La hausse des frais d’inscription pour les étudiants étrangers

Cela fait quelques semaines que ce sujet me revient ponctuellement en tête. Les remarques qui suivent ne font qu’illustrer l’étendue de mon ignorance sur le bien-fondé de cette mesure.

Les objectifs potentiels derrière la fixation d’un niveau de droits universitaires sont tellement nombreux qu’on voit mal comment les atteindre tous en même temps de façon évidente. Est-il juste de fixer des droits faibles pour les étudiants français et élevés pour les étrangers hors UE ? Est-il efficace de le faire ? Est-ce le meilleur moyen de maximiser les recettes ? Est-ce le meilleur moyen de maximiser le niveau de  capital humain en France et de bénéficier des externalités qui en découlent ? D’autres questions se posent. La mesure a-t-elle été concoctée par des économistes, des comptables ou des marketeurs ? Le gouvernement a-t-il la moindre idée de ce qu’il fait d’un point de vue économique ou simplement gestionnaire ? Je n’ai pas de réponse définitive. L’argumentaire présenté publiquement, notamment par Édouard Philippe, ne m’a pas convaincu. Mais ce n’est pas une raison pour le balayer simplement. Comme vous le verrez, ce texte est loin de répondre à ces questions. C’est un brouillon de réflexions.

Une analyse basique en concurrence monopolistique

On peut analyser ce problème comme une question de tarification sur un marché de concurrence monopolistique (voir ce lien et descendre dans le lexique jusqu’à la définition du terme).

Remis dans notre contexte, on peut lire les choses de la façon suivante. Des pays, en nombre limité, offrent un service d’éducation à des demandeurs au niveau mondial. L’offre de chaque pays est différenciée selon différents critères: la qualité du service, l’accessibilité (distance géographique, linguistique, culturelle, etc) ou autre. De sorte que, dès le départ, chaque étudiant souhaitant étudier à l’étranger a une préférence pour une variété offerte plutôt qu’une autre. Il est par exemple plus facile d’aller dans un pays voisin, où l’on parle éventuellement sa langue maternelle ; même si, au contraire, on peut préférer s’immerger totalement dans une culture très différente. Toujours est-il que s’il existe bien des variétés préférées par les demandeurs, ils sont donc prêts à accepter un prix plus élevé pour y accéder. Au fond, ce que dit le gouvernement, c’est que le prix actuel est fixé trop bas : il y a des étudiants qui seraient prêts à payer plus cher pour venir spécifiquement en France. C’est l’aspect monopolistique du marché. À l’inverse, on peut comprendre l’argument par son versant concurrentiel : les droits sont très faibles en France, ce qui a attiré des étudiants étrangers qui, bien que préférant un autre pays à la base, ont finalement choisi la France parce que la différence de prix les a convaincus. Dans ce cadre, le gouvernement estime que l’on peut encore accroître les frais d’inscription sans ruiner cet avantage concurrentiel. On peut aussi en douter.

Si je résume l’argument : on peut encore accroître les frais d’inscription pour les étrangers, ils continueront à venir étudier chez nous et on aura plus de revenus.

Pour que cela tienne, il faut que l’élasticité prix de la demande des étudiants étrangers soit relativement faible au niveau des droits actuellement fixés. Et là, j’ai comme le dérangeant sentiment que personne n’a une idée vraiment précise de ce qu’elle peut être. On peut toujours prendre des exemples étrangers, comme la Cour des comptes le fait par exemple. Ils n’ont pas de véritable intérêt, à mon humble avis. Dire que ce type de politique marche très bien aux États-Unis n’a pas de sens. Utiliser l’exemple suédois pour affirmer que c’est une catastrophe assurée non plus. Ce sont précisément des variétés spécifiques d’offre d’éducation, différentes de la variété française.

