L’avenir des médias économiques

J’ai été invité à participer à un colloque organisé par la CCI de Paris, consacré aux médias économiques, qui aura lieu le 10 mars. Vous pouvez trouver le programme ici; Pour assister, vous pouvez vous inscrire (en ligne ou par courrier) en suivant ce lien. Comme vous pourrez le constater, il y a 9 intervenants pour une heure et demie de discussion, ce qui ne laisse que peu de temps à chacun, surtout que les questions traitées sont nombreuses :

Quelle est la spécificité des médias économiques dans le paysage médiatique français et international ? Peut-on s’inspirer du modèle propre à la presse anglo-saxonne ? Quel serait le ou les modèles économiques les mieux adaptés pour assurer la coexistence des anciens et des nouveaux médias économiques ? Pluralisme et qualité de l’offre d’information économique sont-ils compatibles?

Voici l’état de ma réflexion sur ces différentes questions.

Tout d’abord, je ne comprends pas trop la dernière question, ou plutôt, j’ai peur de la comprendre : « pluralisme et qualité de l’offre d’information sont-ils compatibles » risque de dévier sur une de ces dénonciations de « l’internet » dont certains membres des médias traditionnels ont fait une spécialité pour mettre un rideau de fumée devant leurs propres turpitudes. Comment, des gens en pyjama qui n’ont même pas fait science-po se prétendent « journalistes » et diffusent, sous prétexte d’information, d’odieux ragots non vérifiés (entre deux sites de téléchargement illégal et porno-pédophiliques), contrairement aux vrais journalistes qui eux ont une éthique? il y a là au moins un danger pour la démocratie, il faut sauver les journalistes sérieux, etc, etc.

J’espère que ce débat sera l’occasion d’aller au delà, pour manifester le fait que l’internet est enfin pris au sérieux; c’est le meilleur moyen de répondre correctement aux autres questions. Je suis assez optimiste, on verra bien. J’espère ne pas devoir consacrer tout mon temps de parole à l’explication de ce qu’est l’internet en réalité, pour pouvoir traiter le sujet.

Le modèle économique de n’importe quel média traditionnel est le suivant : il y a d’un côté deux centres de recettes : les paiements effectués par les lecteurs pour obtenir leur contenu (abonnements, ventes en kiosque); et la vente d’espace publicitaire aux annonceurs. Il y a deux centres de coût : la production d’information en elle-même (tout le travail rédactionnel) et les coûts de diffusion de cette information, c’est à dire les coûts d’impression et de distribution des journaux et magazines. A partir de cela il y a différentes configurations; certains qui fonctionnent sans publicité et uniquement sur les contributions des lecteurs (le canard enchaîné) d’autres uniquement sur la publicité (les gratuits). La part des coûts de production et de distribution sont eux aussi variables.

On peut noter que pour une bonne part des journaux d’ailleurs (les quotidiens, les magazines), les paiements des lecteurs recouvrent à peine les coûts de distribution; l’argent payé par le lecteur est payé à l’imprimerie et à la chaîne de distribution, pas à la production de nouvelles. C’est pour cela qu’on reçoit régulièrement des offres pour s’abonner à des prix dérisoires à des journaux et magazines (et on vous offre un réveil en plus) et cela signifie que leur modèle économique implique de fournir à leurs annonceurs un public qui justifie un paiement élevé pour de l’espace publicitaire. Un concert d’indignations avait accueuilli les propos de Patrick Le Lay, qui avait dit que le métier à TF1 consistait à fournir à Coca-Cola du « temps de cerveau disponible » des spectateurs; en pratique, ce modèle économique est celui de toute la presse généraliste.

De ce point de vue, l’internet apparaissait comme une aubaine pour la presse : cela allait lui permettre de réduire drastiquement les coûts de distribution (un site web coûte bien moins cher qu’une édition papier et un réseau de distributeurs), d’accroître son lectorat, éventuellement de pouvoir le faire payer pour les contenus internet, et en plus offrir aux annonceurs un espace et des lecteurs supplémentaires.

