Des idées de lecture – Épisode 1

Bizarre de me retrouver de nouveau à pianoter ici… La dernière fois, en mai 2021, on commençait vaguement à sortir de la cave Covid. Depuis, il s’est passé plein de choses. Je ne sais pas si c’est moi ou si c’est objectif, mais la nécessité de publier ne m’a pas envahi (la flemme y est pour quelque chose aussi, soyons honnêtes…). Mais, durant tout ce temps, j’ai lu un certain nombre de livres d’économie (pour tout dire, surtout d’autres choses). Et, depuis un an, je me dis que, tout de même, ce serait bien d’en parler car, si la fureur et la bêtise du monde n’ont pas forcément à être accompagnées par des lignes, les livres, eux, même lorsqu’ils en parlent, méritent toujours commentaire. Je vais donc commencer par porter à votre connaissance un certain nombre d’ouvrages. S’il est possible que je rédige des notes de lecture à l’ancienne pour certains d’entre eux, je me contenterai pour la plupart d’entre eux de quelques lignes. Je ne garde que de bons livres ou des ouvrages qui ne m’ont pas satisfait mais peuvent être sauvés d’une manière ou d’une autre.

Les deux bouquins du Captain Economics

Côté bonne vulgarisation et initiation, j’aimerais commencer par les deux ouvrages de Thomas Renault (alias Captain Economics, l’un des économistes qui a gentiment démoli l’Assemblée nationale récemment), Comprendre la Bourse avec Captain Economics (2022) et Comprendre la monnaie avec Captain Economics (2023). Deux petits bouquins de 140 pages qui bénéficient des talents de vulgarisateur de l’auteur : une approche actuelle des questions traitées (sans oublier les basiques atemporels), une aptitude à simplifier les concepts et donner une information efficace, un ton détendu et humoristique qui rend la lecture plus agréable. Comme il le dit lui-même dans Comprendre la Bourse, « Chaque chapitre aurait pu faire l’objet d’un ouvrage entier, et de nombreuses problématiques discutées dans ces pages font l’objet de débats poussés – parfois houleux dans le monde universitaire ». Mais le panorama est vraiment très complet. C’est un livre qui peut être utile pour pas mal de gens, au final. Pour les lycéens de Terminale, moyennant une concentration raisonnable, la lecture est tout à fait possible. Les étudiants de licence semblent le public le plus évident des deux textes (quelle que soit leur filière, du moment que des connaissances minimales sur la monnaie et la finance sont requises).  Les enseignants devant assurer un cours d’introduction sur les thèmes traités pourront y puiser des angles pédagogiques et des extraits à faire travailler. Et, bien sûr, si vous êtes juste un gars (ou une fille) comme un (ou une) autre, que vous ne comprenez rien à la Bourse et à la monnaie et que ça vous pose problème, suscite des insomnies, vous laisse parfois sans opinion devant certaines informations dans les médias ou génère simplement un vif (et insupportable) sentiment d’infériorité lors de vos rendez-vous avec votre conseiller clientèle en banque, ces livres sont des lectures à vous conseiller.

La vie un peu gâchée d’Edmund Phelps

J’ai toujours apprécié les autobiographies scientifiques d’économistes. Il y a quelques années, j’ai par exemple lu d’une traite celle de Richard Thaler, Misbehaving (un livre vraiment génial). Il y a plusieurs règles pour que ce genre d’ouvrage soit réussi : une vie à peu près intéressante, une contextualisation historique des travaux de l’auteur, un exposé simplifié de ces travaux et des détails sur la genèse de ces travaux qui n’ont pas été exposés précédemment. J’ai donc commencé avec gourmandise Mon voyage au cœur des théories économiques d’Edmund Phelps, considérant qu’il faisait partie de ceux qui auraient la possibilité de faire quelque chose de bien dans ce registre. Or, ce n’est pas un très bon livre. L’envers du décor est bien présenté. Les controverses, voire les conflits de personne qu’elles ont pu susciter dans son cheminement, sont développées. Trop développées. On portera un intérêt certain à la volonté de Phelps de construire une théorie économique de la créativité qui colle à sa personnalité, dont l’ouvrage La Prospérité de masse est la présentation la plus complète. On trouvera intéressant le chapitre qui traite de la question de la justice sociale et de la valeur du travail. Et quelques autres passages encore. Malheureusement, ce qui domine progressivement le récit est une forme d’amertume chez l’auteur, un agacement parfois très égocentrique face à la reconnaissance – insuffisante à ses yeux – qu’on a bien voulu accorder à ses travaux. Venant d’un prix Nobel, c’est assez déconcertant. Surtout, c’est assez ennuyeux car peu informatif, au-delà de la complainte. Enfin, son parcours de vie et le récit des controverses ne laissent pas assez de place à la présentation de ses travaux, dont les mécanismes sont souvent expédiés bien trop laconiquement. Le lecteur qui ne les connaît pas à la base sera peu instruit. Au final, le livre n’est vraiment à conseiller que pour les historiens de la pensée économique ; ce qui est un peu gênant pour un ouvrage paru dans une collection plutôt orientée grand public.

