Le bac 2006, c’est acquis, est une “cuvée historique”. Au point que les ennemis d’hier boivent du petit lait de concert. Certes, quelques esprits chagrin mettent en cause la signification des résultats, arguant que la bac a été bradé. Si l’éphémère cacophonie juilletiste ne permettra pas de trancher, elle relève néanmoins des questions ponctuelles et plus structurelles, liées, cela va de soi.
On peut poser deux questions en réaction aux résultats du bac 2006 : à quoi sont dus les résultats du bac 2006 ? le bac est-il un examen sérieux ? Les deux points de vue se recoupent, évidemment. Voyons comment, en les séparant pour la forme.
Comment expliquer les bons résultats du bac 2006 ?
Deux thèses s’affrontent. Pour la première, les correcteurs ont appliqué des critères de correction intégrant le manque de préparation. Pour la seconde, l’effet d’une mobilisation conjointe des enseignants et des élèves durant et, surtout, après le mouvement, a permis de compenser les perturbations. Evidemment, selon que l’on adhère à l’une ou l’autre, le tableau est fort différent. Dans le premier cas, on a une perte de valeur du bac ainsi obtenu. Si on suit la seconde, non seulement le bac vaut bien ce qui’l valait les précédentes années, mais on peut en plus arguer d’une hausse de la productivité de l’école. Si en moins de temps, on obtient le même résultat, on a tout lieu de se réjouir, non ?
Sans surprise, on peut penser que les deux éléments ont joué, comme annoncé. Mais il est exagéré de penser que tous les enseignants appliquent des consignes de clémence sans broncher. Un collègue m’a ainsi rapporté un exemple qui va carrément à l’encontre de cela dans un centre d’examen où un jury de fous furieux (je passe les détails, mais il n’y a pas d’autre terme) a divisé par deux, par rapport aux scores habituels, les résultats des établissements (en lettres) dont il évaluait les élèves. Penser que les enseignants du secondaire sont tous des gauchistes prompts à donner un examen de la sorte, c’est une flagrante méconnaissance de ce milieu où les consignes des inspecteurs en matière d’évaluation sont régulièrement bravées.
Par ailleurs, la médiatisation du mouvement, comme cela est maintenant souligné, mais probablement pas assez à mon avis, a masqué deux points : l’intensité du blocage n’était pas de même ampleur dans tous les établissements bloqués (voir les filtrages négociés pour les terminales et 1ère) ; la durée des blocages n’a pas été forcément élevée partout non plus. Résultat, un nombre relativement peu élevé de lycées bloqués, pas forcément longtemps et pas forcément complètement. En d’autres termes, le mouvement anti CPE a peut-être été particulièrement productif, mobilisant au final moins de moyens que ce qu’on a pu le mesurer (je fais bien référence aux cours annulés en lycée, je n’inclus pas ici les grosses manifestations et blocages d’universités). Le nombre global d’heures perdues n’a pas grande signification, dans la mesure où si l’essentiel est concentré sur un nombre restreint d’établissements, l’impact global est faible.
Dans les bacs technologiques, les industriels font moins bien que l’an dernier et les tertiaires sensiblement mieux (+2 points). Si je ne sais pas pourquoi les industriels baissent, je sais parfaitement pourquoi les tertiaires peuvent grimper, CPE ou pas. Cette année était la dernière de la mouture actuelle du bac. L’an prochain, la filière STT est remplacée en terminale par la filière STG. Les programmes sont différents, étalés entre 1ère et terminale et, si on y parle de choses sensiblement identiques, l’esprit et la mise en oeuvre du programme sont réellement différents. Résultat : un élève qui raterait son bac STT se retrouverait plongé l’an prochain dans une position très inconfortable, bénéficiant très peu de sa première terminale. Je n’ai pas eu le loisir d’en discuter avec beaucoup de collègues ayant participé aux jurys (je n’y ai pas participé moi-même cette année). Néanmoins, le témoignage que j’ai confirme ce que tout le monde pouvait attendre : correction cool. Et je ne porte absolument aucun jugement là dessus. Il faut savoir faire la part des choses.
Autre point relevé à juste titre,
Les novations introduites dans les épreuves en maths, et dans une moindre mesure en physique où les exercices sont apparus plus faciles, ont, elles, certainement pesé lourd dans le bond spectaculaire des reçus en S. Près de la moitié des candidats au bac général concouraient dans cette filière. Pour la première fois cette année, l’exercice de QCM (question à choix multiples) ne pouvait en effet faire perdre de points au candidat. Jusqu’ici, une réponse fausse lui coûtait un demi-point. Désormais, elle ne coûte plus rien. Ce qui n’a pu que relever la moyenne de l’épreuve.
