La taxe carbone : trop élevée, pas assez élevée?

C’est la question qui m’a été posée, ainsi qu’à Belgo d’Optimum. Le résultat peut être lu ici. N’hésitez pas à aller lire les deux billets consacrés à ce sujet sur Optimum (sur le principe de la taxe carbone, sur son montant).

Comme vous pourrez le constater, selon Antoine, la taxe est trop élevée, selon moi, trop faible. D’où vient ce désaccord apparent? Simplement de ce que nous n’avons pas vraiment répondu à la même question – ou plutôt, que nous avons pris en compte des éléments différents pour y répondre. Antoine décrit les travaux d’économistes autour du montant optimal d’une taxe appliquée mondialement, la seule qui compte véritablement : si la France et les français étaient demain rayés de la carte et cessaient de ce fait d’émettre du carbone, cela n’aurait qu’un effet négligeable sur les émissions globales – qui d’ailleurs pourraient augmenter dans les autres pays, ravis de brûler à notre place le pétrole ainsi économisé. Dans cette optique d’une taxe mondiale, les meilleures estimations – qui sont discutables, mais c’est un autre sujet – donnent raison à Antoine; la taxe est trop élevée.

De mon côté, je suis plus proche de Thomas Schelling. réduire les émissions mondiales de carbone exigent un effort mondial, d’autant plus difficile à réaliser que les principales victimes du réchauffement se trouvent dans les pays pauvres, et que les principaux pays émetteurs sont sont des pays riches, soit des pays en développement rapide dont les habitants n’ont pas franchement envie de retourner dans la misère. Si nous voulons réellement réduire les émissions de carbone, et pousser les autres pays à suivre le mouvement, les pays riches doivent montrer leur sérieux, leur engagement à faire des sacrifices concrets. Si nous sommes vraiment sérieux, nous devons adopter une taxe suffisamment forte pour réellement, et durablement, réduire notre consommation. Ce ne sont pas 5 centimes d’euro de plus par litre de gasoil qui montrent notre sérieux.

Et nous avons l’air d’autant moins sérieux lorsque cela s’accompagne d’une absurde “compensation de la taxe” reversée aux ménages. Il faudrait rappeler une règle simple en matière de finances publiques : dépenser, c’est taxer. Lorsque le gouvernement dépense, les contribuables paieront toujours, soit sous forme de taxes, soit sous forme de dettes publiques à rembourser, soit sous forme d’inflation. C’est une vaste fumisterie, alors que les dépenses publiques atteignent un record inégalé en temps de paix et augmentent au gré des fantaisies présidentielles, que de dire aux contribuables “qu’on n’augmente pas les impôts”. De fait, on les augmente, la seule question est de savoir comment on paiera, et qui paiera. A ce titre, payer par le biais de taxes sur le carbone est infiniment moins idiot que les autres formes. C’est inégalitaire? Il existe un moyen très simple de lutter contre les inégalités, qui s’appelle l’impôt sur le revenu progressif – celui-là même qui ne cesse d’être abaissé.

L’absence de sérieux se lit aussi dans les diverses compensations spéciales dont ne manqueront pas de bénéficier les diverses professions braillardes et au potentiel de nuisance élevé que sont les agriculteurs ou les chauffeurs routiers. Ne manquons pas non plus la vaste hypocrisie consistant à accorder des avantages spéciaux aux ménages “ruraux” qui les pauvres, ne peuvent pas vivre près des transport en commun. Les ménages “ruraux” en question sont surtout les classes moyennes péri-urbaines, dont l’effet consiste à dégrader les paysages à grands coups de pavillons avec carré de jardin, qui bénéficient déjà d’avantages exorbitants sous forme de routes gratuites, de ressources subventionnées, et de “continuité du service public”. Il est vrai que les ménages périurbains ont, sous l’effet des découpages électoraux, une représentation électorale bien plus grande que les citadins, ce qui n’a sans doute rien à voir avec l’empressement dont les politiques – tout particulièrement les présidentes de régions bien garnies en habitat pavillonaire – précèdent leurs volontés.

En somme, notre taxe carbone n’a pas l’air bien sérieuse. Le fait de vouloir s’en servir comme instrument protectionniste a toutes les chances de convaincre chinois et indiens du bien-fondé de nos intentions. Soyons positifs : il s’agit d’une démarche débutante, et beaucoup dépendra de la façon dont cette taxe évoluera dans l’avenir. En attendant, son montant ne la rend guère crédible.

