Attention : blog avec tabac

Il y a quelques temps, SM s’était demandé quelles seraient les conséquences pour les bars et restaurants d’une interdiction totale du tabac dans les lieux publics. Le sujet est plus que jamais d’actualité. Aujourd’hui, Libération va jusqu’à publier une tribune issue du très libéral Institut Molinari, opposée à l’interdiction. Façon d’offrir à ses lecteurs des points de vue divers, ou de leur suggérer que seuls des ultralibéraux mangeurs d’enfants peuvent être hostiles à cette interdiction? Difficile à dire. Quel est, au fait, l’intérêt exact d’interdire de fumer dans les lieux publics?

Supposons qu’il existe deux bars exactement identiques, sauf sur un point : le premier accepte les fumeurs, le second est non-fumeur. Dans le même temps, il existe quatre types de clientèle. Les fumeurs qui désirent absolument fumer au bar; les fumeurs qui aimeraient fumer au bar, mais peuvent s’en passer; les non fumeurs que la fumée ne dérange pas beaucoup; les non-fumeurs qui sont incommodés par la fumée. Tous ces gens sont des clients potentiels des deux bars. On suppose par ailleurs que les gens n’aiment pas aller au bar seuls. On voit qu’il y a deux groupes d’individus dont on connaît la destination. Le premier n’ira que dans les bars fumeurs, le quatrième uniquement dans les bars non-fumeurs. Les deux autres groupes peuvent aller dans les deux types de bar. Que va-t-il se passer?

Au total, les deux bars pratiqueront des tarifs différents, en fonction de la fréquentation. En fonction du nombre d’individus appartenant aux différentes catégories, la différence de tarif entre les deux bars sera exactement égale au niveau de prix nécessaire pour attirer une clientèle suffisante. Par exemple, s’il y a beaucoup de non-fumeurs dans la population (tolérants ou non) le second bar aura par défaut beaucoup de public; le premier bar devra donc abaisser son tarif jusqu’au point ou il attirera une clientèle suffisante pour égaliser son profit avec celui de son concurrent. A l’inverse, s’il y a beaucoup de fumeurs dans la population, c’est le second bar qui devra abaisser ses tarifs jusqu’à recevoir suffisamment de clientèle.

Imaginons maintenant que l’on soit dans une situation dans laquelle les non-fumeurs sont majoritaires. C’est donc le bar fumeur qui pratiquait des tarifs plus faibles que précédemment. Et supposons qu’une réglementation publique interdise de fumer dans tous les bars. Qui perd, et qui gagne, dans l’opération? Il faut commencer par noter que dans ces conditions, l’ancien bar fumeur va pouvoir pratiquer les mêmes tarifs que son concurrent non-fumeur (puisqu’il n’a plus la possibilité d’aller chercher la clientèle des fumeurs). Au total donc, personne ne gagne dans l’affaire. Pas les fumeurs impénitents, qui ne peuvent plus aller au bar; pas les fumeurs modérés, qui ne pourront plus bénéficier d’un bar à prix réduit; pas les non-fumeurs tolérants, qui perdront l’occasion d’aller de temps en temps dans un bar moins cher; et pas les non-fumeurs impénitents, qui paieront toujours la même chose dans les bars non-fumeurs. Les gagnants seront… Les anciens propriétaires de bars fumeurs, qui n’auront plus à craindre la concurrence de gens venant casser les prix en accueillant les fumeurs, et pourront monter leurs tarifs.

En bref, dans cette version simplifiée, l’interdiction de fumer n’avantage pas grand-monde. En pratique, me dira-t-on, les choses sont un peu plus compliquées. Par exemple, les bars ne sont pas exactement identiques; peut-être que cette interdiction permettra aux non-fumeurs intolérants d’aller enfin visiter le mythique “smokey bar” dont l’accès leur était auparavant interdit, car on y fumait. Mais cela ne vaut que pour une fraction minime de la population; et dans le même temps, cela empêche la population des fumeurs impénitents de se rendre dans ce bar. Le gain est donc dérisoire dans cette hypothèse.

Allons, allons, me direz-vous. Il ne s’agit pas de s’intéresser aux clients, mais au personnel, obligé de travailler à longueur de journée dans des locaux enfumés. Sauf que le même raisonnement qui s’appliquait pour les prix s’applique pour les salaires; s’il y a des préférences marquées du personnel pour travailler dans des lieux non fumeurs, cela devrait se voir dans des différences salariales (des salaires plus élevés dans les lieux fumeurs). L’absence de tel écart semble indiquer que les salariés ne sont pas tellement nombreux à trouver insurmontables les conditions de travail dans les lieux fumeurs.

Vous êtes un sans-coeur, bien typique de ces économistes sans âme, me direz-vous alors. Comment pouvez-vous vous livrer à des calculs de préférence dans des modèles désincarnés? Il s’agit, en interdisant de fumer dans les lieux publics, de sauver des vies! Comment peut-on tolérer que des non-fumeurs soient soumis au tabagisme passif, empoisonnés par leurs voisins, condamnés à une mort lente et douloureuse?

OK. Tout d’abord, il faudrait rappeler qu’il faut bien mourir un jour (et que ça n’est jamais très agréable) : ces mesures ne “sauvent” pas de vies. Tout au plus vont-elles en prolonger. Combien? Référons-nous donc aux études qui ont conduit les britanniques à mener ce genre d’interdiction. (Voir cet article, accessible gratuitement ici).

Sur 36 études menées, seules 7 ont conclu à un effet notable du tabagisme passif. L’effet constaté est une augmentation de 25% du risque de cancer du poumon pour un non-fumeur soumis au tabagisme passif. 25%? c’est énorme, me direz-vous! sauf qu’à la base, le risque de mort par cancer du poumon pour un non-fumeur est de 10 pour 100 000. Cela fait donc passer ce risque à 12.5 pour 100 000, ce qui reste extrêmement faible. Supposons maintenant que tous les non-fumeurs de France sont soumis au tabagisme passif et subissent ce supplément de risque. Cela fait à peu près 40 millions de personnes concernées, et pour celles-ci, 1000 morts supplémentaires par an. Sur une mortalité annuelle totale de 600 000 morts annuels environ, cela représente 0,16%.

Et rappelons que ce chiffre de 1000 est le chiffre maximaliste : il suppose à la fois que tous les non-fumeurs français subissent actuellement du tabagisme passif, et que pour tous celui-ci sera supprimé. Or bon nombre de français ne sont jamais concernés par le tabagisme passif; et pour les autres, leur tabagisme passif ne se produit pas majoritairement dans les lieux publics (dans lesquels on passe rarement beaucoup de temps, et qui sont souvent d’ores et déjà non-fumeurs), mais à domicile : cela concerne les conjoints et enfants des fumeurs qui fument dans leur maison.

Comme le constate Martin Wolf, si les adversaires du tabagisme passif étaient si désireux de “sauver des vies” la seule chose qu’ils pourraient faire serait d’interdire aux gens de fumer chez eux; pour cela, d’inciter les enfants à dénoncer leurs parents ne respectant pas l’édit; et à faire des visites de police inopinées dans les domiciles, pour y flairer une quelconque odeur de pétun. Ne riez pas : un comté du Maryland l’a fait, avant de retirer cette législation qui en avait fait la risée générale.

Au total donc, cette mesure ne sert à rien d’autre qu’à rendre la vie encore plus pénible pour les fumeurs. Elle témoigne de la zeitgeist, d’une époque en plein délire hygiéniste, qui impose des normes de comportement et d’apparence toujours plus rigides, au mépris des libertés individuelles. Une époque qui stigmatise à la fois les maigres, coupables d’inciter les autres à maigrir, et les gros, coupables d’être laids et de se laisser aller. Quel sera le prochain vice qui conduira les castrateurs à sévir? Les mauvaises pensées, très probablement.

Alexandre Delaigue

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50 Commentaires

  1. >>Au total donc, cette mesure ne sert à rien d’autre qu’à rendre la vie encore plus pénible pour les fumeurs.

    ou à rendre la vie plus agréable aux non-fumeurs.
    L’argument santé publique n’est pas le plus fort pour les "pour interdiction", mais le fait que ça ne puera plus dans les café et qu’on aura pas les cheveux qui puent en se couchant, c’est énorme comme composante du "bonheur intérieur brut", effet beaucoup plus positif que les grinchonneries des fumeurs qui ne pouront plus fumer en présence de non fumeurs seront négative.

