Esther Duflo a raison

Dans Libération : :

« Demander aux gens la couleur de leur peau est inhabituel et quelque peu troublant. Le spectre du fichage et de la construction de catégories raciales renvoie au souvenir de la France de Vichy. Les auteurs de la pétition de SOS et les trois démographes de l’INED qui la soutiennent jouent sur cet amalgame de manière délibérément injuste. La présence d’un amendement sur les statistiques ethniques dans la loi Hortefeux sur l’immigration (rejeté par le Conseil constitutionnel), crée un autre amalgame entre la politique actuelle d’immigration et cette enquête, bien que les deux n’aient rien à voir. Mais en plaçant le débat à ce niveau, les détracteurs de l’enquête TEO ont perdu une occasion de discuter du vrai choix qui se pose à notre société ».

14 Commentaires

  1. "crée un autre amalgame entre la politique actuelle d’immigration et cette enquête, "

    Affirmation audacieuse aux yeux de quiconque aura deux sous de jugeotte puisque la recherche publique est entièrement subordonnée à l’état. Qui donc peut prétendre que les chercheurs aussi bien intentionnés soient-ils ne verront pas l’état trouver d’autres usages des données récoltées que ceux auxquels d’honnêtes chercheurs les destinent les destinent, le plus légalement du monde d’ailleurs puisqu’il suffirait de changer quelques virgules dans la loi ?

  2. Aux Etats-Unis ce type de statistique est autorisé. Est-ce que cela a donné lieu à des dérives insupportables ? Je n’en ai pas entendu parler. Ce qui caractérise la société française, c’est la défiance envers l’état. Pour caricaturer, les français attendent de l’état qu’il s’occupe de tout, mais ne lui font confiance pour rien. ;o)

  3. "Pour caricaturer, les français attendent de l’état qu’il s’occupe de tout, mais ne lui font confiance pour rien. ;o)"

    C’est à mon avis bien résumé et pour autant rationnel. Les français constatent que l’état souhaite se mêler de tout (ne pas oublier par exemple que l’actuel système de retraites est la conséquence de la nationalisation et la fusion des systèmes de retraites existants avant 1960) et généralement, gâche beaucoup de choses dans ce dont il se mêle (exemple encore : le(s) système(s) de retraites : phagocytés par l’état alors qu’ils fonctionnaient sans nécessairement d’être donnés des ambitions bien importantes, condamnés à de très grandes ambitions à moyens constants, et désormais semblant condamnés à la ruine après 50 ans de gestion étatique).

  4. La tradition française en jeu ici n’est pas celle d’un pays "privilégiant l’intégration dans un modèle républicain égalitaire", mais celle d’un pays "refusant d’évaluer les résultats de sa politique", et où la vigueur du débat idéologique ne doit pas être perturbée par les faits.

  5. "refusant d’évaluer les résultats de sa politique"

    La foi en le caractère auto-réalisateur de certaines prophéties ("volontarisme en politique") ressemble parfois à un moyen d’obtenir à peu de frais un repas gratuit (ou à crédit à surprimes et remboursements progressifs).

    Mais la foi en la chose doit être fort répandue, puisque l’absence d’évaluation n’est que la démonstration criante du fait que *personne* ne trouve intérêt à évaluer (ou plutôt, à publier les résultats de ses évaluations, ce qui est très différent) et pas seulement les gouvernements et administrations.

  6. En tant que sociologue, je suis consterné par l’absence de statistiques ethno-raciales. Je ne sais pas combien il de noirs, d’arabes, je ne sais pas ce qu’ils font, quel est leur taux de chômage, si leur taux de chômage est un pur effet de structure ou s’il y a un effet "racisme" propre. Je ne sais rien. Je ne sais pas s’ils vont plus ou moins en prison, s’ils vont en prison plus ou moins longtemps pour les mêmes délits. Je ne sais pas s’il y a de la ségrégation ethno-raciale ou pas. Je ne peux ni confirmer les fantasmes ni les infirmer. Dans cette situation, les hommes et les femmes de raison ont tout à perdre : ils ne peuvent rien dire. Les démagogues, les populistes, les agitateurs, les journalistes et les idéologues peuvent déblatérer autant qu’ils veulent dans tous les sens ; mais la science n’a rien à dire. Et apparemment, certains scientifiques préfèrent ne pas savoir, certainement parce qu’ils ont peur de la réalité.

  7. Esther Duflo a raison : "Être placé dans une catégorie influence la perception de soi-même et les performances […]On pourrait donc légitimement trouver que le jeu n’en vaut pas la chandelle, ou penser au contraire que les discriminations sont encore plus dommageables quand elles sont implicites."