Reprenons : un système de notation favorable dans la filière la plus fréquentée, des consignes de moindre sévérité suivies par les jurys (surtout en STT), des efforts plus importants dès la crise finie, des blocages durs pas si fréquents que cela en définitive. Voilà donc comment expliquer a priori les bons résultats 2006. Mais, attention, au fond, rien ne dit que les candidats n’étaient pas meilleurs que les années précédentes pour d’autres raisons.
Les questions plus structurelles que pose la session juin 2006
Sur la question de la valeur du bac, je vous renvoie aussi à un texte publié l’année dernière.
Si on peut faire croître le taux de réussite tout en réalisant moins d’heures de cours, pourquoi faire autant cours ? La question se pose, qu’on le veuille ou non. Une fois neutralisé l’effet correction, il faut savoir remarquer que, comme le savent tous les profs, dans une progression annuelle, quelques semaines de cours en moins peuvent être compensées. Sauf, sauf… pour les plus faibles, ceux qui ont besoin de plus de temps pour percuter. La solution, là, ce n’est pas de mettre 30 élèves dans une classe, quelques semaines en plus, c’est de prendre en charge ceux qui ont besoin de plus de temps, point.
Que les partisans de la thèse du déclin du bac se rassurent, on leur accordera au moins que décrocher le bac ne nécessite plus en moyenne autant de temps. Ce que montrent les élèves qui viennent de réussir leur bac, c’est bel et bien que les générations habituelles fournissent un effort moindre, en moyenne.
Les bacheliers de 2006 connaîtront-ils une future réussite scolaire et professionnelle moins importante que les autres ? En la matière, puisque le parallèle avec mai 68 a été fait, il est essentiel de renvoyer à l’étude de Eric Maurin et Sandra Mac Nally. Thierry Pech résume dans l’introduction du texte l’idée essentielle :
Sur le long terme, ces individus dont le mérite principal est de s’être trouvés au bon endroit au bon moment, connurent des destins économiques et sociaux nettement plus favorables que ceux de leurs aînés et de leurs cadets qui, issus des mêmes milieux, passèrent leur bac en 1967 ou 1969, et n’eurent pas la « chance » de réviser dans l’ambiance perturbée des manifestations, des grèves et des affrontements avec les forces de l’ordre. Sur un terme encore plus long, il apparaît que les enfants de ces « élus de Mai » connurent une réussite scolaire supérieure à celle des enfants des étudiants qui, au moment des évènements, ne se trouvaient pas à un moment particulièrement sélectif de leur scolarité et dont le destin scolaire ne fut pas affecté par la désorganisation.
On devrait en déduire avec les auteurs que :
le « cas 68 » devrait être considéré comme le laboratoire d’une expérience décisive dans tous les pays qui s’interrogent aujourd’hui sur l’opportunité d’une ouverture plus large de l’accès à l’enseignement supérieur. Il suggère notamment que faciliter l’accès à l’université aux personnes qui aujourd’hui restent à son seuil et leur permettre d’y poursuivre des études peut entraîner pour elles des bénéfices tout à fait notables sur le marché du travail. Il suggère également que, ces bénéfices se transmettant à la génération suivante, cette stratégie peut avoir une influence à long terme sur le niveau général de la population en âge de travailler.
Ne faisons pas dire à l’étude trop ou pas assez. Sa lecture intégrale montre qu’elle pose une question de fond un peu différente de celle qui est amenée ici, à savoir est-ce que ceux qui auraient été contraint d’abandonner leurs études en cas d’échec au bac ont bénéficié à plein d’un assouplissement des règles de notation à l’examen ? Plus largement, elle permet d’évaluer les bénéfices d’une formation universitaire sur les destins familiaux et professionnels.
Conclusion
La première conclusion qui s’impose est de savoir si le taux global de réussite au bac est à mettre en balance avec une situation réellement particulière. Le CPE a-t-il dramatiquement bouleversé la scolarité d’un nombre suffisant d’élèves de terminale ? La remarque pourra paraître saugrenue. Et pourtant, si je me fie à l’expérience de mon propre établissement, deux semaines de blocage, plus ou moins complet selon les jours, selon les filtrages, on ne peut pas dire que l’année scolaire ait été vendangée. Par contre, les esprits ont été frappés par le mouvement, au delà du nombre effectif d’heures perdues. En a-t-il été de même ailleurs ?
La deuxième conclusion, c’est qu’il faut s’interroger sur la productivité de notre système scolaire secondaire.