Alexandre Delaigue

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19 Commentaires

  1. J’aime bien le billet et je trouve le speech de Schelling passionnant, mais je n’ai pas bien compris en quoi le fait de surtaxer en France pourrait inciter qui que ce soit à cesser de sous-taxer chez lui.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Parce que quand on veut pousser les autres à agir dans un certain sens, il faut être crédible, trouver le moyen d’envoyer des signaux que “we mean business” comme dit Schelling. Ce qui signifie faire un effort qui réduise les émissions de façon nette, pas qui donne l’impression que l’on veut surtout que ce soient les autres qui fassent les efforts.

  2. "Les contribuables paieront toujours, soit sous forme de taxes, soit sous forme de dettes publiques à rembourser, soit sous forme d’inflation."

    Quiconque finit son mois sans être parvenu à ne rien épargner se fout de l’inflation. Surtout s’il ne croit pas par ailleurs bénéficier un jour de la retraite ou sait qu’il n’accèdera pas aux hopitaux faute de pouvoir payer les frais annexes.

    De ce point de vue l’inflation qu’on ne peut anticiper, celle dont la démagogie en politique est une cause majeure, est le meilleur outil de redistribution des richesses existant.

  3. L’efficacité d’une telle taxe dépend de l’élasticité de la demande par rapport au prix, me trompes-je ?

    Les données de 2007 montrent une demande presque verticale …

    Réponse de Alexandre Delaigue
    L’élasticité à court terme est plus faible qu’à long terme. Sur 6 mois, je peux réduire à la marge ma consommation, mais pas beaucoup. Si je sais que le prix sera élevé sur ls 5 prochaines années, je peux le prendre en compte pour changer de voiture, de logement, m’organiser différemment, etc. Donc l’effet d’une taxe durablement appliquée est plus fort que celui d’une hausse temporaire.

  4. Je ne vous suis pas complètement lorsque vous dites que la compensation de la taxe aux ménages illustre le manque de sérieux de la mesure : si effectivement le terme "compensation" est absurde, en revanche, le reversement du produit de la taxe sous forme forfaitaire aux ménages me semble correspondre parfaitement à ce que recommande la théorie économique.

    Le problème des taxes françaises est justement, à mon avis, qu’elles sont en général uniquement un moyen de récupérer de l’argent, et qu’elles n’ont donc rien d’une taxe correctrice. Là, au contraire, il me semble que le gouvernement fait un effort, en axant sur l’aspect correcteur de la taxe carbone, dont le produit est intégralement redistribué aux ménages.

    Les ajustements de cette redistribution sont en revanche effectivement très arbitraires et peu justifiés, ce qui fragilise l’efficacité de la mesure (elle pourrait finalement inciter à l’étalement urbain). Une redistribution entièrement forfaitaire, dont la somme versée à chaque ménage entrerait dans le calcul de l’impôt progressif sur le revenu serait une bien meilleure solution, j’en conviens…

  5. mais le point clé c’est que cette taxe est supposée augmenter au fur et à mesure non ?

    or que sait-on vis à vis de son augmentation dans le temps pour le moment ?

  6. Justement, où peut-on trouver des données sur l’élasticité-prix de l’essence?
    y a-t-il quelque part des tableaux long terme qui croisent consommation et prix?

  7. Je ne comprends pas l’intêret de la taxe carbone (à part la levée d’un nouvel impôt) : l’augmentation du prix du baril de pétrole ne va t’elle pas avoir le même effet ? (moins consommé, donc moins d’émissions de CO2)
    à moins qu’il ne s’agisse d’éviter que le charbon ne prenne le relais ?(puisque ce dernier est encore très abondant.)

    cordialement

    Paulo

  8. Oui mais Schelling explique (de façon magistrale) que :

    1. la meilleure façon pour les pays en développement de réduire la menace que fait peser sur eux le réchauffement est probablement de se développer au plus vite; et

    2. que si on considère l’action occidentale contre le réchauffement comme une sorte de "foreign aid", il est vraisemblable qu’elle soit moins utile aux pays en développement qu’une aide directe (health, sanitation, education…)

    L’argument de Schelling semble être que la lutte contre l’émission de gaz à effet de serre n’est pas vraiment une utilisation efficace des ressources, en tous cas pour les pays en développement. Donc, même si on montre qu’on "mean business" en coupant très fortement nos émissions, j’ai peine à croire que ça incitera les Chinois et les Indiens à "gaspiller" leurs ressources autant que nous.

