Exception culturelle

S’il y a bien une chose dont les économistes apprennent à se méfier, ce sont les explications culturelles des comportements humains, surtout lorsqu’ils prennent la forme du « dans tel pays, les gens sont comme ci, dans l’autre, ils sont comme ça ». Il y a deux raisons à cela. La première, c’est que leur expérience et leurs connaissances tendent à leur montrer que ce qui différencie les gens entre populations est beaucoup moins important que les comportements communs; la seconde, c’est que l’explication culturelle ne fait que déplacer la recherche des causes : elle ne nous dit rien sur les raisons pour lesquels les uns et les autres seraient différents. Ainsi, lorsque mon ami Hugues commence un post sur le sujet du rapport Olivennes par une différence culturelle entre latins indociles et un peu voyous et américains (ou Suisses) protestants et intègres, l’esprit critique de l’économiste est titillé.

Son exemple est le suivant : aux USA, on trouve des distributeurs automatiques de journaux dans lesquels il suffit de déposer le prix d’achat du journal pour que le casier s’ouvre, permettant de se servir, de prendre un, mais aussi plusieurs journaux. Et Hugues de constater que ces distributeurs témoignent de ce que même lorsque le vol est possible (chacun peut prendre autant de journaux qu’il le veut en ne payant qu’un exemplaire avec ce système) le civisme des citoyens est un puissant garde-fou contre ce comportement, garde-fou malheureusement bien absent de notre pays dans lequel, c’est bien connu, la triche est un sport national.

Cette explication éveille les réflexes de méfiance de l’économiste, mais aussi du touriste qui a, lui aussi, eu l’occasion de visiter les USA (et même la Suisse, c’est dire!), et qui y a vu ces distributeurs de journaux dans lesquels on peut se servir en plusieurs exemplaires. Il y a beaucoup de distributeurs, pour beaucoup de choses, aux USA. Mais étrangement, seuls les distributeurs de journaux fonctionnent selon ce mécanisme. Les distributeurs de boissons gazeuses, de cigarettes, de nourriture, ressemblent beaucoup aux distributeurs français de friandises et de boissons : solidement cadenassés, blindés, et ne permettant à l’acheteur de s’emparer que d’un seul produit à la fois, celui pour lequel il a payé. Le soi-disant civisme américain est donc bien étrange, puisqu’il vaut pour les journaux, mais pas pour les cannettes de Coca-Cola : faut-il croire que les lecteurs du New York Times sont plus civiques que les buveurs de Coca, ou que leur civisme n’est valable que pour l’achat d’un journal?

L’économiste cherche donc une explication plus conforme à ses principes, et par le premier d’entre eux : les individus réagissent aux incitations. En l’occurence, l’achat d’un journal est un achat différent de celui d’une boisson. L’utilité supplémentaire apportée par un journal supplémentaire est nulle : une fois qu’on a lu le premier exemplaire, quel est exactement l’intérêt d’en avoir un second? Lorsque, par mégarde, chez le marchand de journaux, vous prenez deux numéros identiques dans la pile, et que vous vous en rendez compte après l’achat, êtes-vous content de l’aubaine, ou mécontent d’avoir à trimballer ce paquet de papier inutile en plus? La seconde possibilité, beaucoup plus sûrement.

La situation n’est pas la même pour une boisson : si vous avez la possibilité d’avoir deux (ou plusieurs) cannettes pour le prix d’une, la seconde vous apportera une satisfaction supplémentaire presque égale à la première. En d’autres termes : s’il y avait des distributeurs de boissons permettant de prendre plusieurs boissons à la fois, les consommateurs auraient une incitation à se resservir beaucoup plus grande que dans le cas de journaux, dont un exemplaire supplémentaire n’apporte aucune satisfaction de plus. Ce n’est pas le civisme helvéto-américain qui est donc en cause, mais bien plus probablement l’universel et froid calcul économique, qui permet d’expliquer pourquoi on peut trouver des distributeurs de journaux dans lesquels on peut se servir abondamment, mais jamais de distributeur de boissons du même modèle.

