Incompréhensions courantes de l’analyse économique

Il n’y a pas longtemps, un de mes collègues, qui n’est pas économiste mais vient parfois s’égarer sur ce blog, m’a fait part de sa surprise à propos du récent post présentant entre autre l’idée de perte sèche de noël. “Il y a quelque chose qui ne me paraît pas clair”, m’a-t-il dit. “Je ne comprends pas quelle perte il y a pour l’économie dans le fait d’offrir à quelqu’un un objet pour lequel il n’aurait pas été disposé à payer. Après tout, du point de vue du vendeur, peu importe que son produit soit vendu à quelqu’un qui ne le désirait pas, l’essentiel est qu’il soit acheté”.

Je lui ai répondu ce qui me paraissait évident : qu’il s’agit d’une allocation sous-optimale. Si j’achète une bouteille de champagne et que je l’offre à une personne qui est allergique à l’alcool et déteste les boissons gazeuses, il s’agit d’un gaspillage, au même titre que si j’avais acheté la bouteille pour la vider directement dans l’égout à la sortie du magasin.
Mon collègue a répondu qu’il voyait bien ou se situait le gaspillage, mais qu’il lui semblait que celui-ci ne constituait pas un problème économique : l’essentiel n’est-il pas que du champagne soit acheté pour faire tourner l’économie? il y a eu après tout achat et vente, n’est-ce pas ce qui compte d’un point de vue économique?

Je lui ai alors rappelé que l’économie est fondée sur le problème de l’articulation entre des ressources limitées et des besoins considérables, et que l’optimisation économique implique d’utiliser ces ressources de la meilleure façon possible. Produire une bouteille de champagne détruit des ressources utiles qui auraient pu servir à autre chose; si cette bouteille atterrit finalement entre les mains d’une personne pour qui elle vaut moins que ce qu’elle coûte, ces ressources sont gaspillées; il existe quelque part un acheteur potentiel qui aurait été prêt à acheter cette bouteille pour son prix, qui la valorisait donc plus, et qui ne pourra pas la consommer. “cela me paraît effectivement parfaitement logique”, m’a répondu mon collègue. “Simplement, je ne voyais pas du tout les choses comme cela.” Mon collègue était trompé par l’un des biais cognitifs les plus fréquents de la population en matière économique : le biais productiviste.

Il est tout à fait naturel qu’il y ait un décalage entre la perception instinctive d’une personne sur un sujet, et la perception qu’ont de ce même sujet les gens spécialisés dans cette matière. Après tout, c’est pour cela que les sciences existent : pour découvrir des choses qui sont à la fois vraies et contre-intuitives. Si les sciences ne découvraient que des choses évidentes pour tout le monde, elles n’auraient aucune utilité. Mais il découle de cela qu’il existera toujours une différence entre ce que pense la population dans son ensemble sur un sujet et ce que savent les spécialistes de ce sujet. Si l’on demande à quelqu’un comment évolue la température d’une cuisine lorsqu’on ouvre la porte du réfrigérateur, il est fort probable que cette personne répondra “la pièce va refroidir”. Seuls des gens disposant de connaissances basiques en thermodynamique sauront expliquer que c’est l’inverse. De même, beaucoup de gens considéreront que les vitesses s’ajoutent et se retranchent, donc que l’extrémité du rayon lumineux qui s’échappe de ma torche électrique avance plus vite que la lumière si je me déplace vers l’avant. Nous pensons aussi que les choses lourdes tombent plus vite que les choses légères; certaines croyances en matière de physique sont même parfois très surprenantes.

Etudier un domaine, en devenir spécialiste, est l’occasion de corriger ce genre de biais, c’est ce qui fait que les spécialistes voient leur domaine d’une façon différente du grand public. On rencontre aussi ce phénomène en économie, avec là aussi un décalage entre ce que disent les économistes et l’opinion générale sur les sujets économiques. C’est cela aussi qui donne l’impression aux étudiants débutant en économie qu’ils subissent un lavage de cerveau : au sens strict c’est exact, puisqu’il est nécessaire de désapprendre une bonne part de ce que l’on croyait auparavant avant de pouvoir comprendre la véritable logique des phénomènes économiques. Bryan Caplan, à partir de sondages décrivant les réponses à diverses questions apportées par des économistes et par le grand public, a tenté d’identifier quelques-uns des biais cognitifs du grand public en matière économique. La méthode a ses limites; par exemple, une partie des idées des économistes leur viennent de leur groupe social (les classes intellectuelles aisées). Néanmoins, il est possible de distinguer dans ce qui constitue des différences entre économistes et grand public ce qui ressort de l’opinion et ce qui ressort des faits ou de la simple application de la logique, et ainsi de comprendre ces différences. Bryan Caplan identifie une série de biais de la part du public qui sont les suivants :

Le premier, probablement le plus fréquent, est le biais productiviste; selon celui-ci, ce qui compte est de produire, la consommation ne vaut que dans la mesure ou elle permet d’absorber ce qu’il est nécessaire de produire pour que l’activité reste soutenue. Ce biais prend des formes assez variées. Il est à l’origine de l’idée que le progrès technologique est un facteur de chômage; il explique pourquoi les économistes sont souvent accusés de productivisme échevelé, par ceux-là même qui paradoxalement sont victimes du biais consistant à croire que l’économie se “porte bien” lorsque l’on produit des choses parfaitement inutiles. L’un de mes grands jeux lorsque j’interroge des étudiants à l’oral est de leur demander si payer des gens à creuser des trous et les reboucher est une bonne façon de stimuler l’activité économique; si l’absurdité de la chose ne leur échappe pas, en expliquer la raison est beaucoup moins évident. Ce biais est à l’origine aussi du succès de l’analyse keynésienne dans sa mauvaise interprétation. Rappelons que l’analyse keynésienne implique qu’il faut augmenter les prix pour ramener les salaires réels à l’équilibre (donc baisser le pouvoir d’achat des salaires); pour cela, rien de tel que de faire tourner la planche à billets, ou d’augmenter la consommation de l’Etat, ce qui raréfie les biens et services et en élève le prix. ce mécanisme est bien souvent ignoré au profit de l’idée qu’il faut “soutenir la demande” pour favoriser la production. Ce biais correspond aussi à la raison du succès jamais démenti dans le grand public de la doctrine mercantiliste (dont l’absurdité est pourtant connue depuis plusieurs siècles), consistant à privilégier les exportations au détriment des importations.

