L’importance d’avoir une longueur d’avance

Si l’on en croit ce récent working paper de Comin, Easterly et Gong (accessible gratuitement ici – merci à Marginal Revolution pour le lien) l’histoire, même très ancienne, a des conséquences sur le niveau de développement économique d’aujourd’hui. Jugez plutôt l’abstract :

Nous constituons une base de données sur l’adoption de technologies en 1000 après JC, 0, et 1500 ap. JC, pour les prédecesseurs des états-nations d’aujourd’hui. Nous constatons que cette très ancienne histoire d’adoption de technologies est étonnamment significative du niveau de développement d’aujourd’hui. Bien que nos résultats les plus forts soient pour 1500, nous constatons que même des technologies aussi anciennes que celles de l’an mil ont de l’importance.

En d’autres termes, l’histoire compte énormément, puisque le niveau technologique d’il y a 10 siècles est encore déterminant aujourd’hui. D’après les auteurs, le rythme d’acquisition de techniques à des époques anciennes compte beaucoup, peut-être plus que la qualité des institutions ou l’accumulation du capital. Leur explication du phénomène constaté statistiquement est la suivante : une civilisation qui adopte des technologies à un moment est susceptible d’en adopter d’autres; or c’est l’adoption de techniques qui constitue le principal facteur déterminant la croissance à long terme; l’adoption précoce de techniques à une époque lointaine est donc un facteur déterminant du degré de développement d’aujourd’hui.

Le travail est astucieusement fait, et l’idée d’aller chercher des causes historiques lointaines au développement d’aujourd’hui est souvent fructueuse; néanmoins, je dois m’avouer assez sceptique sur ces conclusions, pour plusieurs raisons. Premièrement, en prenant en compte les pays d’aujourd’hui, on crée un biais dans l’étude, le “bais de survie” : on exclut automatiquement les civilisations qui n’ont pas survécu. Deuxièmement dans le choix de technologies dont on mesure l’avancement : il est facile, 500 ou 1000 ans plus tard, de savoir identifier les technologies dont l’adoption allait faciliter le développement. Mais il est possible d’imaginer à l’époque des civilisations plus avancées, mais dans ce qui allait devenir des cul-de-sac technologiques, ou tout simplement ne pas avoir de chance. Enfin, je trouve leur variable de “qualité des institutions” extrêmement limitée (bien qu’utilisée de façon standard). Dans l’ensemble, cet article me semble marqué du biais traditionnel du chercheur : essayer de retrouver la clé de sa maison sous le lampadaire, pas particulièrement parce qu’elle a plus de chances d’être là, mais parce que c’est le seul endroit ou il y a de la lumière. Bon, il est facile de critiquer quand on est assis dans son fauteuil sans contraintes de publications.

Il n’en reste pas moins que l’idée de persistance sur longue période de caractéristiques liées au développement est un sujet très important, et souvent sous-estimé – sans doute parce qu’il rend pessimiste sur les possibilités dans l’avenir de voir des pays pauvres sortir de leur état. Avec toutes les limites que cela implique, ce sont des causalités qu’il est bon d’étudier.

Alexandre Delaigue

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5 Commentaires

  1. Vous a-t-on déjà dit que l’on ne peut pas lire la partie droite de vos textes ?
    c’est dommage, parce que je lis (en partie!) me semble très intéressant.

  2. Pour résoudre ce problème, vous pouvez, dans l’ordre :
    – réactualiser la page : souvent, cela suffit à ce qu’elle se charge de façon lisible.
    – lire la page avec un autre navigateur : il ne semble pas y avoir de problèmes avec firefox, ou avec internet explorer version 7.

  3. AD, il y à un detail qui m’échappe :
    Dans les regressions de l’annexe situe à la fin de leur paper, il incluent les pays du nouveau monde (Argentine, Australie, USA, Canada, Nouvelle Zelande, etc…)

    Du coup, leurs resultats sont biaisés, car on ne peut pas faire la même comparaison entre ces pays-là et les pays européens, africains ou asiatiques.

    Comparer le niveau d’adoption des nouvelles techniques dans ces pays il y à 1000 ans avec leur niveau de developpement aujourd’hui est ridicule puisque leur population d’aujourd’hui est européenne.
    Il y à 1000 ans, ni l’amerique ni l’australie n’avaient des techniques comparables å celles des Eurasiens puisqu’ils etaient justement coupés de cet axe Est-Ouest Eurasien å travers lequel les civilizations se passaient les techniques.

    Easterly et compagnie devraient vraiment lire le livre de Peter Diamond, “Guns, Germs and Steel”.

    Pourquoi ?

    Parceque Diamond souligne que les ecarts de development etaient deja tres grands il y a 500 ans : ce sont les europeens qui ont “decouvert” l’amerique et non pas le contraire (bien que les chinois auraient pu le faire).
    Selon lui, il y a plusieurs facteurs qui expliquent ces ecarts de development entre d’une part “l’Eurasie” et d’autre part les regions isolees telles que l’Australie et l’amerique.

    Premierement, les transfert de technologie se font difficilement dans un axe Nord-Sud, ou les differences climatiques sont grandes. Les technologies ont donc circul’e suivant un axe Est-Ouest (de la Chine vers l’Europe Occidentale, un peu comme la route de la soie). Ce qui explique en partie le decrochage de l’Afrique sub-saharienne.

    Deuxiemement, cet axe est-ouest Eurasiatique a ete dote de de cereales, de plantes et d’animaux qui ont facilite son developpement, alors que cela n’a pas ete le cas en Amerique. Exemple : il n’y avait pas de chevaux en Amerique, et les relations entre les Azteques (mexique), les Mayas (amerique centrale) et les Incas (Perou) etaient presque nulles, justement du fait qu’ils sont sur un axe Nord-Sud qui leur empeche d’avoir beaucoup de choses en commun.

    Bon je retourne a mes Lindhal Prices et a mes exercices de biens publics. Grrrr j’y arrive pas et je deteste la micro avancee. Le systeme universitaire danois est vraiment pourri, ici les TD n’existent pas…

  4. alex-kossoy : visiblement, vos exercices sur les biens publics sont prenants, au point de vous faire confondre Jared avec Peter Diamond :-).
    Sur le fond, les auteurs citent guns, germs and steel et se placent donc dans cette perspective (n’oubliez pas que Diamond est assez léger pour les phénomènes se produisant après l’invention de l’agriculture : c’est le seul "head start" auquel il s’intéresse). Et les auteurs ont pris en compte les changements de types de population.

  5. oops, j’aurais vraiment du continuer mes exercices au lieu de flaner sur econoclaste :
    effectivement Easterly cite Jared Diamond 3 fois, et "guns, germs and Steel" est bien dans la biblio…
    autant pour moi et merci de la remarque 🙂

    PS: il existe bien un economiste Peter Diamond, au M.I.T, mais c’etait bien Jared Diamond(qui n’est pas economiste) que je citais.

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