Une récente synthèse par le prix Nobel J. Heckman et Dimitriy Masterov (l’article est accessible ici) montre que l’école maternelle est importante pour la réussite scolaire des enfants, et qu’elle constitue un investissement très rentable pour la collectivité.
Joel Waldfogel résume les principaux apports de l’article ici. Rappelons qu’aux USA, l’école maternelle (pre-school) n’est pas obligatoire. L’école devient obligatoire à partir de l’école primaire (Kindergarten). En suivant sur 40 ans des élèves (souvent originaires de catégories défavorisées) qui ont bénéficié de programmes spéciaux les conduisant à l’école maternelle, les auteurs montrent que celle-ci a des effets considérables. Ils appuient cela sur des découvertes en sciences cognitives sur la façon dont les savoirs et les attitudes sont acquis, et sur les effets de l’échec scolaire précoce sur la délinquance. Ils en concluent :
– Que fournir l’école maternelle pour tous aux USA serait un investissement très rentable (ils en estiment la rentabilité à 16%). De façon intéressante, ils montrent que les gains sont en partie acquis par l’individu, mais pour une large part pour la société dans son ensemble, sous forme de moindre criminalité et de productivité globale accrue (si je travaille avec un individu plus productif, ma productivité va augmenter aussi). Dans ces conditions, il y a un intérêt à l’intervention publique : les familles défavorisées, même si elles calculent de façon rationnelle s’il est rentable ou non de payer l’école maternelle pour leurs enfants, pourront considérer que cela ne vaut pas la dépense. L’existence d’une externalité positive justifie donc de consacrer des ressources publiques à l’école maternelle.
– L’école maternelle ne joue pas tant par les savoirs qu’elle apporte que par les attitudes qu’elle confère vis à vis de l’apprentissage. Selon les auteurs, alors que les situations familiales se dégradent pour les plus pauvres, l’école maternelle joue un rôle de substitution aux défaillances pédagogiques des parents.
– Les auteurs montrent aussi que cette absence d’école maternelle explique la stagnation des qualifications de la main d’oeuvre aux USA. Celle-ci a augmenté considérablement depuis le début du 20 siècle, mais stagne depuis la génération née dans les années 50. Cela provient de ce que beaucoup de jeunes issus de milieux pauvres ne vont pas à l’université. Heckman montre, de façon intéressante, que ce n’est pas le coût des études qui est en cause; il existe énormément de dispositifs permettant aux plus pauvres d’étudier gratuitement, mais ceux-ci ne les utilisent pas. Pour Heckman, cela vient de ce que leurs attitudes vis à vis de l’apprentissage ont déjà été formées et les conduisent à renoncer aux études sans même essayer. Subventionner l’école maternelle permet de modifier ces attitudes, donc permettrait de conduire beaucoup d’enfants à suivre des études par la suite.
– Outre que cela accroîtrait la productivité et réduirait la criminalité de façon importante, les auteurs considèrent que cela réduirait les inégalités de revenu. Celles-ci ont considérablement augmenté aux USA au cours des dernières décennies, en partie du fait de la hausse des revenus des plus riches, mais aussi de la stagnation, voire diminution, des revenus des plus pauvres, dans une très large mesure les pauvres noirs urbains. Or le niveau d’études de cette partie de la population a stagné, alors même que la prime apportée par les études supérieures a considérablement augmenté.
Qu’est-ce que cela implique pour le cas français? En France, l’école maternelle obligatoire existe déjà, ce qui veut dire que nous avons déjà capitalisé les gains que celle-ci peut apporter. Néanmoins, cela montre que ce qui s’y fait mériterait d’être étudié de près. Alors que les volontés de réformes se centrent sur l’enseignement supérieur, il serait peut-être intéressant et plus avantageux de soutenir l’école maternelle; en particulier pour détecter les cas d’enfants en grande difficulté et leur apporter dès ce moment là un enseignement plus intensif et personnalisé, plutôt que de se rendre compte à l’école primaire qu’ils ont des difficultés de lecture.