    Bref, ça participe plutôt au sentiment de bien-être général.

  2. Tu ne defends pas l’interdiction de fumer en lieux publics sur criteres economiques ? Je te propose de confronter le cout de la mesure et celui d’une chimio standard, pour un cancer VADS classique (larynx, s’il faut un exemple).

  3. Je ne comprends pas les hypothèses de travail dans votre première partie. Il ne s’agit pas d’avoir des bars fumeurs et d’autres non-fumeurs, mais de passer d’une situation partout-partiellement fumeur à partout-non fumeur. Il n’existe pas de "bars non-fumeurs moins cher", à l’heure actuelle, ou alors je ne les connais pas et serait heureux de les decouvrir. Comment votre étude se relie concrètement à la réalité ?

  4. Question : Alexandre Delaigue est-il fumeur ? (je cherche des biais care ce texte en est bourré).

    Vous devriez aussi nous parler des pays comme l’Italie ou l’Irlande, ces pays totalitaires où l’higienisme d’Etat (totalitaire) a interdit la cigarette…

    Vous parlez de "liberté individuelle". J’ai fumé 10 ans et à la fin j’étais à 2 paquets par jours + un troisième entamé le soir. Je me considerais comme un drogué, ce qui était le cas. Et je peux vous dire que ma "liberté individuelle" était humiliée, bafouée, par le besoin grandissant de mon corps de consommer toujours plus de nicotine…

    J’habite aujourd’hui dans un pays où il est interdit de fumer partout dans les lieux publics. Fumer c’est se marginaliser d’une certaine façon. C’est un comportement antisocial. Cette marginalisation du fumeur m’a poussé à arrêter, accompagné de substituts nicotiniques pendant des mois. Je peux vous garantir une chose : je suis libre, enfin libre à présent. Je ne suis plus un drogué. Je ne panique pas si je sors 5 minutes de chez moi sans mes cigarettes et mon briquet. Je suis LIBRE, mon corps n’est plus dépendant d’une substance fortement addictive.

    Voilà, arrêter de fumer m’a permis de devenir enfin libre. La liberté des fumeurs qui fument librement, cela n’existe pas. Un fumeur trouvera tous les arguments pour justifier son tabagisme. Les arguments les pires, un peu comme les votres dans votre billet.

    Bien à Vous

  5. L’auteur du billet est-il fumeur ? C’est effectivement la question que l’on se pose après l’avoir lu. Si c’est le cas, alors peut-être ne peut-il pas comprendre l’argument olfactif invoqué par frigobus ? Ce n’est pas tant le fait que la fréquentation de fumeurs puisse avancer la date de mort de non-fumeurs qui soit un problème que le fait de subir quotidiennement, dans nombre de lieux publics, au travail, mais aussi tout simplement dans la rue, la fumée recrachée par les fumeurs. Pourquoi les expressions "externalités négatives en consommation" ou "effets externes négatifs en consommation" n’apparaissent-elles pas dans le billet ?

  6. Intéressante analyse sur le plan théorique, mais qui néglige le fait qu’on est en situation de quasi-monopole (donc le système économique est biaisé) : les bars et restaurants sont presque tous fumeurs.

    Les gens que la fumée dérange (pas seulement les "intolérants", mais aussi les asthmatiques ou les femmes enceintes…) n’ont donc pas la possibilité d’aller au restaurant, et restent chez eux (on a ainsi une portion de la population qui est contrainte de ne pas consommer). L’interdiction généralisée du tabac dans les lieux publics redonnera la possibilité de consommer à cette partie de la population, étendant ainsi le chiffre d’affaire de l’ensemble des restaurants et bars. C’est (à mon avis) ce qui explique la hausse du chiffre d’affaires des restaurants non-fumeurs.

  7. Dans votre première partie, il me semble exister deux incomplétudes.

    La première est relative au marché immobilier. Si l’un des types d’établissement doit pratiquer des prix plus faibles, il est probable que ses recettes soient aussi moindres (à taux de remplissage constant). Le type d’établissement qui peut pratiquer des prix plus élevés sera donc en mesure de proposer un meilleur prix pour son bail, ce qui lui permettrait de chasser les autres établissements, qui n’existe donc pas.

    La seconde incomplétude est relative au problème d’information. Pratiquer des prix plus faibles et mettre au courant les clients potentiels dans la rue n’est pas possible. C’est du moins beaucoup plus difficile que d’indiquer que l’établissement est non-fumeur. Et comme dans tous les problèmes d’asymétrie d’information, ceci conduit à chasser le bien (le service en l’occurrence) de bonne qualité (non-fumeur).

    Si les établissements non-fumeurs n’existent pas (mis à part peut-être dans les endroits où les retraités américains fortunés et hygiénistes prennent en masse le thé), c’est à mon avis pour ces deux raisons combinées. La mauvaise qualité chasse la bonne du fait du problème d’information et de la meilleure profitabilité des bars fumeurs.

    Je crois que vous aviez fait un post sur les mauvais restaurants à Athènes, le même raisonnement doit pouvoir s’appliquer.

  8. Il me semble que le raisonnement pêche par un biais: il admet que les ajustements sur les comportements de consommation et sur les prix se font rapidement
    D’autre part, la loi Evin avait prévu qu’il y ait une zone non fumeurs dans chaque restaurant, ce qui nécessitait pour ceux ci soit d’avoir plusieurs salles soit d’investir dans une ventilation efficace donc chère (je connais un restaurant qui l’a fait, cela peut marcher)
    Pour le restaurant qui a par exemple deux salles, le risque est que l’une d’entre elles ne soit pas pleine, alors qu’il refuse du monde ailleurs. Il en s’en sort que si les tolérants (fumeurs ou non fumeurs sont majoritaires. Du coup, certains restaurateurs aimeraient que le législateur tranche, soit pour supprimer la loi Evin, soit pour l’interdiction totale, de manière à ne pas perdre de clients
    Pour finir, je suis persuadé que le point de vue exprimé par les uns et les autres ici, reflète le fait qu’ils fument ou non, y compris celui d’Alexandre lui même

  9. Je suis assez d’accord avec Liberté chérie, ce texte est assez biaisé, contrairement aux habitudes de son auteur.
    D’abord, ce ne sont pas seulement des "vies" que sauvera l’interdiction. Ce sont surtout d’atroces souffrances liées aux cancers résultant du tabagisme. En imaginant que cela évite à 100 personnes de vivre ces souffrances (hypothèse minimaliste du tabagisme passif), on peut déjà parfaitement penser que ce gain surpasse largement le léger désagrément, pour les fumeurs, de devoir s’abstenir de fumer dans un bar (et ce d’autant qu’il faut retrancher à ce désagrément tous les petits agréments de l’interdiction, à savoir le bonheur des non-fumeurs intolérants, la fin des vêtements qui puent etc.).
    En termes purement monétaires, je doute que le gain de bars un peu moins cher ne soit pas surpassé par le coût supplémentaire pour l’assurance maladie de centaines de cancers.
    Mais surtout, il faut aller au delà du cadre de raisonnement d’A.D., et prendre en compte les gains de l’interdiction à plus long terme.
    1. Parmi le stock de fumeurs, un certain nombre seront découragés de fumer (ou, pour le dire autrement, les fumeurs "hésitants" auront plus de facilité à arrêter définitivement). On peut penser que leurs souffrances potentielles sont leur problème, moi je pense que l’Etat peut être paternaliste sur ce point, car je ne doute pas que ceux qui subissent un cancer regrettent leur préférence pour le présent.
    2. Surtout, et là c’est un gain net et incontestable, beaucoup d’adolescents ne commenceront probablement jamais à fumer, parce que fumer sera beaucoup moins "cool" – voir relativement pitoyable, quand on verra les fumeurs endurcis sortir à la porte du bar en plein hiver pour assouvir leur addiction.
    Et par la réduction du nombre total de fumeurs par ces deux biais, on réduit aussi mécaniquement le nombre de victimes du tabagisme passif dans les foyers…

  10. C’est une jolie analyse que vous faites. Mais que montre-t-elle ?

    Elle démontre simplement que dans une économie de marché, les prix s’ajustent pour s’adapter aux préférences des consommateurs. Et qu’à partir de là, le libre jeu du marché ne permet pas d’asseoir une politique de santé publique.