L’esprit de l’économiste est aussi titillé lorsqu’il lit la défense d’un chanteur grincheux face aux téléchargeurs. Car outre la surprise qu’il y a à voir un chanteur de gauche tenir un discours technophobe quasiment Maurrassien, il y a surtout, au détour de l’interview, un détail amusant qui montre toute la contradiction dans laquelle se trouve la question de la propriété artistique. On y apprend en effet que ledit chanteur se prépare à sortir un album de chansons dont les textes sont des poèmes écrits par Baudelaire. Notre chanteur est donc lui aussi un pirate, au comportement pire que celui des téléchargeurs : ceux-ci se contentent d’utiliser la production d’autrui sans la payer pour leur usage personnel, celui-là exploite la production d’autrui, sans payer, dans le but de réaliser un gain financier. Le plus grand pirate n’est pas celui qu’on pense.

Vous me direz « il en a la possibilité : ces textes sont désormais libres de droits, dans le domaine public ». Dont acte. Mais cela ne fait que marquer la spécificité de la propriété intellectuelle par rapport aux autres formes de propriété : si Murat allait faire paître ses animaux dans un pré appartenant aux descendants de Baudelaire, il commettrait, aux yeux de la loi et de la morale, un vol. L’argument primitif, consistant à dire aux défenseurs des téléchargeurs « je vais venir chez vous, et vider votre frigo, serez-vous d’accord? » néglige totalement cette dimension de la propriété intellectuelle : je peux accéder en toute liberté aux Misérables de Victor Hugo, écrire sur leur base un opéra-rock dans lequel un Jean Valjean déguisé en Superman chante « je veux la paix et la justice en ce monde »; par contre, je ne peux pas (à mon grand regret) aller squatter l’ancienne maison de Victor Hugo à Guernesey. La propriété intellectuelle a ceci de particulier qu’elle est un droit purement fabriqué, très récent (un siècle) et dont la durée est arbitrairement limitée.

Cette loi, elle aussi, n’a rien à voir avec la morale, mais avec les incitations économiques. Elle ne vise pas à « protéger les auteurs » : elle vise à permettre la plus grande diffusion possible des oeuvres, tout en faisant en sorte que les auteurs restent incités à produire. Elle leur confère donc une forme de monopole temporaire sur l’usage de leurs oeuvres. Cette loi est un curseur : placé trop en faveur des droits des auteurs, elle tarit la création et rend la culture inaccessible (or la culture n’est utile que si elle se diffuse, et la création a toujours été fondée sur l’imitation). D’un autre côté, placée trop en faveur des utilisateurs, elle risque de réduire leurs incitations à produire des oeuvres nouvelles, faute de pouvoir vivre de leur production artistique.

Le problème de la propriété intellectuelle, c’est qu’il lui est arrivé ce qui arrive bien souvent lorsque le législateur cherche à établir un compromis entre des intérêts particuliers et l’intérêt général : progressivement, elle a été capturée par les intérêts particuliers. Le rapport Olivennes, véritable collection d’intérêts corporatistes, illustre cette dérive jusqu’à la caricature, comme l’avait fait avant elle la navrante loi DADVSI. Mais elle n’est pas la seule : aux USA, le parlement ratifie régulièrement des rallonges exceptionnelles pour permettre à Disney de continuer de détenir le monopole d’usage de la souris Mickey. Cette dérive a été accentuée par les pratiques des industries culturelles, qui ont cherché à compenser la fin d’un cycle économique en se débarassant de leurs auteurs les moins rentables pour ne conserver que les valeurs sûres (si les ventes du secteur ont baissé, ses profits ont augmenté) et ont maintenu des profits excessivement élevés en faisant payer deux fois leurs utilisateurs pour la même chose, lors du passage du disque vinyl au CD. Et ont été tellement incapables de s’adapter aux nouvelles techniques qu’ils se sont retrouvés concurrencés par une offre de qualité incertaine, d’usage peu commode : le téléchargement gratuit. Il ne faut pas se leurrer : l’essor du téléchargement n’est pas le résultat d’une crise d’incivisme, mais une réaction naturelle à l’absence d’offre alternative crédible et à la faible qualité de la production.

