Bribes d’analyse économique de la fraude dans les transports en commun

Les commentaires concernant la fraude dans les transports en commun ne rendent pas toujours justice à ce que l’analyse économique a à en dire. En mobilisant quelques éléments de réflexion assez standard, on peut commencer à faire la part des choses.

Quels sont les coûts de la fraude dans les transports en commun ? Qui les supporte ? Les coûts sont les suivants :
– le coût du contrôle, soit les dépenses engagées pour empêcher la fraude et le coût d’opportunité de ces dépenses ;
– le coût du manque à gagner lié à la perte de recettes ;
– les coûts en bien-être des utilisateurs en règle, qu’il s’agisse de prix plus élevés ou de l’utilité retirée de la consommation ;

Les coûts de contrôle

Il s’agit des barrières de contrôle, rémunération des contrôleurs, procédés techniques de lutte contre la contrefaçon des titres, etc. Ces coûts sont réels. Néanmoins, peut-on sérieusement les imputer aux fraudeurs ? Si je fraude, c’est qu’ils sont inopérants pour certains (les barrières) et pas totalement pour d’autres (les contrôles). Leur but est de dissuader. Le coût des contrôles n’est pas imputable aux fraudeurs, mais à tous les usagers, considérés comme des fraudeurs potentiels, qu’il faut décourager. Dans certains pays, il n’y a pas de barrières pour valider les titres. Ce n’est pas (comme dans le cas de la SNCF) que la vérification opérée par les contrôleurs s’y substitue. C’est le comportement de fraude des individus qui y est moins marqué. On dira alors que ces pays ont de la chance, ils économisent certains coûts collectifs que nous supportons. Globalement, c’est exact. Les travaux sur le capital social montre ses bienfaits sur une société. Mais il faut se rappeler que le capital social ne tombe pas du ciel. Vu sous un angle économique, il s’agit d’un facteur de production contribuant à la prospérité aux côtés des autres facteurs de production. Or, tout facteur de production a un coût. Créer du capital social, c’est par exemple, d’un simple point de vue financier, dépenser des ressources conséquentes pour éduquer la population à intégrer des normes. C’est aussi, en termes de bien-être, poser des limites à la liberté individuelle, exercer un contrôle social que l’on peut tout à fait accepter sans pour autant s’en réjouir. Ne pas tenir compte de ces coûts, dont il est bien complexe de mesurer l’effet positif dans le seul cas des tranports en commun, c’est exagérer les coûts directs de lutte contre la fraude dans un contexte où le capital social ne décourage guère l’opportunisme (dans ce cas, on peut supposer que faible capital social signifie faibles dépenses de formation de celui-ci et il faut réduire les coûts du contrôle pour tenir compte de cette économie). De manière générale, le crime génère certaines redistributions dont les effets globaux sont économiquement indéterminés (si le fraudeur achète un journal à lire dans le métro, l’effet est négatif pour l’entreprise de transport, mais positif pour le marchand de journaux. Quel sera l’effet économique global de cette substitution ?).
Ainsi, si les coûts de contrôle sont importants dans les transports en commun, ils traduisent probablement mal ce que coûte à la collectivité les fraudeurs effectifs. Ils mesurent plus le coût de notre penchant moyen à l’opportunisme. Et quand bien même on voudrait les prendre en compte, on doit noter que ces coûts sont en partie le résultat de choix économiques (tel que ne pas investir plus dans le capital social).

Plus rapidement dit, le coût brut des dépenses de contrôle ne mesure pas leur coût d’opportunité : rapportent-elles plus que ce qu’elles coûtent ? Du point de vue de l’entreprise, la réponse est directe : si elle ne les met en oeuvre, c’est que le jeu en vaut la chandelle. Du point de vue collectif, ce n’est pas le cas, on doit revenir à la comparaison de ces coûts avec ceux nécessaires pour rendre les usagers insensibles aux sirènes de la gratuité. Le civisme ayant des effets bien plus notables que le simple respect des règles dans les transports, on devrait pouvoir conclure qu’il vaut mieux investir dans la réduction de l’opportunisme que de multiplier les contrôles dans les bus et métros. Mais si c’est le cas, pourquoi ne la fait-on pas ?[1].