    L’interdiction de fumer dans les lieux publics joue sur les comportements en non plus sur les prix. Ceux sont donc eux qui vont s’ajuster avec comme conséquence une diminution du nombre et le la consommation des fumeurs.

    La question de fond devient, une politique de santé publique est-elle légitime ? Il me parait difficile de se prononcer de façon générale. Une des utopies de Jules Vernes (je ne me souviens plus du titre du livre) décrivait une ville où tout le monde devenait centenaire. Cela supposé la suppression du papier peint et le remplacement par des peintures, l’enfermement dans des sanatoriums au moindre rhume et l’interdiction de se serrer la main. La chine de Mao avait interdit le baisé sur la bouche pour des raisons hygiénistes. Je n’aimerais pas vivre dans ces mondes.

    Mais d’un autre coté, l’interdiction de l’amiante comme matériaux de construction ne me parait pas particulièrement scandaleuses.

    Où placer le curseur pour l’interdiction de fumer dans les lieux publics ? Pour ma part, bien que fumeur, je ne trouve pas qu’il s’agisse d’une mauvaise mesure.

  11. En rédigeant ce post, je voulais évoquer deux choses : premièrement, que la lutte contre le tabagisme est devenue une croisade hygiéniste; et deuxièmement, que la future interdiction de fumer dans les lieux publics était une gesticulation inutile et nuisible. Je ne pensais pas avoir tant de commentaires allant dans le sens de la démonstration.

    Il y a différents critères pour reconnaître une croisade. Le premier, c’est la division du monde entre les Gentils et les Méchants. "Vous êtes contre l’interdiction du tabac dans les bars et restaurants! vous êtes certainement un fumeur!". Désolé de décevoir, mais non. J’ai été fumeur, et ai cessé il y a des années avec un immense soulagement. Depuis, je fuis comme la peste les lieux enfumés : le tabac froid provoque chez moi des quintes d’éternuements très pénibles. Je suis donc de ceux qui auraient à gagner si cette interdiction se faisait; mon opposition à cette mesure est fondée sur des considérations pratiques et morales, pas sur mon intérêt personnel.

    Seconde caractéristique : le schématisme. Le monde ne peut qu’être un enfer insupportable, ou un gai paradis dans lequel gazouillent les petits oiseaux. Personne n’a l’air de remarquer que nous vivons désormais dans un monde presque totalement non-fumeur; et que cela a des conséquences. Premièrement, cela limite drastiquement le gain que l’on peut espérer retirer de ce genre d’interdictions supplémentaires; deuxièmement, cela signifie que le problème principal du tabagisme passif, les "externalités", n’existent plus. Il y avait externalité négative lorsque tous les lieux publics étaient fumeurs par défaut; les non-fumeurs n’avaient alors pas le choix. Mais aujourd’hui, ils ont le choix : il existe de nombreux établissements non fumeurs, et il faut le désirer pour subir le tabac des autres. L’externalité est internalisée par le fait que les établissements fumeurs sont délimités, et appartiennent à des propriétaires. Dans ces conditions, le mécanisme des prix fonctionne : je peux refuser d’aller dans un établissement fumeur. Si je le fais malgré tout, c’est soit que j’y trouve un avantage. Soit cet avantage se retrouve dans le prix; soit cet avantage se retrouve dans des spécificités des bars fumeurs (par exemple, une ambiance plus agréable). Le fait que chacun puisse choisir, ou non, d’entrer dans un établissement fumeur internalise l’effet externe.

    Et le fait est qu’il n’y a guère de différence de prix entre les établissements fumeurs et non fumeurs. Ce qui montre que le désagrément généré, s’il existe, ne doit pas être très grand. La parole est facile; le principe de base de l’analyse économique, c’est que l’on déduit les préférences individuelles des actes, pas des paroles. Il y a effet externe lorsque quoi qu’on fasse, on ne peut échapper à l’effet externe; mais lorsqu’on entre volontairement dans un lieu enfumé, on n’a pas à se plaindre : le mécanisme des prix assure que la satisfaction globale sera maximale.

    Dernière caractéristique de la croisade : le refus de mesurer les conséquences réelles. Le seul tabagisme passif involontaire résiduel n’est pas celui que l’on trouve dans les lieux publics (ou l’on choisit d’aller, et ou l’on ne passe pas toute sa vie), mais dans les domiciles. La mesure envisagée ne vise donc pas un objectif de santé publique, parce qu’aucun calcul ne peut en montrer l’efficacité (et que si tel était vraiment l’objectif, il faudrait interdire totalement le tabac, comme c’est le cas du cannabis) : il s’agit simplement de traiter les fumeurs comme les lépreux du monde moderne, de leur rendre la vie tellement impossible que l’on espère qu’ils finiront par renoncer à leur vice. Qui seront les prochains sur la liste? Les mangeurs de foie gras? Les amateurs de fast-food? les buveurs de bière?

  12. Houlà, Alexandre, quelle verve. Mais la faiblesse des différences de prix ne s’explique pas seulement par un argument de préférences révélées: nous sommes sur un marché où les coûts de recherche de l’information sont considérables : pour savoir si un bar est fumeur et quelle est la différence de prix avec un bar non-fumeur, il faut y aller, et bien souvent y entrer (avec le coût social d’en ressortir pour en chercher un autre, ce qui ne "se fait pas" socialement).

  13. Maintenant, quelques réponses individualisées :

    – frigobus : cela ne contribuerait que s’il n’y avait pas d’autre choix que d’aller dans des lieux fumeurs. Mais il eciste aujourd’hui des établissements non fumeurs, d’ailleurs de plus en plus nombreux. Donc non, cette interdiction n’accroitra pas la satisfaction des non-fumeurs. Elle n’accroitra que celle des non-fumeurs qui prétendent être génés par la fumée mais passent néanmoins des heures dans des cafés enfumés. Je vois mal ou se trouve l’avantage.

    françois : A cette aune-là, pourquoi ne pas interdire le tabac en totalité, et l’alcool en totalité? combien coûte le traitement d’une cirrhose? Tant qu’à aller par là, d’ailleurs, le tabagisme réduit les coûts du système social : un cancer à 55 ans coûte moins cher que 25 ans de retraite après 60 ans et les traitements qui vont avec. On n’est pas là pour mesurer des coûts partiels : le problème de cette mesure est qu’elle ne génère aucun gain en bien-être total.

    Matthieu : en effet. Il existe des établissements fumeur et des non-fumeur, et pourtant, aucune différence de prix entre les deux types. Question : que peut-on en déduire sur l’ampleur réelle du désagrément causé par le tababisme passif? Réponse : qu’il est dérisoire. Quand on va dans un bar, on subit la présence d’alcooliques braillards, d’une télé qui beugle, et d’un fond sonore à base de Britney Spears. Et aussi, d’une odeur de fumée. Ceux qui n’aiment pas cela peuvent se passer d’aller au bar.

    Liberté chérie : ben non, perdu. Et vous nous expliquez simplement que fumer, c’est mal. Ben oui. Boire, aussi. Vivre, aussi : c’est souvent très ennuyeux, et invariablement mortel au bout d’un moment.

    Moggio : perdu aussi. Et si ce billet ne parle pas d’externalités, c’est parce qu’elles ont disparu; et que les non-fumeurs, après avoir subi pendant des années les désagréments lié au comportement des fumeurs, s’apprètent à recréer des externalités. Il y a deux situations dans lesquelles il y a des effets externes : quand la fumée est autorisée partout, et quand elle est interdite partout. La seule façon de ne pas en avoir, c’est la variété.

    N. Holzschuch : Il y a déjà des établissements non-fumeurs. Pas assez, peut-être; mais si l’objectif est de faire en sorte d’éviter de priver une partie de la population de certaines consommations, alors, pourquoi en priver les fumeurs?

    William : La prise en compte du marché immobilier ne fera qu’une chose : s’il y a une différence de tarif entre lieux fumeurs et non fumeurs, elle sera captée par les propriétaires des bâtiments. Au total la rémunération des exploitants de bars fumeurs et non-fumeurs restera la même (c’est un calcul de base de rente différentielle qui permet de le voir). Donc il n’y a pas d’effet d’antisélection. Ceci d’autant plus qu’il n’est pas difficile de trouver l’information; voir par exemple le site internet cité dans l’article de libé, ou tout simplement le panneau sur la porte de l’établissement… Le caractère "fumeur" est beaucoup plus facile à déceler que la qualité de la nourriture par exemple.