Les entreprises du secteur adoptent donc, là aussi, un comportement économique bien connu : plutôt que d’essayer de s’adapter, elles font appel au législateur pour venir à leur rescousse, et faire des lois qui étrangement sont centrées sur les droits patrimoniaux (touchés majoritairement par les distributeurs) et pas les droits moraux (qui eux, ressortent de la protection de l’auteur). Et exercent un chantage honteux sur les créateurs, en les menaçant de les exclure s’ils ne tiennent pas un discours bien rodé : écouter de la musique sans payer, c’est mal, ça tue les artistes.

Vraiment? C’est oublier un peu vite que parmi les industries culturelles, l’utilisation de la propriété intellectuelle est l’exception, pas la règle. Il existe en particulier un secteur qui présente quelques points communs avec les grandes industries du divertissement : des goûts des consommateurs très changeants, un petit nombre de créateurs riches, une très forte concurrence… Ce secteur, c’est l’industrie de la mode. Dans laquelle l’absence de protection de la propriété intellectuelle, non seulement n’a pas tari les ventes, mais a au contraire stimulé l’innovation et les ventes en conduisant les producteurs à s’adapter à cette absence de protection (pour une présentation technique, voir ici, pour une description plus générale, ici). On remarque au passage que de nombreux secteurs sont beaucoup plus créatifs, rémunérateurs, sans propriété intellectuelle plutôt qu’avec. La blogosphère, après tout, fonctionne très bien sans auteurs rémunérés… Et ne fait que reproduire un modèle économique existant depuis très longtemps.

Car le vrai problème est là : s’il y a une façon « romantique » de voir le téléchargement comme instrument sapant le capitalisme et la propriété privée : la réalité plus prosaique, c’est que le téléchargement gratuit est un choc susceptible de stimuler la création, de faire disparaître des intermédiaires inutiles et peu performants, et de garantir un accès plus général à une culture plus vaste et plus diversifiée. Au passage, certains ne sont pas avantagés : ce sont les artistes installés qui n’ont plus besoin de gagner en notoriété supplémentaire. D’autres bénéficient : ce sont ceux qui peuvent profiter de ce système pour acquérir une notoriété qui exigeait auparavant l’appui de distributeurs. Cette situation n’est pas très différente de celle de ces artistes qui passent sans transition du statut d’idole à celui de ringards. C’est triste, mais ce sont les risques du métier. Surtout, ce n’est pas la mort de l’art : en Corée du Sud, des mécanismes permettant pour une somme forfaitaire modique, de l’ordre de 10 euros par mois, de télécharger de façon illimitée des morceaux de musique n’ont pas empêché ce pays de devenir le premier centre de production culturelle d’Asie.

S’il y a une exception française, elle n’est donc pas tant à chercher dans une culture nationale portée à l’incivisme : elle est plutôt à rechercher dans ce coporatisme systématique, qui fait passer les intérêts des industries en déclin avant l’intérêt général, et à vendre cette soupe aux naïfs sur le grand air de la patrie en danger et de la culture qui meurt. Cette exception là, d’ailleurs, n’est pas non plus culturelle : dans ce domaine comme dans d’autres, les français réagissent aux incitations.

PS : au fait, l’histoire de la différence entre les distributeurs de coca et de journaux n’est pas de moi, mais récupérée chez Robert Frank.

Alexandre Delaigue

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25 Commentaires

  1. "la propriété intellectuelle est un droit purement fabriqué…"
    La propriété de biens matériels aussi, non ? Et il n’est effectif que parce que garanti par la puissance publique. La différence me semble que sa fabrication est plus ancienne et plus universelle.
    On pourrait sans doute tenir le même discours de tous les droits.

    Il y a une différence majeure entre les choses et les idées : les choses sont rivales, pas les idées. Si je tiens un sandwich, vous ne le tenez pas et ne le mangerez pas; si vous me le prenez, je ne l’ai plus. Cette chose a donc nécessairement un propriétaire. Mais si j’ai en tête une idée, par exemple une recette de gâteau, vous pouvez la détenir aussi sans préjudice, et de la même façon pour tout le monde : la propriété est là donc bien moins naturelle.