  9. Rappelons que la hausse du baril du pétrole depuis le début 2009 correspond à une taxe carbone à 200 EUR/t et que, malgré cela, les Français ne se sont pas précipités sur leur vélo. L’élasticité est très faible, ce qui fait que la taxe carbone, tant qu’elle n’est pas de l’ordre de… 1000 EUR/t, est avant tout un outil de financement de l’Etat qu’un signal-prix orientant la société vers un monde sans fossile.

    Pour plus de détails : aerobarfilms.over-blog.co…

  10. bonjour ce probleme de polution sur la planete comment faire avec une population qui augmente a une vitesse folle 1 millard debut 1900 7 millards maintenant combien dans 150 ans notre mode de vie nourriture eau energie ne pourra pas suivre tout le temps tous de suite c est le pétrole et apres

  11. Sur les ménages ruraux péri-urbains, je dirais qu’ils sont également subventionnés (indirectement) par le barème pour l’utilisation de la voiture dans les frais réels, qui est très généreux. Un couple (avec deux voitures) peut ainsi retirer 20000 euros par an de son revenu imposable… ce qui fait une belle réduction d’impots.

  12. Juste une remarque sur l’élasticité prix – conso…

    il y a une étude suisse ici : http://www.bfe.admin.ch/php/modu...

    Pour résumer à court-terme, l’élasticité est quasi nulle 8 %, mais elle passe à 30 % à MT.

    Et apparemment, il y a aurait un effet supplémentaire si les variations de prix ne sont pas aléatoire mais font suite à une nouvelle taxe.

    Enfin, l’intérêt de la taxe-carbone, c’est qu’elle ne se limite pas à l’essence, mais à tout les consommations d’énergie fossile. Et certaines – notamment le chauffage – sont bien plus facilement substituable que les dans les transports.

    Enfin, sur le niveau de la taxe lui-même. A 14 euros, il est assez proche de celui que doivent payer les industriels.

  13. Un des intérêts de cette taxe c’est qu’elle permet de prendre en compte les externalités négatives de la pollution en incluant dans le prix de vente de l’essence non seulement le coût marginal mais aussi le coût social du caurburant.On internalise les externalités,de plus cette taxe est socialement et moralement juste car une personne vertueuse sur le plan écologique(Marche à pied au lieu de prendre une voiture pour de courts trajets) aura au final grâce à la compensation un gain monétaire net( Montant de la redistribution – nouvel taxe = supérieur à 0).

  14. Humm une belle usine a Gaz socialiste basée sur de l’ignorance et la suffisance intellectuelle…

    Ca me fait peur de voir autant de gens qui ne se demande meme pas de la pertinence de cette nouvelle taxe, alors que nous sommes deja megataxé.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Si vous avez réellement une CLK 500, ou projetez d’en avoir une, c’est que vous n’êtes pas assez taxe, au contraire.

  15. Peut-on sérieusement discuter du niveau de la taxe carbone en faisant abstraction des autres impôts, tout particulièrement la TIPP (environ 0,60€/litre d’essence, et de nombreuses exonérations)?

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Oui, on peut. La preuve…

  16. Je reprend et précise ma remarque: contrairement à Antoine, vous ne vous êtes pas demandé quel serait le montant optimal d’une taxe carbone toutes choses étant égales par ailleurs; mais quel serait son montant souhaitable dans une situation politique donnée (en substance, quel doit être son montant pour que la taxe soit visiblement effective, et que cette initiative ait des chances d’être prise au sérieux internationalement). Or, je ne pense pas qu’on puisse poser la question en ces termes sans au préalable se demander si une réduction des nombreuses exonérations partielles ou totales (aviation, navires, transport routier, taxis etc.) de la TIPP ne serait pas plus effective (plus grande diminution de CO2 à moindre frais) qu’une taxe carbone. Au final, il y a des contribuables qui paient la taxe, et qui peuvent légitimement se demander si, par rapport à ses objectifs, la taxe est la plus effective; et si ce n’est pas le cas, comment le justifier. Tel que le débat est actuellement posé (je ne parle pas uniquement de votre billet), il me parait tout à fait décalé avec la réalité, et en ce sens, pas très "sérieux". En politique, les choses ne sont jamais égales par ailleurs.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Là, nous sommes d’accord effectivement.

  17. "En politique, les choses ne sont jamais égales par ailleurs."
    Elles ne sont pas sérieuses non plus, du moins pour les discussions. Seules les conséquences le sont, hélas !

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