    Verel : la seule solution valable au problème, c’est la diversité des offres.

    Xavier : Vous supposez des gains qui n’existent plus, faute d’externalités subsistantes. Par ailleurs, si le tabac est si mauvais, pourquoi n’est-il pas totalement interdit? Vous donnez des arguments dans le sens d’une telle interdiction; pas dans celui d’une interdiction cantonnée aux lieux publics. Quelle est la morale d’une telle contrainte?

    Leconomiste : Merci de ce commentaire, je vais aller voir cela attentivement.

    Henri : vous avez entièrement raison : la question qui se pose est celle du point ou poser un curseur. Mon argument, c’est que cette interdiction supplémentaire le pousse trop loin, à un point ou les limitations de libertés individuelles ne valent pas les gains fantasmatiques que l’on va obtenir. Que l’on informe sur les effets du tabagisme, ok; à la limite, que l’on subventionne les lieux non-fumeurs, ou qu’on taxe les lieux fumeurs, ok! mais là, c’est aller trop loin.

    jck : pas mal :-). cela dit, le second point de l’abstract sent un peu la junk science. Les fumeurs étant majoritairement jeunes, il n’est pas étonnant qu’ils aient des revenus plus faibles que la moyenne, sans que l’on puisse en déduire quoi que ce soit sur les inégalités. Les auteurs ont-ils pris en compte cet effet? Je vais aller regarder le papier.

  14. D’accord pour dénoncer le schématisme, mais l’idéal serait alors de répondre aux objections précises (cf, modestement, mon msg précédent) et de ne pas présenter des alternatives un rien schématiques (tout interdire ou tout permettre, comme s’il n’y avait rien au milieu).

    Le bien-être d’un individu n’est pas toujours assimilable à ses préférences révélées. Le serveur à qui cela ne pose pas vraiment de problème de travailler dans un bar enfumé se dira qu’il a fait preuve de myopie lorsqu’il aura un cancer.

    On peut parfaitement s’opposer à l’interdiction pour des raisons déontologiques (genre liberté individuelle), mais il existe une argumentation utilitariste solide en sa faveur, donc ce n’est pas très "sport" dire que ceux qui sont pour sont nécessairement des hygiénistes moralisants qui considèrent que fumer est un vice.

  15. "Par ailleurs, si le tabac est si mauvais, pourquoi n’est-il pas totalement interdit? Vous donnez des arguments dans le sens d’une telle interdiction; pas dans celui d’une interdiction cantonnée aux lieux publics"

    Les coûts d’une interdiction totale sont multiples (cf la prohibition aux US, etc.). Et même si les gains en bien-être étaient supérieurs aux coûts (ce que j’ignore), cela ne m’empêcherait pas d’être favorable – en attendant – à une mesure dont les coûts sont très faibles (léger désagrément pour certains) pour un gain très fort (des cancers évités).

    La morale est utilitariste (car je me prononce sur le bien-être total) et pragmatique (car même si l’interdiction totale était bénéfique, ce dont je doute, elle n’est pas prêt d’être adoptée…)

  16. Xavier : il est difficile de rendre justice à tous les commentaires :-). Mais pour développer l’argumentation utilitariste, elle bute ici sur la difficulté d’évaluer précisément les bénéfices, qui apparaissent comme extrêmement faibles pour cette mesure précise. Qui dans la population est concerné par le tabagisme passif? Plus grand monde. Vous citez l’exemple des personnels de restaurants obligés de subir le tabagisme passif; mais il est probable qu’une proportion notable d’entre eux est fumeur et donc non avantégée par la mesure. Je le répète, le problème d’une justification utilitariste, c’est qu’elle repose sur des effets très faibles du tabagisme passif, d’autant plus qu’il est d’ores et déjà extrêmement circonscrit. Or, la contrepartie, c’est pénaliser 20 millions de fumeurs. Ce qui implique pour un bon calcul utilitariste des gains amha plus élevés que cela (n’oublions pas par ailleurs que le strict calcul des coûts pour le système de santé donne un résultat favorable au tabac…). Je reconnais que là, il y a une différence d’estimation irréductible : vous dites “100 cancers évités, cela vaut d’importuner 20 millions de fumeurs”. Pour moi, ce chiffre est probablement surestimé, pour diverses raisons; et le désagrément ne doit pas être sous-estimé non plus; j’ajouterai même que 100 cancers évités ne me semblent pas, même s’ils étaient avérés, une raison suffisante. Autre aspect, la question des préférences révélées. Vous avez raison d’en critiquer l’usage, mais vous oubliez que dans ce cas précis, elles vont dans l’autre sens. Les gens tendent à surestimer les méfaits du tabac, pas à les sous-estimer. Par sondage, si on demande aux gens combien d’années de vie fumer leur fait perdre, ils répondent en moyenne par beaucoup plus que le chiffre réel. Donc les dangers du tabac, et du tabagisme passif, sont déjà surestimés par les individus. Ce qui tend à nuancer l’argument de la myopie, qui est plutôt de l’hypermétropie sur ce sujet. Dernier point enfin : vous envisagez des gains à long terme, je vois de mon coté des conséquences dommageables à long terme : le développement indéfini d’un paternalisme toujours plus dur et normalisateur. C’est à dessein que j’ai cité en fin de post un épisode de South Park particulièrement féroce.

  17. "François : A cette aune-là, pourquoi ne pas interdire le tabac en totalité, et l’alcool en totalité?"

    Je te cite une position construite sur le mode inverse de la tienne pour montrer, justement, qu’à mes yeux, "l’aune" (l’argument) économique n’a pas beaucoup de valeur dans le débat.

    Dans plusieurs parties de ton/tes texte(s), par exemple, tu évoques les faibles "gains" de la mesure, or toute mesure de santé publique est susceptible de fonctionner avec un rendement décroissant. Je ne pense pas qu’il y ait là une caractéristique propre de l’interdiction du tabac. Sur la "croisade hygiéniste", il faut aussi souligner que ce mouvement a toujours eu du mal à s’ancrer en France (Murard et Zylberman pour une approche historique).

    Il vous reste la chique (mouahaha).

    Nota : tout le monde a l’air de penser qu’il faut poster sa bio pour pouvoir s’exprimer sur le sujet. Je ne le pense pas, et je me fous éperdumment de savoir qui fume dans les commentaires, mais si cela peut revetir une forme de pertinence pour certains, j’ai fumé des brunes non filtrées pendant trois ans et demi (le paquet bleu qui s’ouvre sur le cote, le moins cher a l’epoque, 19 francs), mais je n’ai jamais cessé de penser, meme a l’époque, que certaines arrieres-salles irrespirables et le panier du linge sale se porteraient mieux si l’on se contentait de fumer a l’air libre, ce que j’ai toujours préféré.

  18. héhé, c’est assez bizarre que vous continuez à affirmer que "puisqu’il n’y a pas de différence de prix, c’est que les gens ne sont pas tellement gênés". Je crois que les réactions vous montrent que les gens sont gênés, qu’ils vont dans les bars quand même parce qu’ils n’ont pas choix, et que vous vous êtes trompé quelque part… pourquoi ne pas réfléchir à ça plutôt que vous réfugier dans la rebellion contre l’ordre moral (plus vous dites que j’ai tort, plus ça prouve que j’ai raison…) bon, je sais que mon post est complètement inutile, mais il fait toujours plaisir au sociologue de rappeller à l’économiste que les gens dont il parle existent… A mon avis, les gouts n’étant pas hors du social, la sensibilité à la fumée se développe (je crois que votre argument sur la faible gêne occasionnée par le tabac du fait de son interdiction progressive néglige le fait qu’on est plus sensible à une nuisance qui se raréfie, et donc que vous sous-estimez largement la gêne dont on vous parle) et sans cette loi, nous aurions vu bientôt une augmentation des cafés non fumeurs. Mais bon, les prévisions des sociologues, pour ce que ça vaut…

  19. Un élément de plus à verser au débat : il manque dans ce schéma la catégorie des fumeurs qui aimeraient bien que les bars soient non fumeurs (vanb.typepad.com/versac/2… ) pour s’obliger à ne pas fumer (on peut aussi y inclure ceux qui commencent à fumer dans les bars par suivisme). L’augmentation du prix des bars anciennement fumeurs peut donc être vu comme un investissement collectif pour aider ces personnes à arrêter (ou à ne pas commencer), non ?