Derrnière remarque : je m’aperçois aujourdhui avec stupéfaction que je ne me suis jamais demandé quelle partie des amendes est reversée à l’entreprise de transport qui les collecte… le revenu des amendes doit évidemment venir en déduction des coûts bruts de contrôle.

Le manque à gagner et ses victimes

Si les fraudeurs payaient leurs billets, le chiffre d’affaires de l’entreprise de transport serait plus élevé. C’est assez logique. Mais à y regarder de plus près, on s’aperçoit que le regard à porter sur le sujet est un peu le même que celui que l’on doit avoir sur la question du téléchargement illégal.
En effet, si demain il était possible d’empêcher les fraudeurs de tricher, que feraient-ils ? Une partie d’entre eux paieraient tous leurs déplacements, car contraints d’utiliser le service (demande inélastique au prix). D’autres alterneraient entre transport en commun et marche à pied (demande élastique). Certains ne les prendraient plus du tout (élasticité infinie). Un peu comme dans le cas de la musique enregistrée où l’on distingue trois catégories de téléchargeurs [2]. Je pense qu’une part majoritaire des usagers en situation irrégulière dans les transports relèvent de la première ou deuxième catégorie. Ce qui va dans le sens d’un manque à gagner assez dépendant du nombre de fraudeurs. Néanmoins, on doit faire deux remarques. La première est que, comme pour les mélomanes, on ne peut pas le savoir avec certitude.
La seconde, c’est que les mesures qui sont communiquées spontanément par des entreprises comme la SNCF ou la RATP sont les taux de fraude (ou des grandeurs monétaires brutes peu commentées – à titre d’exemple, Le Figaro donnait en 2006 70 millions d’euros de manque à gagner pour la RATP et 150 millions pour la SNCF, pour un taux de verbalisation de 3%). Le problème est que c’est un indicateur qui dans l’optique du manque à gagner est tout sauf transparent. Ainsi, la RATP déclare un taux de fraude de 3,9% en 2005. Ce qui signifie que près de 4 voyages sur 100 ne sont pas réalisés en règle. Le site de la RATP ne donne, sauf erreur de ma part, aucune information méthodologique. Si je vous demande de combien chute le CA de la RATP en fonction de ce taux, que répondrez vous spontanément ? Probablement 4%. Et vous oublierez ainsi que l’on ne peut pas passer d’un nombre de voyages à des recettes, sans informations sur les prix. Les prix peuvent différer pour deux voyages différents (c’est toujours le cas pour la SNCF et régulièrement pour des transports comme le RER ou le bus). Faire l’hypothèse que 4% de fraude c’est 4% de CA en moins, c’est supposer que le prix moyen du trajet fraudé est le même que le prix moyen du trajet en règle. Il y a pourtant deux raisons qui indique que les 4% de fraude doivent se traduire par une baisse du CA plus faible. La première, même si je n’ai guère de preuves sur ce sujet, est qu’il n’apparaît pas irréaliste de supposer que le trajet moyen du fraudeur est plus court que celui de l’usager en règle. Pourquoi ? Parce que le risque est moindre de se faire prendre en 10 minutes de trajet [3] qu’en une heure. Deuxième raison, plus fondamentale, les fraudeurs sont plutôt des jeunes, de moins de 25 ans [4] Imaginons que du jour au lendemain tous ces jeunes se mettent à payer leurs tickets ? Une part non négligeable d’entre eux bénéficieraient de réductions, ce qui crée ainsi un décalage entre les volumes de fraude évités et la valeur en termes de manque-à-gagner de cette fraude.

En 2002, dans une campagne de communication, la SNCF écrivaient “200 millions d’euros de fraude, autant de services en moins”. Les usagers qui paient sont ils victimes de la fraude ? Oui, mais sûrement pas comme le dit la SNCF. Imaginer que sur les 200 millions de CA en plus l’intégralité serait transformée en charges liées à l’amélioration du service est un peu osé, non ? Une partie, importante s’il le faut, mais certainement pas la totalité (ou je ne comprends plus aux douces incertitudes du partage de la valeur ajoutée).