La troisième, c’est que le bac reste un examen problématique, dont on ne saurait dire s’il sélectionne proprement les futurs étudiants. Et sur ce point, je rappelle ce texte publié il y a quelques mois.
Pour ceux que les questions d’économie de l’éducation intéressent, je resignale ce bon ouvrage de synthèse.
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Je n’étais pas là en 68 et je ne me suis pas plus préoccupé que ça des évènements qui se sont produits cette année mais je doute de la pertinence de la comparaison du point de vue de l’intérêt de l’accès à l’enseignement supérieur.
Si on regarde l’historique d’obtention du bac pour une classe d’age — voir http://www.education.gouv.fr/sec... –, on constate qu’en 68 cela concernait moins d’1/5 des jeunes et qu’aujourd’hui on parle de plus des 2/3.
C’est la raison pour laquelle la comparaison me parait limitée : dans le 4/5 des étudiants qui n’avaient pas le bac en 68, il est fort probable qu’un certain nombre d’entre eux avaient des capacités, pas forcément liées à un savoir très scolaire, qui pouvaient leur permettre de faire quelque chose de bien dans le supérieur.
Aujourd’hui, sur le 1/3 qui n’y a pas encore accès la probabilité est automatiquement beaucoup plus faible.
Contrairement à ce que vous laissez entendre, il n’y a pas eu de consignes de clémence dans les séries générales (demandez à vos collègues, vous verrez).
La réussite de cette année est à chercher du côté des sujets ou des élèves.
L’épreuve de maths de la série ES était plus facile que d’habitude, me semble-t-il, pourtant la hausse du taux n’est pas énorme dans cette série. Les mathématiques y comptent moins, proportionnellement que dans la série S, mais une matière facile n’engendre pas forcément une forte hausse, quelle que soit la série.
En S, le QCM de l’épreuve de maths était certes plus avantageux mais une autre raison est plutôt à chercher du côté du sujet de Physique Chimie, apparement relativement plus facile que d’habitude. La conjonction des deux donnant ce fort taux de réussite en S.
Certains polémistes ne manqueront pas de faire le lien entre le mouvement CPE et les sujets vraisemblablement plus faciles, mais il faut rappeler qu’après les grèves de (oups j’ai un trou, l’année de la proposition de loi visant à décentraliser la gestion des personnels ATOSS), le sujet de mathématiques en S avait été particulièrement difficile et, là, il y avait eu des consignes, un peu scandaleuses d’ailleurs puisque chaque académie était chargé s’arranger pour avoir un taux de réussite correct (certaines notaient sur 25, d’autres appliquaient des coefficient multiplicateurs, etc.).
Mieux vaut regarder sur plusieurs années, ces taux de réussite pour se faire une idée. Une seule année n’est pas très révélatrice, d’autant que depuis 2002 les modalités des certaines épreuves (mathématiques en particulier) ont changé et les sujets sont encore assez variables (parfois un peu dur, parfois un peu faciles). On a pas tout à fait atteint, les concernant, une vitesse de croisière.
Je partage l’avis de Oaz sur le caractère assez abusif d’une comparaison avec le "cas 68". Notre société a tellement évolué depuis cette époque ! On peut se livrer à un petit exercice de synthèse sur la base des essais publiés par La République des Idées/Les éditions du Seuil, que vous appréciez tant.
Considérons les bouleversements du monde du travail, bien décrits par Robert Castel dans son ouvrage "L’insécurité sociale" : la carrière professionnelle ne s’apparente plus aujourd’hui à une trajectoire linéaire effectuée au sein d’une même entreprise. Ceci s’explique en bonne partie par la montée du pouvoir de l’actionnaire et du client dans les entreprises – voir "Le capitalisme total" de Jean Peyrelevade et "La fatigue des élites" de François Dupuy. En effet, la pression de ces deux acteurs conduit à mettre en oeuvre une politique de gestion des ressources humaines qui se fonde sur les compétences et non plus les postes. Dans ces conditions, le diplôme devient une condition nécessaire mais non plus suffisante pour trouver un emploi : l’employeur exige plus que le diplôme, puisqu’il entend mobiliser d’autres compétences que celui-ci sanctionne.
Parallèlement, on a observé ce phénomène d’inflation scolaire auquel Marie-Duru Bellat a consacré son essai : toujours plus de diplômés de l’enseignement supérieur, ce qui a souvent pour effet de produire des situations de déclassement.