Mais cela ne s’est pas passé de cette façon, et aujourd’hui, la presse souffre. Un argument régulièrement entendu (notamment dans la blogosphère) consiste à dire que c’est parce qu’elle est concurrencée sur ses contenus, que ceux-ci ne sont plus adaptés aux demandes du public, que le journalisme est de mauvaise qualité, etc. J’avoue douter de cette explication par les contenus, parce qu’elle néglige le fait que les journaux ont aujourd’hui beaucoup plus de lecteurs; simplement, ceux-ci lisent la presse en ligne, et gratuitement. Après tout, auparavant, les lecteurs ne payaient pas pour les contenus, mais pour la distribution; les tentatives pour faire payer l’accès aux journaux en ligne ont rapidement sombré sur le fait que les gens, en pratique, sont habitués à ne pas payer pour l’information en tant que telle, seulement pour la distribution. Les lecteurs se sont déplacés vers la consultation par internet; Les annonceurs également. Sauf que pour les médias, la publicité sur internet n’a jamais été aussi rémunératrice que la publicité imprimée.

A cela, deux raisons : premièrement, elle semble moins efficace que la publicité papier; mais surtout, il y a sur le web énormément d’espace publicitaire disponible. Si nous installions une fenêtre publicitaire sur ce site, cela ne nous rapporterait pas des masses; mais multiplié par le nombre de sites internet existant, cela crée une offre d’espace publicitaire énorme, qui tend à en abaisser le prix, et entre en concurrence avec l’espace publicitaire des sites internet de presse. L’argent des annonceurs est donc réparti entre tout un tas d’acteurs qui en gagnent un peu chacun. Dans ce système, ceux qui gagnent vraiment beaucoup sont les agrégateurs de publicité, comme Google; pas les fournisseurs d’espace.

La presse se trouve donc dans la situation paradoxale d’avoir de plus en plus de lecteurs, mais de moins en moins de recettes. Il y a beaucoup de pronostics et de solutions envisagées à ce sujet; certains recommandent le passage intégral en média internet, avec l’espoir que la publicité finisse par devenir beaucoup plus rentable; l’offre presque illimitée d’espace me semble limiter cette perspective; par ailleurs la version papier crédibilise les journaux, et définit leur marque (c’est ce qui fait que Rue89 ne sera jamais Libération). D’autres envisagent le passage sur internet avec abonnement payant, mais cela me semble un pari qui néglige le fait qu’en pratique, les gens n’ont jamais payé pour l’information et les éditoriaux en eux-mêmes; Il y aura donc toujours une concurrence prête à apporter des choses similaires à un prix plus bas. D’autres recommandent des changements de contenus, des contenus « nouveaux » pour attirer plus de lecteurs (et éventuellement les faire payer); outre que cela revient à détruire l’image de marque que détiennent les médias traditionnels (voir l’effet pour le Monde du « Post » ou les consternantes chroniques d’abonnés, qui sapent la crédibilité de ce que tout le monde s’accordait à considérer comme un journal sérieux).

L’avenir me semble plutôt, pour les journaux généralistes, à des journaux devenant des organisations à but non lucratif, appuyés sur des fondations ou des mécènes, qui peuvent être des sociétés de lecteurs, des gens prêts à investir pour qu’une certaine qualité journalistique, ou certains contenus, soient diffusés par voie de presse. Ce qui d’ailleurs est la situation actuelle des journaux généralistes, quand on y réflechit : Le Monde, Le Figaro, Libération, dépendent d’apporteurs de capitaux à qui ils ne rapportent rien, mais qui pour des raisons diverses, sont prêts à les financer à fonds perdus parce qu’ils diffusent des choses qu’ils souhaitent voir continuer d’exister (on peut prendre aussi en compte la fatuité des gens riches et leur fascination pour le monde de la presse). Par ailleurs, les abondantes aides à la presse font de l’Etat un mécène de fait des médias. Certains diront que ce genre de modèle n’est pas franchement compatible avec l’indépendance rédactionnelle, mais c’est très discutable.

Tout d’abord, cela fait bien longtemps que le modèle économique de la presse dépend crucialement des annonceurs; Par ailleurs, si Serge Dassault détient le Figaro, c’est certainement pour favoriser la promotion de ses idées politiques; mais s’il garnissait celui-ci exclusivement d’éditoriaux d’Etienne Mougeotte, il n’aurait vite aucun lecteur, ce qui ne contribuerait guère à la diffusion desdites idées; pour que le journal continue de promouvoir des idées, il faut donc qu’il contienne à la fois des pages très partisanes, mais aussi qu’une part de la rédaction continue de faire son travail de journaliste; au lecteur ensuite de faire le tri. Et il reste toujours la solution de la fondation détenue par les lecteurs, par exemple avec une structure actionnariale à droits de vote non cessibles.

