Les lois de la condition humaine, les mots et Parisot

Récemment, je me disais que Parisot, ça avait tout de même plus de gueule que Seillère. Non pas que j’ai eu une quelconque sympathie pour cette dame , que je ne connaissais pas ou presque. Encore moins parce qu’il s’agit d’une femme (en la matière, j’applique la parité depuis longtemps ; porter des jupes, fussent-elles courtes, n’a jamais eu une influence significative sur moi – du moins dans le cadre professionnel). Mais, franchement, être plus détestable humainement que le baron et nuisible pour le dialogue social dans ce pays, relevait de la gageure ou… d’une certaine forme de syndicalisme ouvrier.

Voici deux jours de cela, un lecteur nous adresse un “premier avertissement”. Il cite Parisot dans les Echos du 31 août 2005 : “je pense qu’on peut recourir à un tout petit peu d’utopie comme on met un tout petit peu de sel dans un plat. Et en tant que femme, sachez que j’essaierai de trouver”. L’utopie est donc contrôlée (et contrôlable, doit-on supposer). Et c’est, en priorité, une affaire de femme. Bien. Je le note. Je ne sais pas si ce sont les talents culinaires des femmes ou leur sens de l’utopie qui justifie cette mise en avant de sa féminité. Dans les deux cas, on peut rester circonspect devant la déclaration. Personnellement, j’en ai déduit qu’il s’agissait simplement du résultat d’un brainstorming de com effreiné, dont il est ressorti :
1 – que le concept d’utopie pouvait être porteur, si on ne le salait pas trop ;
2 – qu’il était absolument essentiel de placer dès que possible que Laurence Parisot est une femme (et que ça fait toute la différence ; avec un homme par exemple).

Mais ce n’était qu’un début. Voici ce qu’on peut lire dans une dépêche Reuters de ce jour : ” PARIS (Reuters) – La présidente du Medef a de nouveau plaidé samedi pour une plus grande fluidité de l’emploi et estimé que la précarité du travail était une loi de la condition humaine.

‘Je ne suis pas contre la stabilité. Je dis qu’un excès de fixisme est une illusion et quelque chose que par définition nous ne pourrons pas atteindre. Ça relève (…) absolument de l’utopie’, a déclaré Laurence Parisot sur France Inter.

‘Le mot précarité est un mot à la mode qui a pour objectif de nous empêcher de réfléchir”, a ajouté la présidente de l’organisation patronale, estimant que ‘la précarité était une loi de la condition humaine.'”

Ce qui est précaire, c’est ce dont l’avenir n’est pas assuré. A ce titre, Madame Parisot a raison de dire que l’humanité subit la précarité de diverses façons. Mais quand il est question de marché du travail, la voilà prise en flagrant délit d’ignorance ou de mensonge par omission. Car, si vous prenez un lexique juridique (comme celui-ci par exemple), vous trouverez une définition de la précarité qui devrait vous mettre la puce à l’oreille : “caractère de ce qui est librement révocable au gré du maître d’une chose”, un sens dérivé indiquant que “par extension, caractère de ce qui est fragile, instable, incertain. Ex : précarité de l’emploi”.

Parisot a tout à fait raison de dire qu’il est possible d’imaginer un marché du travail précaire. A divers degrés, du reste. D’ailleurs, le reste de son intervention est beaucoup plus acceptable à mon sens, quand elle parle de fluidifier le marché du travail pour permettre des transitions plus faciles d’un emploi à un autre, d’un secteur à un autre, d’un métier à un autre. Le tout aboutissant, en principe, à moins de chômage.
Alors, où est le problème ? Il est simplement qu’en se plaçant sur un registre sous-jacent quasi philosophique, notre patronne des patrons remet en cause , l’air de rien, le progrès technique et la civilisation, qui ne sont rien d’autre que l’effort permanent des hommes pour réduire la précarité inhérente à leur condition. Loin de moi l’idée de mettre en avant un monde où la précarité aurait totalement disparue. Mais, que je sache, si la précarité est une “loi”, alors, on ne peut rien faire contre elle. Mieux, elle doit probablement être respectée…

Je joue sur les mots ? Non, je ne crois pas. Remettons les dans leur contexte : c’est la présidente du MEDEF qui les pronconce. En omettant une part majeur de leur sens (la partie juridique). De manière fort ambigüe concernant les vertus de la précarité. Et nécessairement consciente de la signification qu’ils prendront dans sa bouche. Cette déclaration va peut-être faire couler beaucoup d’encre. Ce que je crains, c’est que la majorité des détracteurs accepte de jouer sur le même terrain qu’elle.

Nul doute en tout cas que, si elle continue, elle fera une entrée fracassante dans notre bêtisier.

