Il y a quelque chose de pourri au royaume du commerce équitable

Nous avions abordé il y a quelques temps, le commerce équitable comme illustration de la discrimination tarifaire, ce qui nous avait conduit à nous interroger sur sa capacité à atteindre son objectif d’amélioration de la situation des habitants des pays pauvres. Mais depuis peu, l’intérêt que suscite le commerce équitable conduit de nombreuses personnes à aller étudier le fonctionnement concret de ce commerce : et les nouvelles qu’ils rapportent sont particulièrement préoccupantes.

Un swissroll avait déjà évoqué un reportage récent, intitulé “the bitter aftertaste“, un reportage tourné au Ghana montrant que la certification “Commerce équitable” allait dans ce pays à l’encontre de l’objectif de développement, en empêchant des producteurs locaux de mécaniser leur production, et ainsi d’augmenter leur productivité et leurs revenus.

Récemment, des reporters du Financial Times sont allés enquêter sur la production de café équitable au Pérou. Le résultat de l’enquête montre que le processus de certification “commerce équitable” est entaché de graves défauts, voire de fraudes. Le reportage évoque en effet :

– des employés, sur une plantation certifiée commerce équitable, payés en dessous du salaire minimum péruvien;
– des fraudes dans le processus de certification, conduisant à exporter sous le label “équitable” du café provenant de sources non vérifiées;
– Une ONG canadienne, sur la base de photos satellites, a constaté qu’un cinquième de la production d’un groupement certifié “équitable” s’effectuait dans une zone de forêt tropicale sanctuarisée et protégée.

A cela s’ajoute l’information citée par Owen Barder : dans certaines coopératives de commerce équitable au Kenya, les fermiers sont exploités par les dirigeants des coopératives de commerce équitables; ils doivent payer des sommes importantes pour y entrer; et ces coopératives sont souvent très mal gérées, au point que le gouvernement Kenyan a dû prendre des mesures pour limiter la durée d’un poste de direction de coopérative à 6 ans.

Comme le constatait le Financial Times dans son éditorial de mardi dernier, c’est le processus de certification, mené par la Fair Trade Label Organisation, qui est aujourd’hui mis en question, et il est impératif que cette certification soit rapidement corrigée et établie sur la base de critères clairs et appliqués, sous peine de voir se multiplier les tromperies envers les consommateurs, qui risqueraient d’anéantir toute la confiance placée par ceux-ci dans le commerce équitable. Il faudra peut-être passer par une certification extérieure aux entreprises et associations qui font du commerce équitable, qui sont aujourd’hui juges et parties du processus.

Le commerce équitable est à la croisée des chemins : il peut soit devenir un facteur de développement, en permettant à des producteurs d’acquérir les moyens de s’enrichir, pour finalement ne plus avoir besoin de passer par l’équitable pour vivre de leur travail; ou alors, il peut devenir un assistanat maintenant des producteurs dans des prix artificiels, sujet à la corruption et la tromperie. Comme le constatait récemment Jagdish Bhagwati, plutôt que vouloir imposer l’extention du “commerce équitable”, les promoteurs de celui-ci devraient commencer par se préoccuper de l’intégrité du mécanisme.

Alexandre Delaigue

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4 Commentaires

  1. Tout d’abord, il n’existe pas de mécanisme unique de commerce équitable, mais diverses expérimentations, faute de théorie économique, notamment. Que la ménagère de moins de cinquante ans ne retrouve pas ses petits dans les labels est son problème : la question soulevée par les acteurs de commerce équitable est de fournir au producteur les moyens d’une existence aussi décente que possible avec les moyens non-institutionnels, les seuls que peut réellement mobiliser l’initiative individuelle.

    Bien entendu, les promoteurs des différentes formes d’expérimentation, des différentes approches sont en concurrence. La seule chose qui les unit est d’engager durablement les producteurs dans une course à la productivité sans excessive concession sur la qualité (car c’est à priori ce que le client souhaite, et uniquement pour cette raison) en contrepartie de garanties d’achat de produits périssables en volumes et en prix. Donc, l’acheteur en commerce équitable est un entrepreneur, puisqu’il prend un risque. La fourniture d’assurances au producteur par l’acheteur est la clé du commerce équitable, puisque les acteurs ordinaires des marchés se contentent de transférer le risque au producteur. L’acheteur en commerce équitable est donc en position de sélectionner les producteurs avec lesquels il travaille.

    C’est donc très naturellement que chaque approche cherche à étendre son territoire : simple jeu de la concurrence. Que l’ensemble des acteurs se retrouve alors en concurrence avec les acteurs des oligopoles existants est effectivement un élément de la démarche business : ça ne peut pas dire pour autant que le commerce équitable soit un acteur doué d’une volonté propre : ses actions ne sont que le résultat du jeu des mécanismes de concurrence sur ces deux plans.

    Il s’avère effectivement que la diversité souhaitée et acceptée des approches, méthodes, et rigueurs dans la logique de commerce équitable bâtira sa propre théorie au prix d’essais et d’erreurs qui auraient certainement été évitées avec un peu de théorie. Simple jeu de la concurrence et de l’initiative individuelle dans ces oligopoles que sont les marchés mondiaux de produits périssables. Mais personne ne s’opposerait à ce qu’émerge un peu de théorie dans ce secteur. Et notamment, quels contrôles sont utiles ? quels objectifs sont atteints ? à quelles formes de capitalisme convient quelle approche ? Pour obtenir ces réponses sans l’aide de la communauté académique, comment procéder autrement que par essais et erreurs, surtout si on considère qu’il est rare qu’une expérimentation aggrave sensiblement le sort des individus concernés (y compris les autres acteurs du secteur concurrentiel).

  2. je n’ai hélas pas de référence précise, mais j’ai entendu il y a quelque temps un débat radio entre un représentant commerce équitable et un représentant UFC que choisir (ou 60 millions de consommateurs?), où la question de la certification a précisément été soulevée. La personne UFC ou 60 millions expliquait le problème juge et partie de la certification. Le représentant commerce équitable le reconnaissait assez volontiers, mais reprochait à l’UFC Que choisir d’avoir attaqué un peu fort le commerce équitable. Bon, tout ca pour dire que quand vous dites "Il faudra peut-être passer par une certification extérieure aux entreprises et associations qui font du commerce équitable", personnellement j’enlèverais le "peut-être", pour le remplacer par un "très vite"!

  3. Olivier : Si j’avais mis une nuance, c’est qu’un mécanisme certificateur externe ne sera pas forcément meilleur que le système actuel "autogéré" : je frémis d’horreur par exemple à l’idée d’une certification effectuée par l’union européenne. Après tout, les entreprises et associations du commerce équitable ont un certain savoir-faire et pourront trouver une solution. Mais je suis entièrement d’accord sur l’urgence : Si une solution n’est pas trouvée très vite, le commerce équitable va vers de gros ennuis.

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