Un autre biais est le biais d’hostilité spontanée vis à vis de l’étranger. Les succès économiques des pays étrangers sont vus avec beaucoup plus de suspicion du public que de la part des économistes. Il y a là peut-être une part de biais sociologique, mais surtout le fait que les économistes raisonnent de façon Paretienne : si les étrangers s’enrichissent plus que nous, cela n’a guère de conséquences. Ce n’est pas ce que l’on trouve dans le grand public, où l’enrichissement des étrangers est souvent interprété comme une menace; de façon symétrique, à la phrase “l’économie française stagne”, on entend souvent des réponses du type de “L’Italie c’est pire”, comme s’il devait s’agir d’un motif de consolation. Les effets économiques de l’immigration sont évalués de façon beaucoup plus significative et négative de la part du grand public que de la part des économistes; l’aide au développement est estimée à un niveau beaucoup plus élevé que sa valeur réelle (pour déplorer le plus souvent des faveurs faites aux étrangers); les problèmes de “compétitivité” sont considérés comme beaucoup plus importants qu’ils ne sont.

Un troisième biais est le biais d’incompréhension du mécanisme de marché. Il ne s’agit pas ici d’hostilité au libéralisme mais véritablement d’une grande difficulté à appréhender l’idée d’ordre spontané. Visitant les USA, Krouchtchev, impressionné par la profusion rencontrée dans les magasins californiens, avait demandé qui était en charge de l’approvisionnement de San Francisco en fruits et légumes. La question peut nous paraître naïve, mais la réponse – personne, et c’est bien mieux ainsi – est extrêmement contre-intuitive. Ce biais a diverses conséquences, notamment de toujours chercher un responsable à tous les problèmes économiques, à personnifier bonnes et mauvaises performances, comme si elles dépendaient d’un seul individu ou d’un groupe; également de prêter à la politique économique et aux intentions plus de capacités qu’elle n’ont réellement. On imputera la hausse du prix du carburant soit à la cupidité des compagnies pétrolières (en omettant de se demander si les périodes de baisse sont signe d’une diminution de ladite cupidité…) ou à l’action du gouvernement, alors que les économistes verront le jeu de forces impersonnelles, l’offre et la demande.

Le quatrième et dernier biais est un biais pessimiste. Partout, et depuis fort longtemps, les gens sont persuadés que la situation économique est bien pire qu’elle n’est réellement. Les montant de la dette publique, de l’inflation, du taux de chômage, sont surestimés; ceux de la croissance ou de l’élévation des revenus systématiquement sous-évalués. Il s’agit véritablement de biais (et pas d’appréhension réelle de la situation contre les économistes dans leur tour d’ivoire) car ces idées sont corrigées par l’explication. Expliquez qu’une personne au RMI aujourd’hui touche autant en termes réels qu’une personne touchant le salaire minimum il y a 30 ans, vous suscitez l’incrédulité : récapitulez les biens de consommation de l’époque (téléviseurs noir et blanc, trois chaînes, voitures, prix de l’essence par rapport au salaire, confort des habitations…) en les comparant à la situation d’aujourd’hui, et aussitôt cela paraît beaucoup plus évident.

D’où proviennent ces différents biais? Les facteurs explicatifs sont multiples. Souvent, cela vient de ce que nous confondons notre perception immédiate avec la totalité d’un phénomène. Lorsque nous ouvrons le frigo, nous sentons l’air froid sortir, nous ne sentons pas le compresseur à l’arrière de celui-ci produire de la chaleur pour compenser la déperdition; de la même façon, un emploi détruit apparaît de façon beaucoup plus visible qu’un emploi créé. Si on avait dit à un français de 1850, alors que 80% de la population travaillait dans l’agriculture et le textile, que la proportion de la population dans ces secteurs serait de 5% en 2000, il aurait demandé “et que font les autres?”. Il aurait été bien difficile de le lui expliquer. D’autres biais proviennent de limitations cognitives, proches de celles qui rendent certaines théories scientifiques (comme la théorie de l’évolution) très difficiles à comprendre. Des neurobiologistes constatent que notre cerveau est naturellement enclin à appréhender nombre de phénomènes comme le résultat d’une volonté extérieure. L’hostilité spontanée vis à vis des étrangers peut elle aussi être le résultat d’anciens réflexes utiles à l’époque ou l’espèce humaine vivait de chasse et de cueillette.

Ces biais posent-ils un problème? Pour l’essentiel, non, sauf pour les professeurs d’économie qui ont l’impression d’être Sisyphe lorsqu’ils cherchent à les contrer (le pire étant l’explication du concept d’avantage comparatif, qui va à l’encontre de tous les biais en même temps). De la même façon qu’il est tout à fait possible de vivre parfaitement normalement en considérant que le soleil est un satellite de la terre (sauf évidemment si l’on va à l’émission “qui veut gagner des millions”…) ou que les objets lourds tombent plus vite que les objets légers, qu’un dinosaure hante les Lochs écossais, etc, il est parfaitement possible de vivre en ignorant totalement la réalité du fonctionnement de l’économie. Il n’est pas rare même de rencontrer des traders fortunés qui vous expliqueront leurs succès par une conception entièrement délirante de la réalité économique. C’est que le développement économique implique une dilution de la connaissance, sa décentralisation dans la société dans son ensemble; l’un des plus grands paradoxes du progrès économique vient de ce qu’il naît d’une spécialisation qui a pour effet de réduire les connaissances individuelles au profit de l’essor de connaissances collectives disséminées.

