L’actualité récente – l’acquittement en appel d’accusés de l’affaire d’Outreau – offre l’occasion d’évoquer une caractéristique méconnue du dilemme du prisonnier.
Rappelons que dans sa version originelle, le dilemme du prisonnier est décrit en employant l’histoire suivante :
Deux prisonniers sont détenus dans des cellules différentes, et un magistrat explique à chacun d’eux qu’il peut, en avouant, bénéficier d’une remise de peine. Au total les issues possibles sont par exemple : – soit aucun des deux prisonniers n’avoue, auquel cas chacun d’entre eux fait 2 ans de prison; – soit l’un des deux avoue et charge l’autre, auquel cas il fait 6 mois de prison tandis que l’autre fait 10 ans; – soit ils s’accusent mutuellement, et les deux font 7 ans de prison.
On constate alors que la situation dans laquelle aucun des deux prisonniers n’avoue est optimale, mais instable : chaque prisonnier est incité pour réduire sa peine à avouer et charger l’autre. Se doutant que l’autre va avouer, chaque prisonnier, par avance, a intérêt à avouer pour éviter d’être le seul à ne pas parler et de se retrouver dans la pire situation pour lui. Au total, seule la situation dans laquelle les deux s’accusent mutuellement est stable (c’est à dire qu’aucun des deux détenus ne change alors de comportement).
Ce que les gens ne remarquent pas toujours, c’est que cette issue du jeu est indépendante de la culpabilité réelle ou non de l’un des deux détenus. Supposons que suite à un crime, deux personnes soient arrêtées, mais que l’une d’entre elles soit innocente. Que doit-elle faire? On voit facilement qu’il est préférable pour elle d’avouer une culpabilité imaginaire, plutôt que de se retrouver dans la situation dans laquelle le vrai coupable va la charger et bénéficier d’une remise de peine. Lorsqu’on est accusé d’un crime, qu’un magistrat instructeur vient nous proposer le marché aveux contre réduction de peine (et que l’on sait qu’il propose le même marché à l’autre accusé) même en étant innocent, on a intérêt à avouer. Le pire étant que même si les deux accusés sont totalement innocents, ils ont intérêt à s’accuser mutuellement!
Il apparaît donc que les aveux troqués contre des réductions de peine ou autres « avantages » ne peuvent qu’être sujets à caution, surtout lorsqu’ils servent d’unique base pour déterminer la culpabilité des accusés. Dans ce genre de situation, les personnes innocentes qui avouent ont intérêt, rationnellement, à le faire. Or dans le cas de l’affaire d’Outreau, des accusés ont avoué des crimes, se sont accusés eux-mêmes et mutuellement du pire, en inventant tout. Certains se demandent pourquoi des innocents ont pu s’accuser de la sorte. Mais on devrait plutôt se demander pourquoi, étant donnée la façon dont s’est déroulée l’enquête, il n’y a pas eu plus d’aveux imaginaires de cette sorte. Accorder à l’aveu une place prépondérante dans une enquête, et obtenir des aveux par tractation implicite avec les accusés sont le meilleur moyen d’obtenir des résultats bien éloignés de la réalité.
Au passage, j’en profite pour recommander chaudement la lecture de La Méprise, l’ouvrage consacré à l’affaire d’Outreau par Florence Aubenas. La description donnée de cette affaire, des circonstances de vie de ses protagonistes, de l’enquête, a de quoi glacer le sang. Ne pas manquer non plus la vision de l’affaire par Eolas et Paxatagore (en trois temps).
Bravo pour ces deux derniers articles, ça fait plaisir de vous retrouver en pleine forme. Je vous confirme que je ne connaissais pas cet aspect méconnu du dilemme du prisonnier.
Très intéressant ce point méconnu du dilemme du prisonnier. Néanmoins il me semble (mais je peux me tromper) que l’interprétation que tu fais d’Outreau est sujette à caution. En effet, aucun des innocentés n’a avoué quoi que ce soit : ils se sont tjrs déclarés innocents !
Au contraire, plusieurs ont fait des faux aveux et se sont auto-incriminé lors d’interrogatoires. Notamment Daniel Legrand et deux couples de voisins.
Un innocent derrière les barreaux
je tenais à vous faire partager une lettre ouverte, envoyé par des personnes soutenant Yann Faucher, un agent de surveillance injustement en prison, afin que la police, pas toute blanche dans cette affaire…