  2. Il y a tout de même une petite différence de principe avec l’industrie de la mode : dans cette dernière, on vend des biens matériels qui, même non protégés et copiables, ont un prix non nul. Un créateur pourra être copié : il n’en gagnera pas moins le produit de ses ventes.
    Dans l’univers des oeuvre numérisables, il faut trouver un système de rémunération des auteurs : comme vous dites, c’est une histoire de curseur. Je vous rejoins tout à fait sur votre note, mais cette dernière question doit être traitée (système à la coréenne ? autres solutions ?)

    Les collections de prêt à porter de luxe sont toutes déficitaires. Un gaultier perd de l’argent chaque fois qu’il crée une nouvelle collection. Par contre, il en gagne sur les produits sur lesquels il peut apposer sa marque; rien n’empêche les artistes de développer de tels mécanismes. N’oubliez pas non plus qu’il y aura toujours des acheteurs de disques, des gens qui veulent la « vraie chose ». Les gens qui téléchargent le seigneur des anneaux vont souvent aussi acheter une édition collector avec 5 heures de bonus et statue de frodon en plastique, à un prix prohibitifs, parce qu’ils sont fans. Les chanteurs peuvent faire des concerts : c’est d’ailleurs depuis longtemps pour eux une plus grande source de revenus que les droits sur les disques vendus, tous empochés par les distributeurs. Ils peuvent enfin gagner sur les utilisations commerciales de leurs oeuvres, sur le principe de la licence globale (comme quand ils passent à la radio). Surtout, s’il existait une source aisée et légale de téléchargement payant, à un prix raisonnable (comprenant les coûts pour l’auteur, soit 10% du coût actuel des morceaux des disques, mais plus la rémunération d’intermédiaires devenus inutiles) les gens se rueraient dessus!

  3. Sans prendre parti, admettons un instant que le droit de propriété soit légitime dans le domaine des oeuvres numériques. Il faut se demander combien ce droit coûterait à faire respecter.

    L’apparition de droits de propriété dépend largement du calcul économique du "propriétaire", en fonction de l’intérêt qu’il a à défendre un bien, et des technologies qu’il a à sa disposition. Ainsi, avant l’invention de l’agriculture et du fil barbelé, nos ancêtres se souciaient peu de délimiter leur territoire. En effet, la seule façon de le faire était le guet et le combat – des techniques très coûteuses! -, alors que les terres vierges étaient largement disponibles.

    Les technologies empêchant la copie des CD, DVD et autres mp3 existent, mais elles sont encore coûteuses et peu efficaces. En principe, l’avantage de tels systèmes c’est que c’est le "propriétaire" qui supporte le coût du "droit de propriété". Mais en faisant leurs comptes, certains acteurs se sont rendu compte que ce n’était pas rentable. Ils ont abandonné spontanément les protections anti-copie et ont adapté leur modèle économique. Dans certains cas, la multiplication des copies privées peut alors devenir leur alliée.

    Définir un droit de propriété intellectuelle sur les oeuvres numériques et le défendre n’est économiquement pas justifié. Qu’on soit en faveur de la libre copie ou non, cette réalité s’impose. Et nul doute que certains acteurs sauront très bien tirer leur épingle de ce nouveau jeu. Ce qui ne les empêchera pas de continuera à chercher de nouvelles technologies anti-copie.

    Mais tous les acteurs de l’industrie ne réagissent pas ainsi. En faisant appel à la loi pour lutter contre le piratage, ils confirment que leur "droit de propriété" est coûteux à défendre. Mais, ne pouvant justifier ce coût pour eux-mêmes, ils tentent de le faire supporter par la collectivité via un arsenal de lois et de sanctions.

