Pourquoi se loger coûte de plus en plus cher

L’immobilier est un sujet déprimant pour l’analyse économique, surtout par les temps qui courent. Comme le disait Krugman il y a quelques années, c’est l’un des sujets qui illustre le mieux l’aphorisme d’Alan Blinder : “les économistes ont le moins d’influence en matière de politique dans les domaines qu’ils connaissent le mieux et sur lesquels ils sont tous d’accord; ils ont le plus d’influence dans les domaines qu’ils connaissent le moins et sur lesquels ils sont en plus grand désaccord”. La récente affaire des “Don quichotte” ne fait qu’illustrer ce problème jusqu’à la caricature.

L’immobilier, c’est déprimant, mais c’est aussi pratique : les symptômes des problèmes sont tellement évidents, identifiables, qu’il n’est pas nécessaire d’aller chercher très loin les explications tant elles sont évidentes – du moins lorsqu’on est passé par le classique exercice d’application de la loi de l’offre et de la demande au marché immobilier, que l’on trouve dans tous les bons manuels de première année. Citant l’exemple des problèmes d’immobilier à San Francisco, Krugman expliquait (ma traduction) :

L’analyse du contrôle des loyers est l’un des sujets les mieux compris de toute l’économie, et – du moins, parmi les économistes – l’un des moins sujets à controverses. En 1992 un sondage de l’American Economic Association a montré que 93% de ses membres étaient d’accord avec la phrase “un plafond sur les loyers réduit la qualité et la quantité des logements”. Presque tous les manuels de première année contiennent une étude de cas du contrôle des loyers, utilisant ses effets pervers pour illustrer les principes de l’offre et de la demande. Des loyers invraisemblablement hauts dans les appartements à loyer non plafonné, parce que les locataires désespérés n’ont nulle part où aller? Et l’absence de constructions nouvelles, malgré ces loyers élevés, parce que les propriétaires craignent une extension des contrôles? Prévisible. Des relations très mauvaises entre propriétaires et locataires, avec une course aux armements entre des stratégies de plus en plus élaborées pour chasser les locataires – décrites de façon surprenante comme des “films d’horreur du marché libre” – et une prolifération de règlementations visant à contrer ces stratégies? Prévisible. Et la façon dont ces règlementations jettent les gens les uns contre les autres – le directeur du bureau d’arbitrage et de stabilisation des loyers de San Francisco a constaté “qu’il n’y a personne dans cette ville qui aie confiance en quelqu’un d’autre, y compris ses propres grands-parents” c’est prévisible aussi.

Pourquoi l’immobilier coûte-t-il si cher, et a-t-il autant augmenté ces dernières années? On ne manque pas d’explication. Un faible niveau des taux d’intérêt qui encourage l’acquisition de logements à crédit; l’augmentation du nombre de familles monoparentales; une dose de spéculation (l’anticipation de hausses de prix futures conduisant à acheter dès aujourd’hui; des facteurs sociologiques et psychologiques plus complexes. Le point commun entre ces différents facteurs, c’est qu’ils n’expliquent pas la hausse du prix des logements, mais la hausse de la demande; comment se fait-il que, suite à des hausses de prix de l’immobilier considérables, on n’assiste pas à une hausse conséquente du nombre des constructions pour satisfaire cette demande supplémentaire?

C’est la question que se sont posés Edward Glaeser et Joseph Gyourko pour expliquer la dynamique récente des prix de l’immobilier aux USA : comment expliquer que le prix des logements ait augmenté considérablement dans certaines zones, et pas dans d’autres? Leur analyse est sans équivoque : la hausse de la demande ne suffit pas à expliquer la hausse des prix de l’immobilier. Celle-ci provient pour l’essentiel de règlementations restreignant les nouvelles constructions dans des zones bien précises. Là ou ces règlementations sont absentes, l’immobilier reste à un prix “standard” (correspondant au prix du terrain + le coût de la construction + un profit raisonnable pour le constructeur); lorsqu’elles sont présentes le prix des logements s’éloigne de façon significative de cette référence.

A l’aide de ces analyses, il n’est alors pas difficile de comprendre la situation du marché immobilier en France. Loin d’être le résultat d’un mécanisme de marché sans âme qui broie les faibles ou autres balivernes, elle est le fruit parfaitement prévisible du choc entre une hausse de la demande et des règlementations et actions publiques qui ont sur les prix de l’immobilier le même effet que l’utilisation d’un extincteur rempli d’essence sur un incendie. Le contrôle des loyers et sa cohorte de conséquences, un maquis règlementaire qui empêche d’expulser un locataire et crée une course aux armements entre propriétaires et législateur, des locataires devant fournir des justificatifs à n’en plus finir et devant faire la roue devant des propriétaires pour trouver un logement, alors que la qualité moyenne des logements et leur superficie se dégrade, des relations exécrables entre propriétaires et locataires, sur fond de pénurie de logements? Nous avons cela. On pourrait y ajouter une fiscalité systématiquement favorable à l’achat de logement et pas à la location, qui fige encore un peu plus les gens dans un logement – incitations fiscales qui ont été augmentées alors même que le prix des logements augmentait déjà beaucoup; des règles qui changent sous le prétexte de “protéger les locataires” (voir aussi optimum sur la question).

