Ce matin, j’ai fait le plein de carburant (du diesel) et j’ai payé 0.997€ le litre. Ma vie est passionnante me direz-vous… Et pourtant il y a quelque chose de remarquable dans cet achat; il y a une dizaine de jours, j’avais fait le plein pour 1.06€/l; et au début du mois de novembre, j’avais payé 1.10€/l. En d’autres termes, le prix du carburant a baissé d’environ 10% au cours du mois écoulé. Cela mérite d’être noté, et de faire quelques commentaires.
Souvenez-vous, début septembre. L’homme qui remplit les bêtisiers plus vite que son ombre menaçait les compagnies pétrolières d’une “taxe exceptionnelle” si elles ne faisaient pas un effort pour limiter la hausse du prix du pétrole à la pompe.
A sa décharge, il n’est pas le seul à croire que ce sont les compagnies pétrolières qui décident du prix du carburant à la pompe et qu’elles manipulent celui-ci par cupidité, au détriment des consommateurs. Le prix du carburant est un sujet sensible (essayez par exemple de chercher “fuel price riots” sur google); Aux USA, cette idée selon laquelle les compagnies pétrolières sont responsables de la hausse des cours du carburant était très répandue aussi à l’époque. CafeHayek se demandait récemment, non sans malice, si c’est à une diminution de la cupidité des compagnies pétrolières qu’il fallait imputer la récente baisse du prix du carburant… La condamnation des compagnies pétrolières lorsque le carburant augmente (et celle de l’état spoliateur qui devrait baisser les taxes lorsque les cours montent…) est l’un des rituels les mieux établis du monde moderne.
Pourtant ce rituel repose sur un raisonnement complètement faux. Pourquoi les compagnies pétrolières devraient-elles attendre les hausses de cours du pétrole brut pour élever le prix des carburants, si elles disposent d’un pouvoir de fixation du prix à leur convenance? Une entreprise qui détient un pouvoir de monopole doit fixer en permanence le prix de vente de son produit au prix maximum que le plus de consommateurs est disposé à payer avant de passer à des substituts – ce qui dans le cas du carburant, est très haut. Si les compagnies pétrolières attendent que le prix du pétrole brut augmente pour élever le prix du carburant, cela ne peut signifier qu’une chose : elles n’ont pas le choix de le faire avant, elles ne le font donc que lorsqu’elles ne peuvent faire autrement; ce qui traduit une distribution de carburant dans laquelle la concurrence exerce une forte pression sur les producteurs.
Ce raisonnement simple fait partie des défis pédagogiques les plus pénibles de l’enseignement de l’économie. Immanquablement, lorsque vous l’expliquez, on vous rétorque “Oui, mais les hausses sont répercutées tout de suite sur les prix de vente; alors que les baisses mettent beaucoup plus longtemps à se retrouver dans les prix à la pompe”. Jusqu’à présent, j’expliquais lorsqu’on me faisait cette réponse que cela est dû au fait que les gens remarquent plus les hausses que les baisses; mais cette explication manquait de conviction car elle est un peu simpliste; en réalité, il semble bien que les baisses de cours se répercutent avec un décalage dans le temps plus grand que les hausses.
Heureusement, grâce à Tim Hartford, je viens de comprendre la solution du problème (Tim Hartford dont le livre, The undercover Economist, est excellent; on aura l’occasion d’en reparler). L’idée est la suivante : entre le moment ou le pétrole brut est acheté, et ou il se retrouve dans une station-service sous forme de carburant, il s’écoule un temps très long, supérieur à un mois. Comment se fait-il donc que les hausses de cours soient répercutées si vite? Mais supposons que le prix du pétrole monte. Pour les consommateurs, cela signifie une chose : le prix des carburants va bientôt monter. Il convient donc de faire rapidement le plein de la cuve à mazout et de l’automobile tant que le prix n’a pas réagi. Pour les stations-service, cela signifie une chose : très bientôt, la valeur de ce qui est dans la cuve sous la boutique va augmenter. Il serait donc bien d’attendre un peu pour le vendre, par exemple en décidant dès aujourd’hui de fermer la station pour en ravaler un peu la façade. Les anticipations de hausse de prix des consommateurs et des vendeurs pousse donc à une élévation immédiate de la demande, accompagnée d’une diminution immédiate de l’offre; pas étonnant donc que le prix du carburant augmente tout de suite après la hausse du prix du brut.