Dans tout cela, les médias économiques sont un peu à part. Premièrement, ils ont un lectorat moins sensible aux prix, constitué pour une bonne part de gens dont l’abonnement est payé par leur employeur. Deuxièmement, la spécificité de leur public leur permet d’offrir aux annonceurs un ciblage vers une clientèle appréciée; troisièmement, ils disposent avec les annonces légales des entreprises (en cas de fusion, d’augmentation de capital…) d’une manne enviable. Cela ne les empêche pas de connaître des difficultés spécifiques : pour eux, la concurrence provient de la multiplication des chaînes câblées (à l’image de Bloomberg télévision) ou de la multiplication des contenus rédactionnels sur internet (Bloomberg toujours). Ils subissent aussi le fait que l’information boursière est désormais accessible de façon plus complète et mieux présentée que dans leurs fameux « cahiers centraux » (on se demande d’ailleurs pourquoi ils continuent d’imprimer ces pages de chiffres, autrement que pour des raisons d’image) sur n’importe quel Boursorama.

A la presse il faut ajouter les magazines; Alternatives Economiques repose sur un modèle particulier, issu d’un avantage compétitif pour la pédagogie, qui lui confère une clientèle relativement stable constituée d’établissements d’enseignement, de professeurs et d’étudiants; cet avantage compétitif n’est pas tant menacé par une éventuelle concurrence du web que par une évolution du rôle joué par les matières économiques dans les cursus scolaires et universitaires. Il y a Capital, qui fonctionne grâce à des contenus aux thèmes ciblés mais suffisamment grand public pour disposer d’un public à la fois large et à grand intérêt pour les annonceurs.

En tout cas, les centres de profit « annonceurs » et « paiement des lecteurs » semblent un peu mieux assis pour les médias économiques, ce qui leur a permis, lors du développement de l’internet, de mieux supporter le choc. L’essentiel d’entre eux sont assez chiches en contenus librement accessibles, et ont trouvé le moyen de faire payer leurs utilisateurs. Mais pour eux aussi, cette capacité à faire payer les contenus internet est en voie d’extinction, si l’on en juge par les médias de langue anglaise; le Wall Street Journal, auparavant intégralement payant en ligne, va devenir entièrement accessible; The Economist est plus hypocrite, mais rend en pratique de plus en plus de ses contenus accessibles aux non abonnés; le Financial Times est passé de l’intégralement payant à un système de discrimination tarifaire (s’inscrire au site permet d’accéder à une trentaine d’articles par mois; pour en avoir plus, il faut payer, mais ce paiement est en pratique contournable).

Cette évolution vers la gratuité peut s’expliquer par le fait que les nouveaux contenus sur Internet sont moins une concurrence qu’un complément pour les médias écrits économiques. L’offre des blogs et sites consacrés à l’économie consiste à fournir à leurs lecteurs des analyses, des commentaires d’articles, des liens, à partir d’informations brutes en général accessibles à tous (comme des statistiques gouvernementales). Le choix des liens aura toujours tendance à aller vers ceux qui sont accessibles aux lecteurs, plutôt que ceux qui vont disparaître rapidement derrière un accès payant, ou pire, changer d’adresse et cesser d’être accessibles. La gratuité et l’accessibilité du contenu web permettrait alors de gagner en pages vues – avec publicités – ce que l’on perd en paiements directs; tout en continuant de bénéficier du lectorat ciblé et rémunérateur (vis à vis des annonceurs) de la version papier.

Voilà donc quelques éléments de réponse, peut-être un peu confus, mais qui traduisent l’état de mon questionnement sur le sujet. On pourrait ajouter d’autres aspects, comme la question de l’indépendance rédactionnelle, qui se pose différemment des médias d’information générale (pour lesquels l’esprit partisan joue un autre rôle). En guise de complément, on peut aller voir Felix Salmon sur le modèle économique du FT online (ici et ). N’hésitez pas à discuter du sujet; ce post n’est qu’un mélange de réflexions et d’impressions qui n’ont vocation qu’à évoluer.