Les règlementations limitant les constructions? On nage dedans. dans les grandes villes, l’interdiction de fait de construire en hauteur limite de fait le nombre de logements disponibles. S’y ajoutent, de façon plus insidieuse, les limitations à la circulation automobile dans les centre-ville. Ed Glaeser, toujours lui, a montré que la croissance de la population des agglomérations et la forme prise par celle-ci était directement déterminée par l’accès des automobiles en ville. La voiture permet en effet aux classes moyennes de s’installer partout aux alentours de la ville (pas seulement le long des voies de circulation des transports en commun) leur permettant d’accéder à des logements plus confortables et réduisant la pression sur les prix des logements dans les centre-ville. Le péri-urbain n’est peut-être pas très beau, mais l’alternative, c’est l’augmentation de la densité de la population dans les centres des villes, donc la construction en hauteur si la surface disponible est limitée; si la possibilité de construction est restreinte, les prix explosent de façon parfaitement prévisible.

Faut-il blâmer les politiques? En partie, mais pas seulement. Ils ne font, après tout, que suivre les demandes de leurs électeurs. L’électeur parisien a un intérêt direct à toutes les politiques qui élèvent la valeur de son logement (puisqu’il le possède déjà) comme la limitation des constructions (surtout celle de logements sociaux), la limitation de la circulation automobile (qui pèse sur les banlieusards); le contrôle des loyers est lui l’exemple parfait de la mauvaise politique qui subsiste sous l’effet de groupes de pression, en avantageant une minorité agissante au détriment d’une majorité qui ne peut s’exprimer (puisqu’elle en est réduite à aller vivre, et voter, ailleurs). Par ailleurs, la construction publique de logements sociaux reste irrémédiablement attachée dans l’esprit du public à ces grands ensembles – Minguettes, Val Fourré, Quartiers Nord – qui entretiennent plus souvent la rubrique des faits divers violents que les pages de “maisons et jardins” : ces fruits des politiques publiques des années 50, dont les effets délétères se font encore sentir 50 ans plus tard, ont créé un dégoût durable de la part de la population pour ce type d’habitat.

De l’abbé Pierre dans les années 50 aux Don Quichotte aujourd’hui, nous disposons de plus de 50 ans d’une vaste étude de cas des conséquences de l’interventionnisme public en matière de logement. Le fait que 50 ans, et des milliards d’euros plus tard, on se retrouve dans une situation similaire, constitue l’un des désaveux les plus impitoyables que l’on puisse faire vis à vis de l’action publique pour l’immobilier. Et quelle est, 50 ans plus tard, la réponse au problème? Un peu plus de la même chose, une nouvelle couche d’interventionnisme, cette fois-ci sous la forme d’un “droit” à la fois inutile et incompréhensible (Versac a synthétisé ici et ici l’analyse des juristes de lieu commun sur le sujet). C’est que par idéologie ou par intérêt, personne ne veut prendre acte des vraies raisons de la crise du logement, même pas ceux qui en sont les premières victimes. Dans 10 ans, on aura encore des happenings de SDF dans les rues; et la farandole pourra recommencer. La conclusion appartient à Krugman :

So now you know why economists are useless: when they actually do understand something, people don’t want to hear about it.

Alexandre Delaigue

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27 Commentaires

  1. Question de béotien:

    Je ne comprends pas très bien en quoi les freins posés par l’Etat à l’augmentation libre des loyers entretiennent la pénurie de logement ?

  2. Superbe, il fallait oser le dire!

    Sur la recherche des responsabilités (politiques ou électeurs?) je me pose une question : qui bénéficie du système et qui y perd? Il me semble que ceux qui y perdent le plus sont les enfants. Ils ne votent pas, et qui lorsqu’ils arrivent à l’âge adulte ils subissent les plus grandes difficultés de logement. Je pense donc que ces contraintes sur le marché immobilier, qui ont été mises en place de façon démocratique, favorisent en moyenne l’ensemble d’une classe d’âge d’électeurs en opérant insidieusement un transfert intergénérationnel. Qu’en pensez-vous?