  20. Mais non il ne faut pas mourir. C’est mal et surtout contre le principe de precautions.

    Deux observations:
    1. Ton raisonement economique est sain, les comportements societaux le sont moins. Si l’on imagine que les fumeurs boivent plus, il y aura plus de bars fumeurs. S’ils ont plus d’amis (peut etre car ils boivent plus?), ils creeront d’autant plus de traffic dans les troquets… enfumes!

    2. Fumer tue. Beaucoup plus (entre 8 et 10 plus que la route). Pourquoi donc nous fait t-on autant chier avec la securite routiere? (je n’ai pas compare les budgets de la securite routiere a ceux de la lutte anti-tabac mais…)

  21. Bien qu’étant non fumeur, je commence aussi par être agacé par certaines mesures récentes, que je trouve un peu ridicules et hypocrites, par exemple la fermeture du bureau de tabac de l’assemblée nationale. Si des parlementaires fument ce n’est pas parce qu’il y a un bureau de tabac dans les locaux de l’assemblée, et ce n’est pas en fermant ce point de vente qu’ils vont arrêter. C’est juste un coup médiatique, tout ça.
    En revanche, dans votre argumentation, vous oubliez une donnée importante dans une démocratie : l’opinion publique, qui est très majoritairement favorable à l’interdication, y compris parmi les fumeurs ( http://www.ifop.com/europe/sonda... )
    En tenir compte est peut-être du populisme, mais il est difficile de reprocher au gouvernement d’aller dans le sens de l’opinion populaire.

  22. Comment ça il faut le désirer pour subir le tabac des autres?

    Il me semble au contraire que la loi étant violée très souvent dans les restaurants ou ailleurs ce n’est pas si facile . Quant à trouver des lieux publics exempts de tabagisme ça reste souvent une utopie …

    Je ne viens pas au restaurant pour balancer des boules puantes ou pour incommoder les autres avec
    des fumigènes…
    Alors où est l’intolérance?

    Je trouve ce billet détestable ( de plus l’auteur ne répond pas aux arguments ) et bien cactéristique de l’horreur économique !

  23. Alexandre a dit :
    "Liberté chérie : ben non, perdu. Et vous nous expliquez simplement que fumer, c’est mal. "

    Vous m’avez mal lu et me faites dire ce que je ne dit pas. Je dit : la liberté du fumeur n’existe pas car fumer est dans la majorité le résultat d’une dépendance. C’est un comportement toxicomane. En résumé, fumer c’est se droguer. Je ne parle pas sur le plan moral mais sur le plan physique évidemment.

    Donc, le fumeur n’est pas libre de fumer, il est obligé de fumer car il est dépendant d’un produit fortement addictif.

  24. Alexandre vous éxagérez les coûts de beaucoup : la mesure ne gêne pas 20 millions de fumeurs. Déjà, il y a un peu moins de 12 millions de fumeurs réguliers en France (http://www.insee.fr/fr/ffc/chifc... ) et parmi eux, il ne faudrait tenir compte que de la fraction qui fréquentent régulièrement un bar et même là, retirer les fumeurs qui comptent profiter de cette mesure pour arrêter de fumer.

    De plus, vous avez prouvé vous-même que le coût économique est nul.

    A mon avis, vous sous-estimez énormément les avantages de cette interdiction. Déjà, ne mettons pas la consommation de tabac à égalité avec la consommation de foie gras : le tabac est un véritable fléau pour la santé. 60 000 personnes en meure chaque année, 1/3 des hommes entre 35 et 69 ans meurent à cause du tabac (voyez par exemple http://www.ofdt.fr/ofdtdev/live/...
    )

    Pire : les méfaits du tabac sont non seulement une évidence statistique mais également une évidence médicale. 90 % des cancers du poumon chez l’homme sont attribuables au tabac.

    Vous parlez de « paternalisme » et de « croisade hygiéniste ». Sincèrement, je suis affreusement d’accord avec vous (et vous pourriez aussi parler des étiquettes qui attendent les femmes enceintes sur les bouteilles de vin). Mais je ne trouve pas vos arguments « économique » et vos estimations de coûts et de gains très pertinentes.

    A mon avis, le coeur du débat est plutôt moral, ou éthique. Pour faire court : n’y-a-t’il pas un impératif moral pour les pouvoirs publics à empêcher les gens de s’empoisonner ?

    Ou, au contraire, ne devrait-on pas laisser chacun libre de s’empoisonner comme il le veut ?

    Autre question : peut-on ajouter la condition qu’il ne doit pas empoisonner les autres ?

  25. Mais, vraiment, je m’interroge : ou trouvez-vous tout ces "bars non-fumeurs de plus en plus en nombreux" ? A Paris peut-etre, ou je ne connais que quelques coins. A Nancy, ou j’ai fais mes études, je n’en ai jamais vu, et pourtant j’en ai fréquenté, des bars !

    Je ne me lancerais pas dans des considérations économiqes de haut vol, je n’en ai pas la compétence, mais en terme de respect ou de santé publique, je ne pense pas que le raisonnement économique soit vraiment pertinent. Dans mon monde de bars TOUS fumeurs (avec au maximum une soit-disant zone non-fumeurs sans séparation), les fumeurs ont le choix de ne pas fumer, les non-fumeurs n’ont que le choix de ne pas venir dans le bar…

    Autre chose : autant, quand j’étais plus jeune, je supportais assez bien la fumée des autres, autant maintenant, quand quelqu’un a une table proche allume une cigarette, cela me dérange tellement que je pars tres vite après. Pareil pour ma compagne. pas très bon pour la consommation ! Je me demande si ce genre d’externalité ne devrait pas être pris en compte dans votre raisonnement. Allez, je tente ce que je peux : avec une interdiction générale, les restaurateurs ne perdraient pas les clients fumeurs, qui n’auraient pas le choix, et récupèreraient des clients non-fumeurs.

    Dernière idée pour la route : de mon point de vue de non-fumeur, un fumeur qui ne peut pas fumer est moins malheureux qu’un non-fumeur qui subit de la fumée. Donc l’interdiction augmenterait le bonheur général. Mais c’est subjectif 🙂

  26. Ben voyons…
    Cette analyse est très interessante, en ce qu’elle montre bien le biais économiste qui tend à évaluer les situations après coup en considérant les calculs coût avantages, et les compensations monétaires et autres variations de prix "régulatrices"…après coup, sans forcément s’interroger sur le fait initial, en le prenant comme une donnée fatale. A ce compte, on peut tout justifier, et nier la pertinence de tout interdit.
    Exemple, supposons pour les besoins de la démonstration que je décide dorénavant d’adopter un comportement aggressif pour mes compatriotes. Par exemple, je décide de lancer une pierre du haut de mon appartement sur toute personne casquée qui passe à proximité, sachant qu’il y a une station essence en bas de l’immeuble. 3 possibilités : les personnes qui viennent à la station retirent leur casque, les personnes qui viennent à la station prennent le risque calculé de recevoir un caillou, sachant que je ne suis pas tout le temps à la fenêtre, que j’ai mes habitudes, et qu’après tout il y a un casque. Enfin, un troisième groupe décide de ne plus venir à cette station (au vu du risque estimé). Notons que dans cette éventualité, la station peut parfaitement baisser ses prix pour modifier les paramètres du calcul coût avantage en question.
    Cordialement !

  27. Une analyse des termes employés par Alexandre nous montre qu’il a, pour l’occasion, abandonné la rigueur scientifique qui caractérise ses écrits d’habitude :
    "Plus grand monde", "il est probable qu’une proportion notable d’entre eux est fumeur", "pénaliser 20 millions de fumeurs"… S’il lisait de tels arguments pour un autre sujet, il s’emporterait sur ce manque de rigueur scientifique.

    Par exemple, le nombre, 20 millions de fumeurs, ça impressionne tout de suite. Ça impressionne moins si on le ramène à la population totale : on pourrait aussi dire 30 % de la population… C’est la même chose, et pourtant l’image n’est pas la même.