Le manque à gagner est essentiellement supporté par le transporteur. S’il est vrai que chaque client rémunère les contrôleurs et paie les investissements dans les dispositifs techniques de contrôle, il ne fait que payer, en moyenne, pour sa tentation de frauder si on ne le contrôle pas. Les fraudeurs, ceux qui fraudent vraiment, font-ils payer les billets plus chers ? Pour cela, il faudrait que leur présence se traduise par des coûts supplémentaires pour l’entreprise. Est-ce le cas ? cela dépend de leur nombre. Si la moitié des voyageurs fraudent, alors il est évident que le nombre de wagons dans une rame de métro devra être le double de ce qu’il serait en leur absence. Le transport collectif est une industrie de réseau. A ce titre l’essentiel des coûts supportés sont fixes [5]. Pour faire simple, que le métro soit plein ou vide, les coûts sont les mêmes. Le coût marginal du voyageur est nul (un voyageur de plus ne coûte pas plus à transporter pour l’entreprise). En revanche, s’il faut affreter un deuxième véhicule pour quelques passagers supplémentaires, les coûts augmentent d’un seul coup. Quand on observe les taux de fraude, on doit conclure que le poids des fraudeurs est négligeable de ce point de vue, au moins dans le métro ou le RER . Dans ce cas, la présence de fraudeurs ne doit pas coûter un centime aux usagers en règle. On m’objectera que si les fraudeurs paient, le coût par usager baisse, ce qui peut faire baisser le prix. On revient au problème de la fonction de demande des fraudeurs : voyageront-ils si le transport devient payant. Quelle sera la hausse de la demande ? Quelle sera la conséquence sur les prix compte tenu du nombre de clients payants supplémentaires ? Observe-t-on une hausse des prix dans les stades à moitié vide quand on invite des supporters ? Soyons un peu provocateurs, la situation est même optimale : ceux qui acceptent de payer ont payé et ceux qui ne veulent pas bénéficient aussi du transport. Dans une logique de fixation des prix dans un monopole discriminant, c’est l’idéal : la production du service est maximale et chacun paie ce qu’il est prêt à payer (comme quand les compagnies aériennes offrent des billets à des prix dérisoires pour finir de remplir l’avion). Ce qui nous amène aux considérations de bien-être, qui seront vues plus bas.

Pour finir, il faut nuancer ce qui précède en évoquant le cas des fraudeurs vandales. Les transports en commun sont vus par certains comme un terrain de jeu, accessible gratuitement et offrant tout un ensemble de satisfactions (jouer à cache-cache avec les contrôleurs, affirmer une quelconque importance sociale, permettre un accès facile à de nombreuses cibles de larcins etc.). Il n’est pas impossible dans ce cas que les individus concernés, qui sont loin de représenter la majorité des fraudeurs dans mon esprit, se livrent à des actes comme le vandalisme. Ceci est un coût évident. La question qui se pose est de savoir si le fait de frauder induit de facto ce genre de comportements. Rien ne le prouve au demeurant. Si passer plus de temps dans les transports (parce qu’ils sont gratuits) implique des détériorations plus nombreuses, on peut se demander si l’obligation de payer éloignerait les vandales. Si nos vandales prennent un abonnement, alors le coût marginal d’accès au réseau sera nul (un voyage de plus ne coûte rien, exactement comme un voyageur de plus ne coûte rien à l’entreprise). Rationnellement pourtannt, le fait de payer un abonnement et de risquer de le voir augmenter du fait du coût des dégradations subies devrait inciter au calme nos énergumènes. Mais bon, défaut de coordination aidant, chacun d’entre eux ne verra vraisemblablement pas les conséquences de ses actes.

Les coûts en bien-être des passagers en règle

On a vu ci-dessus que le surplus du passager honnête n’est réduit par une hausse des prix que dans le cas où le nombre de fraudeurs fait croître les coûts fixes, hypothèse peu vraisemblable dans l’ensemble, sauf à supposer que les fraudeurs se déplacent en masse sur les mêmes lignes, aux mêmes heures, en même temps que les autres passagers. En d’autres termes, si tous les fraudeurs sont tous sur la même ligne à l’heure de pointe, alors il est possible que cela conduise l’entreprise de transport à ajouter systématiquement des véhicules sur cette ligne à ces heures.