    Signé : un locataire parisien 🙁

  3. Merci pour cette analyse, aussi claire que concise, qui vient me conforter dans l’opinion que j’avais des effets pervers des politiques d’accès au centre-ville de certaines municipalités.
    Je profite des présentes pour vous féliciter de manière plus générale pour vos efforts de vulgarisation (je ne sais si ce mot est réellement approprié) des mécanismes économiques, qu’un pauvre juriste sait apprécier à leur juste mesure.
    Félicitations pour votre blog,
    FéliX

  4. Bonjour,
    je suis étudiante en économie à Nancy, et ma promo est assez perplexe sur les déclaration de Mme Royal en Chine sur la géostratgie et l’économie (reportées dans plsieurs journaux, dont le figaro ) http://www.lefigaro.fr/election-...

    (perplexité étant une litote, bien entendu).

  5. Bonjour et tous mes voeux ,

    il me semble qu’à ce tableau pas très reluisant mais réaliste, on peut rajouter ceci :

    quel interêt peuvent avoir les communes à voir fleurir chez elles des logements sociaux destinés à la location, sachant que ça va pas leur rapporter grand chose en termes d’impôts locaux ? et qu’en plus le gouvernement actuel leur a collé un tas de nouvelles responsabilités sans forcément le pognon qui va avec.

    cordialement

    Paulo

  6. Excellent article. Je suis notamment tout à fait d’accord avec la question de la protection des locataires, qui revient à récompenser les gens malhonnêtes et à punir les vertueux.

    Cependant, je voudrais amorcer un débat sur la question de l’intervention publique : on sait bien aussi que les acteurs privés sont réticents à construire du logement bon marché ; il faut donc bien une intervention de l’Etat pour construire des logements sociaux et stimuler une offre de logement qui ait des externalités positives pour la société en général ?

  7. Hum, je ne suis pas spécialiste, mais je me lance: l’immobilier n’est-il pas considérablement plus cher dans les pays qui ont eux aussi bénéficié de taux très bas, d’incitation forte à devenir propriétaires (hypothèques) et sans régulation étatique sur les constructions, comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne ?

  8. @Antisophiste: J’ai du mal à voir l’immobilier comme un bien positionnel (en tout cas, je ne vois pas en quoi ça colle avec la définition donnée sur ce blog hier econoclaste.org.free.fr/d…

    Si on en croit Alexandre Delaigue : "Un bien positionnel est un bien dont la consommation n’apporte pas de satisfaction directe, mais une satisfaction dérivée de ce que la consommation des autres individus de notre groupe de pairs est inférieure à la notre."

    Or quand vous parlez sur votre blog de "la concurrence sociale pour résider à Paris, acquérir une villa en bord de mer, ou simplement éviter le voisinage des classes populaires", est ce que cette concurrence n’existe pas tout simplement parce que la qualité de vie est meilleure dans un bien plus cher (et donc apporte une satisfaction directe).

    Corrigez moi si je me trompe

  9. steph73 : en restreignant la rentabilité de la construction; en faisant courir le risque à un constructeur de voir ce qu’il construit affligé d’une interdiction future de hausse des loyers.

    Gu si Fang : oui et non. Cela favorise ceux qui ont déjà acheté par rapport à ceux qui veulent acheter. Cela peut être lié à un conflit générationnel, mais pas seulement. Supposez par exemple qu’il existe deux activités dans une ville, une ancienne dont l’emploi n’augmente pas et une nouvelle dont l’emploi augmente : les gens qui veulent venir travailler dans ce nouveau secteur se trouvent pénalisés, indépendamment de questions d’âge.

    Felix : merci.

    Marie : il y a souvent de quoi être perplexe en écoutant Ségolène Royal. Néanmoins, sur le point que vous évoquez, sa déclaration est plutôt bienvenue.

    Antisophiste : l’un des liens du post évoque spécifiquement la dimension de bien positionnel du logement. Vous avez raison de dire que cela explique partiellement les restrictions d’offre, mais cela joue aussi pour expliquer les hausses de demande.

    Paulo : oui et non. Les problèmes de logement social apparaissent lorsque celui-ci est concentré à un seul endroit; lorsqu’il est disséminé, de nombreuses communes y trouveront un avantage (par exemple, classe maintenue dans l’école…) sans avoir à supporter de coût.

    François : ce qui veut dire qu’il faut faire le bilan de l’intervention publique; faire du logement social en le concentrant risque de ne guère améliorer les choses. La vraie question, c’est de cantonner l’intervention publique aux domaines ou elle peut être vraiment utile : l’exact inverse de ce que l’on fait depuis 50 ans.

    John.Reed : Le cas des USA est bien expliqué dans les articles de Glaeser. Ce qui est cher aux USA, ce sont de très petites zones géographiques, marquées par une forte réglementation; précisément, dans les villes à faible réglementation et à forte croissance de la population (type Dallas) les prix sont restés à un niveau normal. Quant à Londres, les loyers élevés y sont largement expliqués par une politique de limitation géographique, appelée "ceinture verte" qui interdit de fait l’étalement de la ville. Tim Harford explique cela dans son livre (chroniqué sur le site).