14 Commentaires

  1. AD écrit :
    "on se demande d’ailleurs pourquoi ils continuent d’imprimer ces pages de chiffres, autrement que pour des raisons d’image" => parce qu’il y a encore bon nombre d’investisseurs et de conseillers qui lisent les cours de leurs titres sur du papier.

    Notons aussi que l’information financière constitue une vraie richesse pour celui qui la contrôle ; diffuser une bonne ou une mauvaise nouvelle c’est agir sur le marché.

  2. Les journalistes sont en effet de bons professionnels qui vérifient leurs sources, eux !

    Cela donne ce matin sur France Inter, l’annonce d’un recul de 13% du PIB trimestriel du Japon !

    verel.typepad.fr/verel/20…

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Ben pour le coup, pas d’accord avec la critique. Ca n’est pas dépourvu de sens que de donner des chiffres en valeur annualisée, parce que précisément cela donne l’ampleur de la crise; l’information qu’on a sur la croissance d’ordinaire, c’est en version annualisée. Par ailleurs, le calcul (de l’article d’Investir) est correct : ce n’est pas une multiplication par 4 mais une multiplication par 0.967 à la puissance 4 (j’avoue ne pas comprendre ta critique, si une chose baisse de 25% 4 fois de suite, elle ne se retrouve pas à zéro); Et oui, il est tout à fait possible que ce rythme trimestriel se poursuive, en toute objectivité, on n’en sait rien. Le PIB américain a baissé de cet ordre pendant la crise des années 30; plus récemment il a baissé d’environ 20% en un an en Argentine avec la crise de change. Je n’ai pas entendu Inter, et c’est vrai qu’il aurait fallu préciser « en moyenne annuelle » mais cela me semble une imprécision mineure.

  3. Calculer en rythme annualisé, cela consiste à définir une courbe à partir d’un seul point !

    Quand le rythme est relativement stable, cela a l’avantage de donner une idée plus parlante du rythme, en permettant de donner une comparaison avec les chiffres qu’on regarde habituellement, c’est à dire les chiffres annuels

    Quand on est dans une période de rupture et de grande variation des chiffres d’un trimestre à l’autre, cela n’a aucun sens

    "il est tout à fait possible que ce rythme trimestriel se poursuive, en toute objectivité, on n’en sait rien."
    Comme tu le dis, on n’en sait strictement rien !

    Le journaliste d’Investir, dans la mesure où il affiche d’abord le chiffre réel, peut ensuite donner le chiffre annualisé, cela donne en effet une idée de l’ampleur de la crise, à condition de savoir que cela ne correspond pas à une réalité

    Quand le journaliste de France Inter ne reprend que le chiffre annualisé et en plus sans le préciser, c’est n’importe quoi, cela ne me parait pas mineur du tout!

  4. Aujourd’hui qu’est-ce que la presse payante sur papier :
    – Des résumés de dépêche AFP.
    – De la publi information de dossier de presse d’entreprise (pour le cahier économie), de dossier de presse de lobby (pour le cahier société), de dossier de presse pour la culture…

    Le problème de la presse payante, c’est qu’ils ont tellement peu d’argent, que journaliste se borne à être "résumeur". On se demande pourquoi faire une école de journalisme alors que le résumé s’arrête en 1° pour le bac français…

    Pour l’économie en particulier :
    – Les résultats des entreprises publiées dans les échos ou la tribune sont à 100% des résumés des dépêches fournies par les entreprises. Aucun travail de mise en perspective. C’est pour des raisons d’économie de coût ou pour avoir les pubs des dites entreprises ?
    – Les articles financiers sont des résumés de la pensée unique des grands brokers. C’est pour des raisons d’économie de coût ou pour avoir les pubs de Goldman Sachs ?
    – Les articles de fonds structurels sont des résumés du lobby pétrolier ou automobile. C’est pour des raisons d’économie de coût ou pour avoir les pubs de Renault ?
    Etc etc.

    Alors qu’internet… ON tombe sur un éconoclaste, géré par des économistes et pas par des journalistes qui maîtrisent plus le résumé que l’économie. Qui n’ont pas de contraintes de faire plaisir a qui que ce soit.

    Internet, blog, forum c’est une vraie information (perdue dans un océan de bétise). La presse payante, c’est du papier où l’on paye pour lire de la pub.