Il y a néanmoins un domaine important pour lequel ces biais posent problème, c’est celui du vote et de l’élaboration des politiques publiques. L’existence de tels biais peut conduire à des politiques économiques contre-productives ou inefficaces, mais qui rencontreront un grand succès public. De ce point de vue, les coûts de l’ignorance économique existent, même s’ils sont, là encore, surévalués.

Alexandre Delaigue

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35 Commentaires

  1. En effet, la discussion des biais est intéressante. Cependant, suis-je particulièrement biaisé?, j’ai de la peine à saisir votre raisonnement concernant Noël. Vous écrivez que le problème réside dans l’allocation sous-optimale des ressources. Qu’il y a destruction de ressources qui auraient pû être mieux utilisées. Qu’il "existe quelque part un acheteur potentiel qui aurait été prêt à acheter cette bouteille pour son prix, qui la valorisait donc plus, et qui ne pourra pas la consommer". Je ne peux me défaire de l’idée que ce jugement est d’ordre moral : un cadeau qui ne plait pas serait un gâchis. Mais l’acte d’achat ne vise pas à satisfaire un quelconque besoin matériel du bénéficiaire du cadeau, mais à satisfaire le désir d’offrir un cadeau de l’acheteur. Et ce désir est parfaitement satisfait. Je ne vois pas en quoi quelqu’un qui achète une bouteille pour la boire la valorise plus que celui qui l’achète pour la donner. Les deux ont un besoin à satisfaire, et ces besoins sont satisfaits dans un cas comme dans l’autre. Je ne vois pas en quoi l’usage imprévu d’un objet est une mauvaise allocation des ressources. Le besoin de boire du champagne serait-il "plus important" que le besoin de donner? Quant au devenir des déchets (la bouteille vide dans un cas, pleine mais donnée dans l’autre), c’est un autre problème.

    Si je puis me permettre, je crois discerner un biais dans votre raisonnement : celui de la préférence pour la satisfaction des besoins matériels, qui seraient plus "importante" que la satisfaction des besoins immatériels. Un vieux reste de l’idée que l’industrie et l’agriculture serait finalement plus utile que les services. Tiens, et pendant que j’y suis, il y a peut-être également un autre biais : l’idée que les services (ici la satisfaction du désir de faire un cadeau) ne consomment pas ou ne devraient pas consommer de biens matériels, et que si un service en consomme ce n’est "pas vraiment" un service.

    Bien cordialement,

    EL

  2. Oui, excellent billet.
    Et lorsque l’on combine ces biais cognitifs économiques aux nombreux biais cognitifs mathématiques (comme la mauvaise perception des probabilités conditionelles, du hasard…) on obtient un cocktail décidemment bien explosif.

    Tout ça amène à une question peu politiquement correcte: si le design d’un avion ne se fait pas en faisant voter les passagers, dans quelle mesure doit-on soumettre une politique économique au votes des électeurs ?

  3. Sur le problème de Noël, comment tout de même prendre en compte le fait que le bien que je reçois n’est pas seulement un bien que je n’aurais peut-être pas acheté à la valeur monétaire auquel il a été acheté, mais, est, en plus, affecté d’une valeur sentimentale parce que, précisément, c’est un cadeau ?
    N’est-ce pas une des limites de l’analyse économique que de ne pas pouvoir prendre en compte ces éléments ?

  4. Excellente note.

    Une question, néanmoins : d’où vient la référence à la phrase de Khrouchtchev? Elle me paraît beaucoup trop belle pour être authentique et une petite recherche sur Internet ne me permet pas de retouver des propos de la sorte dans les documents d’époque.
    http://www.time.com/time/magazin...
    dosfan.lib.uic.edu/ERC/fr…

    Par contre, je decouvre que Khrouchtchev avait demandé à visiter Disneyland et avait piqué une grosse colère quand on l’en avait empêché pour des raisons de sécurité…
    http://www.snopes.com/disney/par...

  5. Quelques petites questions:

    – Pourquoi le mercantilisme est-il si mauvais?
    – L’incompréhension envers l’ordre spontané me semble avoir des causes religieuses plutôt qu’être un biais cognitif. Il suppose l’action de la main invisible et donc que la recherche de l’intérêt personnel conduit à l’intérêt général, ce qui est contraire à la morale chrétienne. Stiglitz dit que la main invisible est invisible tt simplement parce qu’elle n’existe pas. Est-il bête ou surfe-t-il sur le créneau très vendeur de l’altermondialisme et de la contestation envers l’économie de marché?
    – Sur le biais pessimiste: pourquoi faites-vous preuve de tant de mansuétude envers la dette publique quand on a connu la situation de l’Argentine et de la Russie? Quant au chômage, il me paraît sous-estimé car des emplois aidés etc (comparable aux trous que l’on rebouche) faussent les stats.
    – Quels biais cognitifs s’appliquent à l’avantzge comparatif?
    – Le biais productiviste est très bien démontré ds Obélix et compagnie avec la production de menhirs. D’ailleurs ce livre n’est-il pas le meilleur ouvrage jamais écrit sur les avantages et les inconvénients de l’intervention étatique ds l’économie?