  10. J’ai entendu à plusieurs reprises divers élus communaux expliquer qu’une éventuelle trop grande augmentation de la population de leur petite commune serait à leurs yeux catastrophique.

    En effet, les communes ont des obligations juridiques et de train de vie montant par paliers à certains seuils de population : les passer peut contraindre, par exemple, à imposer à l’administration communale de devenir brutalement apte à gérer divers nouveaux enjeux aussi ubuesque que tout ce qui parvient à sortir de l’usine règlementaire étatico-shaddockienne.

    Nombreuses sont donc les communes à souhaiter éviter de voir leur population croitre, avec le soutien d’habitants toujours heureux de voir le cours de leurs résidences monter.

  11. Donc pour un gars comme moi qui déprime à chaque nouveau lotissement créé dans sa petite ville de province, mais qui comprend aussi l’envie des gens d’avoir accès à une maison à eux, il n’y a pas d’autres solutions que le bétonnement de la france?

    C’est pas une formule en l’air, à Caen, toute l’agglomération et les petits villages se fondent en une énorme zone continue sans cultures / nature nulle part.

    D’ailleurs à Paris n’a-t-on pas largement atteint une taille de ville critique, ou les gens mettent 1h30 voir 2h le matin pour aller travailler?

    Selon toi une solution serait de débloquer la limitation des logements en hauteur, ya-t-il un espoir de ce côté?

  12. J’ai posté un lien vers votre article, dont j’ai trouvé la rédaction trés percutante, sur le Blog de Fr.Fillon. Pour faire bonne figure, et puisqu’il s’agit d’un politique, j’ai ajouté votre citation d’Alan Blinder.

    Puisque vous dites que tous les économistes sont d’accord sur le logement, autant que Fillon, qui sera peut être un jour premier ministre soit au courant.

  13. Cet article tout à fait excellent pourrait être en tout point l’introduction du rapport sur le logement que l’institut Turgot s’apprête à sortir (et dont je suis l’auteur) et qui s’inspire, entre autres, des travaux de Glaeser et Gyourko (mais pas seulement).

    Des données complémentaires sur l’impact des smart growth policies (règles anti étalement urbain) aux USA, Canada, grande bretagne, NZ et Australie, peuvent être consultées sur le site de l’institut Demographia , http://www.demographia.com

    @ françois : dans un régime de liberté foncière, les logements anciens finissent par se déprécier plus fortement car les générations montantes n’hésitent pas à financer de nouveaux logements plus en phase avec les exigences de l’époque. Ainsi, le parc "social" puise son fonds dans les maisons de la classe moyenne d’il y a vingt ans.

    si cela vous parait incroyable, allez sur Realtor.com et cherchez les maisons à moins de 100.000 dollars, et vous verrez qu’il y en a beaucoup en listing, et loin de n’être que des cochonneries, souvent avec trois chambres et une surface très correcte.

    Tout le contraire de la France ou le moindre cochonnerie a été multipliée par deux et plus en 10 ans, faute de pouvir construire du neuf pour répondre à toutes la demande. le "à rénover" est devenu un produit marketing à part entière

    Mais il est vrai que les français sont très bricoleurs…

  14. petit oubli dans le commentaire précédent: il faut chercher dans des villes pratiquant la liberté foncière, comme Houston ou Kansas City… pas à san Francisco !

  15. alexandre "Paulo : oui et non. Les problèmes de logement social apparaissent lorsque celui-ci est concentré à un seul endroit; lorsqu’il est disséminé, de nombreuses communes y trouveront un avantage (par exemple, classe maintenue dans l’école…) sans avoir à supporter de coût."

    -> ça se discute. Oui, le logement social réparti, à l’allemande de l’Ouest, est la meilleure solution sur le long terme. Mais à court terme électoral, c’est difficile pour les élus puisque ça veut dire beaucoup de voisins mécontents par logement créé. Le plus facile politiquement est encore de construire en bloc tous ses logements sociaux dans un no man’s land le plus éloigné possible du "village" ou du quartier chic. Quand c’est possible, bien sûr.

  16. Merci pour votre billet, éclairant et, sans doute est-ce symptomatique, nouveau pour moi parmi toutes les choses déjà entendues sur le sujet. Et pourtant le sujet m’intéresse.

