Ouf l’agriculture est sauvée!

On aurait pu croire que cette semaine l’avenir économique français et européen se jouait à Hong Kong dans les négociations de la Ministérielle de l’OMC. Mais non c’est à Bruxelles que notre courageuse diplomatie a réussi à défendre nos intérêts économiques en maintenant le budget de la PAC. Encore un petit effort et l’échec à Honk Kong sauvera définitivement notre agriculture et notre pays!

On a beau retourner le problème dans tous les sens, il n’y a aucune rationalité économique à s’acharner à distribuer des subventions aux agriculteurs. Encore peut-on imaginer des arguments en faveur d’une politique industrielle ou d’un protectionnisme ciblé dans des secteurs qui seraient “stratégiques” ou représenteraient une part importante de notre PIB (je ne dis pas que ces arguments seraient solides mais il y a possibilité d’un débat). Quand il s’agit de l’agriculture, qui représente 2,7% de notre économie, il faut un certain culot pour en faire une priorité nationale et mettre en péril éventuellement les 97,3% restants de l’activité, par exemple en bloquant un accord de libéralisation sur les secteurs non-agricoles (à commencer par les services qui constituent l’essentiel de notre PIB). On pensera que l’on protège ainsi la France rurale, que c’est un sacrifice pour empêcher une profession de disparaître et pour assurer l’égalité en aidant les petits producteurs (je mets bien sûr de côté l’argument de la “sécurité alimentaire” tant il est risible). Hmm. La France est le second exportateur mondial de produits agricoles, pas vraiment un pays victime du commerce international dans le domaine… Qui profite des paiements directs à l’agriculture? Des rapports nombreux montrent que l’essentiel va à une poignée de grosses exploitations et qu’il y a des disparités conséquentes selon les secteurs, les départements, la taille des exploitations. Sans doute notre politique est-elle un geste de solidarité à l’égard des pays en développement? Oui, oui nos hommes politiques le disent alors même que la politique agricole européenne est dénoncée en premier lieu par les pays en développement (que ce soit les gros producteurs agricoles type Brésil ou les petits comme les producteurs de coton ouest-africain). Mais à nouveau le débat est étanche à toute rationalité. Les contradictions et les mensonges les plus flagrants passent sans que personne ne réagisse. Car oui sans la PAC et en laissant faire l’OMC l’agriculture française disparaitrait… Le pays qui a le plus libéralisé son agriculture s’appelle la Nouvelle-Zélande, un grand succès avec une augmentation du revenu pour les agriculteurs, une croissance forte. Et en particulier des exportations de vin vers la France qui ont causé la colère de nos producteurs nationaux. Ah oui, quand on libéralise de façon unilatérale, on exporte plus vers les pays qui se protègent. Regardez aussi de temps en temps votre beurre et vous verrez qu’il vient principalement de Nouvelle-Zélande quand il n’est pas français. Et vous imaginez les coûts de transport, donc la différence de prix… Si vous cherchez un exemple où la bêtise collective l’emporte haut la main et où nos sociétés apparaissent comme très retardées intellectuellement malgré nos efforts pour investir dans l’éducation, le protectionnisme agricole reste un cas d’école.

11 Commentaires

  1. "Et en particulier des exportations de vin vers la France qui ont causé la colère de nos producteurs nationaux."

    Allons, allons… Tu sais bien que lorsque les producteurs nationaux vident des cuves de vin étranger, c’est :
    1 – pour la sécurité alimentaire (ça crée des emplois)
    2 – parce que, qu’on le veuille ou n on, ça crée (sûrement, forcément !) des emplois
    3 – parce que laver le sol ensuite augmente le PIB (et ça… çaaaaa créééé des emmmmpppplois !).

  2. Note de AD : commentaire déplacé dans le fil qui va bien. Nous obliger de la sorte à discuter de dette publique, c’est mal. 🙂

  3. Quid du rapport Sapir, de l’Agenda de Lisbonne,… toussa ? Tony Blair voulait pourtant « concevoir un budget qui reflète ces réalités. Là c’est le rapport Sapir qui nous montre la voie. Publié par la Commission européenne en 2003, il définit clairement ce qu’un budget moderne doit intégrer. Mettons-le en pratique. Mais un budget moderne n’est pas un budget qui, pour les dix ans à venir, va continuer à consacrer 40 % de ses dépenses à la PAC » (http://www.pmo.gov.uk/output/Pag...

    Il n’y a plus qu’à espérer qu’à défaut de budget moderne, l’Europe règlera au moins les sujets qui ne nécessitent pas de dépense supplémentaire, comme l’achèvement du marché intérieur (la libéralisation des services), la politique étrangère commune, la réforme des institutions…


    Sur la PAC, lire également :
    http://www.u-blog.net/liberte/no...
    http://www.atlantis.org/publicat...

  4. C’est "marrant", l’indépendance énergétique c’est comme la "sécurité alimentaire" moi ça ne me fait pas rire … Je dois être un peu trop risk adverse.

  5. @piwi : vous êtes donc cohérent, et vous cultivez vos deux hectares de légumes pour assurer votre autosuffisance, en replantant vos semences, du moins j’espère.
    Parce que la "sécurité alimentaire" qui consiste à importer du pétrole et des engrais chimiques au lieu d’importer des céréales, et dans laquelle la perennité des producteurs nationaux dépend d’exportations subventionnées, c’est ce que vous voulez, mais pas de la "sécurité". Il ne faut pas confondre être "risk adverse" et "rationality adverse".

