Comme d’habitude, ils vont jouer à faire semblant…

Le G8 de cette année est consacré aux questions énergétiques, à la nécessité de traiter les problèmes posés par la pauvreté, au Moyen-Orient, et à l’impérieuse nécessité de se concerter pour résoudre les problèmes de stabilité financière mondiale. Comme l’année dernière. Comme il y a deux ans. Comme au premier G5, il y a 33 ans. Comme chaque année, cette mascarade ne sert à rien d’autre qu’à recopier mot à mot la déclaration d’engagements de la session précédente, à donner de quoi écrire à la presse, et à donner à quelques dirigeants à l’ego enflé le sentiment qu’ils ont prise sur les affaires économiques du monde.

Cette année, on fait des promesses. On va verser des milliards d’aide à l’Afrique, on ne sait pas exactement combien. On a commencé par annoncer un milliard spécial hausse du coût de l’énergie et des produits alimentaires, puis de doubler l’aide au développement – une “promesse” déjà faite en 2006. Ce qui est amusant, mais pas très surprenant, c’est de voir que le débat ne se focalise que sur le montant à verser, ou “débloquer” selon le jargon habituel (mais où est donc bloqué tout cet argent?). Nulle part on ne trouvera mention de la façon dont cet argent sera utilisé, à quoi il va servir : ce qui compte, c’est de payer, pas d’avoir une quelconque utilité.

On pourrait pourtant se poser quelques questions : il existe une littérature abondante montrant que les flux d’aide génèrent dans les pays bénéficiaires un effet de “dutch disease” : ces apports de capitaux entretiennent un taux de change non compétitif qui nuit au développement des activités industrielles et à la croissance. On pourrait se demander aussi, avec Easterly, pourquoi autant d’aide versée depuis si longtemps a obtenu si peu de résultats, et comment espérer en obtenir de meilleurs à l’avenir. C’est un débat qui n’aura pas lieu : l’essentiel, c’est de payer, et plus, c’est forcément mieux.

On pourrait aussi se poser des questions d’ordres de grandeur : il y a environ un milliard de personnes dans le monde vivant avec moins de deux dollars par jour. Entre la moitié et les trois quarts de ce revenu est consacré aux dépenses alimentaires, ce qui rend considérable l’effet des récentes hausses. En supposant que ce milliard de dollars soit intégralement touché par ceux qui en ont besoin, cela représente entre une demie journée et une journée de revenu : pas de quoi alléger beaucoup les difficultés des plus pauvres. Et ce raisonnement suppose que la totalité de l’aide finisse à ceux qui en ont besoin, ce qui est loin d’être le cas en réalité. Une fraction significative du total sera engloutie dans les méandres de budgets publics, absorbée par des intermédiaires, au premier rang desquels les fonctionnaires des organisations internationales et les membres d’ONG qui auront quelques nouvelles occasions de s’offrir un peu d’exotisme et de sentiment qu’ils sont bons et généreux.

Alors à quoi bon? Il y a dans tout cela un mélange d’idéologie et de théorie économique. L’idéologie, c’est le managérialisme planificateur, l’idée que quelques personnes “puissantes” peuvent mieux décider que les principaux concernés de la façon de résoudre leurs problèmes de pauvreté. La dissolution de l’aide dans la bureaucratie, loin d’être une faille du système, en est en réalité la principale composante : l’essentiel n’est pas tant d’aider les pauvres que de satisfaire les appétits de contrôle et de paternalisme.

La théorie économique, c’est la théorie du signal. Verser de l’aide n’est dans cette perspective que ce que Robin Hanson appelle “showing that you care” : une façon de montrer, indépendante de toutes actions concrètes, que nous trouvons l’existence de la grande pauvreté difficile à supporter et que nous “faisons quelque chose”. Bien entendu, cela ne va pas jusqu’à faire des choses qui auraient des effets réels sur la pauvreté, comme supprimer les subventions agricoles ou libéraliser les flux migratoires. Nous vivons dans un monde ou l’essentiel de la redistribution des revenus s’effectue au sein des 15% d’individus les plus riches, ce qui devrait nous conduire à questionner sérieusement nos prétentions égalitaristes; comme personne n’a envie de le faire, nous préférons prétendre que nous sommes compatissants.