    J’ai deux remarques cependant :
    – si des politiques entraînant des contraintes sur la construction renchérissent le prix de l’immobilier, de son achat comme de sa location, elles peuvent cependant être justifiées pour d’autres raisons : urbanisme, pollution… C’est une question d’arbitrage politique. Il appartient dès lors au politique d’en corriger les effets, par exemple par la construction de logements sociaux, d’autres volets d’une politique d’urbanisation etc. Bref je ne suis pas d’accord avec un point de vue "des contraintes sur l’immobilier le renchérissent, (ok) donc supprimons les contraintes (non)". C’est peut-être une partie de la solution, ce n’en est qu’une partie. L’insuffisance de construiction de logement social est elle aussi un problème.
    – Une part du problème des pas- ou mal-logés provient il me semble, non uniquement du prix élevé de l’immobilier, mais aussi de la persistance d’une population sans ressource (et pas logée) ou de "travailleurs pauvres" (et mal logés). Même revenu à prix "raisonnable", l’accès au logement leur demeurera impossible. Il faut une politique publique d’aide, sous une forme ou une autre, pour ces gens.

    J’ai enfin une question. Vous dites :
    l’immobilier reste à un prix "standard" (correspondant au prix du terrain + le coût de la construction + un profit raisonnable pour le constructeur)

    Qu’entendez-vous par "profit raisonnable" ? En d’autres termes, quel est le critère du "juste prix", autre que celui issu de la loi du marché ? Ou alors il s’agit bien de ce "prix du marché, non perturbé par des contraintes réglementaires". Mais alors votre affirmation devient-elle tautologique ?

  17. Cher éconoclaste,

    Votre billet sur l’immobilier est intéressant, mais je me demande s’il ne s’explique pas par une confusion entre le stucturel et le conjoncturel.

    Si la loi de 89, le droit au logement opposable, et les limitations légales faites à la construction immobilière sont des éléments structurels du marché qui effectivement peuvent amener à un prix du logement élevé, l’histoire de l’évolution des prix de l’immobilier ne confirme pas votre hypothèse.
    Pour trouver des informations statistiques sur l’évolution des prix de l’immobilier, je vous conseille de vous reporter aux travaux de Jacques Friggit, qui compile ses données depuis plusieurs années.
    Ainsi dans la période 91-97, les prix de l’immobilier à Paris ont chuté de 40% (en moyenne). Pourtant aucune des limitations légales du marché que vous avez citées n’ont été assouplies pendant cette période (évidemment le droit opposable est HS dans cette discussion).
    D’où l’idée que la formation des prix de l’immobilier n’est pas déterminé par une offre insuffisante. Il y a deux millions de logements vacants en France (pas tous aux normes et bien situés, parfois ils sont le résultats de succession difficile, c’est entendu, mais faire l’hypothèse qu’aucun d’entre eux n’est commercialisable me semble un peu fort), les stocks ont atteint en 2007 le même niveau qu’en 93 d’après les statisques du ministère de l’équipement (c’est donc un niveau très élevé), et d’après les notaires les ventes de biens immobiliers neufs en Ile de France ont formtement diminué sur ces six derniers mois (alors que si l’offre est si rare et la demande si forte, une telle baisse est inexplicable), enfin les dispositifs de Robien ont conduit à une surabondance d’offre locative dans certaines communes comme Montauban.
    Que pensez-vous de l’explication de la formation des prix de l’immobilier par un phénomène classique de bulle spéculative (où les acheteurs espèrent une plus-value et donc achètent à un prix surévalué leur bien puisqu’ils intègrent cette plus-value incertaine dans leur calcul)?
    Dès lors l’offre de logement ne pourraît-elle pas être très grande tout en conservant un niveau de prix élevé?

    Je me doute que vous êtes parfaitement au courant de ce type de phénomène et vous y faites allusion dans votre billet, cependant vous semblez le considérer comme secondaire par rapport au rôle d’une offre faible pour la formation des prix.

    Ma question est donc : quel argument lourd avez-vous sous la main pour démontrer une faiblesse de l’offre immobilière en France et son rôle dans la formation des prix ?

    Les prix sont déterminés par les conditions de l’offre ET de la demande, ce qui veut dire que les problèmes d’offre n’expliquent pas la totalité des mouvements de prix. L’argument, c’est que lorsque la demande augmente, si l’offre ne peut pas suivre pour cause de réglementations, alors les prix explosent. Ce qui peut créer une bulle sur la demande, ou y contribuer. Et très franchement, je doute de l’explication “bullière” de la hausse des prix, parce que si c’était le cas, on aurait énormément d’achats de logements pour reventes; or l’essentiel des acheteurs souhaite réellement habiter les logements qu’ils achètent. Cela ne me semble donc au mieux qu’une explication très partielle.

  18. Merci pour votre réponse rapide.

    Je comprends très bien votre argumentation sur la formation des prix de l’immobilier et les disfonctionnements qui peuvent être causés par une réglementation et je veux bien me ranger à vos arguments.