    Je passe sur les "probable" et les "proportions notables", qui veulent dire "j’ai la flemme de chercher des données factuelles, alors j’invente". Puisque visiblement le but est de nous donner le point de vue d’un fumeur, et qu’il n’a pas la moindre idée de ce qu’est le monde pour un non-fumeur, on va raconter. Avant de raler sur les mesures, ça serait bien d’être d’accord sur l’état des lieux…

    Par exemple, l’affichage. La présence d’une affiche "non fumeur" sur la porte du bar ou dans un coin ne signifie rien. Le plus souvent, le patron l’a mise là pour faire semblant de respecter la loi Evin. La seule solution pour savoir si un établissement est non-fumeur, c’est d’y entrer, d’observer, de s’y installer… et d’être prêt à partir si la situation change.

    Parce qu’il ne faut pas oublier que le tabac, c’est une drogue. Un fumeur qui allume sa clope, il ne se soucie *que* de savoir si le briquet marche. Pas de savoir s’il est en zone non-fumeur, ou à coté de quelqu’un… J’ai vu des gens allumer leur cigarette *sous* le panneau "Non fumeur" (très gros, en bleu et rouge, impossible à manquer… sauf pour un drogué en manque). Comme on a affaire à un drogué, le raisonnement a ses limites aussi :
    – Excusez-moi, vous êtes dans un endroit/en zone/sous le panneau non-fumeur…
    s’attire des réponses du style :
    – bah, je suis loin des gens
    – personne ne peut la sentir
    – ça vous dérange vraiment ?
    – vous êtes un gros emmerdeur, mêlez-vous de ce qui vous regarde.
    – j’m’en fous/j’t’emmerde

    Donc voilà, l’état des lieux aujourd’hui c’est ça : si le restaurant est mixte (fumeur/non fumeur), en pratique il devient entièrement fumeur à cause de la propension des gens à ne pas regarder autour d’eux avant d’allumer la clope. Et très peu de restaurants intégralement non-fumeurs (3 %), encore moins de bars.

    Mais pourquoi, me direz-vous, puisqu’Alexandre a démontré que ça devrait s’équilibrer, et que si 70 % de la population française avait vraiment envie d’aller dans un restaurant non-fumeur, il suffirait au patron du restaurant de monter ses prix (ou de les descendre, je ne sais plus) pour qu’on arrive à un équilibre. Eh bien, à mon avis, parce qu’on est dans une situation de prise de décision avec information partielle. La personne qui décide si le bar est fumeur ou non, c’est le patron du bar (logique). Le patron du bar base sa décision sur ce qu’il voit : sa clientèle de tous les jours. Fumeurs. Qui lui dit "si tu fais ça, on vient plus chez toi". L’avis de l’autre partie de la population (non-fumeur), qui ne vient déja plus au bar, n’est pas exprimé, ni pris en compte… Il est d’ailleurs intéressant que les restaurants non-fumeurs que je connais correspondent à chaque fois à des *créations* (le patron, en créant son restau, décide de le faire non-fumeur en entier). Quelqu’un pourrait parler de "Société bloquée"…

  28. "Sur 36 études menées, seules 7 ont conclu à un effet notable du tabagisme passif. "
    une simple recherche dans ma base d’abstracts ScienceDirect me donne 204 articles contenant "passive smokers" dans l’abstract. Et encore, c’est juste une base rattachée à Elsevier, ça n’inclut pas tous les Lancet,… Donc les 36 études, je ne vois pas bien d’où vous tenez ce chiffre.
    De plus, le tabagisme passif ne cause pas que des cancers des poumons. Je cite par exemple une des revues francophones prise au hasard dans la liste de 204 articles (Veyssier Belot, Rev.Méd.Interne,18(1997)702),: Chez l’homme, la consommation passive de tabac est mal tolerée par les patients souffrant d’angine de poitrine [59]. Elle est aussi associee a une augmentation de la mortalité cardiovasculaire d’environ 30 % [26]. Les << fumeurs passifs >> ont des anomalies biologiques qui les rapprochent des fumeurs telles qu’une augmentation du fibrinogene [60], une reactivite plaquettaire accrue [61] ou une dysfonction endotheliale [62].

    Bref, votre article est singulièrement différent de vos articles précédents, en ce sens qu’il est particulièrement biaisé et reprend des chiffres faux. On sent que c’est l’humain qui parle avec son affect et ses préjugés, pas l’économiste scientifique…

  29. Comme je le disais précédemment, je voulais montrer que le tabac est affaire de croisade, pas de discussion sensée; je ne pensais pas recevoir autant de preuves en un temps si court. J’aurais appris aujourd’hui qu’il y a des gens, pauvres victimes, contraintes d’aller dans des bars alors que cela sent la fumée. On ne respecte visiblement pas assez ces poilus de Verdun du 21ème siècle. J’aurai appris aussi que se déclarer favorable à la diversité – l’existence de lieux fumeurs et non-fumeurs – est déclarer que "le tabac n’est pas nocif", en étant probablement un suppôt du grand capital cigarettier. Au cas ou, je rappelle que ce n’était pas le but.
    Je remercie les commentateurs qui ont fait l’effort de vouloir mener une vraie discussion. Ceux qui veulent des références peuvent profiter de la magie de l’internet en cliquant sur les liens du post; ceux qui veulent trouver des établissements non fumeurs peuvent aller voir le lien sur l’article dans libération. Et je laisse tomber cette discussion qui devient rapidement inutile.

  30. Vous prenez les choses étonnament à coeur. Ne perdez pas votre rigueur au passage, vous vous emportez. Par exemple, le lien que vous m’indiquez pour trouver des établissements non fumeurs (<a href="smokefreeworld.com/france… la</a>) dépasse rarement le chiffre de 1 par département, sauf lyon et paris. Et ce ne sont que des restaurants, pas des bars. Bref, c’est ce que je disais, l’offre est négligeable ! Sur quoi repose votre raisonnement, vraiment

  31. Concernant l’analyse microéconomique passionnante qui est faite ici, comment peut-on expliquer que la plupart des restaurants sont mixtes, et que le coin non-fumeur soit au fonds ou au sous-sol? Cela s’apparente à une hausse de prix supportée par les non-fumeurs, qui n’est compensée par aucun plaisir supplémentaire. Les fumeurs paient le prix normal et ont la possibilité d’en griller une à la fin du repas "gratuitement". La loi Evin semble avoir échoué sur ce point, non?

    Sinon je suis tout à fait d’accord avec la défense des libertés individuelles. La lutte contre le tabagisme passif est légitime, mais contre le tabagisme actif seule l’information est justifiée. Il y a un hic : dans un état-providence, on arrive vite à un calcul du type "Combien le plaisir de fumer de mon voisin va-t-il me coûter en frais de Sécu pour soigner son cancer?" ou bien pour un homme politique "J’interdis de fumer pour ne pas finir devant un tribunal du fait du principe de précaution". Prenons garde avant d’interdire et de dire aux gens "faites ceci, c’est pour votre bien". Afin que le lecteur ne doute pas de mes intentions, je précise que je suis non-fumeur impénitent, et que le cancer je connais.

  32. "On the identification of the effect of smoking on mortality", disponible ici

    cemmap.ifs.org.uk/wps/cwp…

    Les auteurs font une remarque intéressante au niveau méthodologique, concernant une possible auto sélection d’un certain type de gens vers la consommation de cigarettes.
    Attention, vu la tonalité des débats récents en ces lieux, je préviens tout de suite: c’est un papier de deux horribles économistes (français) de Londres…
    Avant de passer à leur analyse empirique, les auteurs passent en revue différentes approches méthodologiques (médicale, épidémiologique, économique) et ils fournissent aussi un tour d’horizon historique sur la controverse engendrée par le tabac.
    Je fais confiance à l’auto sélection des lecteurs (l’effort de lecture nécessaire est assez conséquent pour atteindre l’équilibre séparateur!) en espérant que seuls ceux qui ne font pas de graves crises de c$£nerie à la simple vue d’un raisonnement économique iront voir…
    Bon allez, peut-être que tous ces coups de sang, c’était la faute à la pleine lune
    faculty.washington.edu/ch…
    Bon weekend chers éconoclastes 😉

  33. Je crois que le récent investissement de quelques députés UMP dans la lutte contre "l’alcoolisme dans les grandes écoles" témoigne en faveur de la thèse de la tentation hygiéniste signalée par A.D.

    La politique est l’art de traiter les questions sociales en suspens au moment opportun.

