N’écoutez pas Christine Lagarde

Dans le Figaro, elle vous invite à “faire jouer la concurrence”. Attention, il se pourrait bien que sa conception de la concurrence soit la même que celle d’un altermondialiste.

Dans cet article, on lit : “Il ressort qu’en achetant les 20 produits étudiés par la Répression des fraudes, le panier s’élève à 37.54 euros chez Auchan, 38.26 euros chez Carrefour, 37.59 euros dans l’enseigne Cora, 38.45 euros chez Géant Casino, 34.42 euros dans les Intermarchés (sans compter les yaourts Yoplait) et 35.54 euros pour Leclerc. La ministre invite «les consommateurs à faire jouer la concurrence».”.

Quand j’ai vu la dame descendre l’autre fois dans le Carrefour d’à côté de son bureau, j’ai déjà eu du mal à ne pas m’étouffer en avalant ma tranche de jambon à 40% (de hausse). Estimant que cette sortie ne valait pas que j’en parle ici, je n’ai rien dit. Ici, on nous explique que les prix sont différents entre enseignes, parce que les consommateurs ne font pas jouer la concurrence et que changer de crèmerie aura un impact sur les prix. C’est littéralement se foutre de la gueule du monde. Pour deux raisons :
– la première, c’est que notre ministre suppose de facto que des gens qui se plaignent sans cesse de la baisse de leur pouvoir d’achat ne sont pas foutus de faire ce geste idiot pour l’améliorer. Le sage nouveau classique le dit : un billet de 100€ par terre, ça n’existe pas. Quelqu’un l’aurait déjà ramassé. Il n’a pas toujours tort.
– la seconde est la plus fondamentale : si les prix sont élevés, c’est qu’il n’est pas possible de faire jouer la concurrence ; sinon, ils seraient bas. Je m’explique. Comme le signale par exemple Martin dans l’article déjà signalé ce jour, une grande surface, même dotée d’un pouvoir de marché, fait face à une demande plus ou moins élastique au prix. Des prix trop hauts, c’est une baisse de la demande, qu’elle aille ou non à la concurrence. Et des prix trop bas, quand on détient un pouvoir de marché, c’est une mauvaise idée aussi. D’où vient la faible élasticité de la demande des grandes surfaces ? De deux choses.

  • La première, c’est la différenciation des produits et services, qui fait que chaque enseigne capte une clientèle captive, soit qu’elle est prête à payer plus cher pour certains services, soit qu’elle trouve des produits spécifiques, peut-être à un prix plus faible qu’ailleurs, du reste (les fameux produits d’appel). Globalement, ça, c’est une bonne chose ; c’est ce qui fait, même si on pourrait rêver mieux, que nous ne mangeons pas tous la même chose.
  • La deuxième, probablement la plus importante, ce sont les coûts de transaction. Il n’a échappé à personne qu’on ne parcourt pas 10 km, pour économiser 2€ sur un panier à 40€. Entre le coût d’opportunité du déplacement et les coûts de transport, on ne se déplace pas.

Les écarts de prix reflètent peu ou prou ces aspects. Il est donc utile de remarquer deux choses. La première, c’est que lorsque les enseignes n’ont pas de risque de voir débarquer le méchant Wal Mart dans leur zone, elles n’ont aucune raison de différencier particulièrement les biens vendus et encore moins de réduire leurs prix. Il suffit de les ajuster suffisamment pour que les coûts de transaction ne justifie pas un déplacement vers le concurrent éloigné. Or, ce que vous demande Christine Lagarde, c’est de déjouer cette stratégie en acceptant de supporter des coûts de transaction plus élevés, de sorte que vous paierez le produit moins cher, mais en échange de coûts annexes qui déboucheront sur un coût total prix d’achat + frais annexes plus élevé. Insensiblement, cela me fait penser à un altermondialiste qui vous appelle au boycott des produits des firmes qui se comportent mal. La différence, c’est que je peux comprendre qu’on tire une satisfaction personnelle d’un boycott des stations service Total après l’Erika, mais je ne comprends pas qu’on puisse payer pour punir une enseigne de pratiquer des prix plus élevés de 4%. D’autant que, comme je l’écrivais, la plupart des enseignes pratiquent aussi la différenciation des produits et des services. Or, puisque Géant est montré du doigt, on peut remarquer que cette enseigne a, notamment dans le domaine de l’alimentation, une politique de différenciation verticale (sur la qualité des produits) et horizontale (sur la variété) qui n’a rien à voir avec Leclerc, par exemple.

