Où l’auteur se tire une balle (à blanc) dans le pied (formule hommage à notre Maître à tous).
Il y a en France trois ou quatre catégories de personnes qui assurent la formation des petits et des grands. Les profs de l’éducation nationale, ceux de l’enseignement privé (dont les enseignants des établissements sous contrat, rémunérés par l’Etat), les formateurs en formation continue et ceux qui assurent diverses formations (des cours particuliers, par exemple).
En moyenne, les profs titulaires de l’éducation nationale sont mieux payés que les formateurs, population néanmoins hétérogènes. Les offres d’emploi dans le domaine offrent des rémunérations très inégales, avec néanmoins une grosse masse qui perçoivent des revenus horaires nettement inférieurs à ceux des enseignants (compter un quart ou un tiers de moins, à la louche). Un point notoire qui les différencient est la qualité des conditions de travail, en général. Avoir face à soi un ou deux cadres n’a pas les mêmes conséquences pour le stress qu’une bande de bambins en pleine puberté. Même si on ne doit pas occulter les contraintes pesant sur les formateurs, plus flexibles. Peut-on estimer que les écarts constatés relèvent d’une différence dans les conditions de travail ? La question peut se poser. La réponse est loin d’être immédiate, à mon sens.
Il peut d’abord y avoir une histoire d’offre et de demande. Les deux marchés ne sont pas les mêmes. D’ailleurs, il n’y a pas de véritable marché pour les profs (mais une forme de marché liée aux concours, qui joue le rôle d’une barrière à l’entrée). Néanmoins, quelles que soient les conditions de rémunération chez les profs, si le marché du travail de la formation est caractérisé par une offre de travail élevée, cela tirera les rémunérations vers le bas à qualifications identiques. Un bon test consiste d’ailleurs à observer les rémunérations proposées sur des segments de marché différents : demandez une formation sur le système d’exploitation ou les logiciels Mac est plus coûteux que sous PC. Pas pour des raisons de difficultés (il n’est pas plus compliqué de maîtriser Mac OS que Windows), mais d’offre de travail plus faible sous Mac.
Autre point, la qualification moyenne des enseignants est très certainement supérieure à celle du formateur moyen, du moins au moment de passer le concours. Cela joue en faveur d’une meilleure rémunération. On remarquera aussi qu’il est un peu exagéré de considérer comme homogène l’offre de travail sur le marché de la formation, où le meilleur cotoie le pire. Le fonctionnement du financement de la formation professionnelle n’y est peut-être pas étranger.
On peut cependant voir le problème dans un autre sens et se demander si la demande de formation continue n’est pas très faible, conduisant au même résultat. Dans ce cas, l’argument des qualifications est affaibli.
On peut comparer aussi les enseignants du secteur privé sous contrat. Il se murmure qu’ils sont mis beaucoup plus à contribution que leurs homologues du public, pour tout ce qui touche aux activités extrascolaires, dont la partie administrative. C’est probablement exact, en moyenne. J’ai toujours un petit problème avec cette façon de voir les choses qui ignore magnifiquement la disponibilité d’un certain nombre d’enseignants du public, qu’ils soient en zones défavorisées ou non. Donc, retenons qu’en moyenne, les profs du privé passent plus de temps à réaliser des activités hors de la classe. A salaire égal, ils seraient perdants ? Non, si on tient compte du fait qu’ils ont des conditions de travail (notamment une puberté mystérieusement moins virulente chez leurs élèves), en moyenne là aussi, meilleures que celles des profs du public.
Les profs sont soutenus par des syndicats enseignants. On peut supposer qu’ils ont une rente. Les dernières lumières sur la question semblent montrer qu’elle a du mal à se matérialiser (voir l’étude citée en conclusion). Mais on ne peut l’exclure. Autre élément qu’on peut éventuellement appeler à l’analyse : les profs qui donnent des cours particuliers pour des boîtes à bac. Ils sont moins payés par heure que ce que ne les paient l’éducation nationale. Comment se fait-il qu’ils acceptent ce travail ? Plusieurs réponses sont possibles. Pas de cours à préparer. Pas de copies à corriger. Productivité et implication plus faible. Le besoin impérieux de revenus supplémentaires et l’impossibilité de les obtenir en heures supplémentaires à l’EN. Ou, dernière hypothèse, une moindre pénibilité.
L’hypothèse selon laquelle les traitements des profs intégreraient la pénibilité accrue du métier a-t-elle un sens ? Je ne sais pas. Pour se faire une idée, il faudrait repérer clairement les facteurs de détermination de la rémunération, étudier l’évolution des rémunérations relatives et la rapprocher de l’évolution relative des pénibilités (en neutralisant les autres facteurs). En réalité, indirectement, une bonne partie du travail a été réalisée par Bouzidi, Jaaidane et Gary-Bobo dans l’étude qui a fait du bruit récemment. Leur conclusion est que les conditions de travail plus difficiles ont été compensées par des efforts matériels et non pas salariaux. Ce qui va à l’encontre de ce qui est envisagé ici. Néanmoins, cette partie de l’étude repose sur des raisonnements plus qualitatifs. Rien ne suggère que les deux mouvements soient incompatibles (une compensation partielle par les moyens et une compensation partielle par le traitement), sachant que dans les deux cas, la rémunération des autres salariés formateurs n’est pas isolée de la rémunération des autres salariés du secteur privé.
Bon, en attendant, ne pas être lu par ses collègues, ça a du bon…
Add: Reste quand même une question importante : si les rémunérations prennent bien en compte la pénibilité, comment justifier qu’un prof de banlieue soit payé pareil qu’un prof de centre ville (non, non, je ne considère pas que 100€ par mois, soit à peu près la prime ZEP, soit une différence significative).
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Je me pose une question : en quoi le soin que savent normalement apporter à leurs propres intérêts les enseignants comme les conseils d’administration des établissements qui les emploie ne suffirait pas à définir le salaire et les conditions de travail des enseignants au moins là où c’est possible, et ce, en intégrant également des notions telles que la pénibilité découlant d’une caractéristique rare de l’emploi ?
Ce qui me frappe surtout, c’est l’hétérogénéité des conditions de travail des enseignants pour un niveau de salaire identique.
Outre que je l’ai mentionné en addendum, je peux même aller plus loin et mentionner une hétérogénéité de salaire pour des conditions de travail différentes (un certifié en ZEP moins payé qu’un agrégé hors ZEP)… Il me semble que cela n’ôte rien à la possibilité de comparer des salaires moyens dans des professions différentes, moyennant la prise en compte de ces différences.
C’est surtout vrai au lycée, mais on peut aussi noter les différences, toutes choses égales par ailleurs, entre les matières "à programme annuel et corrections complexes" et celles "à programme fixe et corrections simples", qui correspondent à des charges de travail très différentes pour un même nombre d’heures de présence.
Avec bien sur quelques nuances au milieu, mais pour connaitre des profs de maths et de lettres de lycée les uns travaillent bien 50% de plus que les autres.
Skav, soit j’ai mal compris votre commentaire, soit vous l’avez mal redige : qui travaille plus, le prof de math ou le prof de lettres ?