    Ca ne marche pas : aujourd’hui, tout le monde pirate sur Internet. Spontanément, le droit de propriété sur les oeuvres numériques s’est déjà largement déplacé des auteurs vers les utilisateurs. Cela semble indiquer que la valeur des oeuvres pour les auteurs ne justifiait pas le coût des mesures de protection. A l’inverse, la valeur des oeuvres pour les utilisateurs est telle que des pirates passent un temps significatif à casser les quelques protections existantes.

    La conclusion est que pour l’instant il aurait fallu ne faire aucune loi dans ce domaine : ni interdiction des protections, ni interdiction du "piratage".

  4. Au chapitre des exceptions culturelles, notons le particularisme intéressant en droit français du droit de copie privée.

    Lequel justifie la taxe sur l’ensemble des supports susceptibles de servir de support à la reproduction (privée) d’une oeuvre de l’esprit, laquelle a pour conséquence le financement par l’ensemble de l’économie (publique et privée) des collections de "copies privées" de CDs de nos jeunes générations (et le "photocopillage", qui eut son heure de gloire)

    Qui a donc dit qu’en France on ne faisait rien pour la culture ?

  5. Oui mais justement, si Gaultier peut protéger sa marque, je ne vois pas comment un artiste peut créer un mécanisme équivalent. Porter un vêtement de marque cela permet d’affirmer un statut social, c’est valorisant pour celui qui le porte. Je peu dire : "j’écoute du JL Murat" à mon entourage si j’estime que cela me distingue et me donne du prestige. Mais cela ne touche qu’un petit nombre de personnes. Alors que je peut arborer sur mes vêtements des logos au vu et au su de tout le monde.
    L’équivalent évident de la marque ce serait le label de la maison de disque. Mais apparemment celles-ci sont vouées à disparaitre si je vous lis bien.

  6. Je reviendrai plus tard pour la suite, mais tu oublies que l’exemple suisse concerne des distributeurs de journaux dont le clapet s’ouvre que l’on ait mis une pièce ou pas, à la manière d’un tronc d’église pour l’achat d’un cierge. Comment Robert Frank rationnalise-t-il ce comportement-là ?

    Et comment expliques-tu que le civisme des suisses s’arrête devant les distributeurs de boissons et de sandwiches? Le bouquin de Frank ne traite pas de la Suisse, mais si tu veux mon avis, c’est la structure des coûts dans la presse qui rend l’opération rentable. Les distributeurs avec paiement volontaire sont la même chose pour les entreprises de presse que les abonnements à prix cassés : des moyens d’augmenter la diffusion, donc de rattraper en publicités ce qu’on perd en ventes payées. Le tronc et la petite porte sont justes une petite barrière psychologique pour faire en sorte que quelques-uns paient. Un peu comme les téléchargeurs qui paient leur billet pour aller au concert 😉

  7. Dans le même genre que le clapet suisse, il y a l’expérience du Bagel tel que racontée dans Freakonomics, qui montrerait que, grosso modo si j’ai bien compris, les gens sont honnêtes en général (enfin en Suisse et aux Etats-Unis). Surtout que dans l’histoire du Bagel, les clients peuvent même se barrer avec toute la caisse s’ils le veulent.

    Le Bagel est-il possible en France? ben dans le labo de physique dans lequel je m’occupa il y a quelques années d’un service de boisson fraiches où le principe était à peu près le même, je n’ai pas souvenir d’avoir été volé de beaucoup. Oui, c’est pas très précis comme souvenir mais merde ça fait cinq ans!

  8. Clair, précis, instructif …. remarquable
    J’ai l’impression d’être un peu plus intelligent après vous avoir lu.
    Merci