En conclusion, ce que vous demande la ministre, c’est de réaliser un investissement qui ne serait rentable qu’à moyen terme, si nous suivons tous ses conseils, en bloc. C’est une étrange façon de concevoir la coordination efficace dans une économie de marché où la concurrence est entravée. Car, en réalité, pour que ce petit miracle arrive de façon certaine, il n’y a qu’une solution : faire du marché de la grande distribution un marché de concurrence parfaite. Plutôt que de demander aux consommateurs de supporter un effort aussi improbablement productif que ridicule, il y a une solution simple : s’attaquer aux restrictions de concurrence sur la localisation des enseignes. Mais ça, vous comprenez, c’est bien plus compliqué que de rejeter implicitement la faute sur les consommateurs eux-mêmes.

16 Commentaires

  1. J’ai remarqué que la majorité des acteurs institutionnels s’est évertuée à discréditer le travail et la méthodologie de l’UFC : c’était oublier que le rôle que se donne l’UFC, qui est, lui, soumis aux règles du marché et doit inventer chaque jour la valeur qu’il créé pour ses adhérents, est notamment d’aider le consommateur à affronter les discriminations tarifaires et écrans de fumée mis en place par les distributions.

    Autrement dit, que le citoyen-consommateur-électeur ne se trompe certainement pas en réfléchissant quand à savoir qui parmi les acteurs en présence cherche à lui rendre service et qui sert d’autres intérêts.

    Si j’étais à la place de l’UFC, je m’empresserais d’aller voir Mme Lagarde pour suggérer que quelques fonds publics subventionnent le travail de vigilance sur les prix et d’information des citoyens exercé par l’UFC.

    Réponse de Stéphane Ménia
    J’avoue être troublé par l’organisation de la critique du travail de l’UFC, quoiqu’on puisse en dire, par ailleurs.

  2. Votre réponse est réellement rassurante.

    Bien sûr il y aurait à redire du travail de l’UFC d’un point de vue scientifique. Mais l’UFC n’a pas vocation scientifique : l’UFC est un libre acteur du marché : il existe pour fournir le plus d’information possible en utilisant le moins de ressources possibles. Il est alors naturel de se contenter d’éléments fragmentaires pour rendre le service attendu : fabriquer l’information, la révéler, l’empaqueter, la vendre, et laisser à qui voudra parmi les acteurs hors-marché qui font profession d’étudier la société l’initiative d’approfondir.

    Et ce ne sera un scoop pour personne je suppose d’entendre que la plupart des enquêtes de l’UFC sont inspirées par les correspondances spontanées des adhérents qui contribuent généralement largement à la définition des positions initiales que prend l’UFC avant de démarrer ses enquêtes.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Oui, enfin, l’UFCl’INC a quand même une autorité et une crédibilité qu’elle se doit de conserver. Il me semble qu’elle a pris des risques maladroitement ici. Et je ne verserai pas dans l’angélisme sur l’UFC. Elle est en concurrence avec d’autres associations du même type, offre des positions à ses personnalités et a des préférences partisanes (je veux dire une idéologie). Partant de là, elle peut faire de vilaines choses. Ce qui n’enlève rien à ce que je disais au dessus.
    Edit : c’est l’INC, pas l’UFC…

  3. Entendu ce jour à la radio :

    Les grandes surface font verser les marges arrières en Suisse pour contourner la fin de la loi. Vrai ou faux ?

