Que se passe-t-il en Russie ?

poutine

Vous avez probablement noté que la Russie est un peu paniquée. Pétrole, sanctions, spéculation, what else ? Quelques notes sur le sujet.

En Russie, pétrole et gaz représentaient les deux tiers des recettes d’exportations en valeur. L’ennui, c’est que le cours du baril a perdu plus de 40% en quelques mois (et que le prix du gaz évolue en parallèle). On pourrait calculer assez précisément ce que cela représente en baisse des recettes à l’exportation pour la Russie (j’ai croisé le chiffre, mais j’ai la flemme de le retrouver), mais ce n’est pas utile : ça fait beaucoup. Suffisamment pour modifier fortement l’équilibre extérieur russe.
Partant de là, le solde commercial russe baisse, puisque la valeur de ses exportations diminue, à volume constant de pétrole vendu à l’étranger. Or, cela signifie que sur le marché des changes, on demande moins de roubles (contre dollars) pour payer les Russes. Mécaniquement, le rouble perd de sa valeur.

Ce mouvement est amplifié par le fait que les anticipations qui portent sur le prix du pétrole sont plutôt stables. L’OPEP a annoncé ne pas avoir l’intention de réduire sa production de pétrole. Ce qui fait que l’offre mondiale ne diminuera pas pour accroître le prix du pétrole. On pourrait penser que l’OPEP peut changer son fusil d’épaule quand elle le souhaite et que ces anticipations ne se vérifieront pas forcément (ce qui devrait pousser un certain nombre d’opérateurs des marchés financiers à parier sur une hausse du prix du pétrole et une appréciation future du rouble). Sauf que, dans le contexte actuel, l’annonce de l’OPEP est crédible, dans la mesure où elle repose sur un comportement très rationnel de ses membres. L’OPEP a bien compris que le pétrole de schiste menaçait sa position sur le marché de l’énergie. En maintenant sa production (et un prix bas pour le pétrole), elle contient la mise en forage de nouveaux gisements de schiste et fragilise ceux qui sont déjà peu ou non rentables. Les coûts d’exploitation de ces gisements sont plus élevés que ceux que peut supporter l’OPEP. Un prix bas du pétrole les rend moins rentables. En maintenant un prix bas, on évite de voir émerger une concurrence supplémentaire, au prix de pertes temporaires. Les difficultés du solde courant russe n’ont donc pas de raisons de se régler rapidement.
L’impact de la baisse du prix du baril sur l’économie russe sera conséquent. La banque centrale russe prévoit une récession à hauteur de 4,5% en 2015 si le baril reste aux voisinages de 60 dollars. Investiriez-vous votre épargne dans une Russie prête à une telle récession ? Probablement pas. Autre motif de sortir ses capitaux de Russie. Et de prolonger la dépréciation du rouble.

Autre élément axé sur les fondamentaux de la situation russe, sa situation diplomatique. Les sanctions occidentales doivent peser sur son activité et renforcent les craintes liées à une récession. Reste à savoir si ces sanctions vont être prolongées durablement.

De plus, la Russie, bien qu’ayant un excédent commercial conséquent, a la particularité d’être débiteur net vis-à-vis de l’étranger. Son excédent courant devrait a priori en faire un créancier du reste du monde, mais ce n’est pas le cas. De sombres perspectives la concernant sont donc de mauvais augure pour ses créanciers internationaux. Une raison de plus de rapatrier ses capitaux de Putin’s land. Et confirmer la baisse du rouble.

Une fois que ces mécanismes fondamentaux sont avérés, place à la spéculation. Un, la Russie, c’est la Russie, c’est un pays compliqué (on appelle cela un pays “émergent” ; pas totalement pauvre, mais quand même encore assez bordélique et imprévisible). Quand ça commence à sentir mauvais, on se barre. Ou on se débrouille (parce qu’on a spéculé sur la baisse du rouble) pour donner le sentiment qu’il faut se barrer (en espérant être suivi). Deux, les recettes fiscales russes sont fortement dépendantes des taxes sur le pétrole. Une baisse des recettes pétrolières, c’est une pression sur un système fiscal fragile, peu habile pour capter d’autres recettes fiscales, et une menace de plus sur les placements en Russie (sur la dette publique russe, en particulier). Trois, les rumeurs de remise en place d’un contrôle des changes (concrètement, empêcher aministrativement de convertir librement des roubles contre des devises et empêcher ainsi la fuite des capitaux) commençant à aller bon train, imaginer qu’elles puissent se confirmer dans les faits incitent également à prendre la fuite. Accessoirement, si la Russie devait en arriver là, on pourrait en attendre le pire (des problèmes de financement de son économie) ou le meilleur (calmer les turbulences passagères). Compte tenu des fondamentaux inquiétants de l’économie russe, on peut douter que ce soit une excellente idée.

Quatre, compte tenu des fondamentaux et des points un à trois, l’heure de déclencher une crise de change (le terme est normalement réservé aux systèmes de change fixe, mais l’idée est la même) est arrivée pour tout bon spéculateur qui se respecte. Que peut faire la banque centrale pour endiguer la chute excessive (compte tenu des fondamentaux) de sa devise ? Augmenter la rémunération des placements en Russie, en accroissant ses taux directeurs. Elle l’a fait. Sans effet majeur. Elle peut également vendre des devises, puisées dans ses réserves de change pour rétablir un équilibre plus satisfaisant entre offre et demande de roubles sur le marché des changes. Elle l’a déjà fait depuis un moment, mais modérément (pour conserver des cartouches). Si cette tactique fonctionne rapidement, on peut stabiliser la situation. Sinon, au bout d’un moment, à cours de munitions (i.e. de réserves de changes), il faut constater que c’est un échec. Peu importe que les fondamentaux de l’économie le justifie ou non. Le seul objectif des spéculateurs est de pousser la banque centrale au delà de ses limites de résistance sur le marché des changes. En conséquence, si des spéculateurs y offrent suffisamment de roubles, asséchant ainsi les réserves de change de la banque centrale, celle-ci devient impuissante à préserver la valeur de sa monnaie. Ce qui rapporte beaucoup d’argent aux spéculateurs.

Enfin, la dépréciation du rouble s’accompagne d’une hausse de l’inflation en Russie, qui conduit les Russes à se délester au quotidien de leur roubles pour acheter des biens de consommation (de luxe, de préférence). Ce phénomène de fuite devant la monnaie, dont l’ampleur reste à quantifier, est en tout cas un cas d’école qui n’est pas du tout réjouissant pour l’économie russe. S’il devait s’accentuer, il pourrait conduire à une désorganisation sévère du système monétaire russe. Et même si Apple ne saurait déjà plus comment tarifer ses Iphone en Russie, au point de suspendre ses ventes en ligne dans le pays, on n’en est pas encore là.

La journée de jeudi a donné lieu à une intervention de Vladimir Poutine, qui n’a guère été déterminante.

4 Commentaires

  1. Fuite devant la monnaie, équilibre du taux de change en économie ouverte, attaque spéculative, cartel oligopolistique, politique monétaire… ça fait un paquet de théories économiques appliquées en cas pratique pour un seul article !

  2. J’avais pas du tout en tête cette raison de ne pas réhausser le prix du pétrole. J’en étais venu à penser que l’Arabie Saoudite visait précisément à déstabiliser la Russie (quoique je reste persuadé que c’est un bon effet bonus pour elle !).

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