    Cependant je ne comprends toujours pas comment vous expliquez, avec vos hypothèses, la baisse des prix sur Paris entre 91 et 97.
    Car il n’y a que trois possibilités (si l’on simplifie un peu le problème):
    – Soit il y a eu un assouplissement de la réglementation durant cette période qui a permis une augmentation de l’offre et donc une baisse des prix, mais je n’ai jamais entendu parler d’un tel argument pour cette période.
    – Soit la réglementation est restée la même, mais l’offre a quand même fortement augmenté, ce qui, me semble-t-il, invalide votre hypothèse.
    – Soit la réglementation a bien interdit une hausse significative de l’offre, mais alors c’est la demande qui a nécessairement diminué fortement. Dans ce cas, comme ce n’est pas la population qui a baissé, ni le nombre de SDF qui a augmenté, cela signifie que l’arbitrage des ménages s’est fait en faveur de la location plutôt que pour l’achat. (Je suppose ici qu’il n’y a pas de lien entre le marché de la location et de l’achat, ce qui est bien sûr une simplification grossière)

    De mon point de vue, cela signifie que la demande de biens immobiliers à acheter peut varier beaucoup plus rapidement et dans des proportions plus importantes que l’offre. Une telle organisation du marché ne devrait-elle pas donner plus de poids à un mouvement spéculatif des acheteurs?
    Cela n’invalide pas votre hypothèse, mais tend à montrer qu’il faudrait plus qu’une "déréglementation" du marché (par exemple d’importants progrès technologiques dans la construction de maison) pour que l’offre puisse évoluer en proportion de la demande.
    Pour le dire autrement, comme il faut douze mois pour un promoteur pour construire un logement (sans soucis de réglementation) et douze secondes dans le cerveau d’un acheteur pour arbitrer vers la location, la demande n’a-t-elle pas vocation à mener la danse sur ce marché?

    De plus Jacques Friggit considère que les prix de l’immobilier sont faiblement élastiques à une augmentation de l’offre. Ainsi une augmentation de 1% du parc de logements (soit en France 320 000 logements neufs supplémentaires)ne serait la cause d’une baisse inférieure à la volatilité moyenne des prix de l’immobilier sur un an.

    Enfin, vous relativisez l’argument bullier, tant mieux cela permet de réfléchir sur le fond des causes de la hausse des prix. Mais une période de hausse des prix peut inciter les banques à assouplir leurs conditions de crédit, puisque même si le risque lié au client est plus fort, la garantie liée au logement acheté paraît plus grande. En quelque sorte la banque spécule aussi sur une plus-value potentielle en accordant des crédits à risque. C’est sans doute un bien mauvais calcul pour la banque, mais c’est le propre d’un épisode de bulle que de voir des acteurs économiques prendre des décisions "irrationnelles".

    De plus, nombre d’acheteurs ignorent tout simplement que les prix de l’immobilier sont très variables (sur de longues périodes). Ils peuvent donc acheter pour habiter tout en espérant faire une plus-value 20 ans plus tard, en pensant avoir fait une bonne affaire car "ils ont acheté avant que cela soit trop haut". Pour moi de tels raisonnements se rapprochent de ceux employés lors d’une bulle, mais je suis intéressé par votre point de vue qui sera sans doute plus précis.

    Encore merci de votre disponibilité.

  19. vous écrivez:
    Et très franchement, je doute de l’explication "bullière" de la hausse des prix, parce que si c’était le cas, on aurait énormément d’achats de logements pour reventes; or l’essentiel des acheteurs souhaite réellement habiter les logements qu’ils achètent.

    Toutes les personnes que je connais qui achètent, achètent pour y vivre avec l’idées de la revente sous 5 à 8 ans avec plus value. Je ne vois donc pas pourquoi une proposition exclue l’autre.

    De tels comportements (méfiez-vous quand même : “tous les gens que je connais” ne constituent pas un échantillon représentatif) ne peuvent apparaître que si des anticipations de hausse peuvent être soutenues; ces anticipations de hausse ont été provoquées par les restrictions sur l’offre dans un contexte de demande accrue pour un tas de raisons normales (notamment, la baisse des taux d’intérêt).

  20. Pour continuer dans l’argumentation de Stéphane
    Lorsque l’on emprunte sur 25 ans (ce qui est devenu presque la norme entre 2004 et 2007) et que l’on revend après 5 ans de remboursement, le capital à rembourser est encore particulièrement important. Dans bien des cas (tout cela dépend de l’apport personnel, des revenus…), si le logement principal n’est pas revendu avec une importante plus value, le ménage perd de l’argent, c’est la negative equity.

    Tout cela me fait penser à ceux qui achètent des actions à crédits, sans avoir l’argent pour les payer en pariant sur la plus value pour payer le capital et les intérêts.

    Cela me semble bien un comportement spéculatif, et même un comportement spéculatif particulièrement dangereux.