    En tout cas, si cela est vrai (on n’est plus à un scandale près!), a quoi bon enseigner et expliquer des théories économiques. Nous sommes entrer dans une période ou seul compte la loi du plus fort. Il n’y plus ni principes ni de morale.

  4. Euh, UFC, INC, n’y aurait-il pas une petite confusion quelque part ? On ne prête qu’aux riches, me direz-vous.
    Bon, d’accord, je termine mon billet ce soir ; bien obligé.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Oula, oui, en effet. Quand je disais qu’il y avait concurrence…

  5. Comment faire jouer la concurrence et donc visiter 4 ou 5 enseignes pour faire ses courses au moins cher quand on travaille déjà plus pour gagner plus ? Travailler plus, c’est avoir moins de temps pour faire son petit marché. Le prochain slogan de campagne de Nicolas Sarkozy sera-t-il "Dormir moins pour acheter moins cher ?"

  6. Jolie petite leçon de micro-économie.

    Sur la ministre, encore une fois, le comportement de nos chers représentants est à l’emporte-pièce. Un de ses conseillers lui a dit que la concurrence, c’était bien, que çà permettait de faire baisser les prix, du coup, comme elle est libérale, elle considère sans discernement que la concurrence c’est bon pour le consommateur, mais que c’est à lui de faire jouer cette concurrence… et voilà le tour de passe passe : si les prix sont élevés c’est de la faute des consommateurs qui n’ont pas pris la peine de comparer les prix, de se déplacer les samedi apres-midi dans les supermarchés du coin pour comparer… bref, nous sommes responsables !

    en même temps, tant qu’elle dit des trucs comme çà, elle ne fait pas de mal, sauf à nos oreilles d’économistes…

  7. @passant

    Sauf erreur de ma part, l’INC est déjà subventionné par le gouvernement à hauteur de 40 ou 50 % de son budget : alize.finances.gouv.fr/bu…

    Maintenant, quand un intervenant communique, il me parait légitime de vérifier ses chiffres. En l’occurence, l’enquête de l’INC était particulièrement baclée.

    Pour le reste, je suis d’accord avec SM. Si le gouvernement veut faire baisser les marges de la distribution, il est urgent de rendre ce secteur plus concurrentiel en limitant les réglémentations qui l’entravent.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Qur l’INC, je conseille de lire le billet que Denys a écrit sur le sujet.

  8. Concernant l’argument de "l’autorité à conserver", je remarque que dès lors qu’on parle de "prix", en France, les officines promptes à revendiquer l’autorité à définir ce qu’est un prix, et surtout, son évolution sont légion, surtout depuis la signature du pacte de stabilité dans ses diverses incarnations me permettrais-je d’ailleurs d’ironiser.

    L’INC, puisque c’est de lui qu’il s’agit, même subventionné, n’a évidemment pas vocation à rentrer en concurrence avec les nombreuses officines et instituts infiniments plus officiels, et donc, qualifiés d’autorité à parler de prix.

    Peut-être les associations comme l’INC et l’UFC devraient-elles en effet plutôt étudier les budgets des ménages que les "prix", puisque manifestement, il ne semble plus en France possible de parler sereinement de prix. Aux yeux des citoyens, ce sont deux sujets parfaitement identiques, mais ils sont distincts aux yeux des spécialistes, qui, dès lors, ne s’estimeront plus personnellement offensés par le fonctionnement normal de la démocratie.

  9. Quelques infos:
    l’INC et sa revue 60 millions de consommateurs sont des établissements publics dépendant de Bercy.
    L’UFC est une assoc indépendante (très bien) financée par son journal (que choisir), et peu ou pas de subventions publiques.
    L’UFC n’est pas en "concurrence" avec l’INC mais avec la CLCV et une nébuleuse d’autres assoc moins connues qui vivotent grâce au saupoudrage des subventions.
    Donc, il n’est pas juste de faire retomber le discrédit de l’enquête de l’INC sur l’UFC qui se débrouille déjà bien toute seule pour défendre parfois des positions (un peu) démagogiques (taxe total, licence globale, par ex).