En termes de satisfaction retirée de l’usage des transports, les passagers sont-ils pénalisés par les fraudeurs ? Un trajet en métro est un bien partiellement public. C’est un bien non rival, mais sujet à des effets de congestion. Traduction : que vous soyiez quatre ou cinq dans le wagon ne change pas trop votre appréciation de la qualité du trajet. La présence du cinquième ne modifie pas la satisfaction tirée du voyage (caractère de non rivalité, constitutif en partie du caractère public d’un bien) [6]. Si le wagon est plein et qu’une personne de plus entre, vous trouverez la situation très dégradée (c’est l’effet de congestion : un réseau a une capacité maximale supportable). Que représentent les 4% de fraudeurs par rapport à cela ? S’ils se distribuent de manière uniforme dans les trajets, chaque wagon comprendra disons un fraudeur. Autant dire qu’il y a peu de chances que sa présence vous gêne vraiment. Voici pour le principe. En réalité, l’hypothèse d’une répartition uniforme est probablement contestable. Mais s’ils se concentrent à certains endroits, à certaines heures, cela signifie que pendant ce temps là, ailleurs, d’autres ne subissent aucune gêne.
En réalité, la perte de bien-être liée à la fraude se mesure surtout par le sentiment de se faire avoir. Vous payez votre billet pendant que d’autres ne paient pas. Encore une fois, la gratuité accordée aux RMistes en région parisienne est intéressante. Du jour au lendemain, un certain nombre de personnes parmi les bénéficiaires de la mesure passent du statut de fraudeur à celui d’honnêtes gens (non, je ne dis pas que tous les RMistes fraudaient). Sentirez vous la différence sur la qualité du trajet ? Sûrement pas. D’aillleurs, si vous trouviez cela tellement intolérable pour votre confort, vous appeleriez systématiquement la police pour interpeller les resquilleurs. En fait, et en dépit de tout ce que je viens d’expliquer et qui laisse penser que la gratuité pour les RMistes risque de ne pas coûter tant que ça à la collectivité, tout le monde ne dira pas que c’est une bonne idée (à rapprocher peut-être de ce vieux billet).

Conclusion

Il est évident que l’idée de ce billet m’est venue par un évènement de l’actualité récente. Mais je ne veux pas me positionner dans le débat qui a suivi. Je ne fais pas l’apologie de la fraude dans les transports en commun. Mon point de vue n’est pas moral. J’ai toujours payé mon transport, pour une raison simple : j’aime pas les emmerdes (accessoirement, j’ai les moyens de payer pour me déplacer quand c’est nécessaire) et n’éprouve aucun plaisir à prendre des risques de ce type. Comme vous ? Probablement. Et, comme vous aussi, quand les dispositifs de validation des billets ne fonctionnent pas, je ne fais pas des pieds et des mains pour valider mon billet [7]. L’idée que la fraude puisse avoir un coût n’est pas aberrante, comme on a pu le constater. Néanmoins, son appréciation doit faire la part des choses. Il est contestable de se soustraire au paiement du prix demandé pour bénéficier d’un service. Pourtant, la particularité des transports, être une industrie de réseau, rend ce comportement nettement moins coûteux, notamment pour les usagers, dès lors qu’on prend en compte les spécificités de ce type d’activité (coûts fixes, non rivalité). Par ailleurs, les taux de fraude actuellement constatés sont suffisamment faibles pour avoir un impact limité. Il reste que chaque usager qui paie ses trajets est en droit de détester cotoyer des gens qui ne paient pas, en dehors de toute réduction accordée et qu’une fraude généralisée aurait d’autres conséquences.

NB : en relisant, je constate que ma description du mécanisme de fixation du prix d’équilibre n’est pas limpide (partie sur les prix plus élevés avec de la fraude). Je pense cependant que même si j’ai fait des approximations, ça ne change pas beaucoup les conclusions. Il est tard et je n’aurai pas trop de temps pour revenir demain ou après sur ce billet, que je vous livre donc tel quel. J’espère des commentaires donnant des précisions sur les chiffres que je n’ai pas recherchés longtemps (ou ceux que je n’ai pas du tout cherché ! Tel que le CA de la RATP ou de la SNCF, histoire de comparer les chiffres du Figaro en valeur brute et en taux de fraude à l’aune du CA).

Notes

[1] Vaste question à laquelle il n’est pas question de répondre ici !

[2] Bien sûr, l’analogie a ses limites : si on constate une corrélation positive chez certains consommateurs entre le téléchargement et l’achat de CD, on imagine assez mal qu’un individu puisse faire un aller-retour à l’oeil en métro et, dans la foulée, refaire le même trajet en payant.