  6. Séduisant !

    Néanmoins, les théories économiques ne peuvent se concevoir sans tenir compte de l’être humain… avec les biais de sa pensée.

    Pour forger la pensée économique, tient-on compte de ces biais, ou bien raisonne-t-on à partir d’êtres idéaux… qui s’empresseront de ne pas respecter la théorie ?

    Une caricature serait celle des instituts de sondages qui préfèrent mettre leurs erreurs de prédiction sur le compte de l’inconséquence des sondés, plutôt que sur l’impossibilité d’établir des conditions scientifiques de recueil des opinions.

  7. Le collègue responsable de la conversation sur le champagne jeté dans l’égout précise qu’il ne cautionne d’aucune manière cette pratique !
    Il précise cependant que sa préférence en terme de vins va plutôt vers les vins de propriétaires-récoltants (par opposition au Champagne dominé par les maisons de négoce) : géographie vs économie…

  8. Bon je vais essayer de désapprendre ce que j’ai appris mais avouez que c’est une tâche assez difficile non?

    Si tout n’est qu’illusion de l’esprit (pour la personne lambda), qu’elle est l’explication à un taux de chômage élevé?

    Félicitations! Encore un billet perturbant pour les esprits simples.

  9. je pense que le second biais, l’hostilité spontanée à l’égard des étrangers, de manière assez simple. La plupart des individus ne raisonnent pas du tout en regardant le niveau absolu de richesse dans lequel ils se trouvent mais en classant leur pays par rapport aux autres pays. La seule statistique qui les intéressent, ce n’est pas le PIB (ou je ne sais quel autre indicateur), mais le statistique de rang associée à ce même PIB. On le voit bien dans le débat sur le déclin de la France. D’une manière générale, il est souvent assez intuitif de raisonner en terme de classement. C’est ce qu’on fait quand on regarde les résultats sportifs, les résultats scolaires, les résultats des élections… C’est aussi une manière très facile de raisonner. En effet, on n’a pas besoin de s’y connaître pour savoir interpréter un classement. On peut ensuite se demander si c’est une bonne manière de raisonner ou non. Fondamentalement, cela revient à se représenter l’économie internationale comme un jeu à somme nulle alors que nous avons toutes les raisons de penser que le développement de nos voisins est également bon pour nous. En ce sens, cela me paraît effectivement être une mauvaise manière de penser. Mais d’un autre côté, on peut aussi dire que les individus ne sont pas intéressés par le fait d’être riches, mais per le fait d’être plus riches que leurs voisins.

  10. Pour la citation de Khrouchtchev, il est vraisemblable qu’elle soit fausse. La même histoire est racontée différement dans "The Company of Strangers" (elle se passe en Angleterre avec le responsable soviétique de l’approvisionnement en pain pour Moscou suite à l’effrondrement du régime communiste).

  11. Merci à tous, et joyeux noel (en retard)

    EL : Le besoin de faire un cadeau pourrait etre satisfait… En donnant de l’argent permettant à la personne d’acquérir ce qu’elle désire vraiment, au lieu de lui achter ce qu’elle ne veut pas. Le gachis est là (référez-vous à l’article de waldfogel pour plus de précisions). Le fait que dès le lendemain de Noel, Ebay soit envahi de cadeaux traduit cette inefficience. Ce n’est pas au moment de l’achat qu’il y a inefficience (l’acheteur paie sa disposition à payer) mais au moment du don.

    Reiichido : tout dépend ce que l’on attend de l’élection des dirigeants. Ce n’est certainement pas des politiques optimales, puisqu’elles n’existent pas. On attend du processus d’élection une légitimation et une limitation du pouvoir, ce qu’il accomplit relativement bien.

    Edgar : Si l’on vous donne 30 euros pour faire ce qui vous plait avec, vous pourrez tout aussi bien y attacher une valeur sentimentale et en plus satisfaire un de vos besoins, plutot que vous retrouver avec un hideux phare barometre de votre grand-tante que vous n’oserez pas jeter…

    Emmanuel (et Alexis coudeyras) : j’en connais en effet différentes versions, celle de Seabright, mais aussi sous la version krouchtchev dans un article de John Kay me semble-t-il. Elle est peut-etre apocryphe.

    Arnaud : Beaucoup de vastes questions :-). On aura l’occasion d’y répondre après les vacances…

    Lucas : oui, il est possible de tenir compte de ces biais; mais ils n’ont qu’une influence limitée sur les comportements concrets des gens en pratique.

    Bruno : d’où, décidément, le problème du cadeau inapproprié.

    slash33: tout n’est pas illusion, simplement, spontanément, on peut se tromper…

    PAC : oui, l’évaluation "relative" joue, mais pas seulement.

  12. "Le besoin de faire un cadeau pourrait etre satisfait… En donnant de l’argent permettant à la personne d’acquérir ce qu’elle désire vraiment".

    Non. Et vous le savez parfaitement, puisque vous écrivez quelques lignes plus loin que "l’acheteur paie sa disposition à payer", et qu’en conséquence ce n’est pas au moment de l’achat qu’il y a "inefficience", mais au moment du don. Mais qu’est-ce qu’un don inefficient? Un don qui ne participe pas à une allocation optimale des ressources? Mais ce n’est pas la fonction du don! La fonction du don (plus exactement du don – contre don) est de construire et d’entretenir un réseau social, éventuellement de le détruire, mais pas d’allouer des ressources, on le sait au moins depuis Mauss. Plus trivialement, c’est "le geste qui compte."