J’ai la faiblesse de penser que l’attractivité globale de la France comme pays pour étudier est réelle. Je ne prends pas trop de risques, la France est le quatrième pays à accueillir le plus d’étudiants étrangers ; c’est significatif. Ce qui milite pour une élasticité prix plutôt faible (un effet pouvoir de marché favorable pour la France). Et pourtant, la hausse des droits prévue est, tout de même, une multiplication par 16 en licence ou une hausse de 2 600€ (de 170€ à 2 770€). Ce n’est pas rien, même si l’on resterait en dessous des droits de nombreux pays. Est-on encore dans le domaine d’une variété préférée incontestable pour de nombreux étudiants étrangers ou face à une évolution de l’effet “concurrence” défavorable ? À ce stade, on peut le tourner dans tous les sens : sans données chiffrées, on ne sait pas. Et ma question est simple : qui le sait ? J’ai lu ce qui traînait sur le sujet dans la presse grand public et parcouru le rapport de la Cour des comptes. Je n’ai rien vu de très appuyé.

Notez que l’exemple des pratiques américaines en la matière – notamment dans les meilleures universités – ne pourra convaincre que si on estime que l’élasticité de la demande est la même en France qu’aux États-Unis. Si je n’ai pas de conclusion ferme et définitive à fournir, je penche pour une réponse négative. Pour le dire simplement, c’est un peu comme si les constructeurs automobiles français calaient leurs tarifs sur ceux des firmes allemandes.

Impossible de pratiquer une discrimination tarifaire entre étrangers

Quitte à modifier les droits, il faudrait le faire sur une base qui discrimine les étudiants étrangers selon leur élasticité prix. Il s’agit là de penser une discrimination basée sur l’appartenance à des groupes identifiés dont les élasticités prix sont différentes. Ce type de discrimination, appelée “discrimination de troisième degré”, est courante. Songez aux tarifs étudiants, séniors, etc. Leur but est d’attirer tous les consommateurs, en calibrant les prix sur leur disposition à payer. Cher pour les plus accros, moins cher pour les autres.
Deux critères viennent spontanément à l’esprit : le revenu et la provenance géographique. L’idée est qu’on pourrait alors réellement exploiter le pouvoir de marché de l’université française sur un marché de concurrence monopolistique mondial.

Bien évidemment, ce sera largement impossible. Une base géographique serait politiquement bien compliquée et pourrait in fine se retourner contre cet avantage initial. Si tel ou tel pays était soumis à des droits plus élevés, outre les tensions diverses d’ordre diplomatique que cela créerait immanquablement, il y a fort à parier qu’une réaction psychologique de la part des étudiants apparaîtrait, suite à ce qui pourrait très logiquement être considéré non pas comme une discrimination économique mais nationale, voire même ethnique.

Quant au revenu, il faut bien comprendre que c’est un critère inapplicable à des majeurs, français ou étrangers. En quoi le revenu des parents peut-il servir de base à la fixation de droits différents ? Celui qui vient d’une famille riche avec laquelle il a rompu tout lien devra-t-il payer plus que celui issu d’une famille moins aisée mais qui le soutient ? Ajoutez à cela les difficultés notables – ou tout simplement l’impossibilité – de vérification des revenus réels et l’affaire est réglée.

C’est dommage, mais c’est ainsi.

Le prix comme un signal de qualité ?

L’argument selon lequel un prix élevé signalerait une qualité plus élevée a été avancé pour expliquer qu’augmenter les droits d’inscription pourrait paradoxalement accroître l’attractivité de la France pour les étudiants étrangers. Si j’ai bien compris l’argument, il s’agirait de se reposer sur un effet Veblen. Pas dans sa version où des familles seraient fières dans leur pays d’annoncer qu’elles ont dépensé beaucoup d’argent pour leurs enfants. Il s’agirait plutôt de considérer que si on ne paie pas, c’est que cela ne vaut rien. En pratiquant des frais quasiment gratuits, la France aurait donc envoyé durant des années le signal que ses formations ne valaient rien.

