Et si l’Italie quittait l’Euro?

Je n’ai pas vu beaucoup de commentaires des déclarations de Berlusconi d’il y a deux jours, qualifiant l’euro de "désastre" et "d’escroquerie". Jusqu’à présent, ce genre de discours était l’apanage des composantes extrêmes et souverainistes de sa coalition; le fait que le premier ministre italien lui-même se lance en campagne électorale contre "l’euro de Prodi" mérite peut-être plus d’attention que celle qu’il a mérité jusqu’à présent. Est-il plausible que l’Italie revienne à la lire et quitte l’euro? Qu’aurait-elle à gagner ou à perdre dans l’opération?

The Economist qualifiait récemment l’Italie "d’homme malade de l’Europe". Les causes des difficultés du pays sont bien identifiées. Les performances économiques de l’Italie dépendaient de petites entreprises manufacturières dans des secteurs d’activités dépendant de coûts faibles; en cas de hausse des coûts, jusqu’à l’entrée dans l’euro, la compétitivité de ces secteurs d’activité était rétablie à l’aide de dévaluations réduisant les salaires réels dans le pays; ce genre d’échappatoire n’est plus utilisable depuis que l’Italie est entrée dans l’Euro.
Comment s’en sortir alors? Pour le bien, il faudrait une série de réformes visant à améliorer le fonctionnement du marché du travail et les marchés de biens et services, afin de pousser le système productif du pays vers des secteurs dans lesquels la compétitivité dépend des produits et non des prix. Berlusconi ne manque pas de défauts, mais durant sa campagne électorale, il promettait au moins de mettre en oeuvre ce type de réformes; rien de tel n’a été fait. Il a aujourd’hui beau jeu de reporter sur l’euro ses propres insuffisances.
Faut-il pour autant en déduire que critiquer l’euro est vide de sens du point de vue italien, et qu’un retour à la lire, qui permettrait de faciliter les réformes en les accompagnant d’une dévaluation, serait une mauvaise idée? C’est à cette question que tente de répondre Nouriel Roubini. Ses constats sont les suivants :
– l’Italie ressemble aujourd’hui un peu à l’Argentine à la fin des années 90 : Une monnaie surrévaluée et l’impossibilité de dévaluer. Cependant, à la différence de l’Argentine, cette situation ne dégénère pas en crise majeure rendant une sortie de l’euro inéluctable; comme l’Italie connaît toujours un excédent courant, elle peut rester durablement dans cette situation, avec une récession modérée et une déflation rampante, jusqu’à ce qu’un chômage élevé et la déflation ramènent les salaires dans le pays à un niveau compétitif.
– mais ce processus risque d’être très long et douloureux; il pourrait largement être facilité par une dévaluation, donc une sortie de l’euro. cela réduirait évidemment les salaires réels italiens (c’est le but de la manoeuvre) mais d’un coup et de façon moins pénible que par la déflation. Il existe donc des raisons objectives pour l’Italie de quitter l’euro.
– cependant, cet argument de la compétitivité néglige un autre aspect : la dette publique et privée italienne libellée en euro. Que faire de cette dette? Si elle reste libellée en euro et que l’Italie passe à une lire dévaluée, la charge de la dette deviendrait vite insupportable. Il faudrait donc transformer cette dette en euro en dette libellée en lires, ce qui avec une dévaluation de la lire reviendrait à faire partiellement défaut sur la dette, avec pour conséquence une crise bancaire systémique. Là encore, l’exemple argentin montre que ce genre d’ajustement n’a rien d’anodin.
– Ce sont les conséquences d’une telle crise financière et bancaire qui seraient à craindre si l’Italie quittait l’euro (et ce, sans préjuger des conséquences de ce départ sur les pays ayant adopté l’euro, qui pourraient encore amplifier la crise). Restaurer sa compétivitité à un tel prix est particulièrement absurde. Roubini conclut que la meilleure chose pour l’Italie serait d’abandonner le gouvernement Berlusconi plutôt que l’Euro; On peut constater cependant que son adversaire, Romano Prodi, ne semble guère à même de prendres les mesures nécessaires. Le statut peu enviable de l’Italie comme pays le plus mal en point d’Europe semble là pour un bon moment.

Alexandre Delaigue

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12 Commentaires

  1. Comme Noyer il y a peu, il a compris que la baisse de l’euro pouvait stimuler la croissance, et que les déclarations sur la fin de l’euro pouvaient y contribuer. Il fait exactement ce qu’il faut faire – quelle que soit son opinion sur le fond de l’affaire…

  2. Je crois aussi que Berlusconi a trouvé là une excellente occasion de se faire une popularité à peu de frais.
    Car les italiens sont particulièrement remontés contre l’Euro qu’ils accusent d’être à l’origine de la hausse des prix. Il faut dire que le taux de change était, si je me souviens bien, d’environ 1900 lires pour 1 Euro. Inutile de dire que, pour beaucoup de commerçants, il n’est pas impossible que cela ait été arrondi à 2000. De plus, les ordres de grandeur ayant complètement changé, il est difficile pour les gens de juger les prix à la bonne décimale (phénomène existant aussi en France mais c’est pire pour les italiens).