  9. Une nouvelle fois, merci beaucoup pour votre billet remarquable.
    (a) Je partage plutôt votre point de vue dans votre premier paragraphe sur les "explications culturelles". Mais, dans ce cas, que faut-il penser du petit livre de Y. Algan et P. Cahuc récemment publié par le CEPREMAP ? N’y a-t-il pas malgré tout une sorte d’explication culturelle, même si les deux auteurs cherchent à justifier la "défiance" des Français les uns envers les autres à partir du corporatisme et de l’étatisme du "modèle français" (et même s’il y a un cercle vicieux entre la première et les seconds) ?
    (b) Concernant la propriété intellectuelle, rappelons que sa seconde fonction économique est de faciliter les échanges entre les agents économiques, lorsque, par exemple, l’écrivain cède ses droits à un éditeur (division du travail, spécialisation, avantages comparatifs, gains à l’échange, gain en efficacité économique, etc.).
    (c) Sur l’efficacité du système (relativement récent, en effet) de la propriété intellectuelle, Fr. Lévêque et Y. Ménière du CERNA ont publié en janvier 2007 un gros rapport-revue de la littérature théorique et empirique pour les BREVETS. Ils concluent que ces derniers produisent un effet faible sur l’innovation mais "significatif". Le tel travail d’état des lieux théorique et empirique semble n’avoir pas été fait pour le droit d’auteur/copyright.
    (d) En plus de la mode, citons aussi l’industrie culinaire et l’industrie de la magie comme industries culturelles fonctionnant plutôt bien SANS propriété intellectuelle.
    (e) Au risque de me répéter (désolé…), notre ministère de la Culture et de la Communication est plutôt un ministère des lobbies (est-ce vrai de tous les ministères français ?). Il est à peine caricatural d’affirmer que les centaines de dispositifs publics et parapublics de "soutien", de protection des secteurs culturels existant en France sont essentiellement le résultat des efforts de divers groupes de pression aux intérêts particuliers bien compris, et qu’aucun de ces dispositifs ne résulte d’une analyse économique sérieuse et indépendante préalable prenant notamment en compte les intérêts de l’usager-consommateur culturel et ceux du contribuable.

    Chez Cahuc et Algan, c’est le système corporatiste qui a fabriqué la société de défiance, étant lui-même né dans des circonstances particulières (seconde guerre mondiale). C’est pour cela que je les ai liés en conclusion.

  10. J’avais lu qu’à Genève seulement 40% des exemplaires vendus en caissettes sont payés, ce qui me parait assez vraissemblable, dans cette ville très cosmopolite, majoritairement catholique et pleine de français (ça c’est pour l’argument culturel).
    Parfois on voit des caissettes vides avec l’indication qu’elles ne seront plus fournies à cause d’un trop grand nombre d’exemplaires volés, il y a donc semble-t-il un taux de vol maximum autour de 60% pour lequel vendre des journaux reste rentable.
    A noter que’un nouveau système, uniquement en ville de Genève (pas dans les autres communes), se développe avec des distributeurs de journaux fermés, mais apparemment plus par la volonté de la ville d’avoir un système unifié moins anarchique.

  11. Bonjour

    Lu dans le Monde 2 du 17 novembre, à propos des quelques fans qui mettent en ligne les sous-titres des séries américaines quelques jours après leur diffusion là-bas :

    "Répondre aux exigences de cette jeune génération de fans de séries serait plus efficace, sans soute, que d’hypothétiques poursuites pour inciter les pirates du sous-titre à jeter l’éponge. TF1 l’a compris. La chaîne propose depuis peu sur son site Internet la deuxième saison de la séries "Heroes" en VOD, pour 2,99 € l’épisode, en version originale sous-titrée, le lendemain de sa diffusion américaine. Saluant ce premier effort de réactivité, tous les sites de sous-titrage ont renoncé à traduire la série".

    N’est-ce-pas là le début d’une prise de conscience ?

  12. Je pense qu’en effet, le civisme d’un lecteur du New York Times n’est pas le même que celui d’un buveur de coca, et que le civisme moyen d’un Autrichien (les journaux sont aussi en vente libre en Autriche, placés dans un sac surmonté d’un tronc, au bord des routes) est supérieur à celui d’un Français, plus fraudeur. Il faudrait poser la question à Ali Akbar, le célèbre vendeur du Monde à la criée, qui a expérimenté cette méthode de vente rue Saint Guillaume à Paris. De même, à Vienne, il n’y a PAS de portillons dans le métro ! Vous imaginez ça en France ?

