Un bon article de James Surowiecki expliquant pourquoi les licenciements ne font pas monter les cours boursiers (extraits, ma traduction) :
Dans les années 90, alors que les entreprises américaines étaient au milieu de ce que le Times a appelé “le downsizing de l’Amérique” un nouveau terme était apparu : la règle des “7 pourcent”. C’était une formule simple : quand une entreprise annonce des licenciements importants, le prix de son action augmente de 7%. Personne ne s’était particulièrement avisé de vérifier si c’était vrai – c’était une façon simple d’exprimer une idée reçue sur les licenciements : réduire les effectifs fait plaisir à Wall Street. Donc, quand récemment, deux entreprises au cours de bourse faible – Circuit City et Citigroup – ont annoncé des licenciements majeurs, on aurait pu espérer voir leur action monter. Au contraire, le cours de Circuit City a baissé de 4% le lendemain de l’annonce du renvoi de 3400 associés, et l’action de Citigroup n’a pas bougé lors de l’annonce de la suppression de 17 000 postes.
Cela a pu surprendre les dirigeants qui ont planifié les réductions d’effectifs, mais ça n’aurait pas dû. Depuis 10 ans, beaucoup d’économistes ont étudié l’effet des licenciements sur les cours d’actions, et ils ont constaté que la “règle des 7%” était totalement fausse. Au lieu de monter considérablement, l’action des entreprises qui réduisent leurs effectifs a de bonnes chances de baisser. Une méta-étude récente a étudié des recherches portant sur de nombreux pays, couvrant des milliers d’annonces de licenciements, ont conclu qu’en moyenne, les marchés avaient une réaction significativement négative” aux suppressions d’emploi. Certaines entreprises, bien évidemment, voient parfois le cours de leur action monter après l’annonce de licenciements, mais rien ne montre que les réductions d’effectifs sont un succès auprès des investisseurs. Cela ne veut pas dire que Wall Street est devenu gentille – on s’y préoccupe toujours des profits, pas des gens. Mais les investisseurs semblent comprendre que moins de personnes ne signifient pas toujours plus de profits. (…)
Si le bilan des licenciements dans l’amélioration de la performance des entreprises et du rendement pour les actionnaires est si médiocre, pourquoi les dirigeants les trouvent-ils si tentants? Une raison de l’avis des dirigeants sur le downsizing est le biais de la saillance : la tendance à donner un poids excessif à quelques exemples notables (“…) Le fait que le travail de dirigeant soit de court terme, avec la pression pour fournir des résultats rapidement, n’aide pas (…) En plus de cela, un dirigeant a des chances de considérer les licenciements comme une solution parce que c’est ce que tout le monde fait. (…) récemment, le downsizing est devenu moins une réponse aux désastres qu’une stratégie par défaut, composante d’une tendance inexorable à réduire les coûts. (…).
Réduire les coûts n’est pas un mal, et dans une économie dynamique, les licenciements seront nécessaires. Le problème aujourd’hui, c’est que trop d’entreprises définissent les salariés uniquement en termes de ce qu’ils coûtent, plutôt qu’en termes de valeur créée. C’est compréhensible, après un plan de licenciements, il est plus facile de mesurer des coûts salariaux réduits que de voir les contrats que l’entreprise ne signe pas parce qu’elle a trop peu de vendeurs, ou les nouveaux produits qu’elle n’invente pas parce que ses effectifs de R&D sont trop faibles. Ces opportunités gâchées sont peut être difficiles à mesurer, mais à long terme, elles ont un impact important sur la performance. Si l’on en juge par les réactions aux annonces de licenciements, le marché des actions l’a compris. Il serait temps que les dirigeants d’entreprises le comprennent aussi.
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Y a t il des études similaires pour la France (parmi les "nombreux pays"? Le bouquin de Thesmar et Landier parlait de la même chose mais ne citait que des références sur données américaines.
Ne se trouve-t-on pas ici devant une des clés du mécanisme de l’économie cannibale décrit par Schumpeter ?