    Mais même du point de vue de l’allocation des ressources, je trouve cette idée de gachis un peu étrange. Le cadeau, l’objet qui le matérialise, la bouteille de champagne par exemple, n’est rien de plus qu’un déchet. A ceci près qu’il peut éventuellement resservir, à la différence de la bouteille lorsqu’elle est bue par l’acheteur. Alors bien sûr il peut être intéressant d’optimiser la gestion des déchets, de se débrouiller pour qu’ils servent à nouveau, et de la meilleure manière possible. Mais l’allocation des ressources est déjà réalisée de manière efficiente (nous sommes d’accord) lors des échanges marchands. La suite ce n’est que du bonus. Et surtout cela ne regarde plus ni l’économiste (sauf si le don est réintroduit sur le marché, via e-bay par exemple), ni personne d’autre. Une fois que j’ai acheté la bouteille, je peux bien en faire ce que je veux, la boire, la jeter, la donner, c’est mon affaire et ça ne participe plus du mécanisme économique d’allocation des ressources, déjà opérée, et de manière efficiente (bis repetita), lorsque je l’ai acheté.

    Pour prendre un exemple plus caricatural que les cadeaux de Noël, on peut être choqué par les bains au champagne que peuvent s’offrir les enfants de milliardaires, mais je ne vois pas en quoi leur consommation est inefficiente d’un point de vue économique. Ce champagne "gaché" aurait plus profité à quelques pauvres? Sûrement, mais ça c’est de la morale, pas de l’économie.

    Bien cordialement,

    EL

  13. Ce témoignage de Roland Cayrol, directeur de l’institut CSA, sur les biais cognitifs me paraît trés significatif.

    Il avait posé trois questions au même groupe de sondés.

    La première, comment va la France ? Mal, répondirent les sondés à 60 %.

    La seconde, comment vont les Français ? Mal, répondirent les mêmes à 70 %.

    La troisième, et vous, comment allez-vous ? Les mêmes répondirent: Ça va pas mal, à 70 %.

    Il ne faut pas oublier les mauvaises nouvelles, mais il est clair qu’il faut relativiser…

  14. Sauf que…
    L’allocation n’est pas sous-optimale si on ne se place pas du côté de celui qui reçoit la bouteille et qui potentiellement la gaspillera (en tout cas en tirera une satisfaction inférieure à un individu qui l’aurait achetée lui-même), mais du côté de celui qui fait le cadeau !
    On peut alors penser que ce dernier valorise au moins autant le bien que celui qui aurait acheté pour lui la bouteille.

    On peut même aller plus loin en disant que la valorisation d’un cadeau est en théorie toujours supérieure à celle d’un achat puisqu’elle correspond à la somme de la valeur attribuée par celui qui fait le cadeau et de la valeur attribuée par celui qui le reçoit !

    Noël crée alors une situation sur-optimale !

    Ego
    egocognito.over-blog.com/

  15. EL : Quand on commence à citer marcel Maus, on est sur la mauvaise pente ;-). Vous vous posez des questions intéressantes mais qui ne résolvent pas le problème de base : pourquoi offre-t-on aux gens des choses qu’ils ne veulent pas? C’est là qu’il y a inefficience, de la part du donneur (qui pourrait faire plus plaisir et ne le fait pas) et du receveur (qui pourrait avoir mieux mais n’insiste pas pour une procédure qui lui permettrait d’avoir mieux). Je veux bien qu’on aille chercher Maus pour justifier ce désagrément évitable réciproque, mais je constate aussi que les ventes sur ebay sont bonnes le 26 décembre. Concernant les bains de champagne, il es possible de s’y intéresser aussi, mais ce sera pour l’année prochaine.

    Ego : faites vous plaisir, mais je crois que vous n’etes pas dans le sujet.

  16. EL : moi, le gâchis m’apparait assez clairement. Pour prendre les choses par un bout (pas forcément le meilleur, notez le bien) : vous omettez de comparer ce qu’il advient de la bouteille (être jetée) et de l’argent (être donné au marchand de bouteilles) dans ce scénario à ce qui pourrait se passer dans d’autres scénarios.

    La même somme d’argent peut-être donné à n’importe quel marchand, mais la même bouteille pourrait être donné à un amateur de champagne, qui organiserait pour l’occasion un grand repas, ou il inviterait cinq ou six convives. La même bouteille pourrait être offerte par un homme pour séduire une femme, augmentant peut-être ainsi sensiblement leur bonheur à tout deux.

    Il n’est pas du tout difficile de trouver des scénarios où cette bouteille est mieux employée, certains de ces scénarios entraînant même un surcroît d’activité mercantiliste, d’autres tout simplement un surcroît de bonheur.

    Or qu’est-ce que l’économie sinon la science de la répartition de biens en quantité limitée ?

    En disant qu’il est préférable que la bouteille soit offerte à la personne qui la désire le plus , je ne porte pas un jugement moral : je fait une constatation rationnelle sur laquelle on peut rationnellement baser une théorie.

  17. Merci pour votre article, que je rejoins en bonne partie et qui me donne à penser.
    Il me vient cependant une remarque mineure : un cadeau peut aussi constituer, dans certains cas, une meilleure allocation de ressource que je n’aurais fait moi-même, et même abstraction faite de la "valeur affective" d’un présent. En tout cas, c’est le jugement que je porte a posteriori sur certains cadeaux.
    C’est le cas de telle partition, tel livre, tel ustensile offert, que je n’aurais jamais songé à m’acheter, et dont je suis, à l’usage, très satisfait : les autres, parfois, ont un meilleur point de vue que le mien sur des choses qui peuvent m’être profitables. Ou ont un point de vue complémentaire. L’acte de don en nature, et non le simple conseil d’achat, est souvent ce qui povoque effectivement ce type d’achat.

