Comme l’année dernière, est organisé le prix du livre d’économie du Sénat. Contrairement à l’année dernière, je n’ai pas la moindre idée du livre pour lequel je devrais voter. La raison en est simple : je n’en ai lu pratiquement aucun – et pour deux raisons. D’abord des raisons personnelles (soucis cette année, ayant conduit à une activité intellectuelle réduite); Mais surtout, même si j’avais voulu lire plus, ces ouvrages n’auraient pas, pour l’essentiel, déclenché le bouton “acheter maintenant” lors de mes consultations d’amazon. Tentative de classement de ces ouvrages, avec les limites évidentes du genre “je ne l’ai pas lu, mais voilà ce que j’en pense”.
Il faut quand même signaler une exception : le manuel Politique Economique, que nous avons commenté, qui est très bien de tous points de vue, et que j’utilise/consulte. Mais un manuel peut-il être un livre d’économie de l’année?
Il y a aussi un livre que je lirais volontiers, c’est celui d’Eric Maurin, le ghetto français. Les phénomènes qui y sont étudiés sont importants et le plus souvent négligés ou présentés de façon caricaturale. De la même façon, le livre de Bernard Gazier est sans doute intéressant : je dois avouer que le sujet traité ne me passionne pas, mais c’est entièrement subjectif, et j’ai un bon a priori.
Il est possible aussi que le livre consacré au micro-crédit soit instructif. Cela dit, sa présentation n’est pas très attrayante. C’est hélas un grand classique de ces livres consacrés à un sujet précis, dont les auteurs, en général très convaincus, ne peuvent pas s’empêcher de nous expliquer que leur sujet constitue l’alpha et l’oméga, la solution à tous les problèmes, voué à un avenir radieux, propre à soigner tous les maux de l’époque, dont les acteurs sont des aventuriers des temps modernes. L’anticipation de ce genre de ton m’excède par avance.
Nous avons le droit aussi à l’inévitable livre de journaliste, qui “après une enquête de deux années” (quel chouette métier, dans lequel on est payé à faire des enquêtes pendant deux années…), aboutit le plus souvent à un contenu aussi riche en anecdotes (racontées avec force points d’exclamation) qu’il est pauvre en analyse. Je suis prêt à parier ici, publiquement, sans avoir lu le livre, que le terme “avantage comparatif” ne s’y trouve pas – ou que s’il s’y trouve, il est accompagné d’un truc genre “cette théorie qui n’est plus valable dans un monde mondial globalisé total dans lequel nous vivons aujourd’hui” et expliqué de travers.
On doit avoir le même genre de résultat avec “Analyste” : Pas grand chose de nouveau sous le soleil. Sur le monde de la finance, il existe déjà un ouvrage ultime : liar’s poker, de Michael Lewis. Ce genre de livre a vocation à être distrayant; la réalité ne se saisit pas par le petit bout de la lorgnette. Imaginer que ce genre de livre puisse être “le livre de l’année” est assez triste.
Enfin, les 4 derniers ouvrages sont dans un genre que je boycotte par principe. Le pitch en est le suivant : “nous vivons une époque de changements majeurs, marquée par des turbulences incroyables, tous les schémas d’analyse traditionnels sont impuissants à saisir la complexité du monde moderne, le monde va dans le mur, personne n’y comprend rien. Heureusement, moi, auteur, j’ai tout compris, je vais vous apporter la lumière, petits lecteurs, et vous expliquer ce qu’il faut faire pour redresser la course de l’humanité. Il faut des réformes à l’échelle mondiale, qui n’ont aucune chance d’avoir lieu, ce qui me permettra d’écrire un nouveau livre l’année prochaine”. Comme le fils de M. Wang, ils ont trouvé la voie, et pour nous la faire saisir, ils vont sinon nous couper la tête, au moins la farcir…
Il suffit de lire les descriptifs pour se douter qu’Aglietta écrit pour la énième fois le même livre, tout comme Elie Cohen. Pas forcément dépourvu d’intérêt, mais est-ce bien nécessaire? Même chose pour le livre d’Artus et Virard. Après avoir expliqué que la France pouvait se ressaisir, ils nous disent que le capitalisme va s’autodétruire. Faudrait savoir.
En tout cas, je suis sûr d’une chose : le livre de J. Peyrelevade est dépourvu d’intérêt. Son précédent “pour un capitalisme intelligent” était un véritable prodige : comment peut-on mettre si peu de contenu en autant de pages? Pour avoir entendu l’auteur, qui a visiblement de nombreux amis dans les médias, dans de (trop) nombreuses émissions de radio et de télévision, je suis confiant, ce style inimitable sera toujours là. L’auteur expliquait alors sans rire qu’il n’y avait rien de plus urgent en France que de créer des fonds de pension. Aujourd’hui, il nous explique que les fonds d’investissement sont une catastrophe, et qu’il faut laisser les gens intelligents (comme lui sans doute) diriger tranquillement les entreprises.