L’ennui de cet argument, c’est qu’il se heurte à quelques obstacles. Le premier est qu’il suppose une information imparfaite de la part des familles sur la qualité des formations. Est-ce vraiment le cas ? Bref, y a-t-il vraiment un effet signal à l’œuvre actuellement ? En information parfaite, le prix ne véhicule plus un signal qualité “caché”.
Le deuxième est qu’en admettant qu’il existe, il faut être capable d’apporter des preuves d’une hausse de la qualité du bien ou service fourni pour justifier une hausse du prix. Génériquement, cela s’appelle, a minima, faire de la publicité. Or, si arriver sur un marché et dépenser beaucoup d’argent pour signaler une qualité élevée est une stratégie qui peut fonctionner, augmenter les prix du jour au lendemain pour un service dont la qualité n’a aucune raison de croître brutalement semble quelque peu utopique. Si la France faisait un bond soudain dans le classement de Shangaï (non, merci, pas de débat sur sa valeur ; je note juste que des gens en tiennent compte et c’est ça qui importe), par exemple, on pourrait y croire. Mais je doute que ce sera le cas. Pour corriger une information méconnue sur la qualité de l’enseignement universitaire français, il faudrait investir lourdement et dans la communication et dans l’enseignement supérieur. Sinon, tout cela serait analysé comme ce que l’on appelle du “cheap talk“, de beaux discours appuyés sur rien.
Certains avancent que la hausse des droits permettra de financer des dépenses supplémentaires qui, elles, permettront d’améliorer la qualité de l’université française et ainsi de suite. Ceci, évidemment, repose sur l’idée que les étudiants étrangers continueront à venir en masse avant même que la qualité ne suive, engendrant mécaniquement des ressources supplémentaires pour l’université. Il se murmure pourtant que les ressources supplémentaires récupérées permettraient de réduire la dotation de l’État aux universités. Comment dire, du coup ?

Notez pour finir qu’il n’est pas utile de rehausser la qualité des études en France dans toutes les dimensions possibles. La logique de la différenciation des biens ne le nécessite pas. Un peu d’imagination pourrait suffire. Mais je n’ai pas vu quelque chose de cet ordre là dans la démarche du gouvernement.

Un pays n’est pas une entreprise

Jusqu’ici, j’ai implicitement raisonné comme s’il s’agissait de maximiser un profit pour le pays, comme le fait une entreprise. Dans cette optique, on pourrait accepter une baisse du nombre d’étudiants (le volume d’échanges) contre une hausse des recettes par étudiant. Il existe toutefois une différence importante entre un pays et une entreprise, surtout en matière d’éducation. L’objectif de l’éducation est de produire des connaissances et d’élever la productivité. Si vous voulez ajouter dans ce critère d’autres éléments tels que le rayonnement international et autres aspects non monétaires, vous pouvez. Et là, les choses sont assez claires : en termes de productivité globale, une politique de rationnement n’est pas forcément idéale. Elle ne tient pas compte de l’aspect externalités de la connaissance. Philippe Aghion l’explique très bien dans ce récent entretien. Quand quelqu’un s’éduque à un endroit, il en profite certainement à titre personnel, mais en fait également profiter les autres. Je résumerai l’argument de façon simplifiée : si une politique décourage un étudiant de venir étudier en France, quel est la probabilité que cet étudiant soit le nouvel Einstein ? Que gagnerions-nous ? Que perdrions-nous ? C’est une vraie question.

Il faut être prudent dans cette histoire. C’est d’ailleurs ce que la Cour des comptes conclut globalement, lorsqu’elle parle de l’hypothèse “risquée” de la hausse des droits d’inscription pour les étudiants étrangers (page 74 de son rapport). J’ai laissé de côté tout ce qui concerne la “boîte noire” universitaire. Comment les filières sélectives, par exemple, réagiront-elles à ce qui est une incitation à enrôler davantage d’étudiants étrangers (en substitution d’étudiants français ou européens) pour maximiser leur budget ?  Sans même parler des autres questions de justice, de solidarité, de risques migratoires, de rayonnement culturel, etc. qui sont souvent mises en avant par les partisans et opposants à la mesure, la question économique suffit déjà à avancer prudemment.