  5. Si je puis me permettre, ce n’est pas tellement député-maire UMP Dassault ( forum.econoclaste.free.fr… ) qui est gênant mais plutôt l’industriel Dassault dont la plupart du chiffre d’affaires est constitué par la vente d’armes au gouvernement français.

    On peut constater que les investisseurs dans les médias (non économiques) proviennent souvent de secteurs où les connections avec le pouvoir politique sont importantes (armement, travaux publics, … de manière générale les marchés publics). Alors, on peut toujours dire que ce n’est pas trop grave tant qu’il y a plusieurs marchands d’armes/de béton pour se faire concurrence et dénoncer les pratiques des rivaux. N’empêche que çà explique peut-être pourquoi les investisseurs des groupes de presse se contentent d’une faible rentabilité.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    C’est un peu la même chose : si un journal est transformé en permanente publi-information pour son propriétaire industriel, il va perdre des lecteurs et cette capacité d’influence va se réduire. Et la solution, ce sont les fondations de lecteurs, ou des structures comme la fondation Maréchal qui soutient le canard enchaîné.

  6. @Verel

    C’est très naturel de calculer en annualisé (moins de ne pas le préciser, mais visiblement ce n’est pas que ça qui vous hérisse). Il n’y a pas que les journalistes qui raisonnent comme ça, mais les économistes et les institutions internationales. Pas besoin de s’exciter sur la nullité des journalistes.

  7. «Rue89 ne sera jamais Libération»
    C’est bien pour ça que je vais chaque jour sur Rue89 et rarement sur Libération !

    C’est le sérieux qui fait la marque et la notorièté, pas le papier.

  8. J’aime bien la plaquette de présentation de la CCI ; il y a une liste à la Rotary Club puis vers la fin, un lapidaire : "Alexandre DELAIGUE, Econoclaste"

  9. Une petite erreur de raisonnement me semble-t-il quand vous écrivez « l’argent payé par le lecteur est payé à l’imprimerie et à la chaîne de distribution, pas à la production de nouvelles ».

    La somme de l’argent payé par les lecteurs et par les annonceurs est payé à la somme des différents intervenants : rédaction, imprimerie, distribution. Il se trouve peut-être que le montant versé par le lecteur correspond à peu près à celui payé à l’imprimerie et à la chaîne de distribution, mais cette égalité n’a aucune signification économique. Si le montant de mes impôts correspond au prix d’un essuie-glace de char Leclerc, cela ne signifie pas que mes impôts payent cet essuie-glace plutôt que des instituteurs.

    De la même manière, le fait que des abonnements soient proposés à des prix dérisoires ne peut pas s’interpréter comme le fait que les journaux veulent vendre du lectorat à des annonceurs et pas l’inverse (à savoir, trouver des annonceurs pour pouvoir baisser le prix et vendre à des lecteurs). On peut tout simplement analyser le phénomène que vous décrivez comme un problème classique d’augmentation des recettes par des promotions offertes à des lecteurs indécis.

    Derrière ces deux points me semble poindre un jugement de valeur pas forcément utile : la presse classique a deux mamelles, il n’y a aucune raison de penser que l’une prime l’autre.

    Deux remarques complémentaires pour faire avancer votre réflexion :

    1 – Il ne me semble pas avéré que des quotidiens gratuits aient à ce jour atteint leur point d’équilibre économique, ce qui laisse encore planer un léger doute sur la viabilité de la formule.

    2 – Je pense qu’on mésestime l’impact d’internet sur la presse classique. Il y a quelques années, pour accéder à des nouvelles fraîches et à des articles s’y rapportant, il fallait acheter un journal, qui comportait un peu de tout et qu’on avait tendance à lire dans sa quasi-intégralité. De nos jours, il existe sur internet une telle abondance d’articles de qualité sur l’actualité que l’on peut sélectionner précisément ce qu’on veut lire. Du coup, pour prendre mon exemple, quand j’achète un grand quotidien, je suis très vite ennuyé par le fatras d’article que je ne lirais jamais sur internet. Le niveau d’exigence s’est relevé. Les journaux généralistes papier sont sans doute condamnés à disparaître à moyen terme comme les encyclopédies généralistes.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Vous avez raison sur le fait que recettes et dépenses sont « fongibles » et qu’associer types de recettes à types de dépenses est un exercice contestable. En l’affaire, celui-ci visait à se demander si le lecteur est prêt à payer pour le contenu éditorial au sens strict : De fait, en ce qui concerne les médias généralistes, il est possible de considérer que ce qu’il payait, c’est l’infrastructure physique pour lui amener les nouvelles et analyses, pas les nouvelles et analyses elles-mêmes. Ce qui rend sceptique sur les modèles économiques sur internet sans pub consistant à faire payer le lecteur; cela me semble souffrir de ce que d’autres trouveront le moyen de fournir des analyses et nouvelles que le lecteur ne paiera pas.