  21. Je ne comprends toujours pas comment la baisse des prix de l’immobilier à Paris entre 1991 et 1998 (-40%) a pu avoir lieu sans modification de la réglementation.

    (… et je pense que c’est un très gros trou dans votre explication par l’offre contrainte du marché immobilier)

    Cela vient des spécificités de l’immobilier : l’offre est par définition rigide à la baisse. Dès lors que des bâtiments sont construits, ils sont là et ne vont pas disparaître (alors que si la demande de yaourts diminue, on peut réduire l’offre). Donc en cas de baisse de la demande, l’impact sur le prix est particulièrement forte.
    Les choses sont différentes en cas de hausse de la demande : là, normalement, l’offre doit pouvoir suivre – même avec retard – la hausse de la demande. Il n’y a donc pas de raison a priori que la hausse de la demande produise une très forte hausse des prix – sauf s’il existe des obstacles à l’augmentation de l’offre; dans ce cas, la hausse de la demande produit une hausse des prix très forte, qui peut à son tour créer une hausse auto-entretenue. Ce sont les restrictions de l’offre qui crèent la bulle dans ces conditions.

  22. Merci pour votre réponse rapide et constructive.

    Elle me conduit pourtant à plusieurs interrogations:
    – Si la hausse des prix de 86 à 91 est due à la combinaison entre une demande forte et à une faiblesse de l’offre (contrainte), comment expliquer le retournement du marché de 91, alors qu’il n’y a pas eu augmentation de l’offre?
    – Ou, pourquoi la demande baisse-t-elle à ce moment (91) ?

    Nos points de vue ne sont pas si différents, car je pense aussi que l’offre manque d’élasticité dans l’immobilier, mais j’ai l’impression que vous sous-estimez dans votre analyse le fait que les promoteurs (ainsi que tous les intermédiaires du marché) peuvent avoir intérêts à entretenir un discours de "pénurie" si les acheteurs sont d’accord pour acheter cher leur bien immobilier.
    De même, vous ne prenez pas en compte les perceptions des acteurs, notamment des acheteurs, qui ont eu tendance à sur-estimer la "pénurie" et à sous-estimer le coût total de leur achat.

    J’ajoute deux points de conclusion:
    – Pour moi, l’effondrement de la demande en 91, ce sont des particuliers et de marchands de biens qui se rendent compte du niveau totalement irrationnel des prix, qu’ils vont perdre de l’argent, et qui fuient le marché, c’est donc la fin d’une bulle spéculative, et non d’une crise de pénurie.
    – Ce qui me pose problème dans votre billet, ce n’est pas le mode d’explication choisi (marché trop réglementé = mauvais prix) qui ne me dérange pas en soi, mais le fait que cela vous conduit à reprendre le discours de groupes de pression (promoteurs) sans montrer en quoi votre point de vue est différent du leur, ni sans justifier pourquoi il serait identique. Pour moi, cela pose un problème de positionnement scientifique.

  23. Rebonjour,

    Bon d’abord, je m’excuse car j’ai mis du temps à comprendre que votre analyse du marché immobilier était basée sur des études étasuniènes et ne coincidaient que par hasard à celle de Natexis et autres promoteurs… D’où un certain malentendu…

    Une étude gouvernementale relance aujourd’hui le débat : http://www.lesechos.fr/info/serv...
    Le nombre de ventes de logements neufs a baissé de 28% en France lorsque l’on compare le premier trimestre 2008 au premier trimestre 2007.
    Un tel chiffre ne peut être interprété que comme un signe de blocage du marché, et donc suggère une baisse future des prix de l’immobilier. Cette dernière hypothèse devenant dominante dans les médias, les professionnels et les commentateurs économiques.

    Si la baisse des prix de l’immobilier se confirme, je repose ma question :
    Quand, selon vous, a eu lieu la déréglementation du marché?

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Vous pouvez toujours poser la même question, vous aurez toujours la même réponse :-); ce n’est pas parce que la hausse est amplifiée par la réglementation que la baisse ne peut être provoquée QUE par une réduction de la réglementation.

  24. Votre réponse est un peu décevante…

    Vous écrivez un billet en janvier 2007 expliquant que la hausse des prix de l’immobilier a été très fortement amplifiée par une pénurie de l’offre créée par une réglementation trop restrictive pour la construction de logements neufs.
    Un an et demi après, les données statistiques s’accumulent pour montrer qu’il y a surproduction et que la pénurie de logements n’était qu’un mythe. De plus, l’évolution historique des prix (disponible ici : http://www.adef.org/statistiques... ) montre l’absence de corrélation avec des évolutions réglementaires depuis 1965 (la loi de 1948 a eu par contre un effet clair et net).
    Bref, c’est la théorie de la hausse expliquée par une pénurie, et qui plus est une pénurie d’origine réglementaire, qui est remise en cause, pour ne pas dire infirmée par les faits.
    Aujourd’hui, vous me répondez que la hausse des prix s’explique essentiellement par la pénurie d’origine réglementaire (sans prendre en compte mon objection sur la réalité de cette explication) et que la baisse des prix n’est pas liée à une fin de la pénurie d’origine réglementaire (j’en déduis donc qu’il ne peut s’agir que d’une forte baisse de la demande selon vous).

