats Unis."
Je suppose que vous pensez à des comportements démagogiques de la part des profs. A-t-on une idée précise des dérives de ce genre de dispositif, ce qui permettrait éventuellement d’imaginer des garde-fous?
Pas pour ma part, je n’ai pas étudié la question. J’imagine que côté Etats Unis, il doit y avoir des études.
Enfin, il faudrait comparer l’évaluation par les élèves et l’évaluation par le chef d’établissement, en tenant compte du fait que ce que le chef d’établissement sait de ce ce qu’un enseignant fait dans sa classe, il le tient pour une large part des élèves (via les parents et les autres enseignants). Si la notation du chef d’établissement s’appuie largement sur la réputation de l’enseignant et si cette réputation est au final construite par les élèves, ne serait il pas plus rationnel d’aller collecter l’information à la source?
Et si le problème de base était mal posé ?
Vous écrivez :
Les économistes qui se penchent sur le travail de l’enseignant assimilent la question à une relation d’agence. L’enseignant (l’agent) a une mission confiée par la société (le principal) incarnée par une hiérarchie.
Avec cette formulation, l’intérêt du principal devient très difficile à formaliser. En pratique, il devient même impossible a explicité et la situation devient encore plus confuse quant on arrive au niveau des enseignants.
Mais on peut voir aussi l’enseignement sous une problématique classique de producteurs / consommateurs.
Dans cette optique, les consommateurs (les parents) choisissent un producteur parmi plusieurs (les établissements) en fonction d’objectifs qui leurs sont propres.
On revient cette fois-ci à une vraie relation d’agence. Il est du rôle du principal d’assurer la survie (et l’expansion) de son établissement en recrutant suffisamment d’élèves. Pour cela, il peut jouer sur l’équipe pédagogique en sélectionnant ses membres et en définissant des politiques de motivations qui lui sont propre.
Les enseignants peuvent également changé d’établissement. Ce qui limite les comportements arbitraires des chefs d’établissement.
Le problème de la société n’est donc plus l’évaluation des enseignants, mais l’évaluation des proviseurs. Et cela peut être fait sur un critère quantitatif simple : l’attrait de l’établissement par les parents.
Désolé, je crains de ne pas comprendre pourquoi vous voulez reformuler la théorie de l’agence appliquée à l’éducation nationale à partir de ces remarques éparses.
Je vais essayer d’être plus précis :
La théorie de l’agence a permis de mettre en évidence les conflits d’intérêts entre l’agent et le principal.
Mais son objectif était de définir les moyens de rapprocher les intérêts entre les deux acteurs. C’est grâce – ou à cause – d’elle que sont apparu les stock-options.
Dans le cadre de l’éducation, il me semble que le problème devrait s’analyse non pas dans le conflit entre les professeurs et leur hiérarchie mais bien entre les parents (représentant des élèves) et les établissements.
Si vous relisez ce que j’ai écrit, il est mentionné que le principal est la société en premier lieu. Si vous voulez introduire une différence entre les parents et la hiérarchie, c’est-à-dire le ministère en fin de compte, il faut décrire une autre relation d’agence, électorale. Les profs en sont exclus. L’autre moyen de faire intervenir les parents, c’est ce qui est évoqué au sujet des écoles EDUCO.
Mon propos était de « monter » qu’en laissant une grande autonomie au proviseur ont pouver résoudre les difficultés que vous soulevez en évacuant la question du sens (où de l’intérêt général) pour ne laisser que la question du choix.
J’ai beau réfléchir, je ne vois pas ce que cela change fondamentalement à l’affaire. Si ce que vous voulez dire est que le proviseur est mieux placé que le ministre pour observer l’effort d’un prof, oui, c’est exact. Et, oui, ça plaide en faveur d’un rôle accru des chefs d’établissement dans l’évaluation et la rémunération. Mais ça ne règle pas, loin s’en faut, les problèmes de monitoring. Quant aux questions d’intérêt général, c’est vous qui les mentionnez. Que la mission confiée aux profs satisfasse un intérêt général ou particulier ne change rien aux problèmes de divergence des intérêts. Or, c’est ce point qui compte.
PS : tout est rouge…
Dans votre article, vous soulevez deux types de problèmes :
1> Le problème classique de l’évaluation individuel dans une équipe contribuant à travail collectif.
2> Le problème spécifique à l’éducation qui est de déterminer les critères de cette évaluation.
En mettant en place un système concurrentiel entre les établissements scolaires et en laissant les parents arbitrés entre les établissements, on évacue le 2° problème.
Quant au premier problème, il est réglé dans le cadre de la théorie de la firme où une personne (en l’occurrence le proviseur) est « rémunéré » sur le « profit » marginal de la structure. Ce profit pouvant être défini quantitativement par le ministre sur – par exemple – le nombre d’élèves accueillis. On peut même pondérer le nombres d’élèves accueillis par la « difficulté » de ces élèves.
Il y a dans ce schéma deux relations d’agences. Les parents qui doivent confier leurs enfants à un établissement. Le ministre qui confie la gestion d’un établissement à un proviseur. Mais chacune de ces agences est plus simple et donc moins sujet à des conflits d’intérêts. En particulier parce que les objectifs des deux extrémités (parents et ministre) sont clarifiés.
Dans ce schéma, le problème de l’évaluation des professeurs est déplacé sur le proviseur. Mais il n’est pas plus compliqué à résoudre que ceux que rencontre toutes les entreprises privées devant évaluer individuellement des collaborateurs travaillant ensemble sur un projet collectif.
Je suis d’accord avec henriparisien, le fait de poser la question comme un problème principal-agent oriente fortement l’analyse. Cela revient à poser comme principe fondateur que c’est à la "société" de décider de l’éducation à donner aux enfants. Dès lors, on risque d’occulter la question de la fin et de se focaliser sur les moyens.
Dans une relation producteur-consommateur, au contraire, le client décide de l’objectif. Ce qui passe au premier plan, c’est la question de savoir si un parent veut – par exemple – que son enfant reçoive un enseignement bilingue ou axé sur les sujets scientifiques. La question des moyens passe au second plan, car l’école va tout faire pour satisfaire les parents et garder ses clients.
Ce que vous écrivez, avec henriparisien, est bien aimable, mais ce n’était pas l’objet de ce billet. Mon problème était de savoir comment modéliser dans le vrai monde, celui où chaque parent ne fait pas les programmes scolaires de son enfant, une relation qui amène les enseignants à remplir au mieux les objectifs fixés par le programme de la nation. C’est un fait : même dans les pays qui accordent la plus grande lattitude d’oganisation aux établissements, il y a un programme national. Partant de là, je ne vois pas trop quoi vous répondre, si ce n’est que vous devez avoir raison.
La problématique que vous décrivez est la même pour tout travailleur intellectuel que ce soit dans le public ou le privé. Il y a des entreprises ou les employés travaillent a des "projets" dans une logique de réseaux de "pairs" sans que qui que ce soit, et surtout pas leur patron, sachent ce qu’ils font.
Un élément pris en compte dans leur évaluation est leur "réputation" auprès de leurs pairs, des différents donneurs d’ordre etc. que leur patron recherche afin d’informer son appréciation.
Il me semble également que l’autonomisation des établissements d’enseignement, la présence d’un vrai patron, d’un "conseil d’administration" représentant les différentes parties intéressées (parents d’élèves, conseiller municipal, entreprises) pourrait définir un cadre ou des enseignants motivés verraient leurs qualités reconnues. Problème difficile.