9 Commentaires

  1. http://www.lepoint.fr/economie/d...
    Citation : « Beaucoup de choses dans la vie sont précaires. La santé, c’est précaire. L’amour, c’est précaire. La vie d’une entreprise, c’est précaire. Le travail peut avoir une forme de précarité. »

    Ca me rappelle l’époque ou des hommes politiques – de gauche et de droite – voulaient donner le "gout du risque au francais"… C’est un peu le même message dit autrement. D’ailleurs je me demande pourquoi on a pas proposé à l’époque d’interdire les ceintures de sécurité et les assurance pour progresser plus vite dans cette voie.

    Economiquement le débat renvoie à monb avis sur un clivage entre deux méthodes :
    – une methode centrée sur le PIB, qui ignore, par construction, le cout de la precarité
    – une methode centrée sur le bonheur (cf livre de Layard sur le sujet, et les differentes etudes recentes).

    Les études montrent que le bonheur et relatif : c’est moins le niveau absolu de richesse qui compte que les écarts – le risque a donc un cout (par définition, un risque c’est une possibilité de variation, dans le mauvais sens qui plus est).

  2. Dans le cas du travail, de toute façon, la grille d’analyse de Parisot est totalement bidon. Et c’est probablement trop d’honneur que de lui accorder une méthode…
    Au sujet du risque, donner le goût du risque, c’est amusant, c’est vrai. Moi, connement, j’avais cru comprendre (et je pense que tu ne dis pas autre chose) que le niveau de risque accepté n’est jamais indépendant du niveau de gain escompté en contrepartie. Bref, le goût du risque, ça n’existe pas, même chez ceux qui en prennent beaucoup.
    Ensuite, il est assez cocasse de constater qu’elle n’a pas daigné aborder la question de la fameuse "flexsécurité". Car si elle avait voulu, "en tant que femme" je suppose, poursuivre dans la partie bienveillante de son analyse (les bienfaits de la fluidité du marché du travail), elle n’aurait pas manqué d’en dire deux mots. Gros soucis pour elle :
    – ce n’est plus glamour, tout le monde en a déjà parlé
    – annoncer à ses ouailles qu’on est disposé à dépenser du fric pour la protection sociale, ça passe mal au MEDEF.

    Conséquence : espèce de discours un tantinet darwinien sur la condition humaine. Et surtout, darwinien con.

  3. C’est quoi exactement la "précarité"? Avoir un emploi à vie que l’on trouve détestable dans un pays avec tellement de chômeurs que l’on n’ose pas partir et que l’on se contente de prendre tous les arrêts maladie que l’on peut, c’est de la "stabilité" ou du "fixisme"? Et courir un risque de licenciement en sachant que là ou l’on réside, on trouvera un emploi dans des conditions équivalentes au précédent très rapidement, c’est de la "précarité"?

    Le social-étatisme cocogaulliste a conduit à mettre en place tellement de corporatismes dans la société française que les mots ne veulent plus rien dire, et que l’appartenance éternelle à une corporation privilégiée apparaît comme le nec plus ultra de la protection sociale.

    Il serait peut-être temps de se souvenir que Beveridge, l’un des inventeurs de l’état providence, définissait le plein-emploi comme le la situation dans laquelle tout chômeur peut choisir entre plusieurs offres d’emploi disponibles et susceptibles de l’intéresser. Je ne sais pas si c’est de la "précarité" mais cela me paraît rudement souhaitable.

  4. Sur la précarité :

    LES DIFFÉRENTES FORMES DE PRÉCARITÉ
    Un emploi peut être considéré comme précaire lorsqu’il ne permet
    pas de garantir au salarié la continuité de l’emploi. Cette notion englobe les contrats dits “ précaires ” – contrats à durée indéterminée ou intérim.

    Elle recoupe également des emplois sous contrat à durée indéterminée,
    qui peuvent être menacés par la situation économique de l’entreprise qui les garantit, ou par des décisions d’entreprise – fermer un site ou déplacer un atelier.

    Cette précarité touche le plus fortement les travailleurs peu qualifiés. Mais elle peut également concerner des travailleurs indépendants ou des responsables de petites entreprises dont le revenu est directement lié aux aléas de la demande de leurs clients. Elle peut également concerner des agents d’entreprises publiques soumis à des changements brutaux ou multiples – l’incertitude ne portant alors plus sur la continuité du contrat de travail, mais sur le sens donné à leur activité et à l’emploi.

    Et contrairement aux salariés du secteur privé qui disposent d’un contrat de travail qui leur garantit des recours en cas de “ modification substantielle de leur contrat de travail ”, les agents au statut ne disposent pas d’autre protection vis-à-vis de l’évolution de leur activité que celle que les organisations syndicales permettent de défendre.