Individualisation des carrières, dévalorisation des diplômes. A elles seules, ces deux transformations laissent assez bien entendre que l’état d’esprit d’un étudiant de 2006 est très différent de celui d’un étudiant de 1968 : il n’est pas animé par la confiance en l’avenir, mais par la méfiance, parce qu’il sait que son diplôme ne vaut pas grand chose même s’il reste nécessaire, et qu’il ne vaudra presque plus rien quoiqu’il arrive dans quelques années puisqu’il devra se former tout au long de sa vie pour préserver son employabilité. De ce fait, les bénéfices qu’il pourra tirer de sa réussite scolaire seront très différents.
Je ne me hasarderais donc certainement pas à prétendre que donner le bac en 2006 à ceux qui ne le méritent pas puisse produire les mêmes effets qu’Eric Maurin et Sandra Mac Nally pensent avoir établis dans le "cas 68". C’est bien le problème de ces analyses sociales plus quantitatives que qualitatives : elles oublient de tenir compte de transformations qui ressortent du domaine du symbolique et qui affectent la rationnalité limitée des acteurs, un facteur essentiel s’il en est.
Par définition, les enseignants du supérieur ne peuvent pas encore se faire une idée sur ce cru du bac. Pour les filières qui sélectionnent à l’entrée, les résultats de l’année ne changeront pas grand-chose. Pour celles qui sélectionnent par abattage durant les premières années d’université, cela ne changera pas grand-chose non plus.
La vraie question, comme tu le soulignes, porte sur le contenu et le rôle des enseignements au lycée, plus que sur le bac dont on étudie chaque année les crus comme les vins, les jours de grêve tenant lieu de jours de mauvais temps. Les signaux préoccupants qu’on reçoit d’après bac sont de trois types :
– des élèves de plus en plus revendicatifs, persuadés qu’ils vont avoir de bons résultats et contestant de plus en plus les mauvaises notes.
– une certaine superficialité vis à vis des connaissances; des choses déjà vues ne sont pas acquises. On a l’impression que beaucoup d’élèves bachotent et oublient très vite ensuite, tout en restant persuadés de savoir.
– des élèves peu habitués à se confronter à la difficulté et à comprendre que c’est normal, et ne requiert que quelques efforts et une remise en question.
ce sont des commentaires qui gagneraient à être affinés, mais qui donnent un sentiment différent de celui d’un simple "le niveau baisse et la démagogie au bac monte".
@oaz : même si je vois ce que vous voulez dire, je ne vois pas en quoi la situation a changé aujourd’hui. le système scolaire a toujours des codes qui ne font qu’opérer un filtre. A moins de supposer que ceux qui ne leur correspondent pas sont incapables de faire quelque chose de leur vie, alors on doit encore imaginer que l’effet soit le même sur ceux qui passeront par chance le filtre.
@Nathanael : sans mettre en doute votre expérience, tout dépend de ce que vous appelez consignes. Pour moi quand on donne une moyenne cible, même en prenant des détours, même en intégrant cela à des éléments de correction, on donne des consignes de clémence. Il faut arrêter de raconter à la population qu’il n’y a pas de consignes (d’ailleurs, en ce qui vous concerne vous le dites, sur les sujets). C’est faux, il y en a. Mais elles ne se résument heureusement pas à "Tout le monde doit avoir 10". Et il ne s’agit pas non plus d’une pression insoutenable mise sur les enseignants.
Complètement d’accord sur le fait de ne pas s’arrêter à une année. C’est un peu ce que je voulais dire en conclusion. Mais c’était tellement évident que j’ai oublié de l’écrire…
@max weber : je ne suis pas du tout convaincu par ce que vous écrivez. La vision de l’avenir des jeunes bâcheliers ne change rien à la question posée par Maurin et Mac Nally et reprise dans le deuxième extrait. Les faits sont également là : quand vous le bac seul et quand vous avez un niveau de terminale, votre salaire après 5 ans est sensiblement le même. En revanche, il est nettement plus élevé quand vous avez un bac + 2. La question est donc de savoir, aujourd’hui comme en mai 68 si le bac est un filtre intelligent.
Je ne sais pas s’il y a des études là dessus, mais on pourrait le suggérer : certains élèves qui ratent deux fois leur bac et sont admis en BTS la même année, vont en BTS et passent leur bac en fin de 1ère année (voire jamais, en réalité, mais je n’ai jamais eu les textes officiels concernant ce point, ni d’étudiants concernés). Pour ce que j’en sais, s’il y a une certaine proximité entre les matières, du BTS et du bac raté, ils l’ont. Bref, si ces gens n’avaient pas pu passer en BTS, ils auraient arrêté pour nombre d’entre eux. Il serait intéressant d’étudier ces profils (si ça n’a pas été fait). Quant à la république des idées, vous les aimez visiblement plus que moi… Je n’ai pas lu certains que vous citez (Dupuy et Peyrelevade)