  6. "Ah oui, quand on libéralise de façon unilatérale, on exporte plus vers les pays qui se protègent."

    Pourriez-vous développer cette idée ? Tant ça paraît totalement contradictoire.

  7. Ne pas confondre PiWi et ZiWi ce n’est pas la même personnne 😉
    même si je trouve la question de ZiWi intéressante car l’affirmation
    "quand on libéralise de façon unilatérale, on exporte plus vers les pays qui se protègent." implique implicitement il me semble que les coûts de production du pays qui se protège soient > coûts de production des pays étrangers + coûts de transport (on néglige par hypothèse les coûts sociaux de la libéralisation).

    "vous êtes donc cohérent, et vous cultivez vos deux hectares de légumes pour assurer votre autosuffisance, en replantant vos semences, du moins j’espère." exacte 😉 – non je rigole et en plus je ne suis pas un fervent défenseur du bio juste du bon goût des aliments.

    J’ai utilisé le mot "risk adverse" tout simplement parce qu’il me parait plus facile et moins coûteux de contrôler une industrie agro-alimentaire (au sens large) lorsqu’elle est proche; contrôle par la loi mais également par le consommateur de la qualité des produits. J’accepte de subventionner un producteur afin de mieux controler sa production.

    Pour ce qui est de l’importation de pétrole, je trouve très intéressante la réaction du milieu agricole à l’accroissement des coûts de production : chaudière au blé, moteur de machines agricoles fonctionnant au colza ….

    Pas de réaction sur la notion d’indépendance énergétique. Un pays qui subventionne la production ces propres aliments ne vous semble pas être un argument valable ?

  8. – l’ouverture unilatérale conduit le pays qui la pratique à d’une part spécialiser son économie dans des secteurs productifs, d’autre part à bénéficier de "gains dynamiques" dans ces activités. Ces deux types de gains font que le pays qui s’ouvre devient très compétitif, beaucoup plus que les pays "fermés".

    – la question du contrôle sanitaire est intéressante, mais l’argument fonctionne dans les deux sens. A mon avis, les autorités sanitaires françaises sont beaucoup moins à même d’être captées par des producteurs étrangers que par des producteurs nationaux. Les importations sont une garantie de leur objectivité. Regardez ce qui s’est passé pendant l’épidémie de "vache folle" : le seul objectif du gouvernement a été de rétablir la confiance envers la "filière viande". De la même façon, si une épidémie ou un problème sanitaire se pose dans un pays étranger, on change de pays fournisseur facilement; si on pratique le protectionnisme et que notre pays est victime d’un problème sanitaire, on a des gros soucis. La sécurité provient en tout premier lieu de la diversité des approvisionnements.

    – sur les importations de pétrole : regardez la réalité, pas les reportages édifiants de france télévision. Le secteur agricole consomme énormément d’énergie, et est archidépendant des engrais chimiques dérivés du pétrole.

    – pas sûr d’avoir compris la question. Et même si on a pour objectif de subventionner les agriculteurs, il y a des tas de moyens de le faire de façon égalitaire, sans perturber les cours mondiaux, sans protectionnisme, sans encourager le productivisme, et à un coût tolérable : même en admettant la nécessité de subventionner l’agriculture, le protectionnisme est la façon la plus conne de le faire.

  9. "Ah oui, quand on libéralise de façon unilatérale, on exporte plus vers les pays qui se protègent."

    Oui, j’avoue que la phrase était volontairement provocante! Mais c’est quelque chose que l’on observe souvent. Je précise qu’il ne s’agit pas d’une "loi économique" pour autant et que la généralité de la formule est à manier avec prudence. Mais comme expliqué par éconoclaste-alexandre le pays qui libéralise devient généralement plus compétitif et peut exporter davantage (à protection inchangée dans les autres pays).

    Il faut surtout souligner que c’est dans le choix des productions que la libéralisation et la spécialisation font la différence. Quand on protège un nombre limité de produits agricoles comme dans le cas de la PAC, on pousse les producteurs artificiellement vers ces productions au détriment d’autres où le pays a potentiellement un avantage comparatif. C’est d’autant plus désastreux quand on le fait à l’échelle d’un continent et qu’ainsi on tend à avoir les mêmes productions agricoles dans l’ensemble des pays européens (ce qui crée une concurrence d’autant plus forte dans le marché intérieur européen).

    Comme cela a été observé dans le cas de la Nouvelle-Zélande, la réforme qui fait disparaître les soutiens agricoles oriente les producteurs vers de nouveaux produits qui dégagent des marges plus importantes et au final les agriculteurs peuvent même augmenter leurs revenus.

    Il faut aussi ajouter pour être complet que la raison pour laquelle les produits agricoles néo-zélandais sont si présent sur le marché européen trouve aussi son origine dans les accords à l’OMC. Pour parvenir à la conclusion de l’accord sur l’agriculture de l’Uruguay Round l’Europe a dû faire beaucoup de concessions à la Nouvelle-Zélande. Comme quoi oui le pays qui libéralise unilatéralement s’en sort mieux!

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