  18. Il y a un biais, dont vous n’avez pas parlé dans ce post, mais qui me semble très répandu : le "fétichisme monétaire". Il est à la base du keynésianisme "vaudou". J’ai compris de cette théorie (qu’on entend partout) que c’est la demande qui génère l’offre, donc si les facteurs de production ne sont pas pleinement utilisés (notamment les travailleurs) c’est que la demande est insuffisante, autrement dit qu’il n’y a pas assez d’argent dépensé, soit parce que la banque centrale n’émet pas assez de monnaie, soit parce qu’une partie de la monnaie est inutilisée car qu’elle n’est pas consommée (l’épargne), ou car elle quitte le pays (les importations). Pour supprimer le chômage, il suffit donc de faire tourner la planche à billet, de réduire l’épargne au profit de la consommation par l’impôt sur les riches et le déficit public, et en forçant les patrons qui épargnent à donner plus d’argent aux salariés qui consomment, et il faut aussi avoir une balance commerciale excédentaire, afin de profiter de la demande étrangère.
    Le coup de "il faut soutenir la demande" ou le coup du déficit commercial causant du chômage (et symétriquement l’excédent commercial comme moyen de réduire le chômage), je l’ai entendu y compris de la bouche d’économistes. A l’inverse, je n’ai lu votre interprétation de la théorie keynésienne que récemment, quand j’ai commencé à lire ce blog et quelques livres d’économie sérieux.

  19. @ Econoclaste Alexandre: merci pour ce billet, qui suscitent deux questions chez moi:
    1 Est-ce que tous les jours, nous n’achetons pas des choses dont nous n’avons en fait pas vraiment envie (et qui sont donc un peu gaspillées, tel une crème jamais utilisée, une soupe en sachet finalement pas très bonne, j’aurais du en acheter une autre, un DVD jamais regardé, un livre qui à peine ouvert, finit dans un carton)? Est-ce qu’un tel raisonnement ne devrait pas mener à faire une critique sévère du marketing, de la publicité, des écoles de commerces? pourquoi s’attaquer seulement au père noël? Ma question n’est nullement provocatrice: j’ai l’impression que c’est la conclusion logique à laquelle tout économiste devrait aboutir à partir de ce que vous nous dites, mais je n’ai pas l’impression que ce soit le cas.
    2 dans l’article cité, il est évalué une perte de 10 à 30% de valeur économique des biens du fait du don lié à Noël. Mais si Noël n’existait pas, est-ce que cet argent serait utilisé? pourquoi au final ne pas compter les 70 à 90% dépensés utilement mais la perte. Tien, du coup, je me dis qu’il faudrait intégrer pour bien calculer le cout de noël les producteurs de sapin, de papier d’emballage, de neige artificielle, les ostréiculteurs, les chocolatiers et autres producteurs de foie gras… Mais bon, là, je sais que je pinaille.

    @ EL: ah qu’il est heureux de voir ce bon vieux Marcel ressurgir. C’est la preuve que vous êtes sur la bonne voie 😉 Ceci dit, vos interventions me donnent le sentiment qu’il est difficile d’intégrer à un discours économique des références qui ne le sont pas. En fait, les économistes ont probablement raison (je suis incapable d’en juger) quand ils racontent que Noël suscite une perte sèche. Pour un anthropologue ou un sociologue, c’est faux, mais il me semble qu’ils ne parlent pas de la même chose: tout ce que vous racontez sur le don me semble juste, mais voila, d’après ce que je viens d’entendre, l’économie s’intéressant à l’allocation de ressources rares, elle ne s’intéresse pas à tout ça. Il me semble assez évident qu’un cadeau sous forme monétaire contient "une perte sociale sèche" (mon papa m’a toujours expliqué que le plus beau moment de la fête, c’est avant d’ouvrir le cadeau, après, on est toujours déçu, mais avec un chèque, il n’y a même pas de cadeau) mais vouloir intégrer cela au raisonnement économique, je ne sais pas où ça mène et je ne sais pas si on ne finit pas par se faire avoir au final. Pour faire court: plaît aux économistes que Noël soit contreproductif économiquement, tant qu’ils nous laissent la possibilité d’offrir des cadeaux inutiles, fussent-ils revendus le lendemain, pour que ça circule, je n’ai rien à y redire.

  20. Je ne sais pas, si a contrario de la logique de votre post, il n’y a pas un "biais de maîtrise" de la part des économistes (qui croient comprendre quelque chose, alors même que ce sont d’autres phénomènes qui peuvent expliquer cette chose).

    Un exemple, lorsque vous parlez de la hausse des prix du pétrole, supposer qu’il n’y a qu’un mécanisme de marché (supposément en concurrence pure et parfaite, je suppose) alors même que c’est un bien extrêmement taxé (ça n’explique pas sa hausse ces deux dernières années, d’accord, mais ça explique son niveau) et dont la production est le fait de décision d’un cartel (OPEP) qui n’a pas grand chose à voir avec un marché… Bon nombre de "marchés" fonctionnent effectivement assez peu comme des marchés de cpp… Un certain nombre de responsabilités peuvent alors être facilement identifiées (même si les condamnations morales qui s’y rattachent c’est autre chose…)

    Ensuite le biais productiviste, si je suis bien d’accord avec son existence et son caractère néfaste, mais les économistes sont les premiers à tomber dedans à tout instant. Dois-je rappeler comment on mesure le produit d’une économie ?

    Sinon, je trouve votre interprétation de Keynes un peu biaisée pour le coup. Pas sur que la totalité de la profession serait d’accord avec vous…

  21. Excellent billet du point de vue du lecteur néophyte que je suis.

    Un point, cependant :

    "l’économie est fondée sur le problème de l’articulation entre des ressources limitées et des besoins considérables"

    Existe-t-il du point de vue théorique une contestation solide du postulat des ressources insuffisantes par rapport aux besoins ?