    Réponse de Stéphane Ménia
    La confusion initiale a été rectifiée. Donc, on peut dire que l’UFC est “mise hors de cause”.

  10. @passant,

    J’ai vraiment l’impression que vous réclamez un droit à l’incompétence.

    La question des prix est réellement complexe. D’abord parce qu’il existe des dizaines de déclinaisons d’un même article : Quelqu’un qui n’est pas du domaine a-t-il compris que la "vache qui rit" boycotté par Leclerc était la boite de douze et pas la boite de 24 ?

    Si la valeur ajouté de l’INC est de reprendre le refrein entendu 1 000 fois : "mais tout augmente" en l’étayant par des faux chiffres, ne pensez vous pas que cela déservent les intérêts des consommateurs ? En particulier en désignant un bouc émissaire : la grande distribution.

    Est-ce contribuer au débat démocratique que de mentir ?

  11. Je reste toujours sceptique quant à cet appel à vouloir libéraliser impérativement le secteur de la grande distribution. En effet si cette libéralisation aurait (je vous fait confiance sur ce point) un effet bénéfique sur le pouvoir d’achat. D’un point de vue politique il y a beaucoup d’autres facteurs à rentrer en ligne de compte : aménagement du territoire, impact en termes environnementaux (ne serait-ce que du point de vue CO2), etc qui s’opposent à une libéralisation massive et rapide de l’implantation des grandes surfaces de distribution.

    Alors une petite question à un économiste : En admettant que la voie de libéralisation des grandes surfaces de distribution est impossible (les raisons importent peu), quelles autres solutions permettraient de faire diminuer l’augmentation des prix ? Et quels sont les acteurs qui ont le plus d’influence sur ce point (État, autres pouvoirs publics, consommateurs…) ?

  12. P.S. Je suis tout à fait d’accord avec le reste du billet, c’est seulement l’avant dernière phrase qui me fait sursauter. Elle est à mon goût simplificatrice à outrance.

  13. henriparisien: ce que je revendique, en effet, c’est le droit, en démocratie, de prendre en compte son propre vécu et d’essayer d’en parler, de laisser se faire le débat public, sans nécessairement devoir préalablement demander l’autorisation aux docteurs es-qualité sélectionnés et rémunérés par les institutions. Voire, de remettre en question l’utilité de rémunérer les auxilliaires de l’institution dès lors qu’ils prétendent être les seuls habilités à définir une notion aussi centrale dans les relations sociales, du moins, dans nos modèles de sociétés, que celle du prix, du chômage, des salaires, des revenus.

  14. Ecoutez, Passant, de la part d’un organisme payé pour surveiller les prix, donner des mauvais prix, c’est une connerie, quand même. Ce n’est pas une histoire de chapelles ou de niveau de formation. Et quand on est pris à dire une connerie, dans son propre domaine qui plus est, on s’excuse, on prend note et on recommence pas, point barre.

    Ensuite, si vous revendiquez le droit des citoyens à dire des conneries, ne vous en faites pas, c’est un droit largement respecté.

  15. Pour sur, ce que prone Mme Lagarde, les consommateurs l’on deja fait. Ce qui fait que pres de chez moi, tous mes voisins retournent a la supérettes de quartier (coccinelle pour ne pas la nommer) car le supermarché Casino est depuis octobre plus cher ! (Geant est plus loin est pratique les mêmes prix que Casino, c’est la même enseigne au départ et leur pseudo concurrent est Carefour). Bref a Marseille Sud, les petits commercants ont de l’avenir.

    Tout ceci me fait penser que les marges des distributeurs ont bien augmente (tres bon T4 pour Casino) J’aurais du mal a croire que leurs acheteurs soient moins bons que ceux des superettes.

    Une belle embellie pour la supérette qui s’est mise a faire la livraison gratuite dans le quartier.

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