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7 Commentaires

  1. On pourrait aussi tout différencier les droits en fonction des formations.
    Entres sciences, et ..ahem ‘sciences’ molles….

  2. J’ai l’impression que vous partez du principe que l’université est une entreprise qui vise à maximiser ses revenus, à mon sens ça ne peut pas marcher. L’université publique est une charge / un investissement du moins en France.
    Former un étudiant étranger qui repart après dans son pays peut être vu comme un gaspillage de ressource puisque nous ne bénéficierons pas de son savoir et de sa productivité en France. Le coté amusant c’est que d’un point de vu politique, l’opinion publique espère voir l’étudiant étranger repartir dans son pays une fois son diplôme en poche, voir même qu’il ne vienne pas du tout en France. Donc afin de satisfaire l’opinion publique on augmente les droits d’entrée des étudiants étranger, par effet prix, il y en a moins qui viennent donc mécaniquement moins qui restent.
    Une autre approche, l’université est un coût mais c’est aussi un droit pour les étudiants français qui le souhaitent. L’offre est limitée donc on augmente les droits d’entrée pour les étrangers pour qui l’université française n’est pas un droit mais un service afin d’adapter les quantités.

    • La maximisation des revenus est l’argument officiel du gouvernement. Je me suis calé dessus.

  3. Désolé mais ce n’est pas bien convaincant. Vous parlez par exemple d’une mutiplication par “16 en licence […] (de 170€ à 2 770€)”. Imaginez-vous un instant qu’il y ait 16 fois moins d’étudiants après cette augmentation ? Difficile d’imaginer qu’on n’ait pas croissance des revenus.

    Plus largement, rien ne garantit qu’un étudiant étranger va rester en France après ses études. L’intérêt national veut donc qu’on flèche nos dépenses prioritairement vers les étudiants nationaux, qui à l’évidence ont une propension plus forte à faire leur carrière ici. L’éventuel effet d’éviction lié à l’augmentation des peut donc lui-même être bénéfique, chaque étudiant coûtant en effet bien plus que ce qui correspond à ses frais d’inscription.

    Rien n’interdit d’utiliser une partie de ces économies vers des dispositifs visant à attirer sélectivement des étudiants dont on a besoin et dont on pense qu’ils vont s’installer dans notre pays. L’optimal obtenu ainsi serait bien meilleur qu’en subventionnant de manière indiscriminée les étudiants étrangers.

    • Vous commencez votre commentaire par “Désolé mais ce n’est pas bien convaincant.”, face à un texte qui pose des questions, bien plus qu’il ne donne des réponses.
      Désolé, mais je ne cherchais pas à convaincre de quoi que ce soit. Je m’interrogeais, comme c’est mentionné clairement.
      Essayez, vous verrez, c’est pas mal.
      Juste un truc. Vous dites “Imaginez-vous un instant qu’il y ait 16 fois moins d’étudiants après cette augmentation ?”. Mais où avez vous lu un truc pareil écrit ou insinué ? C’est n’importe quoi.

  4. Vous avez clairement un problème avec la contradiction.

    Vous n’avez de plus visiblement pas compris ce que je vous explique sur le facteur 16 : des frais d’inscription multipliés par 16 si le nombre d’étudiants n’est pas divisé par 16 ça fait bien une hausse des revenus.

    On ne peut pas dire que vos analyses soient empreintes d’une telle finesse qu’elles justifient cette tonalité dans le traitement des critiques.

    Essayez de les recevoir de manière constructive, vous verrez c’est pas mal.

    • En fait, je vous explique : quand j’écris un truc qui précise clairement que je ne détiens aucune vérité et que je réfléchis, le mec qui commence en me disant que ce que j’écris est de la merde, je le zappe direct. Essayez de vous caler sur le ton de votre interlocuteur, vous verrez, c’est – vraiment – pas mal. La contradiction par principe, c’est pas toujours le mode adapté.

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