Peut-on imaginer qu’il puisse exister un lien entre l’existence de barrières à l’entrée sur un marché et la tentation de recours au downsizing pour les acteurs cotés qui s’y épanouissent ? Sous-entendu, que la seule véritable protection des salariés et actionnaires contre la démagogie de la petite minorité de ceux qui sont en compétition pour les meilleurs positions au sein de l’entreprise et de ses financiers est la recherche de la concurrence la plus libre et la moins faussée possible sur les marchés sur lesquels opère leur entreprise ? Dès lors, peut-on conclure qu’un salarié (ou un actionnaire) soucieux de son propre intérêt doit chercher à exercer dans un environnement ou existe la concurrence la plus libre et la moins faussée possible ?
Les licenciements boursiers sont un fantasme de l’extrême gauche. Ce qui fait évoluer les cours de bourse (hormis les taux d’intérêt) c’est l’évolution des perspectives de profit. Un plan social est généralement perçu comme indicatif de difficultés durables de la société, il est donc traité comme tel.
Plus précisément, l’effet sur le cours de bourse d’une telle annonce va dépendre du niveau d’information que la bourse avait déjà intégré dans le cours. Si le marché était pleinement conscient des difficultés du groupe et attendait que le management annonce une réaction et si le plan de licenciement convainc le marché qu’il peut permettre de redresser la barre, alors le cours montera. Si au contraire le marché pensait que tout allait bien ou si le plan ne paraît pas correspondre à la problématique stratégique de l’entreprise, le cours baissera.
C’est pour cela que le genre d’études citées par Surowiecki est très difficile à interpréter. On connaît précisément les dates d’annonces de plans sociaux et les évolutions consécutives du cours, mais il est très difficile (impossible?) de modéliser la perception préalable du marché.
Ceci dit, le ton de l’article est terriblement irritant. Insinuer que les dirigeants d’entreprise ne sont pas conscients de cela et qu’ils licencient pour booster leur cours de bourse est assez navrant. Pour ma part, je n’ai jamais rencontré un dirigeant qui ignorait avoir besoin de ressources pour se développer. Surowiecki semble très fier de découvrir cela aujourd’hui et s’empresse de nous l’expliquer doctement. J’attends avec impatience son prochain article où il nous apprendra que pour dégager un profit, il faut que les revenus soient supérieurs aux coûts.
Les études comportent-elles une analyse des évolutions dans le temps ? Il serait en effet intéressant de voir si "les marchés" ont cru à cette "règle" à une certaine période, puis l’ont abandonnée pour des jugements moins simplistes. Cela pourrait traduire une professionnalisation des analystes financiers et l’adoption de modèles et de critères de décision plus complexes.
Par ailleurs, s’il faut faire évoluer les représentations des dirigeants d’entreprises, cela concerne aussi tous ceux qui les conseillent, notamment les sociétés de conseil spécialisées dans le cost-killing. En effet, celles-ci ont tout intérêt à focaliser l’action sur des réductions de coûts visibles à court terme. La réduction de la masse salariale est la plus facile. La recherche de gains de productiité par l’amélioration de l’efficacité organisationelle et des compétences demande plus de travail… et de compétence!
Il me semblait avoir compris que les "marchés" discriminaient entre les licenciements annoncés dans le cadre d’une stratégie convaincante (raisons, objectifs, étapes bien identifiées, etc.) et les autres. Cela parait d’ailleurs assez logique.
C’est tout le problème de l’arbitrage entre la rentabilité à court terme et à long terme. Comme les bilans et les comptes d’exploitation ne reflètent pas ce qui touche au "goodwill", et que ces documents servent de première référence pour les marchés financiers, les entreprises ont trop souvent tendance à privilégier le court terme.
Ca rejoint un peu un autre phénomène : aujourd’hui les entreprises industrielles ne cherchent plus à croître en chiffre d’affaire, mais plutôt en ROE (ratio bénéfice/capital). La destruction de capital est un des moyens, jusqu’à l’absurde : une entreprise qui gagne un dix euros avec un capital total de un euro pourra être considérée comme extrèmement rentable.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Je me souviens que dans les années 98-2000 alors que je travaillais dans une jeune entreprise industrielle dans les télécom (pas une dotcom), les actionnaires reprochaient à mon patron de ne pas faire assez de pertes.
C’était la bulle.