Dans un registre plus léger, un autre phénomène méconnu influe sur la réussite dans les études : Si l’on en croit l’économiste J. Sabia, l’âge des premiers rapports sexuels (via Tim Harford). La raison? “Si les avantages constatés de rapports sexuels sont plus importants que les avantages anticipés, les adolescents vont réduire le temps et l’énergie consacré à l’investissement dans le capital humain, au profit d’investissements dans l’obtention future de rapports sexuels”. ce qui veut dire en langage compréhensible que les rapports sexuels réduisent les efforts scolaires parce qu’ils sont étonnamment agréables.
Selon l’auteur, les adolescents qui ont des relations sexuelles précoces s’ennuyaient déjà à l’école; néanmoins, pour les jeunes garçons, la précocité des rapports sexuels réduit les résultats scolaires de quelques dixièmes de points. De façon intéressante, cet effet n’est pas constaté pour les jeunes filles, dont les résultats ne sont pas modifiés par les premiers rapports sexuels. En somme, si ceux-ci sont pour les garçons une expérience plus agréable que prévu, pour les filles, ce n’est pas le cas.
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De notoriété publique, le projet "système d’information du premier degré" de l’educ.nat., en cours de généralisation, se propose de gérer par un système informatique dès la maternelle (2 ou 3 ans) les parcours scolaires :
eduscol.education.fr/D020…
Il manque un r à Kindergarten.
C’est corrigé, merci 🙂
"En France, l’école maternelle obligatoire existe déjà", dites-vous.
L’école maternelle existe mais elle n’est pas obligatoire puisque l’obligation
scolaire ne commence qu’à 6 ans.
Aux termes de l’article L. 131-1 du Code de l’éducation :
« L’instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et
étrangers, entre six ans et seize ans»
Ceci dit, votre analyse recoupe celle que font les acteurs de terrain. Certaines
familles ont du mal à accepter de scolariser les enfants à l’école maternelle,
c’est le cas en particulier de nombreuses familles de – "gens du voyage"
sédentarisés et paupérisés. Lorsque les enfants découvrent l’école, à six ans,
c’est bien souvent un choc pour eux (et pour l’école aussi). Des associations
ont tenté de mettre en oeuvre des "pré-écoles" pour retisser le lien.
http://www.atd-quartmonde.asso.f...
On peut lire aussi le rapport de Luce Dupraz sur une expérience mise en
place… entre 1990 et 1994 !
http://www.educationprioritaire….
Merci pour ces précisions
Beau et intéressant, belle chute.
Au passage, on retrouve dans les programmes Bayrou et Sarkozy (peut-être
d’autres aussi) la question de la détection précoce des difficultés dès la
maternelle.
Ca fait longtemps que c’est annoncé. La pratique est différente, pour diverses raisons.
“il serait peut-être intéressant et plus avantageux de soutenir l’école maternelle; en particulier pour détecter les cas d’enfants en grande difficulté et leur apporter dès ce moment là un enseignement plus intensif et personnalisé, plutôt que de se rendre compte à l’école primaire qu’ils ont des difficultés de lecture.”
Et en mettant de vrais moyens sur les gosses ciblés. Pas en saupoudrant. A méditer aussi pour les fameuses heures d’études dirigées “pour tous”. Ou ça va faire rire à Louis Legrand.
Les deux gonzes, à mon avis et à la lecture de votre article, ont inventé l’eau chaude. Les travaux des sociologues (vous savez, les mauvais économistes mal réincarnés) et les économistes ont déjà démontré tout cela.
Si vous avez le temps:
1) Sociologie de l’école, Duru-Bellat, Van Zanten, A. COLIN
2) Les inégalités sociales à l’école, Genèse et mythes, Duru-Bellat, PUF.
3) Pour la question de l’incorporation d’attitudes, il faut taper chez P. Bourdieu.
En matière éducative, je ne connais pas une seule conjecture qui n’ait été émise un jour ou l’autre. Donc quand on bénéficie d’analyses fondées sur 40 ans d’observations, ça présente un intérêt, même si d’autres ont pu dire des choses similaires. Notez par ailleurs que l’intérêt du travail d’ici est à la fois de synthétiser des choses existantes et d’y incorporer un calcul de coût et bénéfice, montrant que l’investissement dans l’enseignement primaire est rentable, avec un taux de 16%.
Je resterai puceau jusqu’à l’obtention de mon doctorat, comme ça, les relations sexuelles n’auront pas d’effet sur mes études.