[3] On me fera remarquer avec raison qu’il faut prendre en compte d’autres paramètres liés aux habitudes des contrôleurs en termes de localisations et d’horaires d’intervention.

[4] Petite explication sur ce point : j’avais trouvé un document – que je ne trouve plus – qui donnait dans un département de RP un pourcentage de 65%. Pour faire large, je dis plus de la moitié en général. C’est certes un peu léger, mais bon… l’hypothèse est-elle si ridicule ?

[5] Il y a bien sûr des exceptions, dont la modulation des horaires (moins de véhicules en circulation) en période de vacances est un exemple ; des charges fixes sont rendues variables

[6] Bien sûr, si vous êtes complètement asociable ou si le cinquième passager vient se coller à vous, il en ira autrement.

[7] Et, je l’avoue, une fois, j’ai pris le bus à l’oeil deux arrêts pour rentrer de l’école (ça devait être en 5ème), parce qu’il faisait franchement trop froid pour finir à pied et que j’avais pas un rond.

13 Commentaires

  1. Dans le cas des transports en commun, ne faut-il pas prendre en compte aussi le fait que celui qui ne prends pas les transports en commun en raison de leur coût peut prendre la voiture à la place? Surtout quand on essaie de mettre en place une politique tendant à faire passer les voyageurs d’un mode à l’autre…

    Tout dépend de votre objectif. Ce que je visais était une situation où les paramètres de choix entre transports communs et voiture sont fixés.

  2. Article comme toujours de qualité et très bien argumenté.

    Merci. Mais vous verrez sûrement au fil des commentaires que tout est loin d’être parfait. Seule la démarche est incontestable.

  3. "Par ailleurs, les taux de fraude actuellement constatés sont suffisamment faibles pour avoir un impact limité. "
    Oui, mais le niveau du taux de fraude est directement lié au niveau des contrôles

    Oui, mais comme j’ai traité longuement des coûts de contrôle et de leur signification, ça ne pose pas de problèmes. Notamment, on peut considérer, dans a logique, qu’on est à un optimum de dépenses en la matière.

  4. Ton analyse est partielle. Tu pars du principe que le transport en commun est forcément payant. Or, si tu te demandes s’il est rentable que les transports en commun soient payants, tu changes tous les paramètres.
    Investissements lourds, gros coûts de fonctionnement, entretien du matériel : la part passager est loin de couvrir tous les frais. C’est pour cela qu’une part très importante du budget total d’une régie de transport est financée collectivement (impôt). Dans les coûts négatifs, il faut donc comprendre, certes, les contrôles (portiques, contrôleurs, etc.) mais aussi tous les frais de billetterie : tickets, bureaux et agents de vente, gestion comptable, gestion des flux d’argent… J’ai lu (avec tous les doutes nécessaires!) que l’argent prélevé sur les voyageurs ne compensent pas l’argent nécessaire à l’ensemble du déploiement des mesures nécessaires à la non-gratuité. Cela peut être au moins partiellement vrai.

    Sur la question de la gratuité, je m’intéressais seulement à la situation commune. Je n’avais pas l’ambition d’aller plus loin. Sur les coûts de gestion, tu penses sérieusement que la gratuité implique de supprimer les services en question ? Un service commerciall gère les ventes, mais aussi les contacts avec les usagers mécontents. Je ne dis pas que ce serait sans réductions, mais pas aussi importantes. Par ailleurs, cela ne dispense pas de services de gestion, puisque dans tous les cas, il y a une efficience à atteindre. On peut voir au cas par cas.

    Mais il y a aussi des coûts non chiffrables : écologiques et sociaux.
    Écologique : la gratuité des transports en commun rendrait leur usage économiquement plus attractifs pour de nombreux usagers que les transports individuels, très polluants et donc à très fort impact négatif induit (dégradation de l’air, montée des maladies respiratoires… etc.) En plus, dans un monde qui entre dans la fin du pétrole, les transport en commun sont une meilleure solution.
    Social : Le coût des transports en commun payants augmente avec la distance du centre ville. Une carte orange 8 zones, c’est tout de même 142,70€, soit 16% d’un SMIC ou 32% du revenu mensuel d’un chômeur en ASS. Or, les personnes qui vivent dans les zones très péri-urbaines concentrent les foyers les plus modestes, ceux que la poussée immobilière a relégué très loin des centres villes pourvoyeurs d’emplois.
    On comprend qu’à ces tarifs, la fraude n’est pas un mode de vie, l’envie de chier dans les bottes de la société, mais juste une nécessité, sous peine d’être totalement assigné à résidence et de ne pas pouvoir avoir accès à des choses élémentaires comme l’emploi ou les services, lesquels ont déserté depuis longtemps les zones de relégation.