Aujourd’hui vous nous dites que les financiers commencent à apprendre la vie et deviennent enfin rationnels. On ne s’en plaindra pas.
"Les licenciements boursiers sont un fantasme de l’extrême-gauche"…
Je pense que la majorité des français y croient, et on doit pouvoir trouver jusqu’aux discours de Sarkozy (point Eolas atteint, pas grave je laisse) des protestations contre les patrons qui licencient pour faire monter leur cours.
La majorité des américains aussi, d’ailleurs.
Il y a plusieurs types de plan sociaux :
– Ceux qui correspondent aux retraits d’un marché. C’est par exemple ceux qui ont eu lieu après l’abandon du portail vizzavi de vivendi.
– Ceux qui correspondent à la fermeture d’une unité non rentable – ou moins rentable que les autre. L’usine en Belgique de Renault,
– Ceux qui correspondent à la réduction des effectifs des sièges par la suppression d’emploi administratif (IBM, HP à la fin des années 90 par exemple).
Les deux premiers sont des ajustements à la baisse des volumes produits. Ils se traduisent normalement par une baisse du CA et souvent une baisse moindre du bénéfice et donc théoriquement par une amélioration du ROI. En valorisation boursière, ils doivent normalement entraîner une baisse du titre.
Le dernier se fait normalement à CA constant et donc avec amélioration des marges de l’entreprise. Seul le dernier type de licenciement peut entraîner une hausse du cours de bourse. Mais les gros ajustements ont été réalisés dans les années 90, les grosses entreprises gèrent maintenant leur flux de personnel en temps réel grâce en particulier au recours importants d’intérimaire et de prestation de service.
On peut donc parler d’une disparition des licenciements boursiers.
En passant, la suppression d’un poste improductif dans une entreprise, même en payant des indemnités généreuses à un ROI de + de 100 %
Les licenciements dits boursiers sont en partie une conséquence de l’éparpillement de la propriété de l’entreprise, qui laisse aux dirigeants les coudées bien plus franches pour gérer leur propre intérêt plutôt que celui de l’entreprise.
Surtout si on considère à quel point le détail des règles de gouvernance des entreprises cotées fait la part belle aux dirigeants des entreprises par rapport aux actionnaires, comme l’illustre à mon avis assez bien le conflit Sacyr/Eiffage, ou, il y a quelques mois, le conflit Mittal/Arcelor.
"Une méta-étude récente a (…) conclu qu’en moyenne, les marchés avaient une réaction significativement négative aux suppressions d’emploi."
Est-il possible de connaitre les références de l’étude en question ?
@Kaem,
Le fait que des gens y croient, même des Américains, ne veut pas dire que ce soit vrai. Les études que mentionne Surowiecki n’établissent qu’une seule chose : que les licenciements ne font pas monter les cours de bourse.
Dans le reste de l’article, il propose deux assertions non supportées :
(1) Les dirigeants utilisent beaucoup le downsizing (comment peut on quantifier cela?)
(2) Il le font car il croient que ça boostera leur cours (ça n’est pas dit explicitement, mais c’est le titre de l’article)
Je n’ai pas la moindre idée de la véracité de (1) mais je suis convaincu que (2) est complètement faux. Cette erreur de Surowiecki provient à mon sens d’une méconnaissance des mécanismes de marché et des raisonnements des dirigeants.
Il est assez piquant d’ailleurs de constater que Surowiecki conclut "le bilan des licenciements dans l’amélioration de la performance des entreprises et du rendement pour les actionnaires est si médiocre" sur la base d’une méta-étude dont on devine qu’elle porte sur les évolutions à court terme des cours de bourse, avant de reprocher aux dirigeants leur supposé court-termisme.
@Liberal
Non en effet, je répondais juste à votre première phrase ("fantasme d’extrême-gauche").
Sur le reste, ne peut-on pas penser qu’à un certain moment la stratégie des dirigeants contraints à diminuer leurs coûts a été de downsizer (quel horrible verbe!) plutôt que, disons, abandonner leurs stock-options et leur limousine (exemple pris pour vous provoquer un peu)? C’est une stratégie qui ne fonctionne pas à long terme, mais qui peut correspondre au transfert du risque vers le salarié dans la phase descendante du cycle d’affaires…