    La précarité peut également toucher des agents de l’Etat, ou travaillant pour l’Etat, affectés à des postes – par exemple les remplaçants de l’Éducation nationale – qui leur donnent peu de visibilité sur leurs conditions de travail. Vue du côté de l’employeur, la précarité peut résulter de circonstances
    extérieures (difficultés économiques conduisant à une faillite ou
    à une réduction pérenne de l’activité), mais également d’une stratégie
    visant à reporter les aléas de la demande sur les salariés par une gestion des effectifs à “ flux tendus ” (grâce au recrutement d’un volant d’intérimaires plus ou moins important), d’un souhait de contourner les contraintes sur le nombre d’emplois (cas des vacataires ou des intérimaires de la fonction publique recrutés pour contourner la limitation du nombre d’emplois statutaires) ou d’une volonté de tirer parti du système de protection sociale (cas de certains employeurs d’intermittents du spectacle ou de certaines compagnies aériennes qui utilisaient des hôtesses en CDD renouvelés quelques semaines après leur interruption de façon à faire prendre en charge leurs vacances par les Assedic).

    Enfin, la précarité de l’emploi des uns peut induire une précarisation
    du corps social dans son ensemble. Ainsi, le fait qu’une entreprise puisse recourir à des travailleurs précaires, forcés d’accepter des conditions plus dures ou désireux de multiplier les heures supplémentaires pour augmenter leurs revenus, peut se traduire par une pression renforcée sur ceux qui bénéficient d’un emploi stable. De plus, parce qu’ils ne sont pas durablement attachés à une entreprise, les salariés précaires sont rarement adhérents d’un syndicat au sein de l’entreprise qui les accueille.

    L’augmentation du nombre d’emplois précaires induit donc mécaniquement
    une fragmentation des "collectifs du travail" et une réduction des possibilités d’action des organisations syndicales.

    Sur les mesures de la précarité il y avait un bon papier de F Postel Vinay qui expliquait qu’elle est très concentrée sur les jeunes, les femmes et les non qualifiés.

  5. Euh… Moi, au départ, je voulais juste dire que les mots de Parisot ne me convenaient pas pour finir par faire l’apologie de la précarité, juste parce que c’est "une loi de la condition humaine". La mort est une loi de la condition humaine, cela n’empêche pas de toujours la reculer, tout en sachant que l’immortalité n’existera très probablement jamais (du moins pour ce qu’on en sait aujourd’hui).

  6. Au contraire ! Parti comme c’est, je pense que l’immortalité sera au programme des prochaines présidentielles.

  7. SM,

    Votre raisonnement tombe à plat – l’argument étant "Parisot va contre le progrès et la civilisation – si on ne dispose pas de la même définition que vous du "progrès" et de la "civilisation".

    Vous dîtes : "Il est simplement qu’en se plaçant sur un registre sous-jacent quasi philosophique, notre patronne des patrons remet en cause , l’air de rien, le progrès technique et la civilisation, qui ne sont rien d’autre que l’effort permanent des hommes pour réduire la précarité inhérente à leur condition."

    Allons bon, qui a dit "le progrès technique et la civilisation ne sont rien d’autre que l’effort permanent des hommes pour réduire la précarité inhérente à leur condition ?" Et si il le progrès et la civilisation n’était là que pour satisfaire la nature égoiste et feignante de l’homme ? En gros, le but de chacun serait de travailler le moins possible et de jouir le maximun… Et le progrès et la civilisation n’en seraient que les moyens.

    Vous voyez là que votre argumentation est bien faible pour critiquer Parisot. Vous auriez sans doute mieux fait de dire franchement que vous ne l’aimez pas, que vous la trouvez libérale, et que vous vous situez à gauche. C’est plus simple et ça revient au même.

  8. le message precedent est fort approprie. Je doute fort que vous trouviez dans votre lexique juridique (que vous avez soigneusement consulte pour decrypter les propos de Mme Parisot), une definition de "progres technique" qui soit en relation directe ou inverse avec "precarite". Egalement pour "civilisation", meme si ce mot est tellement flou, qu’on peut tout lui coller.

    La precarite (d’abord dans sa propre sante) est une loi de nature. D’autant plus pour le travail. Il est vrai que certains milieux ont reussi historiquement a la decharger sur les autres. Je pense a la petite noblesse de nos fonctionnaires, ou aux membres de la grande noblesse enarque qui sont licencies avec des "golden parachute" de 250 millions. Croyez-vous possible d’accorder la "stabilite" a tous les francais? En dechargeant leur precarite sur qui donc? Sur nos descendants comme on a fait des decennies durant? Ou bien votre demarche de privilegie s’apparente a une oration "Cicero pro domo sua", veillant a ne surtout pas ceder un millimetre d’ acquis par droit divin, de facon a rendre eternelles les differences sociales entre "precaires" et "stables"?

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