Etant donnés les nominés 2005 donc, je m’abstiens de voter. J’espère que la procédure cette année, sera protégée contre le bourrage de votes, ce qui n’était pas le cas l’an dernier. Et j’espère que 2006 sera une année plus appétissante.
PS : les commentaires sont ouverts pour ce post. Ceci sera désormais l’exception sur ce blog.
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Si tu trouves le temps, le bouquin d’Eric Maurin est à lire je pense.
Il pourrait t’amener à reconsiderer ta décision de ne pas voter cette année.
J’ai lu celui d’Artus… pas sans intérêt mais vous pouvez vous en passer.
J’aimerais bien avoir des avis de lecteurs de Peyrelevade ou d’Aglietta.
"Mais un manuel peut-il être un livre d’économie de l’année?"
Celui là, exceptionnellement, oui, car il augure un changement paraaaaaaddddddigmaaaatique des manuels en français.
N’étant pas économiste, serait-il possible d’avoir un avis sur les livres de vulgarisation de Philippe Simonnot (Vingt et un siècles d’économie) et Alain Minc (Les Prophètes du bonheur) ? Merci.
Tout dépend de ce que vous recherchez. A mon avis, si vous avez le temps de lire ces livres, vous pouvez utiliser ce temps plus utilement pour lire de meilleurs livres. Mais c’est un avis personnel, et chacun est libre d’en avoir un autre.
Sur ces deux livres, rapidement : Simonnot écrit très bien, ses livres sont clairs et souvent intéressants; mais c’est clairement un idéologue dont les préférences envers une version très libertarienne-autrichienne de l’économie transparaissent très nettement. Cela dit, quand on est conscient de la chose, et pour peu qu’on n’en soit pas géné, c’estintéressant.
Je n’ai pas lu ce livre d’Alain Minc mais je sais de quoi il parle, et je l’ai feuilleté un jour ou je m’ennuyais à la fnac. Je n’ai pas trop aimé. D’un côté c’est très intéressant d’avoir des résumés non scolaires sur tous ces auteurs; c’est vrai qu’Alain Minc écrit lisiblement; et il y a de bonnes choses dedans. Mais c’est irritant.
Je crois qu’en fait, ce qui me gène fondamentalement dans ces livres, c’est le format "historique et vulgarisation". Il ressort toujours de ce type d’ouvrage une vision fausse de la réalité de l’économie. Les livres d’histoires des auteurs, genre Minc, sont toujours du genre "machin a dit cela, truc a dit le contraire" ce qui laisse au lecteur le sentiment que tous les discours se valent et que l’économie n’est qu’un tas de vieilleries et de simplismes. Le bouquin de Simonnot est tellement subjectif qu’on finit par se dire que l’économie c’est par nature subjectif.
Donc personnellement je conseille plutôt au profane de lire des livres qui permettent de comprendre le monde contemporain avec l’économie d’aujourd’hui. il y en a plein (trop peu en français c’est vrai, mais cela change).
Cela dit, soyons justes : si vous avez envie de vous initier à l’économie avec l’un ou l’autre de ces deux livres, c’est plutôt une bonne chose; il y a très largement moyen de tomber plus mal.
Sur Peyrlevade, il me semble que vous êtes un peu sévère. Bon bien sûr y a les grandes enlevées lyriques qui sont un peu irritantes, mais ça donne aussi un peu de couleur aux livres d’éco qui en manquent parfois. Dans l’ensemble, ça donne une image de l’économie financière que j’ai trouvée intéressante, parce qu’elle repose sur un rapprochement de 1) le vieillissement du monde riche (les américains, nous européens) 2) les pratiques de la gouvernance d’entreprises. Il montre que la valeur actionnariale est privilégiée par les deux mouvements, qu’il n’y rien à faire contre ça, sauf en proposant des limites aux rendements non productifs du marché financier, mais même ses solutions il n’a pas l’air de trop y croire. Bref, ça ne révolutionne pas grand chose, c’est parfois partial, mais c’est quand même stimulant.
Aglietta et Rebérioux : Le chapitre qui discute des théories des nouvelles l’entreprise (contrats incomplets, théories de l’agence, des droits de propriété) est excellent. Pas eu le temps de lire le reste.