Mais alors, pourquoi ce mécanisme ne se produit-il pas en sens inverse, au moment des baisses de prix du brut? En tant que consommateur, si je sais que le prix du carburant à la pompe va bientôt baisser, je devrais attendre pour faire le plein que cette baisse survienne; le vendeur lui devrait chercher à écouler son stock avant que sa valeur ne baisse trop, en diminuant légèrement son prix de vente. Au total, cela devrait donc produire le même effet : une répercussion immédiate de la baisse dans les prix de vente. Sauf qu’un élément supplémentaire est à prendre en compte : la paresse des automobilistes face à l’effort que représente la recherche de prix bas. Supposez que je constate que la station-service à laquelle je m’étais rendu la dernière fois a augmenté ses tarifs : je suis incité à poursuivre ma route pour trouver une meilleure affaire. Mais si je constate que ses prix sont restés les mêmes ou ont légèrement baissé, il est probable que je m’en contenterais et que j’irais dans celle-là, même si la suivante a encore plus baissé ses prix. La hausse des prix stimule donc plus la concurrence que la baisse des prix – et la répercussion des hausses sera plus rapide que celle des baisses.
C’est parce que trop peu d’entre nous sont prêts à faire l’effort de chercher les stations les moins chères (et de diffuser l’information; je suis allé voir par exemple le site d’un magazine automobile qui incite les gens à indiquer leurs “bons plans carburant” en ligne; dans tout mon département, il n’y a pas une seule référence) que le prix de l’essence ne baisse pas aussi vite qu’il le pourrait. Plutôt que de pleurnicher sur les méchantes compagnies pétrolières avides, nous ferions mieux de nous tourner vers nous-mêmes.
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Il y a des ententes de prix entre détaillants qui se téléphonent les prix tous les matins, je ne vois pas pourquoi il n’ y aurait pas d’entente entre les raffineurs.
L’INSEE avait publié une étude sur ce sujet dans le numéro d’avril 2003 de la revue de l’Insee, "Economie et Statistique" qui concluait (à tort ou à raison) sur l’existence d’une perte de pouvoir d’achat spécifique au phénomène de décalage entre la vague de choc sur la matière première et la vague de choc sur le prix au détail de la matière raffinée. Le fait que le prix d’équilibre à la pompe ne soit atteint que 6 mois à un an après le choc sur le cours de la matière première ne me semble pas pouvoir s’expliquer par des mécanismes sans contrainte. Et je ne crois pas que quelque chose ait évolué dans ce secteur depuis 2003.
"C’est parce que trop peu d’entre nous sont prêts à faire l’effort de chercher les stations les moins chères (et de diffuser l’information; "
Les automobilistes par ailleurs conscients de leur intérêt personnel savent que cette information a une valeur (la moins-value de l’opérateur de la station chère et de ses associés en commerce, parmi lesquels, l’état, les collectivités, la famille des employés) et inciteraient à ce que ces informations ne soient pas diffusées en dehors de leur propre communauté d’intérêts (je n’ai pas le terme de communautarisme, lorsqu’il reflète simplement la solidarité entre personnes, comme, par exemple, le scénario dans lequel on sait que telle station-service est chère, mais on sait aussi qu’elle emploie le fils du voisin).
Et puisque ce genre de raisonnement peut se généraliser à à peu près tous les marchés réputés libres de marchandises à valeur d’usage clairement déterminée (charbon, eau, électricité, bois de chauffe), je me demande s’il est raisonnable d’espérer qu’au sein d’un marché, les acheteurs puissent raisonnablement espérer la transparence sur les prix, surtout lorsque l’état est directement et immédiatement intéressé au bénéfice du distributeur tout en conservant des leviers de pression forts (sujétion directes, régime fiscal avantageux mais fragile) sur les organes et institutions destinées porter des informations à la connaissance du public. Internet, dans ce contexte, est certainement la "nouveauté" majeure : mais, pour autant, elle ne saurait concurrencer les réseaux de solidarité entre personnes qui, partageant conditions de vie et territoire, sont en concurrence d’intérêt les uns avec les autres.
