Méli-Mélo

Quelle réglementation pour la finance? Andrew Lo a une idée de départ : traiter la finance comme le transport aérien. Voir aussi David Warsh sur le sujet. De leur côté, Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart souhaitent un régulateur indépendant des pressions politiques; bon courage.

John Kay expose le problème central de tout politicien de centre-gauche arrivant au pouvoir : trouver un nouvel équilibre entre Etat et marché, entre deux doctrines – la social-démocratie et et libéralisme redistributif. La social-démocratie repose sur l’illusion de la capacité de bureaucrates et de politiques supposés bienveillants à allouer des ressources de façon satisfaisante; le libéralisme redistributif repose sur l’idée que l’Etat doit laisser le marché fonctionner, et se contenter de redistribuer les revenus de façon plus juste. Le problème de ces deux doctrines, c’est qu’elles négligent le fait que ni l’état, ni le marché, ne fonctionnent vraiment de façon satisfaisante. J’ajouterai un autre problème : ces doctrines de centre-gauche souffrent toutes deux de l’illusion selon laquelle il est possible d’aller à l’encontre du dilemme central des politiques économiques, le dilemme entre efficacité économique et égalité. Toutes deux sont des tentatives d’avoir l’un et l’autre, et sont de ce fait vouées à de grandes difficultés, qui se sont matérialisées dès que les conditions particulières de l’après-guerre ont cessé. Kay considère que le pragmatisme prôné par Obama est une bonne solution; c’est oublier que celui-ci n’opère jamais dans un univers dénué de jugements de valeurs.

Rationalité limitée relaie Dani Rodrik, sur le sujet largement débattu de l’impact du protectionnisme sur la croissance. Rodrik cite deux papiers fondés sur des analyses sectorielles montrant que raisonner sur le protectionnisme “en général” n’est guère satisfaisant : la structure de la protection compte. En somme, favoriser par des barrières protectionnistes certains secteurs peut être corrélé avec un effet positif sur la croissance, et un effet négatif si la protection bénéficie à d’autres secteurs (typiquement, le protectionnisme agricole nuit à la croissance). Rodrik rappelle utilement que le contexte macroéconomique international compte également : espérer en situation de crise internationale reporter celle-ci sur les voisins par des barrières protectionnistes est la recette d’une catastrophe généralisée.
Ce genre d’analyse est extrêmement intéressant et utile, mais tend à me laisser sur ma faim en négligeant l’économie politique de la protection. En effet, dans un pays en développement ou en rattrapage économique, les motivations du pouvoir politique sont très importantes : les pouvoirs publics “pro-croissance” tendent souvent à être proches, ou confondus, avec les intérêts d’industriels nationaux. Dans les pays asiatiques à croissance rapide au cours des dernières décennies, de ce fait, les barrières protectionnistes ont accompagné toute une série d’autres instruments de politique visant à favoriser les industriels – orientation du crédit et de l’investissement, subventions sectorielles, statut de l’investissement étranger, etc – au point qu’il est impossible de distinguer l’effet d’un élément des politiques publiques des autres. L’application de barrières protectionnistes dans un secteur aurait dans ce cas un effet négatif compensé par l’effet positif d’autres mesures. Si le protectionnisme dans certains secteurs spécifiques est un “proxy” pour “gouvernement pro-croissance” il devient impossible d’identifier l’effet spécifique de la protection. Au passage, les spécialistes de la question, Rodrik en premier, sont parfaitement conscients de ces difficultés.

Alexandre Delaigue

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6 Commentaires

  1. "espérer en situation de crise internationale reporter celle-ci sur les voisins par des barrières protectionnistes est la recette d’une catastrophe généralisée. "

    On peut espérer que des économies suffisamment grandes pour être à peu près auto-suffisantes seront épargnées par cette catastrophe.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    C’est ce qu’on pensait dans les années 30 – à tort.

  2. La dépression des années 30 a eu des impacts significatifs sur les nombreuses économies qui fonctionnaient alors à peu près en autarcie ?

    Réponse de Alexandre Delaigue
    La dépression des années 30 a été caractérisée par de nombreux pays proches de l’autarcie, ou pouvant imaginer fonctionner en autarcie, cherchant par des barrières douanières à renvoyer la crise chez les voisins.

  3. Bonsoir,

    à propos du dilemne entre efficacité économique et égalité, où puis-je trouver un peu de lecture la dessus ?

    cordialement.
    Paulo

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Il y a beaucoup de choses intéressantes sur le sujet dans le bouquin de Chris Dillow, “the end of politics”, qui est centré sur le problème des socio-démocrates anglais et du Blairisme. Sinon, le grand classique sur le sujet est le livre d’Arthur Okun, “equality and efficiency : the great trade-off”.

  4. Y a un lien, pour John Kay sur le centre-gauche?

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Oups, vous avez raison, lien oublié. C’est rectifié. Merci 🙂

  5. Le bilan de la déréglementation du transport aérien aux US n’est aujourd’hui pas très bon. Certes c’était pas cher, mais extrêmement fragile et ne satisfaisait pas vraiment les clients à cause de la qualité catastrophique.

  6. L’idée même d’un secteur de la finance reposait sur l’idée selon laquelle il n’était pas possible d’organiser l’allocation des capitaux détenus par les individus dans une société libre. D’où l’idée d’organiser l’exploitation de ces capitaux sous la forme de fermages qui est le fondement de la finance moderne, finance moderne qui semble aujourd’hui confrontée à des difficultés insolubles.

    Avec l’informatique dont on dispose de nos jours, des choses bien différentes seraient possibles : centraliser l’information sur les capitaux exactement détenus par des dizaines de millions d’individus n’est plus un problème technique dont la complexité justifie la délégation à des professionnels identifiés. Le besoin réel reste d’optimiser l’allocation de ces capitaux, et cela peut se concevoir de manière très différente de ce qu’on fait aujourd’hui par l’épargne, la fiscalité, l’investissement, les prélèvements obligatoires et les pensions. Bien sûr, ça semble de prime abord irréaliste : mais puisqu’on peut penser que le premier qui parviendra à organiser cela obtiendra ce faisant un avantage significatif sur sa concurrence…

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