  3. Heu … Passer d’un taux de 1900L/1E a 2000L/1E revient a *baisser* les prix en euros. Si les commercants ont "arrondi" le taux a 2000/1, c’est vraiment sympa de leur part !

    De plus, un taux a 2000 (+-) me semble bien plus facile a gerer qu’un taux a 6.56, on passe bien plus facilement de l’un a l’autre.

    LSR

  4. Bien sûr, j’ai sorti une énormité, et pourtant le taux de change lire-euro est bien de 1936.27.
    J’ai en fait bêtement gobé ce que m’ont dit les italiens qui était faux. Le fait est qu’ils sont en général assez remonté contre l’euro qu’ils accusent d’être à l’origine de la forte remontée des prix en Italie. J’ai même l’impression subjective que le ressenti anti euro est plus important en Italie qu’en France.

  5. Un jour, il faudrait se mettre d’accord sur ce qu’on reproche à l’euro : de créer de l’inflation ou de privilégier la stabilité des prix sur la croissance ?

  6. Eh bien… peut être les deux à la fois, non ? 😉
    Est-ce uniquement la faute à l’euro s’il est détesté ? Ne doit-il pas ce statu au fait qu’il est un peu l’excuse facile de gouvernements incompétents ? Moi, je ne suis pas un fan de l’Euro et je ne prends pas l’eurozone pour une ZMO. On n’aurait peut être pas mal fait de ne pas faire l’euro. Mais maintenant qu’il existe, le mieux qu’on ait à faire est de le garder. Si l’italie revient à la lire, je ne vous raconte pas la prime de risque que va devoir payer la banque centrale italienne pour ne pas faire fuir les capitaux. Avec un taux dirrecteur à 6% (chiffre bidon mais illustratif), ils vont vite déchanter les italiens.

  7. "Il faudrait donc transformer cette dette en euro en dette libellée en lires, ce qui avec une dévaluation de la lire reviendrait à faire partiellement défaut sur la dette"

    Je ne comprend pas cet argument de la dette italienne.
    Bien avant l’euro, la dette italienne était déja énorme et bien au dessu des 100% du PIB et cela ne posait pas de probleme. Contrairement à l’argentine, ce sont les résidents qui détenaient la dette italienne. Cela aurait-il changé ? Meme si ce n’est plus le cas , il suffit de convertir la dette en lire avant la dévaluation…
    Je vois bien le spread de taux augmenter ( comme aux USA ? ) mais une crise systémique, c’est pousser le bouchon un peu loin.

  8. Eric : Je pense qu’il n’y a pas de problème sur l’idée que sortie de l’₠+ dévaluation => répudiation partielle implicite de la dette.
    Ensuite, en admettant le fait qu’elle soit détenue par des résidents (ce que j’ignore aussi), sans contrôle des changes, c’est au demeurant une joyeuse fuite de capitaux assurée. La conversion à l’ancien taux de change créerait de nouvelles tensions sur la soutenabilité de la dette. Il faut bien voir que cela n’arriverait pas dans le même contexte qu’il y a disons 15 ans. Avec l’euro et les spécialisations industrielles actuelles, les ajustements ont évolué. Serait-ce moins confortable pour l’Italie ? Cela revient à demander si l’euro est un piège à cons. Chose à laquelle je serais fort incapable de répondre.
    Par ailleurs, la référence à l’Argentine n’impliquait pas (du moins je le crois) une analogie exacte, mais seulement la description d’un mécanisme du même ordre.
    Bref, en deux mots, la perspective d’une sortie de l’euro de l’Italie sans crise financière est a priori difficile à envisager. C’est trivial de dire que la vision de l’économie italienne des différents acteurs déterminerait le scénario effectif.

  9. <juste en passant> Puisqu’on souhaite énumérer les arguments relatifs à la haine de l’Euro, il faudrait pouvoir y ajouter l’indépendance un peu trop absolue de la BCE, et éventuellement, l’incompétence notoire de ses dirigeants, laquelle resterait parfaitement acceptable d’un poitn de vue tout à fait cynique pour une monnaie étrangère, je l’admets. </juste en passant>

  10. les italiens n’aiment pas les banques, ni les cartes bleues et ont institué la "class action"; il sont le peuple le moins endetté d’Europe et sont en grande majorité propriétaire ; pas de bulle immo comme en Espagne..Est-ce la raison de leur mauvaise réputation?

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