    Il y a plein de villes avec métro sans barrières en France. Lyon par exemple. Et je ne crois pas qu’il y ait plus de fraudes qu’à Paris

  13. "En l’occurence, l’achat d’un journal est un achat différent de celui d’une boisson. L’utilité supplémentaire apportée par un journal supplémentaire est nulle"

    C’est le bon sens même, j’étais surpris de voir cet argument chez Hugues.

    Je ne connais pas le livre que vous citez en fin de page : "The Economic Naturalist: In Search of Explanations for Everyday Enigmas". C’est bien ? Dans le même genre que freakonomics ?

    C’est aussi de l’everyday economics, dans un style différent. C’est très bien.

  14. (1) sur l’histoire des distributeurs de journaux: vous n’expliquez pas pourquoi ils sont cadenasses en france et pas en suisse ou aux EU!
    (2) je ne comprend pas le pt de vue extreme que la propriete intellectuelle soit mauvaise et une construction ‘historique’…
    je trouve extraordinaire (etant moi-meme economiste) de dire que l’analyse economique condamne le rapport olivennes.
    on sait qu’il y a un trade-off entre creation intellectuelle et distorsions de monopole, c’est tout.
    difficile de dire ou est le point optimal.
    ne peut-on appliquer votre analyse aux medicaments?

    Je crois bien qu’en relisant, vous aurez toutes les réponses que vous cherchez. Pour les médicaments, les coûts de développement sont infiniment plus élevés que pour la création culturelle, donc le problème est sans doute de nature différente. Au passage, il existe un régime pour le médicament, qui s’appelle la licence obligatoire, entériné par l’OMC, qui permet aux pays de produire ou de s’approvisionner en médicaments génériques. Ce régime gagnerait sans doute à être amélioré; mais surtout, on rêve de voir la même chose appliquée au téléchargement…

  15. @ Alexandre concernant sa réponse au commentaire numéro 2 : n’est-ce pas pour cela que l’on a créé les brevets ? Pour pouvoir avoir un droit de propriété exclusif permettant a quelqu’un qui a une (bonne) idée de dire : tant que mon brevet me protège, j’ai une idée que personne d’autre ne peut exploiter.
    On se retrouve alors dans le cas du sandwich. L’usage du bien devient exclusif.
    Ai-je raison ou tort ?

    C’est très différent. Le brevet est limité, et ne concerne qu’une partie de la propriété intellectuelle (même si les brevets ont tendance à s’étendre excessivement, mais c’est un autre sujet). Par exemple, si j’ai un brevet sur un certain type de propulsion à hydrogène, les autres ne peuvent pas faire la même, mais ils peuvent s’en inspirer : l’idée est rendue publique avec le brevet. Il faut noter d’ailleurs que l’industrie automobile utilise assez peu celui-ci. Mais non, il n’y a pas d’usage exclusif, ou seulement sur une part restreinte. C’est comme si la propriété de mon sandwich ne me donnait l’exclusivité que sur les cornichons…

  16. Marc, bien sûr qu’on imagine un métro sans portillon en France, ça existe! A lille et (je crois) à Lyon.

  17. De mémoire, Landsburg (ou Harford, je ne sais plus, mais je crois que c’est Landsburg) donne l’exemple du panier de donuts en libre-service dans une entreprise, où tout le monde met sa piécette, même en l’absence de contrôle. Il me semble qu’il attribue ce comportement au contrôle social qui pèse sur les membres de cette petite communauté. L’argument civique joue sûrement sur des petites structures (peut-être un distributeur de Coca gratuit ne serait-il pas payé dans une bourgade ultra-protestante du fin fond du Texas), mais certainement pas à l’échelle d’une société toute entière.