Alexandre Delaigue

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11 Commentaires

  1. "Nulle part on ne trouvera mention de la façon dont cet argent sera utilisé, à quoi il va servir"

    En résumé il va servir à rembourser la dette, ou financer des gros projets réalisés par des entreprises occidentales. Dans les deux cas, cet argent retourne grosso-modo dans les poches de ceux qui l’ont versé.

    Ai-je faux ou pas?

  2. Bonjour,
    Vous me trouverez sans doute bien naïf, mais si cet argent allait aux millenium development goals par exemple http://www.un.org/millenniumgoal... serait-il quand même inutile ?

    Certains semblent penser que ces efforts ne sont pas si fous, je pense à Sachs dont le livre est plutôt convaincant.

  3. @ Jean H. : Les parachutages de fonds aux pays en développement, cela fait 60 ans que c’est pratiqué… et pour quels résultats. Sachs a beau dire, mais il défend une doctrine périmée à bien des égards. Donner de l’argent pour donner de l’argent ne sert à rien : les fonds ne serviront qu’à alimenter les pouvoirs corrompus et la faiblesse des institutions générera un gaspillage colossal. Les clés du développement commencent à être connues : droits de propriété bien définis, système monétaire et financier stable, état de droit, fourniture de biens publics, etc. Le problème c’est que personne ne sait vraiment comment les implémenter. A ce niveau, à chaque pays sa solution spécifique.

  4. euh, pas comme tout les ans. A priori les objectifs d’aide affichés lors du sommet organisé par Tony Blair n’ont été tenus que par les USA, La Grande Bretagne et l’Allemagne. La France et l’Italie faisant tout cette année pour rabaisser les objectifs, crise budgétaire oblige.

  5. "les flux d’aide génèrent dans les pays bénéficiaires un effet de "dutch disease""

    Ce qu’il faut, c’est favoriser les dictateurs qui détournent l’aide au développement pour la placer en Suisse (1er investisseur en France en plus). Telle est la leçon norvégienne.

    "libéraliser les flux migratoires"
    Surtout pas malheureux !
    Ces gens la renvoient une grosse partie de leur argent au pays. Parfois ils reviennent directement au pays au volant d’une Renault, le coffre blindé de frippes ! De vrais bacilles hollandaises !
    Non non, mieux vaux encore qu’ils trouvent du pétrole.

    En tous cas, l’augmentation des prix agricoles est une excellente nouvelle. Incitation à la production, freinage d’un exode rural beaucoup trop rapide. Qui peut se plaindre d’un transfert des richesses des villes vers les campagnes dans ces pays là ?

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Les habitants des villes, par exemple. Qui se trouvent être plus nombreux que les habitants des campagnes.

  6. Un petit commentaire sur les projets de réformes ou c’est trop politique / droit du travail et pas assez économique ? A priori ça me fait bondir mais bon sait-on jamais j’ai peut etre mal compris les avancées macro économiques que cela va engendrer.

  7. OK, mais les habitants des villes sont justement ceux que les dirigeants africains ont favorisés, achetant les produits agricoles subsidiés au marché mondial, tandis que leurs agriculteurs étaient les laissés pour compte. Et voilà que la situation se retourne ! Colère des citadins et ricanements des paysans…

  8. comment se fait-il que les travaux (anciens) de Peter Bauer sur l’aide au développement soient si mal connus?

  9. Trade, not aid… Les politiques d’aides directes au développement ont longtemps servi à dorloter notre bonne conscience, avec des effets souvent contradictoires. Elle ne sont sans doute pour pas grand chose dans le recul de l’extrême pauvreté dans le monde. Selon la Bq mondiale, il n’en reste pas moins que la pauvreté extrême (-1$ par jour, ppa) a reculé en 38% de la population mondiale en 1970 à 19% en 2001. Merci l’Asie, c’est vrai. Mais merci aussi, surtout, l’ouverture internationale au commerce…

  10. Tres bon article ! Attali, lui, suggere des solutions, elargir le G8 au G16 (blogs.lexpress.fr/attali/… Et si on l’elargit encore plus on peut meme arriver a l’ONU ou a l’OMC, c’est incroyable. En tout cas la multiplication des institutions a le merite que nos dirigeants se recontrent plus souvent aux cocktail party et autres buffets campagnards, parler de ses problemes de couple ou du dernier match de foot ca contribue a l’amitie des peuples…

  11. Oui j’ai beaucoup apprécié le livre d’Easterly qui est de nouveau intervenu sur l’aide (qui va en gros dans la poche de ceux qui n’ont pas besoin) sur le nouveau forum éco de Bill Gates

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