  10. Si je prends "Le Soir" et "La Libre Belgique", je remarque que de nombreux articles sont strictement les mêmes, aux titres près, et ne sont que des copiés/collés d’une dépêche Belga ou AFP. Restent les articles "de fond" et les critiques d’arts. Le cas de "Libération" est un peu à part (à part aussi parce qu’il y a de grandes chances qu’il disparaisse définitivement) : dans son style "jeune" (pour moi un jargon indigeste) il reste traditionnel, mais c’est un titre qui a de l’histoire et du prestige, eh oui. Rue89 doit avoir de la bouteille, mais ça viendra…

  11. "Le Monde, Le Figaro, Libération, dépendent d’apporteurs de capitaux à qui ils ne rapportent rien"

    Hormis, et c’est capital, de l’influence à très vil prix, ces entreprises étant subventionnées.

    Pour rue89, le mélange d’éditoriaux creux et partisans et d’articles rigoureux dans un seul et même média m’incite à penser que leur business model inclut, comme ceux de la la plupart des autres canards, la vente d’une capacité d’influence sensée se bâtir sur un pourcentage décent d’articles rigoureux.

    Je ne vois donc pas très bien en quoi leur stratégie se distingue significativement de celle des quotidiens papiers si ce n’est par ledit pourcentage. En tout cas, ce mélange est anti-pédagogique au possible et ne contribuera guère à l’information de son lecteur.

  12. Je suis surpris de pas trouver dans l’article une mention d’éconoclaste. Une fois dépassée la modestie, force est de constater qu’éconoclaste (et les autres blogs d’éco) est devenu un média économique.

    Il serait intéressant de demander aux lecteurs du site quels sont leurs principales sources d’info pour l’actu économique. Econoclaste devient une source, au même titre que les Investir et les Alternatives Economiques.

    La production de contenus par les non-journalistes est un facteur clé des évolutions en cours sur le marché des médias. Wikipédia est un autre exemple: écrit par des amateurs éclairés, l’encyclopédie arrive à concurrencer directement les marques médias traditionnelles, en terme de temps de cerveau, mais aussi en terme de crédibilité.

    Au delà des modèles économiques et des débats stériles sur la qualité de l’UGC, force est de constater que la production d’information comme hobby à beaucoup d’avenir. Produire et diffuser a, malgré son cout, l’avantage du débat et de la socialisation. Tous les blogueurs vous le diront 🙂

  13. Une question simple pour commencer
    Quand vous dites que les journaux ne payaient pas l’information, dans quelle rubrique classez vous les abonnements aux agences de presse ?
    Sur les gratuits (réponse à Augustissime) : si on prend le cas de la France, Métro et 20 Minutes ont nécessité un investissement initial de respectivement 10 et 20 millions d’euros. Ces deux titres ont atteint le petit équilibre il y a deux ou trois ans… mais les profits engendrés depuis ne sont pas suffisants pour éponger les déficits des premières années ni, encore moins, pour rembourser l’investissement initial
    Au niveau international, les sociétés mères (Metro International et Schibstedt) ont annoncé des pertes en 2007 pour Metro et 2008 pour Schibstedt et ont des prévisions pessimistes pour 2009. Conclusion : le modèle économique de la presse gratuite (papier) n’est pas probant.
    Sur l’économie de la presse : vous écrivez "La presse se trouve donc dans la situation paradoxale d’avoir de plus en plus de lecteurs, mais de moins en moins de recettes." C’est la situation de beaucoup d’activités dans le secteur (excusez l’anglicisme) "Media and entertainment Industries". La dématérialisation, les effets réseaux et la généralisation des "passagers clandestins" détruisent de la valeur, aussi bien dans l’industrie musicale que dans la presse et autres médias.
    Pour terminer : je serais curieux d’avoir votre avis sur ce que l’on appelle le journalisme citoyen

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