Le client est roi

Très bon article du toujours intéressant James Surowiecki dans le dernier New Yorker, consacré aux motivations présidant à la fusion Procter et Gamble-Gilette. Contrairement à l’idée selon laquelle cette fusion vise de la part de ces entreprises à regagner du pouvoir de marché face au pouvoir des nouveaux géants de la distribution, au premier rang desquels Wal Mart, l’auteur montre que cette fusion ne fait que répondre à une nouvelle donne : le pouvoir du consommateur.

S’il est exact que les grandes entreprises ont aujourd’hui, aux USA, moins de pouvoir de marché qu’elles n’en ont eu à l’époque ou Galbraith évoquait un “nouvel état industriel“, (l’une de ces multiples théories économiques devenues fausses à peine énoncées), ce pouvoir n’a pas été transféré à d’autres entreprises (celles de la distribution), mais aux consommateurs. Après tout, Wal Mart, “l’entreprise la plus puissante du monde”, n’a pas augmenté sa marge brute au cours des dernières années : celle-ci reste de 4%, malgré une croissance spectaculaire de l’entreprise et sa politique de pression perpétuelle à la baisse des prix vis à vis de ses fournisseurs. En d’autres termes, toutes les baisses de prix obtenues par Wal Mart ont, au bout du compte, été transmises aux consommateurs.
Ceux-ci se sont habitués à bénéficier de produits de bonne qualité, génériques, pour un prix sans cesse plus faible; cela a des conséquences parfois inattendues, mais c’est de là qu’est venue, au cours des dernières années, l’essentiel de la croissance américaine. La réduction des coûts de distribution grâce aux technologies de l’information a été le facteur déterminant, les ordinateurs entrant enfin dans les statistiques de productivité. D’autres phénomènes sont en cause : la disparition de l’inflation, les évolutions réglementaires (notamment la disparition des divers types de contrôle des prix). Le résultat est en tout cas spectaculaire : les grandes marques n’ont plus de pouvoir sur les consommateurs. Les marques génériques, les marques de distributeurs, vendent plus de produits que les marques renommées qui n’ont plus la possibilité de faire payer aux consommateurs leur image.
La solution pour les firmes? C’est l’innovation permanente, comme l’a fort bien montré William Baumol. Mais l’innovation coûte très cher. La fusion Procter et Gamble-Gilette est celle d’entreprises qui ont pour stratégie de maintenir leur position de marché par l’innovation : L’objectif de la fusion est d’amplifier cette stratégie, beaucoup plus que de tenter de regagner un pouvoir transféré dans les mains des consommateurs.
 Cette nouvelle donne du pouvoir gagné par les consommateurs comme source de croissance, devrait en tout cas susciter la réflexion en France, en plein débat sur les aberrantes législations (Lois Galland et Raffarin…) empêchant la diffusion des baisses de prix obtenues par la distribution vers les consommateurs.

Alexandre Delaigue

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