    Disons que vu comme cela, le maintien des titres de paiement dans les transports en commun s’assimile à un contre-choix environnemental doublé d’une forte volonté de ségrégatio spaciale!

    Vu comme ça, tu occultes néanmoins un élément important : ce sont les impôts qui financeraient. La vertu du ticket payant est de rappeler la valeur de la circulation. A tout prendre, à vue de nez, il vaut mieux une taxe sur les automobiles en centre ville et une subvention aux plus pauvres.

  5. @ SM :
    Je n’avais jamais perçu l’aspect non-linéaires des coûts (quasi-fixes) dans le monde du transport commun. Effectivement, un wagon avec un voyageur en règle à un coût. Et même en remplissant ce wagon avec des fraueurs, ce coût n’augmente pas. Jusqu’à mettre le voaygeur de trop, qui n’cessitera un wagon de plus, et le coût total double (par exemple). Cela relativise drôlement la situation …

    Drôlement, je ne sais pas. Je n’ai pas fourni d’éléments quantitatifs. Mais c’est un paramètre essentiel pour la tarification.

  6. "Dans certains pays, il n’y a pas de barriéres pour valider les titres." Pas besoin d’aller dans d’autres pays. Il n’y a aucune barriére pour accéder au métro lillois et la vérification par les controleurs ne s’y substitue que trés faiblement. J’ai du étre controlé deux fois en quinze ans. Il faudrait vérifier cela mais je ne pense pas que le taux de fraude y soit tellement plus élevé qu’à Paris. Or, il m’apparait difficile d’invoquer le capital social dans ce cas, d’autant que le métro passe par les quartiers les plus populaires.

    Sauf erreur de ma part, vous semblez dire que capital social et quartiers populaires sont incompatibles. Si c’est le cas, c’est un non sens. L’objectif de nombreuses institutions qui oeuvrent dans ces quartiers est précisément de créer du capital social. La notion de capital social s’étend à n’importe quelle communauté, quelle qu’en soit la taille ou la composition. Donc, une société qui est dotée d’un capital social très élevé aura des quartiers populaires où le taux de fraude est sensiblement le même qu’ailleurs.
    Quant à l’énigme lilloise, je ne saurais vous donner un point de vue sur le sujet. Bon, sinon, au bout de 15 ans, on devrait plus se faire appeler “Provençal” et habiter à Lille !

    En revanche, On peut s’interroger sur l’efficacité réelle de ces multiples et couteux mécanismes de controle. J’aurais tendance à dire qu’au dela de l’aspect moral, il y aura toujours une part incompressible de fraudeurs quelquesoit les moyens répressifs mis en oeuvre.

    C’est presque évident. Mais ça ne veut pas dire que les dépenses engagées sont inefficaces. Cela signifie simplement que lorsqu’on atteint un taux de fraude jugé incompressible, inutile de dépenser plus. Quant à l’aspect moral, je ne m’aventure pas trop sur ce terrain.

  7. Votre article est intéressant. Mais la première partie, sur le capital social devant être investi pour éviter la fraude me paraît douteuse.

    D’abords, je ne suis pas sûr qu’une société qui inciterai fortement ses membres a éviter des comportements opportunistes soit plus efficaces (d’ailleurs sur quel plan ?) qu’une autre. Je ne suis même pas sûr qu’il y ait des moyens – dans une société non autoritaire – de modifier la structure des comportements des citoyens.

    Ce n’est pas une thèse que j’ai inventée. C’est un élément jugé digne d’intérêt par de nombreux chercheurs en sciences sociales. Nul besoin de se référer à des comportements autoritaires. Par exemple, toute éducation des enfannts a pour but de faciliter la vie et la coopération entre membres d’une communauté. C’est la base. J’ai donné un lien qui fait largement le tour de la question sur l’aspect économique. Mais des tas de travaux étudient ce concept. Deux questions élémentaires sont intéressantes : quel est l”influence de ce capital social ? Comment l’accumuler s’il est utile ?