    Par ailleurs, est-on bien certain que celui qui, par exemple, fabrique du champagne, pourrait toujours être plus utilement employé ou s’employer plus utilement ?

  22. "Il n’est pas rare même de rencontrer des traders fortunés qui vous expliqueront leurs succès par une conception entièrement délirante de la réalité économique."

    Ce biais m’apparaît surtout important du fait de son biais de sélection : le trader qui part d’une vision foireuse (genre "quand Bush va partir, il y aura un meilleur Pdt, qui donnera confiance aux américains et défendra leur monnaie donc on devrait acheter du dollar/libellé en dollars") qui se trouve avoir par hasard fonctionné une fois va répéter ses succès à chaque cocktail. Le même trader, s’il s’est planté va moins s’étendre sur le sujet.

    Mais aucun trader* (* : qui ne s’en tient pas à des visions foireuses) ne va essayer d’expliquer à son voisin ce qu’est une marche aléatoire, voire même l’expression "voler le départ" (C) Keynes.
    Il risquerait de faire comprendre que son succès est dû à des informations privées ou à de la chance.

  23. Une petite remarque, un peu en retard, concernant ceci : "certaines croyances en matière de physique sont même parfois très surprenantes."

    Or, ce monsieur a parfaitement raison : c’est bien le Soleil qui orbite la Terre et non l’inverse… dans un référentiel terrestre.

    Du point de vue du physicien, il n’y a d’ailleurs aucune "bonne" réponse : la Terre n’orbite autour de rien *tant qu’on a pas précisé le référentiel*. C’est un peu comme répondre à cette célèbre question : "Quel âge avait Rimbaud ?".
    (maintenant, j’ai bien compris où vous vouliez en venir avec ceci, pardonnez mon intrusion).

  24. Au sujet du cadeau de Noel je propose l’explication suivante : le mieux c’est offrir le champagne à celui qui aime le champagne, quand on fait un cadeau on cherche aussi la surprise qui augmente le bien-être de celui qui le reçoit mais evidement on augmente aussi le risque (le cadeau ne plait pas ..). Donc c’est plus une question "d’optimalité espérée" que d’optimalité tout cours et d’aversion ou préférence pour le risque.
    On peut compliquer les choses : plus on connait la personne plus les chances de se tromper sont faibles mais plus les conséquences sont importantes si on se trompe…
    Ah qu’il est pratique le distateur omniscient lui il ne se plante jamais …ou presque.

  25. D’accord sur le fond de la demonstration du "champagne", mais seulement une précision à apporter : le fait d’acheter une bouteille de champagne pour l’offrir est une allocation optimale, pour qui veut offrir ce type de cadeau… et ca permet de ne pas priver l’acheteur de ce type de cadeau… peu importe apres à qui elle est offerte… il ne gaspille pas un achat, l’acheteur est parvenu à son optimum de satisfaction (c’est toujours difficile de trouver une idée)… ne se fait on pas plaisir en offrant plutot qu’en recevant !

  26. Igor : étrange préférence que celle consistant à offrir à quelqu’un ce qu’il ne veut pas; en présence de telles préférences, on n’arrive pas à un optimum…

  27. Lorsqu’on ouvre la porte du réfrigérateur, la pièce refroidit bel et bien ! L’air du réfrigérateur (froid) et son contenu vont s’équilibrer en température avec l’air de la pièce (chaud). Pour vous rassurer, cela ne va bien sûr durer qu’un temps limité et assez rapidement le réfrigérateur va retrouver une contribution nette positive à la température de la pièce. C’est pour cela qu’on vend des climatisations (et pas seulement des frigos).

    Pour ce qui est de la bouteille de champagne, je ne suis pas bien votre raisonnement. Que le champagne finisse dans un caniveau ou en urine quelques minutes plus tard, la richesse économique du pays ne varie pas. Sauf à considérer que la satisfaction ou le plaisir ont une valeur en eux-mêmes. Mais même dans ce cas, reste à faire le bilan global. Car si l’on offre 20 euros à la place de la bouteille, la satisfaction risque d’être moindre à la fois pour celui qui donne et pour celui qui reçoit, surtout s’ils sont bêtement attachés aux coutumes comme beaucoup d’entre nous.

  28. Hum.

    Parfois il vaut mieux sciemment ignorer la maximisation de l’utilité du récepteur du cadeau. Par exemple, j’offre à mon petit neveu un koala en peluche qui restera sur son étagère et refuse sciemment ce qui maximiserait son utilité à lui : les jeux de game boy. D’une part parce qu’il va passer son temps dessus, au point de négliger ses devoirs (visiblement, on a pas les mêmes préférences intertemporelles), d’autre part, parce qu’il va se trimbaler partout avec sa machine qui fait "bip ! bip ! tugudu !", ce qui énerve toute la famille (externalité négative).
    Conclusion, l’offreur ne cherche pas toujours qu’à maximiser l’utilité du demandeur, mais aussi la sienne propre.

    Dernier exemple : j’offre un livre à ma mère dont je sais pertinemment qu’il ne l’intéresse que vaguement, et hop ! Deux mois après, je lui pique pour le lire. C’est mal, je sais.

  29. Je trouve la question sur le postulat des ressources très intéressante voir fondamentale. Prenons l’exemple du pétrole. C’est une ressource limitée s’il en est. Mais par contre l’énergie nécessaire pour nous déplacer elle est infinie. Autrement dit si l’énergie n’est plus disponible sous forme de pétrole elle le sera sous une autre. Si l’économie est la science de l’allocation de ressources, l’énergie ne devrait pas pouvoir rentrer dans son champ ou alors les économistes sont eux-même la proie d’un biais liés aux sciences physiques.