    Le côté obscur de la politique, c’est d’exploiter à des fins partisanes la volonté de ses prédécesseurs de laisser le temps faire oeuvre de consensus pour soulever des problèmes là où en fait n’existaient que des questions en suspens. Le tabac est, à mon avis, une de ces questions. Sujet d’autant plus précieux qu’il permettra aux deux candidats les plus populaires à l’élection présidentielle de se distinguer de tous les autres par ce curieux équilibre infantilisant qui consiste à forcer les gens à être en bonne santé malgré eux par tous les moyens (sauf, bien entendu, lorsqu’on parle de pollution automobile, industrielle, de pesticides ou d’OGMs, de retraitement des ordures ménagères et de la relation entre consommation ordinaire et santé bien entendu)

    C’est donc de par la nature profondément politicienne de la manoeuvre attaquant simultanément tabac, alcool et obésité, spectre conciliant, dans une rare convergence, santé publique, tentation sécuritaire et dépenses publiques, qu’il semble si délicat d’adresser la question en termes économiques.

    Admettre à mon avis une bonne fois pour toute le fait que nos élus choisissent leur propre intéêt contre l’intéêt public en toutes circonstances simplifierait certainement le débat économique relatif ?

    http://www.lefigaro.fr/france/20...

    Pour tenter d’agir en profondeur, l’EM-Lyon implique les associations d’étudiants. «Quand la direction menace ou interdit, ça ne sert pas à grand chose, explique la direction, quand c’est le conseil de la corporation, les choses changent.» À l’ESCP-EAP, la direction est parvenue à imposer des doseurs sur les bouteilles, «pour éviter les rations énormes»…

    "Le phénomène est en tout cas pris au sérieux par les députés qui ont créé une mission parlementaire sur la santé des étudiants et ont l’intention de consacrer une large part de leurs travaux aux problèmes d’alcool. Afin, selon le président de la mission, l’UMP Laurent Wauquiez, de «ne plus laisser faire n’importe quoi»."

    Je ne suis pas certain que vouloir contribuer avec des arguments scientifiques à un débat politique soit constructif.

  34. Pour paraphraser leconomiste dans son <href="leconomiste.free.fr/notes… récent billet>, je pense que le raisonnement du d’Alexandre est juste, mais qu’il traite d’une situation qui ne correspond pas à la réalité et en particulier qu’il néglige les problèmes de coordination et de coût de recherche.

    Aujourd’hui, 99.9% des bars sont fumeurs. Considérons les incitations d’un bar qui est fumeur à devenir non-fumeur. Que se passerait-il juste après que le bar soit devenu entièrement non-fumeur? D’une part, le bar va perdre l’intégralité de sa clientèle fumeur qui pourra très facilement trouver une alternative de l’autre côté de la rue. D’autre part, le bar ne pourra capturer qu’une part infime de la clientèle potentielle qui préfèrerait les bar non fumeur. En effet, pour les clients potentiels du bar non-fumeur, il est probablement rationnel de ne pas faire l’effort de chercher le bar non-fumeur puisqu’ils savent qu’en essayant au hasard, ils n’ont qu’une faible probabilité de le trouver. Dans ces conditions, le bar verrait sans doute son chiffre d’affaire chuter et aucun bar ne serait assez fou pour devenir non-fumeur si les tous les autres restent fumeur. Cela me semble assez bien décrire la situation actuelle du point de vue des bars.

    Je suspecte que nous sommes en fait dans une situation d’équilibre (de Nash) multiples. Si tous les bars sont non-fumeur, aucun d’entre eux n’a d’incitation à dévier. Au contraire, si il y avait une forte proportion de bar non-fumeurs, alors il serait peut-être possible aux deux stratégies (fumeur / non-fumeur) de coexister à l’équilibre. Les clients non-fumeurs trouveraient rationnel de chercher les bar non-fumeurs puisqu’ils savent qu’il y a une chance raisonnable d’en trouver un rapidement. Les bars trouveraient également rentables d’avoir une politique non-fumeur puisque qu’ils sont assurés d’avoir une clientèle qui fera l’effort de les trouver.

    Le problème est savoir comment passer d’un équilibre à l’autre alors qu’ils sont tout deux localement stable. Dans ces conditions, le recours à la réglementation pour forcer le passage d’un équilibre à un autre parait tout à fait justifié. Et ceci d’autant plus que l’équilibre de départ (tous les bars sont fumeurs) est probablement largement inférieur à celui d’arrivée en termes de bien-être, étant donné l’accroissement du "nombre d’années en bonne santé" de la population et le fait qu’il est en pratique impossible de "taxer" les fumeurs pour compenser les externalités non-pécunières (risque sanitaire) qu’ils font subir aux non-fumeurs. Que le prix du paquet de cigarette soit à 15 euros (ou 100…) ne fait rien pour protéger directement mes poumons de la fumée des cigarettes fumées par d’autres.

    Et c’est aussi pourquoi la situation de départ décrite dans l’exemple d’Alexandre ("soient deux bars, un fumeur, et un non-fumeur") est complètement fictive puisque en réalité 100% des bars sont fumeurs et qu’aucun de ces bars ne veut être le premier à changer de stratégie même si cela bénéficierait à tout le monde.

  35. @Matthieu : “Vous prenez les choses étonnament à coeur. Ne perdez pas votre rigueur au passage, vous vous emportez.” Mouarf, mieux vaut lire ça que d’être aveugle… Pour ne pas couper court efficacement à cette liste de commentaires d’une qualité et d’une bienveillance très inégale, il faudrait être un saint et avoir du temps à perdre. Or, Alexandre, je présume, n’est ni un saint ni immortel… Rigueur et emportement n’ont rien à voir là dedans. Je le trouve étrangement calme, pour tout dire. Encore merci à ceux qui ont pondu des réactions discutables (au sens où on peut en discuter), jugeant la validité des propos en apportant des éléments autres que tirés de leur expérience de pilier de bar.

  36. Je tiens juste à dire, si je n’ai pas été clair la première fois, que ce n’est pas la qualité « économique » des arguments d’Alexandre qui me gêne. Encore heureux ! La toile est vaste, et si je suis ici, c’est pour entendre parler d’économie, que diable ! 🙂

    Non, ce qui me frappe, c’est que les arguments économiques semblent ici mener à un point neutre : je ressort surtout convaincu que l’interdiction de fumer dans les bars aura, une fois la période d’adaptation passé, pas d’influence sur l’économie de ceux-ci. Ou du moins, les arguments d’Alexandre et des commentateurs de ce billet ne m’ont pas convaincu du contraire.

    Ainsi, pour ma part, j’estime que cette mesure ne doit pas être évaluée du point de vue économique.

    Et je le redis : cette conclusion, je la fais *après* vous avoir lu. Elle n’invalide en rien la nécessité de ce billet.

  37. Cher Alexandre, désolé de me joindre à la fronde des lecteurs econoclaste mais, contrairement aux bonnes habitudes de ce blog, je trouve le raisonnement économique est ici assez … fumeux! Comme vous le dites vous même, le positionnement par apport à cet interdiction reste très subjectif. D’où le fait que je déplore l’emploi d’un raisonnement utilitariste ici.
    D’abord, vous partez de l’hypothèse qu’il existe des bars fumeurs et non fumeurs. Or, je ne connais qu’un bar partiellement non fumeur(selon les jours), à Paris (le zéro de conduite) – et vu la taille, je ne sais comment il aurait pu proposer un espace non-fumeur réglementaire. Il serait peût-être plus constructif de s’interroger sur le pourquoi de la quasi inexistance des bars non-fumeurs, et si une contrainte légale est une réponse valable à (l’apparente) imperfection de ce marché. Beaucoup de commentaire allaient dans ce sens, évoquant les monopoles locaux, les asymétries et les couts d’informations, mais aussi les "normes" sociales (je m’arrete là, mais il y a vraiment matière à creuser, et je n’ai malheureusement pas d’étude empirique à proposer).
    Ensuite, j’aimerais commenter rapidement cette phrase :"le même raisonnement qui s’appliquait pour les prix s’applique pour les salaires; s’il y a des préférences marquées du personnel pour travailler dans des lieux non fumeurs, cela devrait se voir dans des différences salariales (des salaires plus élevés dans les lieux fumeurs)." Vous comme moi connaissons les asymétries de pouvoir qui sont liées aux négociations salariales. Le droit du travail n’en est que la reconnaissance. Je ne crois pas qu’un raisonnement économique sérieux puisse éclipser cette particularité de marché du travail et affirmer qu’un employé peut librement négocier son salaire pour une question de fumée…Avec 3 millions de chômeur + des métiers à faible qualifications je doute que le tabac puissent un jour (sans intervention du législateur) augmenter les salaires d’un seul centime.
    Enfin, je vous rejoint sur un point : rien ne légitime d’un point de vue utilitariste une telle mesure. Je dirais même que les externalités et les relations de cause à effet sont tellement diffuse qu’elles interdisent tout calcul scientifique sérieux.
    Les croisades sanitaires moralistes sont en effet des dangers aux libertés avec lesquels l’on doit se montrer vigilant – mais les arguments économiques ne doivent pas être la fumée qui cache une simple opinion.
    SLR.

