Les études ne coûtent pas assez cher

Dans Le Monde daté du 14/09, Daniel Cohen évoque le classement, selon ses propres termes, infâmant, des universités françaises et européennes dans les classements internationaux. Il évoque diverses politiques européennes (la création de “5 ou 10 Harvard”) qui seraient susceptibles d’améliorer le fonctionnement de l’enseignement supérieur. Pourtant, il est un aspect qu’il néglige totalement : le coût dramatiquement faible des études, qui paupérise les établissements d’enseignement supérieur et conduit à de lourds gaspillages.

 

Au début de l’année, un article de la Revue Française d’Economie, par R. Gary-Bobo et A. Trannoy, levait l’hypocrisie générale sur les frais d’inscription à l’université, en proposant un dispositif accroissant ceux-ci sans rendre l’accès à l’enseignement supérieur inéquitable. Leur système consistait à augmenter les droits, tout en octroyant aux étudiants des prêts publics sans intérêts pour payer cette dépense (ils évoquaient également, horresco refferens, la sélection à l’entrée de l’université). Cette proposition n’a suscité aucun commentaire. Tout au plus une parodie de débat dans l’Express, dans lequel R. Gary-Bobo a pu brièvement évoquer ses idées, qualifiées aussitôt d’anti-sociales par le secrétaire général du Snesup. Depuis, rien. De son côté, The Economist a consacré un récent dossier (€) à l’amélioration du fonctionnement de l’enseignement supérieur en Europe, qui passe en partie par l’élévation des frais d’inscription.

Anecdote personnelle : j’ai dans le passé enseigné dans un établissement offrant deux types de formation, au programme similaire, de niveau bac + 2. En plus de mes cours “normaux”, on m’a affecté à la formation continue – et on m’a expliqué qu’il s’agissait d’une formation payée par des employeurs à leurs salariés (ou que des professionnels s’offraient), à des prix infiniment plus élevés (à l’époque, plus de 1500 euros par étudiant pour un cours de 20 heures) que l’inscription aux cours habituels de l’établissement. On m’avait alors transmis le message suivant : “ces étudiants paient cher, donc ils sont très exigeants vis à vis du cours – et nous souhaitons les garder car ils rapportent beaucoup à notre établissement : interdiction du moindre laisser-aller avec eux”. Je n’ai jamais eu l’habitude de prendre mes cours par dessous la jambe : j’ai cependant été à l’époque fort surpris de constater que payer cher fait la différence. J’ai été également fort surpris de constater que ce système de formation continue, consistant à arrondir les fins de mois des établissements d’enseignement supérieur avec des étudiants qui paient très cher, est largement répandu, et que ses conséquences sont partout les mêmes : des enseignants qui font plus d’efforts pour ne pas perdre cette clientèle lucrative, et des étudiants qui demandent beaucoup et font des efforts parce qu’ils paient cher. Partout et toujours, les gens réagissent aux incitations.

Il faut noter aussi la grande hypocrisie du système actuel d’études presque “gratuites” : elles sont certes soi-disant disponibles pour tous, sauf qu’en pratique ce sont très majoritairement les enfants de familles aisées et privilégiées qui font des études; les études “gratuites” (c’est à dire, financées par l’impôt) constituent l’un de ces mécanismes inégalitaires sous couvert de “solidarité” qui font le génie du système social français, puisque tout le monde contribue mais que les gens à revenus élevés en sont très largement bénéficiaires. Faire payer tout le monde, tout en versant des aides aux bas revenus (sous forme de bourses accrues et plus nombreuses par exemple), serait donc une mesure beaucoup plus équitable que le maintien de la fiction d’études gratuites.

Augmenter les frais d’inscription dans l’enseignement supérieur aurait pour effet d’améliorer le financement de celui-ci, d’en améliorer l’efficacité et la qualité, d’accroître la motivation des élèves et des enseignants; ce pourrait être aussi une mesure équitable. Plutôt que se gargariser de mots vides comme “léconomie de la connaissance la plus compétitive du monde” il serait bon d’avoir un réel débat sans tabou sur les moyens d’y parvenir.

Alexandre Delaigue

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1 Commentaire

  1. Désolé pour les commentaires impossibles, mais le ton inutilement provocateur de certains intervenants sur le billet d’Alexandre m’a incité à fermer les commentaires pour le moment. Pour éviter que ça ne dégénère. On n’a pas trop le temps de surveiller ces jours-ci. Si Alexandre veut rouvrir les commentaires, il le fera. Je rappelle que nous avons une politique de tolérance sur les commentaires tout à fait dictatoriale et que nous l’assumons. Ceux qui lisent régulièrement le blog savent que le problème n’est pas de savoir si nous acceptons les critiques. C’est une question de forme. On vient pas défendre les études gratuites en traitant l’hôte de fils à papa. Quant aux élèves rémunérés des grandes écoles de la fonction publique, ils ont un contrat de 10 ans à honorer dans les services de l’Etat suite à la scolarité. Les 10 ans incluant une part de la scolarité , y compris en termes des droits à le retraite, partiellement prise en compte seulement. Les abrutis qui ont fait leur service national ne voit pas celui-ci inclus dans la durée de 10 ans (comme quoi, on peut être sous les drapeaux, mais pas au service de l’Etat…). Le statut des élèves est celui d’ “élève fonctionnaire stagiaire”, pas de “fonctionnaire titulaire”. En cas de départ non respect du contrat décennal, il faut rembourser les traitements perçus. Voilà ce qui justifie donc cet immense privilège. Voilà aussi ce qui décourage quelques lauréats des concours d’entrée de ces écoles de les rejoindre quand ils ont obtenu une admission dans une autre école. Triste pays que celui où la jeunesse ne rêve que de fonctionnariat.

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