  18. @ VilCoyote : cet exemple est repris dans Freakonomics par Levitt. Mais le reste de l’étude montre qu’il s’agit d’un contrôle social et que dès lors que celui-ci devient caduque, les donuts disparaissent plus vite que les piècettes ne font leur apparition dans la corbeille… l’homme redevient cet être insatiable fait de rapines…

  19. @ Alexandre : merci pour cette réponse éclairante. Les brevets ne sont pas quelque chose que je maîtrise. Pour revenir à ton exemple sur la propulsion à hydrogène et l’industrie automobile, veux-tu dire qu’au lieu de déposer un brevet et rendre public l’invention, les industriels préfèrent ne pas déposer de brevet et travailler dans le secret, au risque de se faire ‘pirater’ par un espion et perdre ainsi le bénéfice du secret et celui du brevet qui peut alors être déposer par une autre industrie pour laquelle l’espion travaillait ?!

  20. @Aalexandre: Oui, l’exemple le plus connu étant (désolé pas
    d’exemple automobile en tête) Coca-Cola qui n’a jamais
    déposé sa formule exacte et qui la protège par le biais du
    secret industriel. Et à raison parce que vu depuis le temps
    que ça existe, ladite formule serait tombée dans le domaine
    public depuis longtemps et que si vous vous amusez à goûter
    plein de Cocas de sous-marque, ils n’ont jamais exactement
    le même goût que l’original, ce qui semble bien montrer que
    la recette n’est pas maîtrisée à 100% par les copieurs.

  21. Sur les pratiques culturelles, bien d’accord qu’il ne faut pas les surestimer, mais un Philippe d’Iribarne a montré, dans un ouvrage comme la Logique de l’Honneur, les différences culturelles induisant des comportements radicalement différents dans la conduite du travail, alors que les tâches à accomplir sont très sensiblement similaires d’un pays à l’autre.

  22. Vous écrivez : "je peux accéder en toute liberté aux Misérables de Victor Hugo, écrire sur leur base un opéra-rock dans lequel un Jean Valjean déguisé en Superman chante "je veux la paix et la justice en ce monde"

    Si cela pouvait être vrai… Mais NON. Quoi que Victor Hugo ait lui-même exprimé un avis allant tout à fait dans votre sens (il a toujours haï l’idée d’un quelconque droit moral sur son oeuvre, estimant que cette dernière ne lui appartenait plus une fois publiée; il réclamait l’équivalent des royalties, donc, mais pas le droit "MORAL"), ses héritiers, de bien médiocres personnes puisqu’elles ont trahi sa pensée sur ce point, ont poursuivi en justice les auteur et édteur de la suite des "misérables". Il s’en est fallu de peu qu’ils l’emportent.

    droitetcriminologie.over-…

    Je suis allergique à ces héritiers gardiens du temple, et décidément Victor Hugo était d’une grande modernité à cet égard. Ses arrières petits enfants sont des petites personnes dépourvues de cette grandeur qui admet que l’on soit dépossédé de son oeuvre. (et je ne plaisante pas : de quel droit l’auteur devrait-il nous imposer telle ou telle interprétation de son oeuvre? S’il ne veut pas que le public se l’approprie, alors qu’il ne publie rien!!). Quant à ceux qui s’époumonnent à l’idée de "trahison", qu’ils cessent de prendre le public pour un ramassis de con : si tu veux savoir ce qu’un auteur a voulu dire, tu lis l’auteur en question. Il faut être un mariole complet pour penser que quelqu’un puisse confondre "cosette ou le temps des illusions", publié en 2001 et vrai roman de gare, avec "les misérables".

    Le souci en France c’est que le droit et l’administration prennent les gens pour des abrutis… "défiance", qui a dit ça à propos de notre pays déjà?

    Si Hugues pense que nous avons des défauts "latins", peut-être serait-il intéressant de savoir dans quelle mesure la loi, en nous infantilisant de la sorte, n’y participe pas. Mais pensez donc. Faire confianfe au vulgum! Et pourquoi pas 100 balles et un mars pendant que vous y êtes!!

  23. @coco : ça me rappelle un dessin de Charb il y a quelques années maintenant où deux types discutent de notre dame de Paris. Y en a un qui dit à l’autre que bon, quand même le livre, c’est plus intéressant. Et l’autre lui répond qu’il ne sait pas si Victor Hugo aurait aimé qu’on fasse un livre de sa comédie musicale.

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