    Ne voyez vous pas que si l’on combine ces deux points :
    – Pas de pénurie et encore moins de pénurie d’origine réglementaire entre 2000 et 2008
    – Baisse des prix s’expliquant par une baisse de la demande depuis juillet 2007
    C’est la totalité de votre raisonnement qui est infirmé ?
    PS : je ne cherche pas à être agressif, et je vous remercie de passer du temps à me lire et à me répondre, je cherche à comprendre votre explication mais je la trouve contradictoire.

  25. Une donnée incontournable n’est jamais évoquée dans soit l’analyse soit les commentaires.
    Pour pouvoir construire et ainsi se loger, il faut encore pour un certain temps une base incontournable qu’est le foncier.
    Ce bien devient de plus en plus rare, ce qui est rare est cher, et sauf zone totalement excentrée, son prix est proportionnel à sa disponibilité.
    Or l’augmentation considérable du foncier conditionne la rentabilité d’opérations immobilieres quelle que soit leur mode d’attribution.
    Le foncier constructif est un axe majeur de création de richesses individuelles et assez peu de valeur.
    Cette constatation fait en sorte de créer des biens positionnels puisque qu’ils sont intimiement liés à l’évolution générale sociologique (hiérarchisation sociétale) et socio-économique.(discrimination en possédants et possédés)
    En france,et partout ailleurs aussi, les migrations internes liées au transfert d’activité du primaire au tertiaire et bientôt au quaternaire conditionne l’espace. Les centres d’activité sont passés des zones agricoles aux zones industrielles aux zones de services, les métropoles sont devenues le coeur d’activités en trés grande partie dématérialisées.
    Les populations n’ont plus bénéficié d’espaces larges à prix réduits, mais sont contraintes dans un espace étriqués, soumis à de réelles contraintes physiques, et donc le surenchérissement du foncier.
    Ce surenchirissement lié aux choix idéologiques de groupes d’influence, ont poussé les politiques à prendre des mesures opportunistes et hétérogénes apportant confusion,inadaptation et inhumanité.
    Ce dont le marché a bénéficier à la hausse.

  26. Les variations des cours de l’immobilier dans l’espace, et elles sont spectaculaires, s’expliquent par la présence ou l’absence de normes d’urbanisme malthusiennes.

    Aux USA on distingue ainsi entre San Francisco et Dallas, par exemple.

    De même en Europe : les loyers, et les prix d’achat, sont beaucoup plus élevés en France qu’en Belgique ou en Allemagne, par exemple.

    Les variations des cours de l’immobilier dans le temps, par contre, s’expliquent le plus souvent par des facteurs qui agissent sur la demande.

    Mais est-ce vraiment aussi simple ?

    Le cas la plus classique est celui des taux d’intérêt : quand ils baissent, les prix d’achat augmentent (mais pas les loyers) et quand ils montent, les prix d’achat baissent (mais pas les loyers)

    Bien que ces variations des cours de l’immobilier dans le temps puissent sembler amples et rapides, elles ne font qu’exprimer une réaction pathologique du marché aux facteurs qui déterminent la demande dans un contexte où l’offre est bloquée.

    En effet, si les normes d’urbanisme malthusiennes n’existaient pas, une baisse des taux d’intérêt, qui améliore la capacité d’emprunt des acheteurs, se traduirait par un boom de la construction pour satisfaire la demande solvable supplémentaire, et non par une hausse des cours, dont le seul effet est de détruire cette demande supplémentaire, faute pour le marché d’être autorisé à la satisfaire.

    Autrement dit, le fait que sur le marché de l’immobilier les baisses de taux d’intérêt ne profitent jamais à l’acheteur et que les hausses de taux d’intérêt ne lui nuisent jamais non plus est une aberration : c’est une réaction pathologique à un signal qui dans un marché libre ne produirait jamais la même réponse.

    Quand un constructeur automobile voit arriver de nouveaux clients, par exemple parce que le loyer de l’argent a diminué, il réagit en augmentant sa production, tout simplement parce que la loi l’autorise à le faire.

    Il n’est jamais obligé de relever ses tarifs pour départager les clients qui seront servis de ceux qui ne le seront pas.

    Conclusion : même des variations de cours qui à première vue nous semblent dues à des variations de la demande ne peuvent s’expliquer, en dernière analyse, que par le carcan des normes d’urbanisme malthusiennes qui étouffent l’offre et imposent la pénurie.

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