    @François : La première action ségrégationniste et celle qui consiste à établir des sous-ensembles de population rattachés à des variables ethniques, raciales et religieuses dont on ignore la pertinence scientifique, pour ne pas dire l’existence avérée. Un exemple (j’aime beaucoup les exemples): dans quelle catégorie etho-raciale et culturelle ranger les arméniens de la quatrième génération ?

  8. all: on peut aussi parler de cette technique d’analyse politique catégorisant de la population en plusieurs catégories : les cons, les branquignols, les fonctionnaires, les peticommerçants, les zislamistes, les curetons, les possesseurs de chiens dangereux, les économistes, l’extrème-gauche, la france-qui-se-leve-tot, la france-d-en-bas, les jeunes, les banlieues, etc. .

    Et après, on peut, avec Didier Super, chanter : "yen a des
    bien" :

    http://www.dailymotion.com/relev...

  9. Je vis au Royaume Uni depuis 10 ans. Il est ici très courant de se voir demander pour des fins statistiques votre group ethno racial.
    It est dommage qu’en France, des que l’on mentionne l’appartenance ethnographique, on préjuge des intentions derrière cette question.
    Notre pays doit pouvoir discuter des questions d’immigration and d’intégration librement, sans voir le spectre du racisme être brandit a chaque fois.
    Les différences propres à une société multiculturelle comme la notre doivent être un sujet de fierté et non d’embarras

  10. Il y a une énorme confusion dans l’opinion, mais aussi chez les politiques et les décideurs entre un fichier statistique et un fichier nominatif.

    Entre les deux propositions « Il y a 15 % des personnes qui se reconnaissent comme noirs, ou arabe ou ce que vous voulez » et « Untel est noir, arabe ou… » il y a la frontière entre une étude statistique et un fichier des étrangers. Dommage que cette frontière ne soit pas comprise par ceux qui nous gouvernent.

    @All, vous vous abritez derrière des difficultés méthodologiques pour ne rien vouloir mesurer. Pour répondre à votre question, il suffit de le demander aux sondés. Ceux qui se sentent discriminés savent pourquoi ils le sont.

  11. @henriparisien : "Ceux qui se sentent discriminés savent pourquoi ils le sont."

    Are you sure ? D’une part un ressenti (‘se sentent’), d’autre part une certitude (‘savent’). Poposition de même nature que "je me sens fatigué, je sais de quoi je souffre grâce à un auto-diagnostic".

  12. Mon expérience rejoint assez celle de all : en TD, j’ai eu la surprise de me rendre compte que certains de mes élèves étaient persuadés qu’il existait des quotas (restrictifs) implicites à l’encontre des Noirs dans les concours d’entrée dans les Écoles de commerce, et que s’ils avaient de mauvaises notes, c’était à cause du racisme de leurs correcteurs (ils ne croyaient pas au respect de l’anonymat des copies). J’enfonce là une porte ouverte, mais le soupçon de discrimination peut aussi jouer un rôle d’auto-justification dans une situation d’échec.

  13. Je suis assez surpris par les eprsonnes qui apportent des témoignages de l’étranger pour approuver les TEO. Je les trouve pour ma part légèrement choquants et potentiellement destructeurs pour le lin social. Exemples :
    – aux USA, lorsque vous postulez pour un poste, ou que vous ouvrez un compte en banque, il arrive très souvent que l’on vous demande si vous vous classez comme "Caucasian", "Hispanic" ou "Afro-american"
    – en Angleterre, lorsque vous prenez une chambre universitaire, on peut vos demander votre race et votre religion, pour ensuite vous demander si vous voulez un colocataire musulman, juif ou athée, noir ou blanc
    A chacun de juger si le jeu en vaut la chandelle

  14. Comment pourraient-on savoir que les noirs sont plus condamner à des peines plus lourds aux USA que les blancs, si ceux-ci n’avaient pas de statistiques ethniques ?

    Et nous, comment pouvons nous être sûr que notre justice n’a pas de biais racial ? Que nos employeurs recrutent sans discriminations ? Que les organismes d’HLM n’ont pas de politiques de parcages ? Que les enfants d’immigrés ont des professeurs aussi expérimentés que les autres ?

    Comment pouvons nous répondre aux fantasmes du FN sur les allocations familiales qui ne profitent qu’aux étrangers (étrangers au sens FN, c’est-à-dire d’origines ethniques non européenne) ?

    L’ignorance revendiquée sur ces questions ne me parait pas être la meilleure méthode pour résoudre les nombreux problèmes d’intégration que rencontre la société française.

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