La solide collection Sécuriser l’emploi

En économie, depuis des décennies, pour ce qui touche aux synthèses (et dans d’autres sciences humaines et sociales) de moins de 150 pages, la collection Repères de La découverte est la référence incontestable, par sa taille et la qualité. Sur la question de l’emploi plus spécifiquement, elle est néanmoins désormais vivement concurrencée par la collection Sécuriser l’emploi des Presses de Sciences Po. Ces toutes dernières années, j’ai lu cinq ouvrages publiés dans la collection (depuis sa création, je ne chiffre même plus…). Tous sont d’une qualité constante. Certains portent sur des thèmes plutôt pointus, tels que Économie du savoir-être de Yann Algan & Élise Huillery. D’autres sont consacrés  à des sujets plus débattus et contemporains. C’est le cas du très bon ouvrage de Dominique Meurs Les entreprises et l’égalité femmes-hommes qui, comme son titre l’indique, traite des inégalités de rémunération et de carrière dans les entreprises, dans une synthèse très solide, qu’on aurait même aimé voir plus longue. Pierre Cahuc & Jérémy Hervelin font eux un point complet sur les divers dispositifs qui favorisent l’emploi des jeunes dans Quelles politiques d’emploi pour les jeunes ? (avec, vous vous en doutez… une approche très expérimentale). Au rayon des sujets blockbusters, Jérôme Gautié, dans Le salaire minimum et l’emploi établit (en 2020) une synthèse de référence sur la question du salaire minimum : quel impact sur l’emploi en général ? Quel impact par type de travailleurs (jeunes, femmes, immigrés, etc.) ? Quels effets macroéconomiques peuvent être décelés ? Enfin, quels enseignements tirer des trajectoires nationales de quelques pays ? Il présente les travaux théoriques et empiriques les plus importants et les plus récents sur le sujet. De son côté, dans La feuille de paie et le caddie (2021), Lionel Fontagné s’offre le luxe de produire une synthèse des travaux sur les liens entre le commerce international, l’emploi et les salaires en déroulant un plan d’une très grande qualité didactique ; le tout dans un style élégant, compte tenu d’un format d’ouvrage habituellement plus attentif à l’efficacité de la rédaction.

Bonheur et malheur

Histoire de refaire le point sur les travaux en « économie du bonheur », j’ai épluché deux bouquins en français qui sont un excellent point de départ pour comprendre la discipline. L’économie du bonheur a pour but de mesurer le bonheur, un état de satisfaction, et déterminer quels sont les facteurs individuels, macroéconomiques ou institutionnels qui déterminent son niveau. L’économie du bonheur pose des questions comme « Peut-on expliquer ce qui rend les gens heureux ? », « Suffit-il d’être plus riche pour être heureux ? », « De façon générale, quels sont les variables qui déterminent le bonheur ? » etc. C’est une discipline intéressante, pas forcément si jeune que cela, mais encore très immature (les résultats sont parfois très frustrants, dans le sens où ils sont souvent du type « Ça dépend, on sait pas trop, finalement »). Économie du bonheur de Lucie Davoine (2020) édité dans la collecction Repères de La découverte et le plus ancien (mais encore totalement pertinent) L’économie du bonheur de Claudia Senik, publié en 2014 par le Seuil dans la collection La république des idées, se complètent parfaitement pour faire le tour de la question. Senik a une approche plus limitée sur les thèmes abordés mais plus problématisée et développée. Si vous voulez davantage de matière, vous pouvez vous tourner vers les travaux de l’Observatoire du bien-être du CEPREMAP, qui est la référence sur ces sujets en France.

Beaucoup moins drôle, mais édifiant, le Morts de désespoir de Anne Case & Angus Deaton, déjà un classique dont vous avez probablement entendu parler. Il dresse sur plusieurs chapitres le constat que les perdants de l’Amérique, bien avant Trump, sont les hommes blancs sans diplôme. Perdants au point d’en mourir, dans une « épidémie » de consommation de drogues légales, les anti-douleurs opioïdes, tels que l’oxycodone. Si vous ne le savez pas encore, l’ouvrage, écrit par des auteurs qui se présentent aux-mêmes comme de fervents pro-marché, pro-capitalistes (grosso modo, ils ont un position rawlsienne) montre que c’est le système politique et le système de santé américains qui sont responsables de ces millions de morts depuis la fin des années 1990 et de la pauvreté d’une grande partie de l’Amérique. En renonçant à organiser les marchés de sorte à y limiter le pouvoir de marché (notamment sur le marché de la santé), en favorisant les intérêts de ceux qui ont le pouvoir d’acheter les régulations (dans l’industrie pharmaceutique, par exemple), l’économie américaine a produit des inégalités injustes et une baisse du revenu médian des travailleurs des États-Unis. Angus Deaton étant prix Nobel d’économie, le bouquin a eu un écho plutôt large. Ce que je voudrais souligner ici, c’est que, tout en restant plutôt facile à lire, il est écrit avec une rigueur dans la démonstration qui en fait un de ces livres dont on sort avec une admiration certaine. Et, au passage, sur ce sujet, je vous conseille la série Dopesick, avec Michael Keaton, qui est vraiment très bien.

Je m’arrête là pour le moment. Je reviendrai bientôt vous signaler d’autres textes intéressants.

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