  38. Pompompom… ça remue, chez les vrais économistes. :o)

    Jolis échanges, et en effet, jolie démonstration des effets directs de cette "croisade anti-tabac".

    J’ai posté un truc au sujet de l’analyse de Becker, vu que je ne suis pas spécialement d’accord avec l’analyse (Un peu trop simpliste à mon goût… mais bon…) de l’Economiste.

    Amicalement,
    AJC

  39. Je me permettrait d’envisager cette histoire d’interdiction avec un petit modèle plus proche de la theorie des jeux. Imaginons que l’utilité des clients (fumeurs et non fumeurs) soit diminuée par la fumée dans les bars, mais de manière hétérogène. Dans les bars, les fumeurs prennent leur décision de fumée en fonction de l’utilité que cela leur apporte mais également de la désutilité pour les autres clients (par altruisme 🙂 ou par effet de la réprobation des non fumeur). Par exemple, cette désutilité sera plus forte si vous êtes le seul fumeur à enfumer tout le monde que si le bar est rempli de fumeurs. Dans ce cas, comme tout le monde le fait, le fumeur n’a aucun scrupule à allumer une cigarette (la désutilité dépend du nombre de fumeur dans le bar). Il y aurat ainsi quasiment tout le temps un équilibre où tout le monde fume dans les bars, puisque qu’il suffit que l’individu avec le degrès d’altruisme moindre allume une cigarette pour que l’effet de réseau entraine les autres. Dans ce cas, l’interdiction de fumer permet de se coordonner sur un autre équilibre, instable celui là, où il suffit qu’un fumeur dégaine pour entrainer, par ‘bandwagon effect’, une situation où tout le monde fume. La coordination sur cet équilibre étant impossible sans intervention extérieure, et l’électeur médian semblant non fumeur, cela justifie donc la loi actuelle.

  40. Je suis attentivement ce débat, qui m’intéresse , plus que par le contenu des interventions (sans le négliger cependant), surtout par le fait qu’il me semble emblématique de la difficulté de faire de la politique actuellement.
    Je remarque la sincérité et l’engagement des commentateurs,qui pourrait aller dans le sens de la démocratie participative : les gens ont quelque chose à dire sur ces questions.
    Mais je constate que les opinions correspondent à 2 tendances fortes et contradictoires : le besoin de liberté, et le besoin de sécurité. Liberté dans 2 directions : liberté individuelle, qui tend vers l’individualisme, et liberté pour tous, qui correspond à l’ouverture sur les autres, et qui est générosité. Besoin de sécurité, qui est fait de lucidité par rapport aux dangers, par exemple ceux liés au progrès, et de désir légitime de profiter au mieux des connaissances nouvelles (par ex l’amiante), mais aussi de refus du risque, tendance qui se généralise (cf le comportement des parents pour protéger leurs enfants, par ex contre la pédophilie, en ne les envoyant plus en colonie, ou contre le mal de dos, en leur donnant, à 11 ans, des valises à roulettes pour aller au collège).
    Et ces attitudes me semblent si contradictoires, mais aussi si ancrées dans la société actuelle, que je me demande si un candidat à des élections pourra proposer un programme précis, et si on ne va pas vers une sorte d’"anarchie dictatoriale d’opinion".

  41. N’est-ce pas un cas typique pour lequel le raisonnement économique ne sert pratiquement à rien ? Comme vous le soulignez dans votre réponse-commentaire, l’interdiction de fumer dans tous les lieux publics entraînera une stigmatisation inutile des fumeurs alors même que la majorité des lieux publics sont désormais non-fumeurs.

    Pourquoi le raisonnement économique n’a pas grand sens ? Parce que quasiment personne ne va dans un bar en fonction du prix.

  42. Pat, je vais peut-être passer pour un rabat-joie ou un radoteur, mais, avant que le gouvernement ne se décide à en parler, je ne voyais pas qu’il existait un problème de tabac. Pourtant, je suis un ancien fumeur récent.

    J’ai donc le sentiment qu’on (s’)invente des problèmes, des fausses querelles. Pour faire diversion sans doute.

    On me demanderait mon avis, je préfèrerais qu’on débatte d’EDF, de GDF, d’EADS et de la Russie devenant capitaliste, de l’école, de la formation de la police. J’aimerais savoir ce que va devenir le CNE, ce qu’on fera s’il casse. J’aimerais bien savoir ce qu’on devrait faire pour la recherche, et peut-être aussi pour l’université, ce qu’on pourrait espérer faire pour l’europe. Et si on épuisait ces sujets, il faudrait peut-être parler du Darfour, de Gaza, de l’Afghanistan, de l’Irak, du Liban. Mais je suppose que le micro-management est le lâchage en vrac de ballons d’essai à cadence de saturation est tout ce qu’on peut attendre de politiciens aux abois.

  43. "Et rappelons que ce chiffre de 1000 est le chiffre maximaliste".

    Et ce soir au journal de France 2, le porteur du projet de loi annonçait le chiffre de 6000 (morts de tabagisme passif).

    Il y en a forcément un, enfin au moins un, qui nous a sorti son chiffre de son chapeau :p.

  44. Cela fait très longtemps que je plaide pour la création d’une milice de la vie privée, dont l’objet serait de protéger les gens contre leurs propres vices : Elles iraient dans les frigidaires des gens vérifier que l’alimentation est bien équilibrée, briseraient les cendriers et confisqueraient les cigarettes, contrôleraient que le petit a bien fait ses devoirs, que les parents n’enseignent pas des choses fausses ou immorales à leurs enfants, etc…

    Pour un monde plus propre et sécuritaire, il nous faut accepter des privations nécessaires de liberté!

  45. Padawan : Le chiffre de 1000 comme maximum s’explique de la façon suivante : Le risque de cancer mortel du poumon pour un non-fumeur est de 10 pour 100 000; si le tabagisme passif augmente ce risque de 25% (point moyen des évaluations) cela passe à 12.5 pour 100 000. En considérant que toute la population des non-fumeurs (environ 40 millions) est concernée par le tabagisme passif cela fait donc au maximum 1000 de plus.
    Sur ces bases, le chiffre de 6000 suppose :
    – que la totalité de la population française est touchée par le tabagisme passif;
    – ET soit que la totalité des cancers du poumon de non-fumeurs ont été déclenchés par du tabagisme passif; soit que le tabagisme passif augmente pour l’ensemble de la population française le risque de cancer du poumon de plus de 100%.
    Je vous laisse le soin de vous demander ce qui est le plus plausible.

  46. Pour éclairer cette question sur 1000 ou 6000 morts par tabagisme passif, lisons le rapport parlementaire:
    "D’après le rapport de l’Académie de médecine de 1997, « environ 150 décès consécutifs à un cancer du poumon sont dus chaque année au tabagisme passif. "
    "M. le Professeur Bertrand Dautzenberg a rappelé que « beaucoup de gens croient que le tabagisme tue une quinzaine d’années plus tard ; ce n’est pas la vérité. Pour le fumeur, la mortalité est pour moitié liée au cancer ; mais l’essentiel de la mortalité liée au tabagisme passif est d’origine cardio-vasculaire et donc immédiate »."

    Donc ce n’est pas sur le cancer du poumon qu’il faut se focaliser.

  47. Merci pour les explications. 6000 voudrait aussi dire qu’un mort sur dix est du au tabagisme passif, si j’ai bien retenu les chiffres annoncés par le rapporteur, qui parlait de 60 000 morts par an au total.

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