    Ensuite, il y a de la part des dirigeants des aversions différentes à la fraude. Dans un domaine beaucoup plus sensible qui sont les moyens de payements, il y a eu deux approches radicalement différentes :
    1> En France, le choix de la carte à puce. Avec un taux de fraude quasi nul (avant internet) mais des coûts de fabrications et d’usage (Se souvenir du code, un drame que tout le monde a rencontré) qui en ont limité l’utilisation.
    2> Dans le reste du monde, les pistes magnétiques. Avec des inconvénients et des avantages inverses.

    Ce qui m’étonne, c’est qu’il y a en France un tropisme a se prémunir contre la fraude, avant même que celle-ci soit évaluée et sans tenir compte des coûts de ces précautions. Pour vous taquiner, l’opération en bas de cette page, me semble de cette nature.

    C’est anecdotique, mais vous avez tort sur ce point. La fraude a été évaluée… Les spams sont fréquents et c’est suite à leur afflux que nous avons supprimé les trackbacks et mise en place ce système pour les commentaires.

    Au sujet des amendes, pour en avoir réglées certaines, l’intégralité des sommes perçus – au moins avant les relances – vont aux services de transports.

    Merci pour cette information.

  8. Je me suis mal exprimé. Je ne dis pas que le capital social est incompatible avec les quartiers populaires. Je dis que les quartiers de la région lilloise ne sont pas mieux dotés en capital social que les quartiers des villes comme Paris qui mettent en place des barriéres pour entrer dans le métro. La notion de capital social ne m’apparait donc pas suffisante pour expliquer les différences de systémes de controle.

    Oh, mais je suis sceptique sur l’incapacité de l’agglomération lilloise à contenir plus de capital social que la région de Paris. Cela dit, je n’ai rien à vous offrir en matière d’arguments convaincants…

    Par ailleurs, il est possible qu’il y ait peu de rapports entre capital social et quartiers populaires. Ma phrase est donc effectivement stupide. Mais il y a quand méme plus de fraudeurs potentiels dans les quartiers populaires que dans les quartiers aisés. Si le métro lillois passait par des quartiers aisés, on aurait donc pu y voir une explication. Mais ce n’est pas le cas.
    Quant à mon pseudonyme, il ne fait référence qu’à un dialogue de la série Kaamelott, et nullement à la géographie.(on se décarcasse pour trouver des pseudonymes marrants et voila ce qui arrive).

    OK… Très bien Kaamelot. Je ne le regarde pas assez.

  9. Le cout de fonctionnement du contrôle est auto-financé par les amendes: cela représente, en gros, un quart de leur montant total.

    Info utile. Merci. Voici donc un problème réglé.

  10. Aucun commentaire et aucun élément sur le montant de amendes que doivent payer les fraudeurs ?
    Le tarif de l’amende peut-il être disuasif ? Si les agents sont rationnels, oui, ensuite tout dépend de leur aversion au risque etc…
    Ce que je comprends pas, c’est comment la Ratp peut à la fois chiffrer précisemment le coût de la fraude et dans le même temps ne pas fixer des amendes forfaitaires permettant de corriger les effets de la fraude.

    Je raisonnais à système fixé, c’est-à-dire en supposant que les dépenses de la RATP sont optimalement choisies. Donc, ce volet ne m’intéressait pas. Comme vous le précisez, un choix rationnel côté RATP et côté fraudeurs conduira certains agents à frauder quand même. Voilà pourquoi il peut y avoir des fraudeurs malgré la connaissance de leur existence par la RATP. Il ne faut pas négliger le fait que même si on imposait la peine de mort, on aurait encore des fraudeurs (volontaires ou non…).

    Une amende qui teindrait compte de:
    -les fraudeurs me coutent 100,
    – les coûts de contrôle sont de 200,
    -je contrôle 1% des fraudeurs,
    –> je fixe une amende qui permet de couvrir ces frais ( en tenant compte des changements de comportement liés au tarif…)

    Bref, tout ca pour dire que je suis sceptique sur la connaissance réelle du taux de fraude…

    D’après ce que j’ai compris, le taux de fraude est estimé à partir de sondages.