  30. "Nous pensons aussi que les choses lourdes tombent plus vite que les choses légères" de même forme. Et nous avons raison.

    Sinon, pour revenir à quelque chose de plus économique. Si on veut maximiser l’utilité d’une population et que, ce qui lui plait, c’est d’être la plus riche relativement et non la plus riche dans l’absolu. Peut-on admettre qu’il ne s’agit plus d’un biais mais d’une préférence ? Il n’y a effectivement en l’occurence pas d’erreur (comme, par exemple, la surévaluation du chômage dans le biais pessimiste).

  31. «"Nous pensons aussi que les choses lourdes tombent plus vite que les choses légères" de même forme. Et nous avons raison.»

    Certainement pas. Si l’on néglige les frottements (valable pour des objets de même forme), l’accélération est constante (égale au champ de pesanteur, environ 10m/s^2 sur Terre) quelque soit le poids de l’objet. Tous les objets (de même forme) tombent donc à la même vitesse. C’est une conséquence immédiate des lois de Newton, et cela a été montré expérimentalement par Galilée.

  32. De mon coté le problème ne se pose pas : tout le monde aime le champagne et nous nous sommes mis d’accords pour ne pas se faire de cadeau (sauf pour les enfants). Seul la présence de toute la famille suffit à passer un bon moment.

    D’autre part pour répondre à votre question, je ne pense pas que le problème soit que les personnes nous offrent des choses que l’on ne veut pas, mais plutôt que le problème vient de leur imagination à nous offrir des cadeaux qui surprennent et nous font plaisir. Dans le cas d’une agréable surprise on ne peut pas dire qu’on ne le voulait pas car tout simplement on avait pas eu l’idée de l’acheter (et ce n’est pas pour cela qu’il sera inutile…)

    je repense entre autre à une canne à pêche que mes parents m’ont offert. Je ne peux l’utiliser qu’en vacances et je ne l’aurais jamais achetée de moi même mais elle me donne beaucoup de plaisir quand même à chaque fois que j’attrape un poisson avec…

    bonne continuation 😉

  33. Billet intéressant.
    Serait-il envisageable de faire le même mais où "analyse économique" n’est pas objet mais sujet – c’est-à-dire évoquer ce que l’analyse économique ne comprend pas plutôt que ce qu’on ne comprend pas de l’analyse économique ? Je ne prendrai qu’un exemple, à mon avis le plus aigu aujourd’hui.

    "Si on avait dit à un français de 1850, alors que 80% de la population travaillait dans l’agriculture et le textile, que la proportion de la population dans ces secteurs serait de 5% en 2000, il aurait demandé "et que font les autres?". Il aurait été bien difficile de le lui expliquer."
    On pourrait maintenant lui expliquer que ces actifs ont trouvé d’autres emplois grâces à la formidable croissance économique qui a eu lieu. Mais celle-ci a eu notamment pour condition un prélèvement massif sur un stock FINI d’énergies fossiles (et d’autres ressources non renouvelables) et pour conséquence entre autres la crise d’extinction massive la plus rapide de l’histoire de la terre. Ca, les économistes n’y avaient pas pensé, tout occupés qu’ils étaient à ne surtout pas tenir compte de leur bon sens. Je concède que c’est un mauvais procès car rien ne permet de penser que cette évolution était prévisible. En revanche, nous connaissons aujourd’hui ces données, et des économistes continuent de les ignorer, conservant leur foi prométhéenne en un hypothétique découplage (de l’économie et du monde réel ?).
    Peut-être que la spécialisation, « qui a pour effet de réduire les connaissances individuelles au profit de l’essor de connaissances collectives disséminées », nuit à l’appréhension de ce type de problèmes. Celle-ci émerge d’approches pluridisciplinaires ou de gens non spécialisés qui « pensent global », ce que font peu d’économistes. Ainsi le problème soulevé par Hayek dans le texte proposé par Alexandre Delaigue n’a peut-être pas été résolu (lui le résout par les prix libres) : « l’homme de terrain ne peut décider seul, sur la base de sa connaissance limitée, quoique profonde, des faits de son environnement immédiat. Reste le problème consistant à lui communiquer toute l’information supplémentaire dont il a besoin pour que ses décisions s’intègrent dans toute la structure des changements du système économique entier. » (s’il y a d’autres paresseux, j’ai trouvé une traduction en français : http://www.catallaxia.org/wiki/F...
    Les "ecological economics", en articulant des savoirs de disciplines variées, apportent quelques réponses à ce problème, mais ces travaux arrivent assez tard face à des courbes d’activité économique et de nuisances environnementales encore exponentielles (ces dernières menaçant en outre de déclencher des effets de seuils irréversibles et incontrôlables).

    Voici un début de piste de réflexion sur ce que l’analyse économique ne comprend pas. Je pense qu’elle appréhende mal la limite de son propre champ d’application, bien aidée en cela par la lame fond de l’époque que constitue la pensée technique : vouloir TOUT mesurer, quantifier, optimiser. « L’économie est fondée sur le problème de l’articulation entre des ressources limitées et des besoins considérables » : qui s’est posé la question de la limite du champ économique, à savoir la définition de nos besoins ? Je crois que malheureusement beaucoup d’économistes n’ont pas cette réflexion.

    Plus concrètement, quand j’offre du Champagne à quelqu’un qui n’en boit pas, c’est peut-être sous-optimal, mais surtout, on s’en fout tant que tout le monde mange à sa fin (et a un toit, un médecin et… un iPad… je n’ai pas fait moi-même l’effort de définir ce que sont nos besoins, mais je suis persuadé que l’exercice mérite d’être fait, même si on risque d’y perdre à court et moyen terme une part de nos libertés).

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