Les temps scolaires : micro réflexion autour de la productivité (en appelant d’autres)

Vincent Peillon a annoncé son souhait qu’à une échéance lointaine, les vacances scolaires soient raccourcies en été de deux semaines, environ. Les réactions politiques sont sans grand intérêt. Autant faire l’andouille avec le cannabis était d’une stupidité sans nom, autant annoncer qu’on espère changer la durée des vacances scolaires d’été mais que l’on est conscient de ne pas pouvoir le faire du jour au lendemain ne me semble pas insupportable, surtout que la question se pose vraiment. A vrai dire, dans le contexte de son entretien sur BFM TV (dans lequel Peillon s’est par ailleurs montré bien documenté), son seul argument a porté sur la comparaison avec les autres pays européens. N’ayant pas ces données pleinement en tête, j’ai recherché quelques éléments chiffrés, que j’ai trouvés dans cet article.

Le premier constat est sans appel : il y a des disparités énormes entre le nombre de semaines de vacances en été, de 6 à 12 ou 13, selon les pays, la France se situant plutôt vers la médiane, à vue de nez. Le second constat pourrait être mobilisé d’emblée contre les voeux du ministre. Dans le pays le plus performant en matière de résultats scolaires (la Finlande), les élèves ont entre 10 et 11 semaines de vacances en été. Raccourcir la durée des vacances ne semble donc pas une très bonne idée, de ce point de vue et on pourrait railler le ministre. Je m’en garderai bien. La réalité, c’est qu’il n’y a probablement pas de lien entre durée des vacances scolaires et performances du système scolaire.

Néanmoins, le ministre semble en faire un, en considérant, à juste titre si on se fie à l’état des savoirs sur le sujet, la durée des journées de travail en France est trop élevée pour les élèves. Ainsi, pour raccourcir la durée des journées de travail scolaire, il faudrait que les enfants aillent à l’école un plus grand nombre de jours, ce qui réduirait la durée des vacances scolaires. Raisonnement limpide, a priori. Doublement pas, en fait.

Un, il suppose que le volume d’heures de cours annuel est optimal. Comme le rappelle l’article, les élèves français ont beaucoup d’heures de cours sur une année. On peut regretter qu’elles soient concentrées sur un faible nombre de semaines. On peut aussi se demander si asseoir les gens aussi longtemps dans une classe est utile.

Deux, il suppose que les heures ajoutées auraient une productivité normale. Quand comme moi on vit à Marseille, on pense immédiatement à ce que donneraient des heures de cours au mois de juillet ou en août, dans des bâtiments non climatisés. Pour déjà connaître cela en juin ou septembre, autant le dire clairement : seules les heures de 8h à 10h ou 11h auraient un intérêt. Et autant le dire aussi clairement : compte tenu des contraintes logistiques d’un établissement, il est impossible d’envisager de mettre en classe tous les élèves d’un établissement sur ce créneau horaire. Les salles manquent. Sans quoi, on pourrait arriver à faire des journées à peu près équilibrées et utiles. A ce stade, je ne vois qu’une possibilité : climatiser les établissements des régions où il fait chaud en été. Ou bien, ne pensons pas la France comme un territoire unique et modulons la répartition des vacances selon les régions. Oups, je m’excuse, dans notre République une et indivisible, mes propos sonnent comme une insulte. Pourtant, j’ai le sentiment que ce serait une bonne chose, les rythmes sociaux n’étant pas forcément identiques selon les saisons, même à l’intérieur de l’Hexagone. Cette modulation existe dans un certain nombre de pays. Quitte à tirer partie des expériences étrangères, autant le faire jusqu’au bout.

Avant de conclure, notons l’ampleur du problème à gérer. Dans cet article, par exemple, la part consacrée à l’efficacité scolaire de la mesure est de l’ordre de 10%. C’est à la fois pitoyable et carrément justifié. Car, au fond, on sait que ce n’est pas le problème qui guidera une décision politique digne de ce nom (c’est-à-dire qui permette d’être réélu). Et tout le monde pleurera ensuite sur l’état de l’École, après avoir demandé sa petite faveur.

Mais, je l’ai déjà écrit ici, j’ai de toute façon une préférence pour une autre solution : moins d’heures de cours dans l’année (non, pas pour les profs, pour les élèves uniquement). J’en avais déjà parlé ici et . Je n’en démords pas. L’abrutissement scolaire est une calamité :
– il réduit la productivité car on ne peut être raisonnablement attentif et heureux d’apprendre en classe plus de x heures par semaine.
– il coûte cher en salaires d’enseignants car il y a de plus d’heures à assurer, donc plus d’enseignants à employer.
– il coûte très cher par le fait qu’il ne laisse plus de place au développement du travail personnel chez des élèves qui, ayant passé de nombreuses heures en classe, ne sont plus en mesure de travailler chez eux, alors que c’est une des clés de l’appropriation de la connaissance (les questions d’inégalités liées au milieu familial devant être appréhendées, mais séparément).

Alors pourquoi n’envisage-t-on pas cela ? J’y vois une explication centrale : l’importance de la compétition scolaire. Chez nous, réduire le nombre d’heures de cours est synonyme de baisse de la qualité de l’enseignement. Les mêmes parents qui s’insurgent de la lourdeur des horaires de leurs enfants sont capables de s’inquiéter de la diminution des emplois du temps. Et du côté des syndicats, je doute que la perspective de réduire le nombre de postes soit très bien vue. Pour être franc, il y a peu de motif d’espoir. La compétition scolaire a de beaux jours devant elle. La productivité et l’efficacité ne sont pas des concepts français dans de nombreux domaines. C’est vrai dans l’enseignement (un prof qui corrige ses copies deux fois plus vite que les autres en obtenant pourtant des évaluations jugées satisfaisantes sur des copies comparables est un bâcleur, pas un professionnel efficace). Mais c’est vrai bien au delà (la réunionite et l’évaluation faite aux heures passées au boulot plutôt qu’au boulot abattu en un temps donné sont une calamité dans beaucoup de nos entreprises).

Réduire la durée des vacances scolaires en conservant le même volume horaire pourrait être une bonne idée pédagogiquement si cela était fait sérieusement. En bref, en décentralisant après avoir étudié l’impact sur la productivité réelle. Mais il y a probablement encore mieux à faire.