  11. Pour information, le chiffre d’affaires voyageurs de la SNCF (Grandes Lignes, TER et Ile de France) était de 7 741 M€ en 2005. Rapporté à cet indicateur, le "coût" de la fraude (200 M€) ressort à 2,6% (je ne suis pas sûr que ce rapport ait beaucoup de sens parceque je ne sais pas ce qu’intègre ces 200 M€ – perte de CA ?).
    Ce ratio peut sembler petit, il l’est moins quand on le rapporte au taux de marge (EBE/CA), de l’ordre de 9% pour l’ensemble de la SNCF.

    La lecture de ce papier me conforte dans l’idée que la lutte contre la fraude est plus abordée sous un angle idéologique (au choix, c’est pas bien, ça coûte cher, il faut des transports gratuits) qu’avec une approche économique (optimum coût/bénéfice, financier et extra-financier).

    Deux bémols :
    1. sur les coûts en bien-être des passagers en règle : si globalement, votre analyse est exacte, elle peut être fausse localement, exemple : la ligne 13 du métro, surchargée aux heures de pointe (taux d’occupation significativement supérieur à 100%) ; les fraudeurs représentent une gêne réelle pour les clients en règle dans la mesure où ils accroissent par leur présence un inconfort qui, il est vrai, existerait malgré tout hors fraude.
    2. un certain nombre de mesures a priori destinées à lutter contre la fraude, présence en gares et sur les quais, contrôles à bord, ont un impact positif sur la sûreté (atteintes aux biens et aux personnes) ; dans l’équation économique, il faut tenir compte du bénéfice social que cela génère (mais qui bien sûr ne rentre pas dans les comptes du transporteur).

    Merci pour ces remarques pertinentes. Pour l’efffet de congestion, pas de doute qu’il doit survenir plus ou moins ponctuellement. Pour ce qui concerne la présence, c’est tout à fait exact. J’avais même envisagé d’ajouter l’effet positif de la présence des fraudeurs, aux heures proches de la fermeture par exemple.

  12. Je sais bien que votre analyse se concentre sur une définition tres étroite de la fraude et ne concerne que les transports en commun.

    Toutefois, il me semble qu’elle pèche sur un point, a savoir qu’elle est statique, alors que le problème de la fraude se situe plutôt dans l’évolution dynamique du phénomène. La fraude est combattue même lorsqu’il n’est apparemment pas economique de la combattre car il est critique de gérer les attentes (expectations) de la collectivité.
    Si vous ne le faites pas, les membres de cette collectivité qui auront le moins internalisé les contraintes de comportement social, se mettront a frauder et au bout d’un moment le cout économique deviendra significatif.

    Une autre raison est que si vous laissez dériver les attentes, alors il devient tres couteux, au moins politiquement, de les ramener dans une zone raisonnable.

    L’exemple qui me vient en tète pour illustrer ce point est la fraude "routière".
    La France était jusqu’à peu ce pays délicieux ou conduire avec trois grammes d’alcool et zigouiller une famille de cycliste était pratiquement moins couteux que sauter un portillon RATP. Pour une raison que j’ignore nos pouvoirs publics se sont décidé a s’attaquer a ce scandale, alors qu’il était socialement tres bien accepté.

    Ce liberticide risque de couter a un ancien ministre de l’interieur son boulot de dans deux mois. Il vaut donc mieux prévenir que guérir.

  13. joli billet.
    Une remarque tout de même: l’évaluation du coût du capital social doit prendre en compte le fait qu’il est "multi-tâche" et utile partout. Alors que les systèmes de contrôle doivent être mis en place partout pour avoir la même efficacité. Il me semble que c’est donc plutôt une technologie très rentable.

    Oui, j’avais écrit au sujet des coûts d’accumulation du capital social : “Ne pas tenir compte de ces coûts, dont il est bien complexe de mesurer l’effet positif dans le seul cas des tranports en commun”. En fait, je voulais dire la même chose que vous, mais ce n’était pas clair. Le problème, c’est de mesurer les coûts et bénéfices du capital social en général. C’est le même problème que tous les biens publics. Mesurer les externalités qu’ils génèrent n’est pas aisé, même si on est certain qu’elles existent.

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