Autrefois, le pragmatisme avait mené à la création de mécanismes pour une solidarité nationale équitable. Et puisqu’un grand consensus politique s’acharne à les arrêter un par un sans y substituer quelque autre mécanisme, il faut s’attendre à ce que chacun, au sein de sa communauté d’intérêts, emploie ses avantages naturels, éventuellement avec l’aide de ses réseaux de relations (familial, professionnel, religieux, communautaire, etc.), pour tondre l’autre, notamment, en s’opposant par tous les moyens raisonnables et non-violents à la diffusion d’une information objective sur les prix et la disponibilité des marchandises sur les territoires.
Il est vrai que cette situation évoluerait peut-être (en une demi-génération ?) si la position sociale d’une personne (ou ses revenus) se mettaient effectivement à dépendre de sa capacité à produire ou commercer et non pas de la fortune et l’origine géographique, ethnique et religieuse de sa famille ou, dans une bien moindre mesure, de ses diplômes, auquel cas, l’intérêt des générations montantes deviendrait de participer à, y compris à niveau local d’une économie ouverte généralisée qui existe déjà au niveau du commerce de gros. Il est aussi vrai que cette situation n’a aucune chance d’évoluer si cette évolution se fait en choisissant de préférence cette voie qui consiste à faire payer le prix de l’évolution par le plus grand nombre possible de personnes (par exemple, en choisissant de fiscaliser l’épargne dans sa forme la plus répandue pour défiscaliser celle de la minorité des plus hauts revenus).
La crise du pétrole est soi-disant liée à l’appétit de pétrole de la Chine. Je vous invite à lire mon analyse sur mon blog pour voir que les choses ne sont pas si simples :
rudelle.blogspirit.com/ar…
"Les anticipations de hausse de prix des consommateurs et des vendeurs pousse donc à une élévation immédiate de la demande, accompagnée d’une diminution immédiate de l’offre; pas étonnant donc que le prix du carburant augmente tout de suite après la hausse du prix du brut."
Simple question : combien de consommateurs sont capables d’aniciper une hausse de prix ? Si je revois mon expérience assez conséquente en station, ils doivent se compter sur les doigts d’une main, et encore en forçant le trait. Au pire, j’aurai dû au moins observer à mon niveau d’assez grandes variations dans la vente d’essence d’une semaine à l’autre. Dans les faits, il ne m’a jamais été possible de faire ce type de corrélation. Une étude précise quant aux causes d’une hausse de la consommation mériterait d’être faite. Pour ma part, c’est principalement lors des grèves de routiers et des hausses les plus visibles que j’ai pu observer une ruée sur la pompe. Pour le reste…
J’ai le sentiment en vous lisant, que vous appliquez un raisonnnement théorique à une réalité qui vous échappe grandement et dont vous ignorez quasiment tout. Je n’ai pas encore lu un seul économiste qui ait rendu compte de toute la complexité de la fixation du prix des carburants et qui intègre pleinement les ententes entre distributeurs et surtout les importantes recompositions de la distribution d’essence en France qui a cours depuis quelques années déjà (grandes surfaces majoritaires, nombres de stations en chute libre, automatisation importante).
En outre, le terme de station service me paraît à présent grandement surfait. Il n’existe plus principalement que des pompes à essence. Si vous voulez un service, il va falloir chercher, et ce, de plus en plus, les stations étant en volume majoritairement aux mains des grandes surfaces (aucun service si ce n’est la distribution de gaz) et des stations automates (majorité du réseau Esso actuel).
De manière générale, la comparaison des prix devrait être à la mode si chacun avait pleinement conscience d’être un consommateur soucieux de défendre son pouvoir d’achat. Mais si on devait respecter ce principe consumériste à la lettre, je crains que les journées ne fussent pas suffisamment remplies pour se livrer à toutes les comparaisons souhaitables. Et en règle générale, les distributeurs communiquent tous les jours entre eux, chacun se fixant peu ou prou sur le prix de l’autre. Dans le cas de grosses différences de prix, c’est que vous avez affaire à un propriétaire qui peut difficilement s’aligner sur le prix des supermarchés, où l’essence est bien souvent un produit d’appel. Le propriétaire paie bien souvent son essence plus chère que ses concurrents (à moins d’être proche d’une frontière), cela se répercutant sur le prix final. Bref, rien de simple.
Mais encore une fois, votre vision des choses me paraît très théorique et ne s’appuie que sur un comportement virtuel des consommateurs.
article de fond de l’insee sur l’impact d’un choc pétrolier sur les prix du carburant à la pompe : http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_...